Revue critique d’histoire et de littérature/155

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Revue critique d’histoire et de littérature
Revue critique d'histoire et de littérature (p. 148-149).
155. — Études philologiques sur les inscriptions gallo-romaines de Rennes. Le nom de peuple Redones, par Robert Mowat. In-8o, 27 p. et deux planches.

M. Mowat, auteur de travaux estimés sur l’onomastique latine, publie trois inscriptions romaines, les seules que possède jusqu’à présent la ville de Rennes. L’une d’elles, connue depuis longtemps, n’a été pourtant donnée exactement que par M. L. Renier[1], et d’après ce savant par M. Desjardins dans son commentaire de la carte de Peutinger ; néanmoins, dans des publications récentes, on a reproduit la leçon inexacte de Muratori (1075, 5). M. M. donne un bon fac-simile de ce monument.

Les deux autres inscriptions ne sont que des fragments provenant des démolitions exécutées dans les anciens murs de Rennes : elles sont trop incomplètes pour qu’on en puisse faire la restitution : l’une d’elles est importante malgré l’état mutilé où elle est réduite. C’est une dédicace In honorem domus divinae, dans laquelle on lit ITASRIED. Il s’agit évidemment de la civitas Redonum. Le nom de ce peuple paraît dans un texte lapidaire pour la première fois. M. M. est disposé à lire (civ)itas Ried(onum). Je pense qu’il faut lire Rhedonum pour Redonum. Les lettres H et E étaient vraisemblablement liées de façon que le trait vertical de l’E servit de haste droite à l’H. Le trait horizontal de cette dernière lettre n’est pas visible, dit M. M. Cela tient sans doute à ce qu’il n’était pas gravé sur la pierre, mais simplement indiqué par une ligne de minium.

M. M. accepte la présence inattendue de l’I comme un nouvel élément d’étude de la phonétique gauloise et cherche même à justifier, par des considérations linguistiques puisées dans l’idiôme irlandais, la présence de cet élément dans le nom des Redones. Je ne puis discuter cette question pour laquelle me manque toute compétence. Je ferai seulement remarquer qu’une des raisons données par M. M. n’est pas valable. L’auteur s’exprime ainsi : « Il est extrêmement probable que dans les dialectes gaulois, le e long dégénérait en un son bivocal très-voisin du ia irlandais ; en effet, des inscriptions et des monnaies de la Gaule montrent que le groupe ii servait à la transcription du e latin. Entre les diphthongues ia et ii, il y a évidemment place pour le son bivocal ie. » M. de Longpérier a parfaitement montré que ce que l’on avait pris longtemps pour deux i (II) n’est autre chose que la forme graphique ancienne de l’E latin, forme encore usitée dans les provinces quand elle avait disparu de l’écriture officielle à Rome[2]. Il serait à souhaiter que les travaux analogues du même auteur, publiés dans la Revue numismatique[3] fussent, réunis en un volume et mis à la disposition des celtisants auxquels ils épargneraient quelques tâtonnements.

D’un autre côté, il faut remarquer qu’aucun manuscrit de César, de Pline, de la Notitia Provinciarum Galliae, de la Notitia Dignitatum n’offre la leçon Riedones, Les meilleurs ont Redones, les autres Rhedones. Ptolémée donne Ῥηήδονες, mais pour l’orthographe d’un nom latin, il vaut mieux recourir aux auteurs latins eux-mêmes. Or on peut poser comme une règle très-sûre que les bons manuscrits sont toujours d’accord avec les inscriptions pour l’orthographe des noms propres. Pour ne pas sortir de la Gaule le fait a été prouvé mainte fois, par exemple par M. Aug. Bernard à propos des Segusiavi, par M. L. Renier à propos des Ceutrones, par M. Chabouillet à propos des Vellavi[4]. Dans une publication moins soignée que celle de M. M. on aurait pu croire à une faute de lecture, mais cela n’est pas possible vu l’examen minutieux que l’auteur a fait du monument et les précautions qu’il a prises pour le reproduire exactement.

On ne peut pas davantage songer à une négligence du graveur de lettres, puisque l’inscription est « tracée en capitales romaines d’un style extrêmement pur et d’une facture soignée. » Il faut donc admettre rhedones, qui s’écarte moins que riedones des manuscrits les plus autorisés[5].

  1. Itinéraire de la Gaule, p. 84.
  2. Note sur la forme de la lettre E dans les légendes de quelques monnaies gauloises. Revue numismatique, 1856, p. 73-87.
  3. 1860, sur la forme de la lettre F dans les légendes, etc., p. 175-189. 1863, sur la terminaison OS dans les légendes, etc., p. 160-168. 1864, de l’Anousvara dans la numismatique gauloise, p. 333-350.
  4. Ce dernier savant (sur une main de bronze, etc. Rev. archéolog. XX, 183) établit qu’il faut rejeter absolument la leçon Οὐέλαυνοι, qui est le nom des Vellavi dans Ptolémée, et cela prouve que le texte du géographe grec ne doit être consulté qu’avec beaucoup de précautions pour l’ethnologie gauloise.
  5. [M. M., dans une communication particulière, appuie son opinion sur l’ie de Riedones du rapprochement avec la forme Agied. qu’on rencontre une fois et qui représente certainement Agedincum. Mais d’abord l’e de Agedincum est regardé comme bref dans la grammaire de Zeuss, n. éd., p. 36, où on compare la diphthongaison de l’e dans ce mot à la diphthongaison romane de l’e bref et non à la diphthongaison irlandaise de l’e long ; ensuite je serais porté à décomposer Agied. en A-gj-ed. plutôt qu’en A-gie-d., et à regarder l’i qui suit le g comme marquant l’affaiblissement de cette gutturale et non la diphthongaison de la voyelle ; cf. Scnuchardt, Vokalismus, t. I, p. 70 ss. Il faudrait connaître l’âge du monument où figure cette forme. — Sur d’autres mots gaulois où se trouve ie, voy. Zeuss, p. 35. — G. P.]