Revue de bibliographie analytique, 1845, Péricaud, Nicot

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Notes et documens pour servir à l'histoire de Lyon, sous le règne de Henri IV. 1594-1610, par Antoine Péricaud aîné, des académies de Lyon, Turin, etc., etc., vice-président de la Société littéraire de Lyon, etc. - Lyon, Mougin Rusand, 1845. in-8°.

M. Péricaud aîné avait déjà publié, de 1839 à 1844, les premières feuilles de cet important ouvrage. Il est seulement fâcheux qu'il se soit contenté d'en enrichir les Annuaire. de sa chère ville de Lyon, et qu'il soit impossible aux amateurs des histoires provinciales de les réunir et d'en former un premier volume. Espérons que l'intérêt naturel qui s'attache à ce genre de révélations, décidera le judicieux antiquaire à donner une deuxième édition de ces articles de l'Annuaire. Espérons surtout que les Notes et documents seront poursuivis jusqu'à la fin du xviiie siècle; car plus que toute autre ville, Lyon est liée à tous les souvenirs, à tous les événemens de l'histoire de France. C'est une sorte de colosse qui sépare la France de l'Italie, et pour les sectes religieuses comme pour les débats politiques et littéraires, c'est un terrain neutre sur lequel il a toujours été permis de se démener et débattre. Dès qu'un soulèvement ébranle les provinces italiennes ou le cœur de la France, Lyon en ressent le contrecoup prolongé. On ne devine donc pas toute la portée des grands événemens, quand on n'en étudie pas les effets daus l'enceinte de cette grande ville.

Les Notes et documents composés en assez grande partie de pièces inétlites, offrent un journal suivi de toutes les choses relatives à l'histoire de Lyon, pendant le règne de Henri IV.


Excellent bibliophile non moins que judicieux annaliste, M. Péricaud a pris le plus grand soin de mentionner toutes les anecdotes relatives à la fameuae imprimerie lyonnaise et aux livres publiés par les habiles de la province. Malheureusement pour nous, dans plusieurs milliers d'indications précieuses, il est malaisé de faire un choix et de donner une idée même approximative de l'intérêt qui s'attache à chacune d'elles. Le rédacteur, on le sent à chaque page, est au courant de tous les travaux de l'érudition contemporaine : il loue souvent, il redresse quelquefois, mais toujours avec une urbanité d'autant plus recommandable qu'elle n'a jamais cessé d'être fort rare chez les érudits et les bibliophiles. Nous prendrons la liberté de faire à M. Pèricaud une seule question et non pas un reproche. A la page 252, sous l'année 1607, il mentionne « le Nouveau Dictionnaire françois-latin..... cueilli et escrit des plus doctes et entre autres de M. Nicot, et soigneusement revu par Jean Baudouin. .. Lyon, Cl. Morillon. » Il rappelle qu'en 1612, Cl. Morillon donna du même Dictionnaire une nouvelle édition, et qu'une autre édition en avait été préparée en 1609, par le P. jésuite Michel Coyssard, chez Jean Pillehotte. Mais, comment aux années 1608 et 1609, M. Péricaud n'a-t-il pas cité : « Le Grand Dictionnaire françois-latin, enrichi en ceste dernière édition plus exacte et correcte que les précédentes, de plus de six mille dictions ou phrases françoises… Recueilli des observations de plusieurs hommes doctes de notre siècle, entr'autres de M. Nicot, conseiller du Roy, et de M. Guichard, M. des requestes de son altesse … par Pierre Marquis, estudiant ès-lettres humaines au collége du Dauphiné à Vienne. Lyon. Jean Pillehotte. 1609. »
L'épître de l'imprimeur, placée en tête de ce dictionuire, est datée du premier jour de 1608 ; le privilège est du mois de juin 1608, et l'impression en a été terminée le 15 décembre 1608. Comment Pillehotte, la même année, 1609, aurait-il publié l'édition du P. Michel Coyssard ? Et pourquoi Claude Morillon, en 1612, aurait-il mentionné le travail de ce
jésuite, plutôt que celui de Marquis ? Sur toutes ces questions, il reste beaucoup d'incertitudes. Qu'il nous soit donc permis de dire ici quelques mots des premières éditions du Dictionnaire français-latin.

La première série de ces ouvrages comprend tous les dictionnaires imprimés avant les travaux de l'Académie française. On est convenu de les placer tous sous les auspices de Jean Nicot, l'ambassadeur de Portugal, l'introducteur du tabac en France. A nos yeux cependant il n'est pas certain que maître Nicot, le philologue, soit le même que messire Nicot, le diplomate. Et, quoi qu'il en soit de cette question, nous pensons que sa gloire a été fort injustement grandie aux dépens de celle de Robert Estienne, l'auteur d'un premier Dictionnaire françois-latin, publié en 1539.

Après la mort d'Estienne, un fameux libraire de Paris, nommé Jacques Du Puy, ayant découvert un exemplaire de son Dictionnaire chargé de nombreuses additions marginales, confia à Mr Jean Thierry le soin de coordonner ces notes et de préparer une seconde édition augmentée. L'édition parut en 1564, ct fut suivie presque immédiatement de contrefaçons sans nombre ; si bien que vers 1580, les héritiers de Du Puy crurent devoir renouveler l'expédient qui leur avait si bien servi une première fois : ils prièrent donc Mr Jean Nicot de faire à l'édition de 1564 de nouvelles additions et corrections, et en 1584, ils firent paraître une troisième édition du grand Dictionnaire français-latin, enrichi pour la première fois des remarques de M. Jean Nicot, et de plusieurs autres personnages doctes. C'est à partir de ce moment que le Dictionnaire de Robert Estienne fut reçu dans le monde comme l'ouvrage de Nicot. Plus tard, Baudouin, Marquis et d'autres encore grossirent les additions de 1584 ; mais, moins heureux, ils n'enlevèrent pas à Jean Nicot l'honneur qu'il avait lui-même usurpé ; tant il est vrai que le royaume de Justice n'est pas de ce monde. Vespuce a donné son nom à la découverte de Colomb ; et les anciens dictionnaires français de Robert Estienne sont cités aujourd'hui, même par les
plus habiles, comme le litre de gloire de Jean Nicot. Est-ce ainsi que M• Jean Nicot aurait introduit le tabac en France ?