Revue des Romans/Antoine Hamilton

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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HAMILTON (le comte Antoine),
né en Irlande en 1646, mort à Saint-Germain en Laye le 21 avril 1720.


CONTES, 3 vol. in-8, contenant le Bélier, l’histoire de Fleur d’Épine, les Quatre Facardins, la suite des Facardins et de Zénéide, par le duc de Lewis, 2 vol. in-18, 1812. Édition la plus belle et la plus correcte des Contes d’Hamilton ; l’édition original est de 1730.

Pressé par les dames de la cour de faire des contes dans le goût des Mille et une Nuits, qui étaient en grande faveur, Hamilton, esprit original, prit le parti de faire, comme Cervantes avait fait un livre de chevalerie, pour s’en moquer. Il affecta d’enchérir sur la bizarrerie des fictions, et de la pousser jusqu’à la folie ; mais cette folie est si gaie, si piquante, si bien assaisonnée de plaisanterie, relevée par des saillies si heureuses et si imprévues, que l’on y reconnaît à tout moment un homme très-supérieur aux bagatelles dont il s’amuse. Il va plus loin dans Fleur d’Épine ; il y a des traits d’une vérité charmante, et de l’intérêt dans les caractères et les situations. L’objet en est moral et très-agréablement rempli ; c’est de faire voir qu’avec beaucoup d’esprit, de courage et d’amour, un homme sans figure et sans fortune peut vaincre les plus grands obstacles, et que dans les femmes la grâce l’emporte sur la beauté. Hamilton devait en effet vanter la grâce, son style en est plein. Il suffirait pour le prouver de se rappeler le tableau de Tarare, emmenant avec lui, sur la jument Sonnante, la jeune Fleur d’Épine, qu’il a tirée des mains de la fée Dentue, et qui ne le connaît encore que pour son libérateur, mais qui, à ce titre, commence déjà à sentir de l’inclination pour lui. On ne trouve point ici de ces conversations de romans mille fois répétées dans des situations pareilles. Hamilton sait s’y prendre autrement pour nous faire lire dans le cœur de Fleur d’Épine. Tarare lui raconte, chemin faisant, comme il a été choisi pour peindre la belle Luisante, dont les yeux faisaient mourir tant de monde. « Vous l’avez donc souvent regardée ? dit Fleur d’Épine. — Oui, dit-il, tout autant que je l’ai voulu, et sans aucun danger, comme je viens de vous le dire. — L’avez-vous trouvée si merveilleusement belle qu’on vous l’avait dit ? — Plus belle mille fois, répondit-il. — On n’a que faire de vous demander, ajouta-t-elle, si vous en êtes d’abord devenu passionnément amoureux ; mais dites-m’en la vérité. » Tarare ne lui cacha rien de ce qui s’était passé entre lui et la princesse, pas même l’assurance qu’elle lui avait donnée de l’épouser en cas qu’il réussît dans son entreprise. Fleur d’Épine ne l’eut pas plutôt appris, que, repoussant les mains dont il la tenait embrassée, elle se redressa, au lieu d’être penchée sur lui comme auparavant. Tarare crut entendre ce que cela voulait dire ; et continuant son discours sans faire semblant de rien : « Je ne sais, dit-il, quelle heureuse influence avait disposé le premier penchant de la princesse en ma faveur, mais je sentis bientôt que je n’en étais pas digne par les agréments de ma personne, et que je le méritais encore moins par les sentiments de mon cœur ; car je ne me suis que trop aperçu depuis que l’amour que je croyais avoir pour elle n’était tout au plus que de l’admiration. Chaque instant qui m’en éloignait effaçait insensiblement son idée de mon souvenir, et dès les premiers moments que je vous ai vue, je ne m’en suis plus souvenu du tout. » Il se tut, et la belle Fleur d’Épine, au lieu de parler, se laissa doucement aller vers lui comme auparavant, et appuya ses mains sur celles qu’il remit autour d’elle pour la soutenir. — Dans la foule de peintures que l’amour a fournies (et il en fournira jusqu’à la fin du monde), il n’y en a peut-être pas une plus vraie, plus douce et plus gracieuse : elle remplit le cœur de l’idée d’un de ces moments délicieux qui sont faits pour lui, et qui sont d’un prix d’autant plus grand, qu’il semble que tout ce que l’amour promet soit encore au-dessus de tout ce qu’il peut donner.

MÉMOIRES DE LA VIE DU COMTE DE GRAMMONT, contenant particulièrement l’Histoire de la cour d’Angleterre sous Charles II, 2 vol. in-8, 1813. — Une des éditions les plus recherchées est celle de 1772, in-4, imprimée par les soins d’Horace Walpole ; c’est la première qui ait fourni des notes sur les personnages que le comte d’Hamilton a si ingénieusement mis en scène.

De tous les livres frivoles, les Mémoires de Grammont sont un des plus agréables et des plus ingénieux ; c’est l’ouvrage d’un esprit léger et fin, accoutumé, dans la corruption des cours, à ne connaître d’autre vice que le ridicule, à couvrir les plus mauvaises mœurs d’un vernis d’élégance, à rapporter tout au plaisir et à la gaieté. Il y a, dans ces Mémoires, quelque chose du ton de Voiture, mais infiniment perfectionné. L’art de raconter les petites choses de manière à les faire valoir beaucoup, y est dans sa perfection. L’histoire de l’habit volé par Termes est en ce genre un modèle unique. Ce livre est le premier où l’on ait montré souvent cette sorte d’esprit qu’on a depuis appelé persifflage, que Voiture avait mis quelquefois en usage avant qu’il fût connu sous ce nom, et qui consiste à dire plaisamment des choses sérieuses, et sérieusement des choses frivoles. Mais cet esprit demande beaucoup de mesure et de choix, et n’a rien de commun avec le langage décousu, néologique, vague et burlesque, que de nos jours on a qualifié du nom de persifflage, et qui n’est qu’une absence totale de sens et de goût, une espèce de badinage d’autant plus éloigné du bon ton, qu’il semble plus y prétendre. Il n’y a personne qui n’ait lu les Mémoires de Grammont : quel lecteur n’a pas présentes à l’esprit, et ces scènes plaisantes contées avec tant de sel et d’enjouement, et ces saillies spirituelles du comte de Grammont, et ces naïvetés non moins spirituelles de son ami Matha ? Qui n’a pas ri cent fois du premier, lorsqu’il est dupe au jeu, et même, tranchons le mot, lorsqu’il y est fripon ? tant une narration gaie et un ingénieux badinage savent colorer d’un vernis agréable des actions peu honnêtes. Qui ne s’est égayé de ses campagnes dans les lignes d’Arras et au siége de Trin, et de ses amours avec madame de Senantes, et de son érudition au sujet des Allobroges avec M. de Senantes, et des leçons de galanterie qu’il donne à Matha, et des singuliers progrès de celui-là, et de l’aumônier Poussatin, et de cette peinture si originale et si animée de la cour d’Angleterre sous le roi Charles II ; tableau vif et rapide, où passent successivement sous les yeux du lecteur, le roi lui-même, les deux reines sa femme et sa mère, et le duc d’York son frère, et ses nombreuses maîtresses, et ses courtisans, parmi lesquels on distingue le fameux Rochester, et toutes les filles d’honneur qui partageaient les divertissements et les intrigues de cette cour plus que galante : Filles d’honneur comme il plaisait à Dieu, dit leur plaisant historien ? Tous ces récits enjoués étant gravés dans la mémoire du lecteur, toutes les formules d’éloges qui leur sont dus ayant été épuisées depuis le temps qu’on lit ces Mémoires et qu’on les loue, nous nous croyons dispensés de reproduire les uns et de répéter les autres.