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Revue des Romans/Denis Diderot

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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DIDEROT (Denis),
né à Langres, en 1713, mort le 31 juillet 1784.


LA RELIGIEUSE, in-8, 1796 ; 3e édit., où l’on trouve une conclusion, 2 p. in-8, 1799. — Tout le monde connaît le talent que l’auteur a déployé dans ce roman. Les personnes qui ne l’ont point lu auraient tort de croire qu’il y attaque la religion ; l’héroïne y est au contraire d’une piété aussi sincère que touchante, et le prêtre qu’il fait intervenir dans l’action y est peint sous des dehors fort respectables. Voici quelle fut l’origine de cette composition : en 1758, il fut beaucoup question à Paris d’une jeune religieuse de l’abbaye de Longchamp qui réclamait contre ses vœux, et qui plaidait contre son couvent et sa famille ; elle perdit son procès et fut condamnée à mourir dans son cloître d’ennui et de désespoir. Le marquis de Croixmarre, homme sensible et philosophe, s’était intéressé pour la jeune recluse, au point de solliciter pour elle les conseillers de la grand’chambre. Quinze mois environ après la fin de ce procès, il était dans sa terre en Normandie et ne se pressait pas de revenir à Paris, lorsque ses amis, au nombre desquels étaient Diderot et Grimm, s’ennuyant de ne pas le voir, imaginèrent, pour le ramener dans la capitale, de renouveler l’aventure de la religieuse, ou plutôt d’y faire une continuation. Grimm s’accuse fort plaisamment d’avoir eu la scélératesse d’écrire, conjointement avec Diderot, des lettres par lesquelles la religieuse, qu’on supposait alors s’être enfuie de son couvent, réclamait auprès de M. de Croixmarre ses secours et son appui. Ses amis ne désespéraient pas que l’honnête marquis n’accourût en toute diligence pour donner à la pauvre religieuse tous les services qui dépendraient de lui. Ils se trompèrent, le marquis ne vint pas, mais il offrit un asile ; la correspondance s’entama, se suivit du ton le plus touchant ; après avoir soutenu cette correspondance quelque temps, les amis de M. de Croixmarre la terminèrent en faisant mourir la religieuse. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est que sept à huit ans après, le hasard voulut que M. de Croixmarre rencontrât une dame Madin, chez laquelle la religieuse était supposée s’être retirée, et à l’adresse de laquelle le marquis envoyait ses lettres. M. de Croixmarre s’empressa de lui demander des informations sur une infortunée qui l’avait tant intéressé, et dont Mme Madin ne savait pas le premier mot. Ce fut le moment de la confession générale des coupables et de leur pardon. — Telle est l’anecdote qui a donné lieu au roman de la Religieuse. Le fond en est vrai ; c’est l’histoire d’une malheureuse victime de la dureté de ses parents. Les mémoires de la sœur Sainte-Suzanne sont censés écrits par elle-même, et adressés au marquis de Croixmarre. Son père, M. Simonin, était avocat ; sa mère avait commis une faute, dont la malheureuse enfant fut la suite. M. Simonin, à qui la naissance de Suzanne était suspecte, ne pouvant l’aimer comme sa fille, et sa mère ne pouvant la regarder sans se rappeler un crime et des chagrins amers, pour se délivrer d’elle on voulut la faire religieuse ; elle résista longtemps, et finit enfin par se laisser aller à prononcer ses vœux. La supérieure, dont les séductions l’avait engagée à aliéner sa liberté, meurt ; elle tombe dans la disgrâce de celle qui la remplace, et finit par être prise en aversion par ses compagnes. Alors elle a recours à la justice pour faire rompre ses vœux, et succombe dans cette tentative ; mais son avocat obtient sa translation au couvent de Sainte-Eutrope d’Arpajon. Là elle devient l’amie de sa supérieure, qui s’éprend pour elle d’une ardente passion, dont les effets sont peints avec une effrayante vérité ; elle ne se prête point aux étranges désirs de cette supérieure, qui la presse avec toute la vivacité d’un amant, et qui finit par devenir tout à fait folle d’amour. Suzanne, frappée de son état, est instruite par son confesseur du danger qu’elle a couru ; ce moine ne déteste pas moins qu’elle son couvent ; tous deux s’évadent ensemble, sans autre motif de la part de Suzanne que d’échapper enfin au supplice de la vie monastique. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que le moine est un vaurien et le quitte. Son malheureux sort la conduit successivement dans une maison suspecte, chez un chandelier, dans un hôpital, et enfin chez une blanchisseuse à qui elle sert de fille de journée. C’est apparemment au sortir de là qu’elle devait être recueillie par Mme Madin… Les mémoires ne sont pas finis, ou bien il y a une lacune.

JACQUES LE FATALISTE ET SON MAÎTRE, in-8, 1796. — Dans ce roman, l’intention de Diderot a été évidemment d’imiter Sterne ; mais il n’a de son modèle que le décousu et le défaut de liaison. Jacques promet à son maître l’histoire de ses amours ; dix aventures et vingt récits viennent à la traverse, et ce n’est guère qu’à la fin du second volume qu’il commence la narration qu’il a promise, et il ne l’achève pas. Souvent on ne sait si c’est Jacques, ou si c’est son maître, ou l’auteur lui-même qui parle ; une historiette, une conversation est interrompue par une autre ; c’est une suite de caprices, de boutades ; mais résulte-t-il quelque beauté de ce désordre ? Pas beaucoup, en vérité. Le livre se fait lire ; il y a, si l’on veut, de l’amusement ; mais quand on l’a lu, il n’en reste absolument rien ; cela n’est bon qu’à tuer le temps ; c’est la conversation d’un bel esprit bavard, qu’on écoute assez volontiers, et qui finit par faire mal à la tête. Le nom de Jacques le fataliste semblerait indiquer que l’auteur a voulu traiter la fameuse ques tion de la liberté de l’homme ; mais à peine y est-elle effleurée ; seulement Jacques répète sans cesse que tout ce qui arrive est écrit là-haut, et qu’il y a un grand rouleau qui contient tous les événements de ce monde, etc. ; et avec ces deux ou trois phrases, qui reviennent à tout propos, l’auteur croit avoir tracé un caractère. Le livre est rempli de contes scandaleux, et même orduriers, de moines, de catins, d’escrocs, d’histoire sales, racontées dans des termes bas, dont l’auteur prévoyait sans doute que le lecteur serait choqué ; car, répondant à l’avance aux reproches qu’il pensait bien qu’on lui adresserait à ce sujet, il se demande pourquoi on ne parlerait pas de l’acte physique de la génération aussi librement que de toute autre chose. Pourquoi ? parce que cet acte, si vous en ôtez l’idée de préférence, le charme de l’amour, l’attrait du mystère, n’offre plus rien que de grossier et de dégoûtant.

On doit aussi à Diderot : Les Bijoux indiscrets, 3 vol. in-12, 1748. — L’Hymen réformateur des abus des mariages, in-12, 1756. — Contes et Nouvelles, in-12, 1773. — Les deux Amis de Bourbonne, in-12, 1822.