Rimes familières/Le Chêne

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Rimes familièresCalmann Lévy (p. 31-33).


LE CHÊNE


À M. Edmond Cottinet.


 
Le chêne a-t-il grandi ? tient-il bien sa promesse,
Ami des anciens jours ?
Et ce que tu disais de lui dans sa jeunesse,
Le penses-tu toujours ?

Oui, c’était bien un chêne, et d’une fleur de serre
Il n’a pas l’agrément ;
Son écorce est rugueuse et sombre : en pleine terre
Il a crû lentement.

 
Sa racine a senti bien souvent de la roche
Le contact détesté ;
Mais elle la contourne et sur elle s’accroche
Avec ténacité.

Sa tête sans orgueil dépasse à peine l’herbe.
Qui durera verra !
L’herbe sera fauchée, et la cime superbe
Longtemps s’élèvera.

L’arbuste pousse vite et son riche feuillage
A bientôt recouvert
Le jeune arbre sans grâce et sans fleurs, qu’un même âge
Fait moins fort et moins vert.

Sois patient ! le Temps qui sans pitié ravage
Et la tige et la fleur
De l’arbuste, saura du vieux chêne sauvage
Consacrer la valeur ;

 
Ses branches se tordant ainsi que des reptiles
Croîtront dans l’avenir,
Quand on aura perdu des plantes inutiles
Même le souvenir.

À toi merci, prophète aux strophes téméraires,
Pour avoir deviné
Que le frêle arbrisseau, battu des vents contraires,
Était prédestiné !