Salaires, prix, profits/9

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Traduction par Charles Longuet.
V. Giard et E. Brière (p. 66-68).
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IX
Valeur du travail

Revenons maintenant à l’expression de Valeur ou Prix du travail.

Nous avons vu qu’en réalité ce n’est que la valeur de la force de travail, mesurée d’après la valeur des marchandises nécessaires à son entretien. Mais comme l’ouvrier reçoit son salaire après que son travail est achevé et qu’il sait, du reste, qu’effectivement ce qu’il livre au capitaliste c’est son travail, il s’en suit nécessairement que la valeur ou le prix de sa force de travail lui paraissent être le prix ou la valeur de son travail même. Si le prix de sa force est de trois schellings, contenant six heures de travail, et qu’il travaille douze heures, il considère nécessairement ces trois schellings comme la valeur ou le prix de douze heures de travail, bien que ces douze heures de travail s’incorporent en une valeur de six schellings. De ceci découle une double conséquence :

Premièrement : La valeur ou le prix de la force du travail prend l’apparence du prix ou de la valeur du travail lui-même, encore que, rigoureusement, les termes de valeur et de prix du travail soient dénués de sens.

Secondement : quoique seulement une partie du travail journalier de l’ouvrier soit payée, tandis que l’autre partie est impayée et que ce travail impayé ou surtravail constitue exactement le fonds d’où se forme la plus-value ou profit, il semble que tout le travail, pris dans sa masse, soit payé.

C’est cette fausse apparence qui distingue le travail salarié des autres formes historiques du travail. En régime de salariat, même le travail impayé a l’air d’être du travail payé. Avec l’esclave c’est tout le contraire : même la partie de son travail qui est payée paraît être impayée. Naturellement pour que l’esclave travaille, il faut qu’il vive, et une partie de sa journée de travail sert à rembourser la valeur de son propre entretien. Mais comme il n’y a pas de marché conclu entre lui et son maître, qu’il ne se passe aucun fait de vente ou d’achat entre les deux parties, son travail entier a l’air d’être donné pour rien.

Prenez, d’un autre côté, le serf tel qu’hier encore, je pourrais dire, il existait dans toute l’Europe orientale. Ce paysan travaillait, par exemple, trois jours pour lui-même à son propre champ ou au champ qui lui était alloué, et les trois autres jours il accomplissait un travail obligatoire et gratuit sur le domaine de son seigneur. Ici donc la partie payée et la partie impayée du travail étaient séparées d’une manière sensible, séparées dans le temps et dans l’espace ; et cette idée absurde de faire travailler un homme pour rien transportait d’indignation nos Libéraux.

En fait, pourtant, qu’un homme travaille trois jours de la semaine pour lui-même sur son propre champ et trois jours pour rien sur le domaine de son seigneur, ou bien qu’il travaille à la fabrique ou à l’atelier six heures par jour pour lui-même et six pour son patron, cela revient absolument au même, encore que dans ce dernier cas les portions payées et impayées du travail soient entremêlées et inséparables, et bien que la nature de toute l’opération soit complètement masquée par l’intervention du contrat et par la paye reçue à la fin de la semaine. Le travail gratuit paraît être donné volontairement dans un cas et être forcé dans l’autre. C’est là toute la différence.

Quand j’emploierai l’expression de « valeur du travail », ce ne sera que comme un terme de la langue populaire pour signifier la « valeur de la force de travail ».