Salon de 1857/01

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SALON DE 1857

LA PEINTURE



M. Ingres, M. Eugène Delacroix, M. Decamps n’ont rien envoyé au salon de cette année. La renommée très légitime qu’ils ont acquise depuis longtemps est à l’épreuve de la discussion. C’est pourquoi nous devons croire que s’ils ne figurent pas à l’exposition, c’est qu’ils n’ont à nous montrer aucune œuvre nouvelle. L’accueil qu’ils ont reçu du public en 1855 a dû leur prouver que la valeur de leurs travaux est pleinement appréciée. Leur absence ne saurait être imputée à une bouderie. Toutefois je regrette qu’ils ne paraissent pas cette année, car ils représentent d’une manière très nette trois formes diverses de l’invention dans les arts du dessin, et parmi les peintres dont les ouvrages sont aujourd’hui soumis au contrôle de l’opinion, il n’y en pas un qui se recommande par un goût aussi sévère que l’auteur de l’Apothéose d’Homère, par une imagination aussi active que l’auteur de l’Apollon Pythien, ou qui modèle en pleine lumière, comme l’artiste laborieux à qui nous devons le Supplice des crochets. Les hommes de talent ne manquent pas ; nous pouvons même, sans flatter notre pays, dire qu’ils sont nombreux. Ce qui fait défaut, c’est l’originalité. M. Ingres, qui procède de l’école romaine et qui invoque en toute occasion l’autorité de ses aïeux ; M. Delacroix, qui demande conseil tantôt à l’école vénitienne, tantôt à l’école flamande, et qui ne dissimule pas ses prédilections ; M. Decamps, qui nous est revenu d’Italie sans avoir rien changé à sa manière, et qui relève de Rembrandt, quoiqu’il n’essaie jamais de le copier, sont trois natures énergiques, et n’ont jamais abandonné la voie qu’ils avaient choisie. Chose rare en ce temps-ci, ils sont animés d’une conviction sincère, et combattent résolument pour l’honneur de la doctrine qu’ils ont embrassée ; ils n’ont jamais fléchi devant les caprices de la mode, quand autour d’eux tous ou presque tous interrogeaient le goût de la foule avant de mettre la main à l’œuvre. Aussi, lorsqu’ils ont réuni en 1855 les toiles signées de leur nom, personne n’a pu méconnaître l’harmonieuse unité de leurs travaux. Les juges mêmes qui ne partageaient pas leurs prédilections ont été frappés de la fermeté de leur caractère.

M. Ingres veut aujourd’hui ce qu’il voulait dans la seconde année du consulat, quand il obtenait le grand prix de Rome : il s’est affermi par l’étude, par un long séjour en Italie, dans ses premières croyances ; mais quand il achevait en 1827, à l’âge de quarante-sept ans, l’Apothéose d’Homère, il n’avait pas changé de route. Nous pouvons parler dans les mêmes termes de M. Eugène Delacroix. Depuis Dante et Virgile, exposés en 1822, lorsque l’auteur n’avait que vingt-six ans, jusqu’au salon de la Paix, à l’Hôtel-de-Ville, nous retrouvons toujours et partout la même richesse, la même variété de palette, la même splendeur et la même harmonie. Les reproches qu’on peut adresser à M. Delacroix ne portent pas sur l’unité de sa manière, mais sur la pureté linéaire de ses figures. Ces reproches méritent sans doute d’être pris en considération ; cependant, nous devons le dire, lors même qu’il se trompe, lors même qu’il ne respecte pas la vérité des contours, il ne manque jamais d’intéresser. Il y a chez lui une telle abondance d’invention, un sentiment si pathétique, une telle habileté à saisir et à rendre le caractère des passions, qu’on oublie parfois ses méprises pour s’abandonner à l’émotion poétique. M. Delacroix ne contente pas ceux qui aiment, ceux qui cherchent, comme la beauté suprême, l’harmonie linéaire. Ne lui demandons pas ce qu’il n’a jamais cherché ; ne méconnaissons pas la nature de son talent. Malgré tous ses défauts, il comptera parmi les peintres les plus inventifs de notre temps : il peut se contenter d’un pareil lot. Quant à M. Decamps, que les partisans exclusifs de l’école romaine s’obstinent à regarder comme un peintre de genre, il a prouvé plus d’une fois, en traitant des sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament, qu’il pouvait aborder les problèmes les plus difficiles de son art. Le Christ parmi les docteurs, Samson et Joseph révèlent chez lui une finesse d’intelligence, une délicatesse de goût et en même temps une énergie de volonté que lui envieraient les plus habiles et les mieux doués. Parler de la dimension de ses œuvres pour les placer au second rang est un entêtement ridicule. La Vision d’Ezéchiel, qui se voit au palais Pitti, étonne par la grandeur de la conception, malgré l’exiguïté des figures. Les tableaux de M. Decamps émeuvent plus puissamment que bien des toiles où les personnages sont plus grands que nature. L’absence de ces trois maîtres est donc à regretter.

Cependant il ne faut pas traiter avec dédain les hommes laborieux ou ingénieux dont les œuvres sont exposées cette année. Si nous n’avons pas à signaler de compositions d’un mérite éclatant, d’un caractère inattendu, d’une incontestable nouveauté, nous avons devant nous des œuvres capables de nous intéresser par le maniement du pinceau. Si l’invention n’y joue pas un rôle très important, en revanche nous avons à louer la dextérité des artistes.

Parmi les paysagistes qui n’ont rien envoyé, et dont le talent est depuis longtemps reconnu, nous devons nommer M. Troyon, M. Jules Dupré, M. Paul Huet, Mlle Rosa Bonheur. Je fais des vœux bien sincères pour que M. Troyon ne se laisse pas éblouir par l’éclat et le nombre de ses succès. La popularité de son nom est aujourd’hui si bien établie parmi les amateurs, que ses œuvres, à peine ébauchées, sont déjà disputées. Il est donc à souhaiter qu’il se défie de cet engouement, car s’il possède un talent très réel, il n’a pas encore touché le but, et il compte aujourd’hui parmi ses amis plus de courtisans que de francs parleurs. M. Jules Dupré est engagé dans une voie périlleuse. À force de poursuivre l’imitation, il est arrivé à ne jamais se contenter ; il fait, défait et refait vingt fois ce qu’il a commencé. Les flatteurs ne lui ont pas manqué ; mais il n’a puisé dans les éloges qu’une ambition plus haute et plus fière, et malheureusement ce qu’il cherche n’est pas du domaine de la peinture. Pour M. Troyon, qui n’est pas assez sévère pour lui-même, comme pour M. Dupré, qui n’a pas assez d’indulgence pour ses œuvres, le contrôle de la foule serait un contrôle salutaire. M. Paul Huet, par son Inondation de Saint-Cloud, s’est affermi dans la place qu’il avait conquise. Il possède le sentiment poétique, chose rare parmi les paysagistes, et s’il néglige trop souvent d’écrire sa pensée dans une langue précise ; il n’est jamais vulgaire. Quant à Mlle Rosa Bonheur, tout en faisant la part de l’exagération dans les louanges qui lui ont été prodiguées, j’aime à reconnaître qu’elle apporte dans l’imitation de la nature une grande naïveté. Je ne l’admire pas comme l’admirent ses panégyristes, mais son talent m’étonne par sa virilité, et ses œuvres sont toujours intéressantes, parce qu’elles sont toujours simplement conçues et menées à fin sans défaillance.

J’ai nommé bien des absens, et pourtant l’exposition ne manque pas d’attrait. Je ne parle pas du nombre des ouvrages envoyés : la peinture seule dépasse deux mille sept cents. Il est évident que les artistes se méprennent ou feignent de se méprendre sur le but des expositions. Ils se préoccupent du côté commercial de leur profession presque autant que de l’agrandissement de leur renommée. Ils envoient tout ce qu’ils ont dans leur atelier au lieu de faire un choix. Or, si nous tentions d’estimer le mérite de toutes les œuvres qui sont exposées dans le Palais de l’Industrie, nous aurions devant nous une tâche décourageante, et si nous arrivions à réaliser notre dessein, nous serions obligé de répéter vingt fois la même pensée, car si les œuvres sont nombreuses, les talens originaux ne se comptent pas par centaines. C’est pourquoi, docile aux conseils du bon sens, nous ferons un choix. Nous croyons très inutile de passer en revue tout ce qui est offert aux regards de la foule. La discussion, pour intéresser, doit être circonscrite dans des limites étroites. Si elle veut embrasser un grand nombre de points, elle fatigue sans instruire. Parler de tous les tableaux envoyés au salon de 1857 serait d’ailleurs nous associer à la pensée que nous blâmions tout à l’heure, pensée purement mercantile. Le salon n’est pas institué pour le placement, c’est-à-dire pour la vente des produits d’une industrie qui s’appellerait peinture, mais pour montrer où en sont les arts du dessin. L’envisager autrement, c’est ne pas comprendre ce qu’il signifie. Que les peintres vendent à des conditions avantageuses le fruit de leurs travaux, rien de mieux ; qu’ils s’enrichissent par l’exercice de leur talent, c’est une chose que nous devons souhaiter. Cependant le salon n’est pas une exhibition commerciale, et nous verrions sans regret diminuer le nombre des ouvrages exposés. L’important n’est pas de montrer quelques milliers de tableaux, mais de nous présenter des compositions qui se recommandent tout à la fois par la nouveauté de la pensée, par la pureté de la forme. Ce que je dis aujourd’hui, d’autres l’ont déjà dit avant moi. Si je le répète, c’est que je vois la sympathie publique pour les arts du dessin s’attiédir à mesure que les expositions deviennent plus fréquentes. Les œuvres conçues à loisir, capables d’agir sur le goût public, sont d’autant plus rares, que le salon, dans la pensée des peintres, n’est pas une occasion d’agrandir ou de fonder sa renommée, mais une occasion d’entamer ou d’achever une bonne affaire. Il y a malheureusement une classe de spectateurs qui prend la curiosité pour un signe d’intelligence, et qui veut tout voir pour prouver qu’elle aime la peinture. La critique a souvent témoigné trop de complaisance pour ces curieux acharnés : elle s’occupe de compositions sans valeur, sans portée, pour satisfaire l’avidité des lecteurs qui tiennent à tout connaître, sinon directement, au moins par ouï-dire. Or, à notre avis, parler de tout équivaut à ne parler de rien. La discussion, en s’éparpillant, finit par s’amoindrir au point de ressembler à une nomenclature.

Je crois expédient de suivre une autre méthode. L’école française est aujourd’hui livrée à l’anarchie. Chacun travaille à sa guise ; il n’y a pas de chef reconnu. J’entends dire que c’est un bien, qu’il n’y a pas de vrai génie sans indépendance. Qu’on me permette de présenter deux objections qui ne me paraissent pas dépourvues d’opportunité. N’est-il pas téméraire de supposer que tous les peintres sont des hommes de génie ? Et lors même qu’ils posséderaient tous des facultés d’un ordre supérieur, n’y aurait-il pas profit pour eux à ne pas débuter par l’indépendance ? Dans la pratique de l’art, comme dans bien d’autres professions, obéir mène à commander. Ceux qui prétendent ne relever de personne relèvent trop souvent d’un maître qu’ils n’osent nommer, et qui s’appelle l’orgueil. Ils ne veulent écouter qu’eux-mêmes, et leur prétention est de tout deviner. Fussent-ils doués des instincts les plus merveilleux, ils agiraient encore imprudemment en refusant de consulter ceux qui les ont devancés dans la carrière. Et comme le plus grand nombre ne possède que des facultés moyennes, les trois quarts au moins de ceux qui prennent l’amour de l’indépendance pour un signe de génie se condamnent à la médiocrité par leur entêtement. Dès qu’ils connaissent à peu près le maniement du pinceau, ils quittent l’atelier du maître qui vient de leur enseigner les premiers élémens. Ils s’isolent pour ne pas compromettre l’originalité de leur pensée : généreuse ambition qui mériterait une splendide récompense. Ils s’interrogent, ils répudient toute tradition comme un signe de servitude, ils fouillent dans leur mémoire, ils promènent leurs regards autour d’eux, et quand vient l’heure de se mettre à l’œuvre, ils s’étonnent de trouver dans leur pinceau un interprète indocile, car c’est leur pinceau qu’ils accusent, quand ils devraient s’en prendre à leur pensée. Ils ont dédaigné les guides qui s’offraient à eux, ils ont voulu se frayer une route nouvelle, et marchent à l’aventure. Ils reconnaissent trop tard les dangers de leur présomption. Ils n’osent plus retourner en arrière, et se consolent en se donnant pour des génies méconnus. Si l’école française avait un chef avoué de tous, dont l’autorité fût à l’abri de toute contestation, dont les conseils fussent écoutés avec déférence, les peintres doués de facultés moyennes arriveraient à produire des œuvres, sinon grandes, au moins satisfaisantes, tandis qu’en s’isolant, en voulant se frayer une route nouvelle, ils ne conçoivent le plus souvent que des œuvres obscures ou insignifiantes. C’était bien la peine de vanter l’indépendance. Si la discipline remplaçait l’anarchie, le salon n’offrirait pas aux regards de la foule quelques milliers de tableaux. L’émulation imposerait silence à l’amour du gain. On ne combattrait pas pour la richesse, mais pour la renommée. Que nous sommes loin de compte ! Parmi les peintres qui possèdent un talent réel, une imagination active, j’en pourrais citer plus d’un qui ne sait pas garder chez lui les ébauches qui plaisent à ses amis, et qui, dans l’espérance d’amorcer les amateurs, les envoie au salon. Quand on les blâme, quand on leur conseille de témoigner au public plus de respect, de ménager leur nom, ils prennent pour un signe de malveillance les paroles dictées par une sympathie sincère. Ils ignorent que la renommée, si difficile à conquérir, n’est pas moins difficile à défendre. Les plus habiles, les plus puissans, ont leurs jours de défaillance. S’ils veulent garder leur rang, ils doivent renoncer à montrer tout ce qui sort de leurs mains. Qu’ils s’entourent d’amis sévères au lieu de s’entourer de courtisans : leur nom, prononcé moins souvent, sera plus respecté.

Dans l’état présent des choses, notre devoir est de négliger, de traiter comme non avenues toutes les œuvres qui ne révèlent pas un effort sérieux. Il se trouvera, pour faire le recensement auquel nous renonçons, des hommes de bonne volonté. L’attente des peintres qui confondent l’art avec le métier ne sera pas trompée. Qu’ils ne se plaignent pas de notre silence ! Le public saura bien, sans que nous parlions, le nombre et le nom de toutes leurs œuvres. Nous accueillerons toujours avec empressement les talens nouveaux : c’est un plaisir pour nous de louer un mérite ignoré ; mais pour que les paroles se pressent sur nos lèvres, il faut que nous apercevions quelque chose de plus que l’habileté matérielle. Or c’est malheureusement ce genre d’habileté qui recommande la plupart des ouvrages devant lesquels s’arrêtent les spectateurs. Ils admirent de bonne foi ce que j’essaierais en vain d’admirer. Pour qu’un tableau m’intéresse, il faut que les personnages expriment un sentiment, une pensée. Une cuirasse qui reluit, un pourpoint aux couleurs éclatantes, ne suffisent pas pour enchaîner mon attention. C’est peut-être un défaut chez moi ; mais je suis habitué depuis si longtemps à chercher dans la peinture le sentiment et la pensée, que je désespère de changer. Ceux qui aiment les étoffes bien faites, les bahuts bien enfumés, diront que je suis vraiment à plaindre, que mon dédain pour ce genre de mérite me condamne à ne goûter que des œuvres bien peu nombreuses. Je n’oserais dire qu’ils se trompent. Cependant les compensations ne manquent pas. Ils sont contens plus souvent que moi ; mais, quand il m’arrive d’admirer, je suis dédommagé.

Je crains d’avoir fait un aveu imprudent. Je viens de confesser que l’admiration n’est pas chez moi une habitude. N’est-ce pas un motif suffisant pour qu’on me récuse ? Je ne veux pas me laisser condamner sans me défendre. L’admiration est une de mes plus grandes joies ; mais il ne dépend pas de moi d’admirer en toute occasion. Je ne peux pas imposer silence à mes souvenirs. Quand on a employé vingt ans de sa vie à comparer les œuvres du présent aux œuvres du passé, quand on a suivi d’un œil attentif le développement des arts du dessin aux époques les plus glorieuses, les plus fécondes, on doit se résigner à compter parmi ceux qui ont le goût difficile. Le plaisir des yeux ne me suffit pas, et le plus grand nombre des spectateurs ne souhaite pas d’autre plaisir. Pourvu qu’ils aient devant eux des couleurs éclatantes, des figures ou même des portions de figures rendues avec adresse, la louange ne leur coûte rien. Ceux qui ont dépensé leur jeunesse dans l’étude des grands modèles auraient beau s’évertuer, ils n’arriveront jamais à se montrer assez complaisans. La franchise est pour eux une nécessité. Les artistes s’en plaignent, et cependant ils en profitent. La discussion ne leur plaît pas, et pourtant, s’ils parvenaient à réaliser leur vœu secret, à supprimer la discussion, ils ne tarderaient pas à la regretter. S’ils n’avaient aujourd’hui devant eux que des spectateurs émerveillés, dans un an, dans six mois peut-être, ils n’auraient plus que des spectateurs indifférens. Ce que je dis n’est pas un paradoxe, et ce qui le prouve surabondamment, c’est que les artistes les plus mécontens ne sont pas ceux que la discussion a blessés. Le silence leur est plus douloureux que le blâme. Ce qu’ils redoutent le plus, c’est qu’on ne parle pas de leurs ouvrages. Eh bien ! puisqu’ils craignent qu’on se taise, qu’ils se résignent à toutes les chances de leur condition. Ils ne veulent pas du silence ; espèrent-ils que tout le monde sera du même avis ? S’ils conçoivent une telle espérance, leur désappointement ne pourrait nous affliger, car ils s’attribueraient un privilège qui n’appartient pas même au génie. Qui donc parmi les plus grands, dans le domaine de l’art, a jamais réuni l’unanimité des suffrages ? Qu’ils interrogent le passé, ils sauront à quoi s’en tenir. Ils disent étourdiment que la discussion les décourage, et ils oublient que l’indifférence serait pour eux pire cent fois que le blâme le plus sévère. Ils parlent à leur insu contre leurs vrais intérêts.

Je veux bien admettre que le goût de la peinture se propage de jour en jour, et pourtant les paroles que je recueille autoriseraient une autre croyance. Quand on prête l’oreille aux propos qui se tiennent devant les tableaux anciens ou nouveaux, on entend des choses singulières. Le public n’est pas encore passionné pour la peinture, il ne lui accorderait pas une attention très vive, si des opinions contradictoires, exprimées dans une langue tantôt ingénieuse, tantôt grave, ne venaient éveiller sa sympathie et provoquer l’activité de son intelligence. Le jour où personne ne parlerait au public des arts du dessin, je crois que le public ne s’en occuperait guère. Or, la discussion une fois admise comme une nécessité, ne vaut-il pas mieux qu’elle invoque les grands modèles comme des argumens ? Je sais l’accusation qu’on jette à la face des écrivains assez imprudens pour parler du passé. On dit qu’ils ne comprennent rien au progrès. Leur siècle marche, et ils demeurent immobiles. C’est un reproche terrible, dont je ne suis pas épouvanté. Malgré mon admiration pour les grands modèles de l’antiquité, de la renaissance, je ne fais pas fi de mon temps, et le progrès n’est pas pour moi un mot vide de sens ; mais je crois donner aux peintres, aux sculpteurs de nos jours un témoignage éclatant d’estime et de sympathie en comparant ce qu’ils font aux œuvres de leurs devanciers. S’ils désirent vraiment conquérir une solide renommée, ils ne doivent ni s’étonner, ni s’affliger de mes habitudes. Les argumens que j’invoque leur sont familiers. Le passé, que j’appelle en témoignage, n’est pas un danger, mais un honneur. Cette pensée, qui semble n’avoir pas besoin d’être justifiée par la démonstration, rencontre bien des contradicteurs. Admirer les œuvres de la Grèce, de l’Italie, ou dénigrer les œuvres de la France moderne est une seule et même chose. À peine est-il permis de citer les noms de Jean Goujon et de Pierre Puget. Pour contenter les peintres et les sculpteurs de nos jours, il faudrait nous en tenir à ce qu’ils font et ne pas regarder en arrière. C’est, à mon avis, une étrange manière de comprendre la dignité de leur travail. S’ils n’ont rien négligé pour l’accomplissement de leur dessein, s’ils ont fait appel à toutes leurs facultés, ils ne doivent reculer devant aucune comparaison. Dans le domaine de l’art comme ailleurs, on peut occuper le second rang sans se trouver humilié, et pour obtenir l’admiration, il faut toujours avoir devant les yeux les œuvres admirées par une longue suite de générations. Je me défie de ceux qui médisent de leurs devanciers, ou qui feignent de les redouter comme terme de comparaison. Quand on a l’ambition de surpasser ses devanciers, on doit commencer par leur rendre justice.

Ce qui rend la discussion difficile, c’est que les œuvres importantes font défaut. On rencontre sans peine des tableaux où se révèle une grande dextérité dans le maniement du pinceau, qu’on regarde avec plaisir ; mais ces tableaux, que parfois on aimerait à posséder, ne signalent aucune tentative nouvelle. On y trouve une nature de talent qui ne peut exciter ni joie ni colère, à quelque doctrine que l’on appartienne. Or pourquoi les ouvrages importans font-ils défaut ? est-ce que l’imagination n’est plus aujourd’hui dans notre pays aussi active, aussi féconde que dans l’intervalle compris entre 1830 et 1848 ? Je ne crois pas que l’esprit français ait perdu, comme on le dit, une partie de sa vigueur ; mais la spéculation envahit la peinture comme les autres professions. On commence à traiter la renommée comme une chimère, comme un enfantillage. Si le mal que je signale n’a pas encore atteint toutes les intelligences, il se propage de jour en jour, et quand on dit aux habiles : « Croyez-moi, dans votre intérêt produisez moins, produisez plus lentement, vous durerez plus longtemps, » ils accueillent par un sourire ce charitable avertissement. Ils ne tiennent guère à laisser un long souvenir, ils tiennent à voir les acheteurs se presser dans leur atelier, avant même que leur pensée ait revêtu une forme précise. Au milieu de telles préoccupations, comment les œuvres importantes pourraient-elles se multiplier ? Faire vite est mis au-dessus de bien faire, et pour résister à l’entraînement, il faut posséder un caractère solidement trempé. Cependant depuis quelques années l’administration municipale a pris le sage parti d’encourager la peinture murale. Cette résolution n’a pas encore porté tous les fruits qu’on attendait : les compositions exécutées sur place demeurent souvent aussi insignifiantes que les tableaux destinés aux galeries ; cependant il y a des exceptions que je n’ai pas besoin de rappeler, et qui sont présentes à toutes les mémoires. M. Hippolyte Flandrin doit à la peinture murale la meilleure partie de sa renommée. M. Sébastien Cornu, dans la décoration d’une chapelle à Saint-Séverin, a prouvé qu’il avait dignement profité des leçons de son illustre maître, et chacun sait aujourd’hui qu’il faut le compter parmi les meilleurs élèves de M. Ingres. Il est permis d’espérer que la peinture murale exercera sur l’école française une action salutaire ; mais pour réformer le goût, il conviendrait d’apporter un peu plus de discernement dans le choix des sujets. Il y a telle donnée dont le pinceau le plus habile ne pourra jamais tirer parti. Quand l’épisode proposé à la peinture est ignoré du plus grand nombre des spectateurs, l’artiste qui doit le traiter ne se met pas à l’œuvre avec ardeur. À mesure qu’il avance dans sa besogne, il sent qu’il ne lui est pas donné de réveiller des souvenirs absens. Il a beau chercher à rendre claire l’action qu’il a entrepris d’exprimer, tous ses efforts viennent échouer contre l’obscurité des personnages. Si d’ailleurs la peinture murale n’a pas encore rendu les services qu’elle est appelée à rendre, c’est qu’elle n’est pas rétribuée comme elle devrait l’être. Quelques artistes privilégiés reçoivent un magnifique salaire ; le plus grand nombre trouve à peine dans le travail d’une année l’équivalent de deux ou trois portraits. Aujourd’hui, pour décorer une chapelle, à moins de porter un nom retentissant, il faut faire preuve d’abnégation et se contenter d’une récompense plus que modeste. L’administration municipale, qui a bien fait de recourir à la peinture murale pour l’embellissement de nos églises, ferait mieux encore en sacrifiant la quantité à la qualité. Elle paraît attacher trop d’importance à couvrir de couleur la nef et les bas-côtés. Souvent même elle ne prend pas la peine de savoir si le sujet qu’elle propose, je devrais dire qu’elle impose, convient à l’emplacement choisi. Je pourrais citer plus d’un peintre condamné à distribuer une demi-douzaine de figures sur un pan de muraille à peine assez large pour porter un personnage.

Je ne m’étonne donc pas que les œuvres importantes manquent au salon de cette année. Trop de causes se réunissent pour que l’invention ne languisse pas dans les arts du dessin. Personne aujourd’hui ne croit avoir le temps d’attendre. Ceux qui possèdent la célébrité jouissent paisiblement du fruit de leurs travaux ; ceux qui ont rêvé un nom éclatant renoncent sans regret à leur ambition, et n’ont d’autre souci que le succès industriel. Les hommes assez courageux pour dépenser une année de leur vie dans l’achèvement d’une œuvre unique sont cités comme des caractères bizarres, et même parfois comme des esprits dont la santé n’est pas bien assurée. L’avenir, c’est demain. La gloire est un mot qui n’a plus cours. Que signifie la postérité ? À quoi bon se tourmenter pour assurer la durée de son nom ? Recruter parmi ses amis des langues bien affilées, attirer dans son atelier de nombreux chalands, n’est-ce pas là le parti le plus sage ? Cette opinion est si bien accréditée, qu’il faut en tenir compte lorsqu’on entreprend d’estimer les ouvrages envoyés au salon de cette année. Les artistes qui visent au succès et ne songent pas à la renommée ne peuvent être jugés comme les rêveurs d’autrefois, qui voulaient une gloire laborieusement conquise.

La peinture militaire, comme on devait s’y attendre, tient une place considérable au salon de 1857. Nous avons dans la première salle trois épisodes de l’expédition de Crimée : la Bataille de l’Alma, la Bataille de la Tchernaïa et le Débarquement des troupes : La Bataille de l’Alma ne comptera certainement pas parmi les meilleurs ouvrages de M. Horace Vernet. On ne peut nier qu’il n’y ait dans ce tableau des morceaux bien faits, ou du moins adroitement faits, des cavaliers solidement campés sur leur monture ; mais il manque à cette œuvre quelque chose dont on ne parle plus guère, qui pourtant n’est pas sans importance, et s’appelle composition. Le regard ne sait où s’arrêter, car toutes les figures du premier plan offrent à peu près le même intérêt, et l’on peut affirmer sans raillerie que le tableau est encore à faire. Nous aurions mauvaise grâce à dire que nous sommes désappointé : les défauts que nous signalons dans la Bataille de l’Alma n’ont pour nous rien d’inattendu. La Prise de la Smala, le Siège de Rome ne valent pas mieux que l’œuvre nouvelle, et sont conçus dans le même système. M. Vernet paraît croire et croit sans doute que la peinture militaire doit traduire fidèlement le rapport envoyé au ministre de la guerre par le général en chef. Or, s’il est très utile de connaître la relation officielle d’une bataille quand il s’agit de représenter cette bataille sur la toile, ce document, si précis qu’il soit, ne dispense pas le peintre d’intervenir par la pensée, par la volonté, dans la disposition des personnages. Il est bon de connaître le numéro des régimens qui ont donné, de savoir leur uniforme dans ses moindres détails ; mais quand on a réuni tous ces renseignemens, le tableau n’est pas fait, et j’ajouterai même qu’on n’en possède pas encore les élémens. M. Vernet procède comme s’il tenait avant tout à contenter les officiers d’état-major. En un mot, il prend l’exactitude littérale pour le but suprême de la peinture militaire. J’ignore si les hommes du métier qui ont pris part à la bataille de l’Alma sont satisfaits de son tableau. Ce que je puis affirmer, c’est que le public le regarde avec une profonde indifférence, et je ne donne pas tort au public. M. Vernet fait si peu de frais pour nous intéresser, ménage son imagination avec tant d’avarice, avec tant de lésinerie, qu’il ne doit pas se plaindre de l’accueil fait à son œuvre : il récolte ce qu’il a semé. Si je relève sa méprise, ce n’est pas assurément dans l’espérance de le détromper. Il entend dire par trop de voix complaisantes qu’il est notre premier, notre seul peintre de batailles. Comment et pourquoi refuserait-il de le croire ? Il pourrait discuter avec un capitaine d’habillement le nombre des boutons qui appartiennent à chaque uniforme, ce qui est un mérite précieux quand on veut transcrire sur la toile la relation officielle d’une action militaire. Ce mérite ne suffit pourtant pas pour faire de M. Vernet un grand peintre de batailles. Ses croquis ingénieux de la restauration ont obtenu un succès très légitime. Étourdi par les applaudissemens, il a pensé qu’il en savait assez pour tenter les plus hardies aventures. Le public lui a dit sur tous les tons : « Ne forcez pas votre talent, ne vous lancez pas dans les grandes compositions, qui ne sont pas votre fait ; » M. Vernet n’a voulu rien entendre. Il avait depuis longtemps passé l’âge où l’on étudie, et se fourvoyait avec un courage digne d’un meilleur sort. La Bataille de l’Alma, traitée par le public plus sévèrement que la Prise de la Smala, ne révèle cependant aucun affaiblissement dans le talent de l’auteur. Chevaux et cavaliers sont rendus avec adresse ; mais le public se lasse de voir toujours la même chose, et c’est là le secret de son indifférence.

Le Débarquement des Troupes en Crimée est, à mon avis, très supérieur à la Bataille de l’Aima. Si je m’en tenais à cette comparaison, M. Pils pourrait se plaindre à bon droit ; ce serait en effet un éloge assez mince, puisque l’œuvre de M. Vernet est complètement dépourvue de vie. Il y a dans le Débarquement des troupes un mouvement, une vérité, qui font de ce tableau un ouvrage très digne d’attention. Je dis très digne d’attention, et si j’allais plus loin, je dépasserais les limites de ma pensée, car M. Pils, qui a étudié avec soin toutes les parties de son sujet, qui n’a rien négligé pour rendre ce qu’il avait conçu, ne possède pas ce qui charme les yeux. Les couleurs qu’il choisit ne sont jamais étonnées de se trouver ensemble, mais leur réunion n’a rien d’attrayant. Je serais donc mal venu à prononcer le mot d’admiration en parlant du tableau de M. Pils. Les pensionnaires de Rome ne nous ont pas habitués à des œuvres d’un caractère aussi animé, et jusqu’à présent l’auteur, lauréat de notre école, n’avait rien produit qui permît d’espérer une composition pareille. Les figures sont dessinées de façon à contenter ceux qui connaissent la forme réelle. Quant au choix des tons, il laisse à désirer. L’uniforme, il est vrai, n’offre pas au pinceau des ressources très variées ; mais on pardonnerait volontiers quelques tricheries, si l’auteur parvenait à séduire le regard en altérant quelques parties de l’uniforme pour lui donner plus d’ampleur, et ce parti une fois adopté, la lumière distribuée sur des étoffes moins raides charmerait le spectateur. Je me plais à penser que M. Pils, plus hardi, plus sûr de lui-même, ne reculera pas devant l’interprétation de ses modèles, si l’occasion lui est offerte de traiter un autre sujet militaire. La comparaison de son tableau avec celui de M. Vernet n’est pas indifférente, car elle prouve que l’habileté matérielle n’est pas la partie la plus importante de la peinture. Il est hors de doute que l’auteur de la Bataille de l’Alma, malgré son âge avancé, possède encore aujourd’hui une dextérité singulière. On peut dire, sans le flatter, qu’il fait tout ce qu’il veut. Son malheur est de vouloir bien rarement quelque chose d’élevé. S’il était capable d’inventer, il compterait certainement parmi les peintres éminens de notre école. Comme il a presque toujours mis l’œil et la main au-dessus de la pensée, l’opinion, équitable en cette occasion, le range parmi les praticiens. M. Pils ne possède pas l’adresse de M. Vernet, et sans doute ne la possédera jamais ; mais il attribue à l’invention l’importance qui lui appartient, et quoique sa main ne soit pas toujours docile, il a su faire du Débarquement des troupes en Crimée un tableau animé. Il est dans le bon chemin ; s’il continue de marcher vers le même but, c’est-à-dire s’il comprend de plus en plus la nécessité de ne pas s’en tenir à ce qu’il voit et d’ajouter la pensée au témoignage des yeux, il prendra certainement dans notre école un rang très honorable. Pour ma part, je suis heureux d’avoir à louer l’œuvre d’un pensionnaire de Rome, l’occasion se présente si rarement ! Les études, les compositions qui nous viennent chaque année de la villa Médicis offrent si peu de variété, si peu de nouveauté, qu’on les dirait faites depuis longtemps et par le même élève. M. Pils a pris à cœur de prouver qu’il est de son temps, et qu’il sait représenter les choses d’hier. J’ai plaisir à louer ce qu’il vient de faire ; cependant je ne compte pas sur la peinture militaire pour l’agrandissement du style. Si l’on veut agrandir le style de notre école, il faudra bon gré mal gré revenir aux sujets qui commandent la peinture du nu. Une charge de cavalerie ne vaudra jamais pour le pinceau le torse d’un anachorète ou d’un gladiateur. La peinture militaire, émouvante par les souvenirs qu’elle réveille, n’est qu’un genre secondaire. Il serait sage de ne pas lui prodiguer les encouragemens.

La Bataille de la Tchenaïa, de M. Charpentier, intéresserait plus vivement, si l’auteur n’eût répandu sur toute sa composition un ton gris que j’ai peine à m’expliquer. Je veux bien que la fumée de la poudre cache au spectateur une partie de l’action ; mais, quel que soit le nombre des bouches à feu qui parlent, il n’est pas nécessaire de donner aux figures la couleur de la cendre. Ce défaut est d’autant plus regrettable, que le tableau est bien conçu. C’est une bataille où l’on se bat, et plus d’une fois la peinture militaire nous a offert des luttes pacifiques, où le sang était ménagé avec une rare prudence. M. Charpentier a tenu à prouver qu’il comprend les conditions du genre : la preuve est faite, et nous savons désormais que l’auteur n’est dépourvu ni d’énergie ni d’imagination. Si l’occasion ne lui est pas donnée de voir de ses yeux une action militaire, qu’il interroge les hommes de guerre, et qu’il apprenne de leur bouche ce qui se voit, ce qui ne se voit pas sur le champ de bataille, et qu’avec le secours de leurs conseils, il compose un tableau d’un aspect plus varié. L’œuvre qu’il nous donne cette année est peut-être conforme à la réalité en ce qui touche la distribution des masses : je ne suis pas en mesure de décider cette question ; mais ce mérite, fût-il avéré, ne suffirait pas. La Bataille de la Tchernaïa n’a pas pour seuls juges les hommes qui ont pris part à l’action. Il faut donc tenir compte de l’opinion des spectateurs étrangers au métier des armes. Or je crains que M. Charpentier n’ait pas attribué assez d’importance à la partie poétique de sa tâche. Sa composition n’a rien de vulgaire ; il possède des facultés assez élevées pour émouvoir ceux qui ne peuvent contrôler la représentation d’une bataille par leurs souvenirs personnels : il est donc en mesure de produire une œuvre plus animée et surtout plus variée que l’œuvre dont nous parlons.

M. Yvon, qui avait déjà tenté la peinture militaire et traité un épisode de l’histoire nationale de Russie, a montré dans la Prise de Malakof plus de bon vouloir que d’habileté. Il a le goût des grandes choses, mais les grandes choses ne lui vont pas. Il prend trop facilement la confusion pour le mouvement. Ce défaut était déjà sensible dans le tableau emprunté à l’histoire de Russie. Dans la Prise de Malakof, il se révèle encore plus clairement. Cependant, quand je dis que M. Yvon a montré plus de bon vouloir que d’habileté, je ne veux pas donner à entendre que son talent est âmes yeux sans valeur. Je me rappelle avec plaisir les dessins signés de son nom qui représentaient des souvenirs de voyage. Il y avait dans ces études un accent de vérité qui frappait tous les spectateurs attentifs. Le tort de M. Yvon, je le crains du moins, est d’entreprendre une tâche au-dessus de ses forces. Quand il a voulu aborder les figures de haut style, il n’a réussi qu’à imiter assez malheureusement les sculptures de Michel-Ange placées dans la chapelle des Médicis. Aujourd’hui, dans la peinture militaire, il ne se trouve pas moins dépaysé. Il y a dans sa composition plusieurs morceaux adroitement faits ; mais l’ensemble manque de clarté, et c’est là pour tout le monde un grave défaut. Qu’on écrive sa pensée avec la plume ou avec le pinceau, il ne faut rien négliger pour se faire comprendre. Quelques bons morceaux ne suffisent pas pour former une bonne œuvre. M. Yvon se croit appelé à traiter les sujets épiques : je pense qu’il se trompe, tout en désirant me tromper, car les études dont je parlais tout à l’heure offraient un intérêt que je n’ai pas oublié. J’aurais souhaité que l’auteur comprît la mesure et la portée de son talent. Les louanges l’auront égaré comme tant d’autres. Il avait reproduit avec bonheur ce qu’il venait de voir : au lieu d’ordonner ses souvenirs et de composer des scènes familières avec les personnages qu’il connaissait, qu’il savait par cœur, il a voulu aborder les grandes entreprises. Le succès n’a pas répondu à ses espérances. Cependant il n’abandonne pas la voie où il est entré. Il s’attache à la peinture militaire comme s’il possédait des facultés spéciales, une aptitude déterminée pour les sujets de cette nature. Le parti le plus sage serait pour lui de revenir à son point de départ. S’il continue à disposer de grandes masses pour représenter des actions de l’ordre épique, je crains fort qu’il ne compromette la place honorable qu’il s’est acquise. Pour concevoir de grandes machines, il faut une puissance d’imagination que M. Yvon ne paraît pas posséder. En pareille occasion, l’adresse ne suffit pas. La conception ne relève pas de la connaissance des procédés techniques. Si l’on n’a pas en soi cette faculté mystérieuse qui invente sans qu’on puisse savoir comment, on n’arrive jamais à satisfaire les esprits élevés, à émouvoir la foule : ce don précieux me semble refusé à M. Yvon. Je souhaite que ses œuvres prochaines démentent mes paroles d’une manière éclatante.

M. Robert-FIeury est un homme d’un talent très fin, qui a fait ses preuves depuis longtemps. L’estime dont il jouit n’a pas attiédi son ardeur pour le travail. Il nous donne cette année un Charles-Quint à Saint-Just, dont le sujet est emprunté au livre de M. Mignet. Tous les personnages de cette composition sont bien conçus et d’un style élevé. Cependant cet ouvrage, qui se recommande par des mérites évidens, n’obtient pas le succès que l’auteur devait espérer. À quoi faut-il attribuer, je ne dis pas cet échec, mais ce mécompte ? Les figures sont dessinées avec élégance, la pantomime est vraie, les physionomies expressives. Il semble que les spectateurs devraient se déclarer satisfaits, et cependant ils témoignent peu d’empressement pour l’œuvre de M. Robert-FIeury. Si l’on prend la peine d’étudier avec attention les diverses parties dont se compose ce tableau, le mécompte de l’auteur s’explique facilement. D’abord il a souvent traité des sujets d’un intérêt plus vif, et puis il y a dans cette toile une part trop large faite aux accessoires. Il est utile sans doute d’indiquer la mesure de la salle où sont placés les personnages, mais il ne faut pas écrire avec tant de soin tous les détails de l’ameublement, car ces détails ne manquent jamais de distraire l’attention, et l’importance des personnages se trouve amoindrie. Avec moins de travail, M. Robert-FIeury aurait certainement réuni un plus grand nombre de suffrages. S’il eût consenti à éteindre les détails de l’ameublement, à diminuer l’espace, les physionomies auraient attiré toute l’attention, et personne ne fût demeuré indifférent au mérite du tableau. Tel qu’il est, malgré l’élégance du dessin, malgré la finesse de l’expression, il ne produit pas l’effet qu’il devrait produire. Ce n’est pas la première fois que l’auteur cède à la tentation d’écrire les détails, ce n’est pas la première fois qu’il éprouve un mécompte. Je n’ose espérer qu’il se rende aux objections que je lui soumets : c’est chez lui une habitude prise depuis longtemps, et pourtant, si le champ de son tableau était réduit de moitié, la valeur des figures serait doublée. Ce que je dis d’ailleurs se rapporte à une théorie dont tous les peintres studieux ont reconnu la justesse, et que M. Robert-FIeury n’ignore certainement pas, à la théorie du sacrifice. Vouloir tout montrer, c’est ne rien montrer avec avantage. Traiter l’architecture et l’ameublement avec autant de soin que les personnages, c’est le plus sûr moyen de diminuer l’intérêt de l’action.

Les compositions lilliputiennes de M. Meissonnier obtiennent en 1857 le même succès que les années précédentes. L’auteur de ces tours de force, de ces ouvrages de patience, a-t-il gagné, a-t-il perdu ? Il est demeuré ce qu’il était, habile, adroit, ingénieux. Il profite de l’engouement des spectateurs sans négliger la correction et la pureté, qui entrent pour une bonne part dans sa renommée. Jusqu’à présent, M. Meissonnier ne s’est pas encore enfermé dans un espace plus étroit que la paume de la main : nous devons lui en savoir gré, car s’il lui plaisait de prendre pour mesure l’ongle du pouce, il arriverait certainement à faire des prodiges. Ses spectateurs se muniraient d’une loupe et regarderaient ses personnages comme on regarde un ciron. Il se montre généreux et n’abuse pas de ses avantages. Ce n’est pas d’ailleurs le seul remerciement que nous devions lui adresser. Cette année, son meilleur ouvrage dépasse les proportions lilliputiennes auxquelles nous sommes habitués. Les personnages du tableau que l’auteur appelle la Confidence ne sont pas plus petits que ceux de Miéris et de Metzu : les deux têtes sont des modèles de finesse ; l’attitude est familière et convient au sujet. En un mot, c’est un ouvrage qui ne peut manquer de plaire à tous ceux qui aiment les flamands et les hollandais. Il y a pourtant dans la renommée de M. Meissonnier quelque chose de blessant pour les partisans de l’art élevé. L’auteur de la Confidence est un homme très heureusement doué, mais il ne justifie pas, par l’excellence de ses œuvres, le bruit qui se fait autour de lui. Il exécute avec beaucoup d’adresse de très petites figures qui expriment une très petite action, qui parfois même regardent un vieux livre ou les pièces d’un échiquier. La foule, émerveillée, bat des mains et le prendrait volontiers pour un sorcier. La récompense ne dépasse-t-elle pas la valeur de l’œuvre ? Quand l’attention se porte avec tant d’acharnement vers les tours de force, la cause du goût n’est-elle pas compromise ? Qu’on rende justice à M. Meissonnier, rien de mieux. Il ne faudrait pourtant pas donner à son mérite des proportions mythologiques, car on arriverait ainsi à décourager tous ceux qui n’ont pas encore essayé de peindre une fourmi. Ne confondons pas le talent avec l’invention, si nous voulons que l’invention prospère.

M. Gérôme s’est rendu à l’avis de ses meilleurs amis, à l’avis de tous ceux qui ont applaudi à ses débuts. Il a senti qu’il n’était pas appelé aux vastes compositions, ou que du moins il n’avait pas encore assez d’expérience pour s’aventurer dans les entreprises périlleuses. Le Siècle d’Auguste, malgré plusieurs morceaux habilement exécutés, était demeuré presque inaperçu ; la Sortie du bal masqué obtiennent aujourd’hui un succès très légitime. C’est, à coup sûr, un des meilleurs ouvrages de l’auteur. Le sujet lugubre qu’il a choisi est traité avec une effrayante vérité. L’affaissement du blessé qui va rendre l’âme, l’empressement et la désolation des amis qui l’entourent et le soutiennent dans leurs bras, le meurtrier qui regarde sa victime d’un œil effaré, le témoin qui essaie de l’entraîner, tout est rendu avec une évidence qui fait honneur à M. Gérôme. La neige durcie, qui laisse à peine voir l’empreinte des pas, ajoute encore à l’effet sinistre de cette composition. Quant au costume des personnages, qui a soulevé des objections assez nombreuses, je ne saurais le blâmer, car il explique le sujet. Si l’on attendait jusqu’au lendemain pour vider une querelle de bal masqué, il n’y aurait pas de sang versé, la raison imposerait silence à la vanité blessée, les conseils de l’amitié seraient écoutés ; mais quand les deux adversaires sont encore échauffés par le vin, par la danse, par le bruit, chacun comprend qu’ils ne veuillent rien entendre, et jouent leur vie pour venger une injure qu’ils trouveraient indigne de leur colère après trois heures de sommeil. À mon avis, le costume de carnaval contribue puissamment à l’effet de la composition. M. Gérôme a voulu prouver par la Sortie du bal masqué que le genre expressif ne lui était pas interdit, et la preuve est complète. Désormais, quand il se contentera de dessiner avec précision le contour des figures et ne tentera rien au-delà, nous saurons que c’est paresse et non pas impuissance. Si nous partageons la joie de ses amis, si nous applaudissons au succès qu’il vient d’obtenir, nous voyons en même temps dans le tableau dont nous parlons un engagement qu’il sera bon de rappeler à l’auteur. Le talent qu’il vient de révéler nous rendra plus sévère dans l’avenir. J’aime à croire que M. Gérôme est en mesure de tenir ses promesses, et que ses prochaines compositions ne démentiront pas mes espérances. Instruit par les leçons de Paul Delaroche et de M. Gleyre, les moyens de rendre sa pensée ne lui manqueront jamais. Pourvu qu’il comprenne toujours, comme aujourd’hui, l’importance de l’expression, il aura devant lui une route sans épines et sans ronces.

L’engouement de la foule pour les compositions de M. Hamon est toujours aussi vif ; mais ceux qui aiment son talent d’un amour éclairé déplorent à bon droit la négligence avec laquelle il continue d’exécuter ses figures. Il possède une faculté précieuse, il saisit et il rend avec un bonheur singulier la physionomie et l’attitude des enfans. C’est par cette faculté qu’il a réussi, qu’il a séduit toutes les jeunes mères et obtenu rapidement une popularité bruyante. Tout le monde s’est plu à l’encourager, et c’était justice. Chacun espérait que M. Hamon ne méconnaîtrait pas l’utilité de l’étude et voudrait modeler après avoir ébauché. Hélas ! il n’a pas tenu compte des avertissemens qui lui étaient donnés sous la forme la plus bienveillante. Il ébauchait, il ébauche encore, et paraît décidé à ne pas faire autre chose. Dans son tableau de Ricochet, composé de deux personnages et d’une poupée, la petite fille est charmante, quoique les jambes ne soient pas d’un dessin très pur ; mais la mère est bouffie, son visage n’est pas modelé, le vêtement ne laisse pas deviner la forme du corps, les proportions ne sont pas respectées. Je ne parle pas du sujet, c’est un enfantillage qui échappe à la discussion. Je ne veux ni le blâmer, ni l’approuver. Ce qui m’occupe, c’est l’exécution, que les plus indulgens ne sauraient trouver suffisante. Cependant le peintre ferait bien de ne pas traiter toujours les mêmes données. Il serait temps d’abandonner Berquin. M. Hamon a débuté naïvement, il tombe maintenant dans l’afféterie, ses figures ont presque autant de mignardise que de grâce. J’ai accueilli ses premiers ouvrages avec sympathie ; je lui donnerais encore les louanges que je lui ai données, s’il retrouvait la naïveté qu’il a perdue, s’il en était à ses débuts : malheureusement je ne puis oublier qu’il travaille pour le public depuis quelques années, et je trouve qu’il n’a pas mis le temps à profit. Il se conduit comme un enfant gâté et se moque des remontrances. Jusqu’à présent, la foule lui a donné raison, les applaudissemens ont étouffé les objections ; mais que M. Hamon y prenne garde, les yeux de la foule pourraient bien finir par se dessiller. S’il ne se décide pas à traiter sérieusement des sujets qui ne ressemblent pas à ceux qu’ils a traités jusqu’ici, s’il ne modèle pas au lieu d’ébaucher, s’il méconnaît l’autorité des proportions, comme dans Ricochet, la popularité lui échappera, et peut-être fera-t-il plus tard de vains efforts pour la ressaisir ; peut-être se rappellera-t-il avec amertume les conseils qu’il dédaigne aujourd’hui. L’engouement du public n’est pas éternel et ne résiste pas à l’épreuve de la satiété. Que M. Hamon se ravise et devienne studieux, c’est le vœu de tous ses amis.

Les compositions de M. Comte, qui plaisent aux gens du monde et ne sont pas dépourvues de mérite, obtiendraient les suffrages des hommes du métier, si l’auteur se décidait à traiter avec plus de soin la forme des figures. Il se préoccupe du ton des meubles, de la couleur des étoffes, et paraît oublier que le dessin des personnages est le point capital. Il les groupe d’une manière ingénieuse, et ses tableaux ne manquent pas d’harmonie ; mais s’il veut prendre place parmi les peintres sérieux, il faut absolument qu’il se décide à changer ses habitudes. Un bahut, un buffet, une robe, un pourpoint, ne sont que des parties accessoires. C’est la tête, c’est le corps qu’il s’agit d’abord de rendre avec précision. M. Comte procède autrement, et je crois qu’il se trompe. François Ier visitant Benvenuto Cellini dans son Atelier, Henri III visitant sa ménagerie de singes, Catherine de Médicis chez l’astrologue Ruggieri, Jeanne Grey devant le tribunal des évêques, justifient pleinement les reproches que je lui adresse. Cependant le défaut que je viens de signaler se révèle surtout dans les deux premières compositions. Henri III et François Ier sont dessinés avec une négligence que j’ai peine à m’expliquer. Le succès devrait être pour l’auteur un puissant aiguillon. Réussir n’est pas une raison pour demeurer au point où l’on est parvenu, mais pour faire de nouveaux efforts et pousser plus avant ses études. Dans le tableau de Catherine de Médicis chez Ruggieri, il y a plus d’élégance et de correction. Dans celui de Jeanne Grey, l’expression des physionomies et l’attitude des personnages sont traitées avec soin. À l’exception de l’épisode emprunté à l’histoire d’Angleterre, toutes ces compositions appartiennent au genre anecdotique, et les amateurs sont habitués à ne pas se montrer exigeans pour les œuvres de cette nature. Pourvu que les costumes leur plaisent, que les couleurs soient bien assorties, ils ne songent guère à demander davantage. Je crains que l’auteur des tableaux qui m’occupent en ce moment ne soit abusé par l’indulgence des amateurs. Il connaît et il sait imiter avec adresse les ameublemens et les costumes de la renaissance, et les complimens qu’il reçoit lui ont peut-être persuadé qu’il n’a plus rien à apprendre… Je désire que ses amis lui affirment le contraire. Il possède certainement une part de talent qui n’est pas à dédaigner, mais il ignore encore ce qui donne aux œuvres du pinceau de la valeur et de l’intérêt : la forme vraie, la forme simple et sévère. Non-seulement il n’a pas encore atteint le but de la peinture, mais encore il n’a fait qu’un petit nombre de pas pour s’en approcher. Ses ouvrages les plus heureux ne sont guère que d’ingénieux essais. Il faut dans tous les genres, même dans le genre anecdotique, traiter les figures avec plus de soin que les meubles et les costumes.

Les peintures exécutées par M. Matout pour l’École de Médecine attirent l’attention de tous ceux qui aiment à voir une donnée franchement acceptée malgré les nombreuses difficultés qu’elle pressente, traitée sans hésitation, sans gaucherie. Desault démontrant à ses élèves l’application de son nouvel appareil pour la réduction des fractures de la cuisse n’est pas à coup sûr un sujet attrayant ; mais si l’on tient compte de la destination du tableau demandé à M. Matout, on ne s’étonne pas d’un pareil choix. Le peintre a compris qu’il ne devait pas tenter de corriger l’austérité de la scène qu’il avait à représenter. Il a placé le chirurgien au milieu de ses élèves, au lit du malade, et la fermeté de sa décision lui a porté bonheur. Tout l’intérêt d’un tel tableau est dans la fidélité. Il n’est pas permis de changer la nature des choses, d’atténuer ce qu’elles ont de pénible et d’affligeant pour plaire aux spectateurs. Les yeux qui regarderont cette toile sont habitués à la vue de la souffrance. M. Matout s’en est souvenu et n’a pas cherché à dissimuler la tristesse de la donnée ; cependant, s’il lui était interdit d’atténuer ce qui pouvait blesser les yeux des hommes étrangers à la science, il ne lui était pas défendu de traiter librement la physionomie des personnages, je dis librement tout en respectant le caractère de la donnée. Or les personnages représentés par M. Matout expriment très clairement ce qu’ils doivent exprimer. Maître, élèves, patient sont dans leur rôle. Autorité, attention, confiance, tout est rendu avec évidence. Je ne crois pas que l’interprétation dût se montrer plus hardie. L’invention proprement dite, dans l’acception la plus large du mot, n’était pas permise en pareille occasion. M. Matout n’a méconnu aucune des conditions qui lui étaient imposées, et nous pouvons, sans manquer à la vérité, dire que son travail se recommande par des qualités solides. Son Ambroise Paré avait attiré l’attention sur son nom ; le tableau dont je viens de parler ne sera pas accueilli avec moins de bienveillance : ne rien négliger pour accomplir sa tâche jusqu’au bout, réunir tous les renseignemens qui peuvent donner aux personnages un accent de vérité, voilà ce qu’il fallait faire, et l’auteur n’y a pas manqué. Je souhaite qu’il ait à traiter bientôt un sujet d’une autre nature, qui intéresse un plus grand nombre de spectateurs. Nous saurons alors s’il est capable d’inventer, car jusqu’ici il n’a guère montré que l’intelligence de la réalité. C’est un mérite dont je ne fais pas fi, mais un peintre qui aime son art ne doit pas s’en tenir là. M. Matout est plein de zèle, de bonne volonté. Après avoir essayé ses forces dans la représentation des scènes empruntées à la clinique, j’espère qu’il se trouvera plus à l’aise dans l’histoire profane ou l’histoire sainte.

Nous retrouvons M. Courbet tel que nous le connaissons depuis ses Baigneuses, qui ont excité tant de scandale. Il exprime habilement ce qu’il veut, mais ce qu’il veut est toujours singulier, et blesse le goût des moins délicats. Ses Demoiselles des bords de la Seine semblent un défi porté à tous ceux qui ont blâmé le choix des sujets qu’il se plaît à traiter. Comment est placée la femme qu’il nous montre ? Je ne me charge pas de le deviner. Il y a pourtant du talent dans cette figure étrange, un talent d’exécution que personne ne peut songer à contester ; mais quel talent mal dépensé ! Toutes les remontrances viennent échouer contre l’obstination de l’auteur : lui dire qu’il se trompe est parfaitement inutile. Je croyais d’abord qu’il avait choisi le scandale comme un moyen de succès, avec l’intention de prendre une autre voie dès que son nom serait connu. Maintenant je commence à changer d’avis, car son nom est connu, et il persévère. La réalité, qu’il imite avec adresse, est à ses yeux le dernier terme de l’art ; il ne voit rien au delà, ses ouvrages nous donnent le droit de le penser. Sa Biche forcée à la neige ne manquerait pas d’intérêt, si la neige, au lieu de monter perpendiculairement vers le sommet du cadre, fuyait vers l’horizon. Il y a là une faute de perspective que rien ne saurait justifier.

Les Chevaux français, gros percherons, de M. Verlat, semblent appartenir à l’école de M. Courbet, car M. Courbet fait malheureusement école. M. Verlat se dit élève de l’académie d’Anvers. Il fait bien de le dire, on ne s’en douterait pas. Avoir puisé les premières notions de l’art dans une ville où Rubens a composé ses plus beaux ouvrages, et faire le portrait d’une charrette attelée de percherons, voilà ce que j’ai peine à comprendre. Encore si le portrait de cette charrette occupait un étroit espace ; mais non, l’attelage est grand comme nature, et pour comble de malheur, le percheron placé en avant ne tire pas. Il y a dans ce tableau, ridicule par sa dimension, un talent d’imitation que je ne veux pas nier ; mais, pour concevoir une telle œuvre, il faut n’avoir pas grand’chose dans la tête.

M. Gigoux est lui-même chef d’école, quoique ses disciples me soient inconnus. Je l’entends dire, et je consens à le croire. Sa Veille d’Austerlitz est pour ses élèves un triste enseignement. Les torches qui éclairent la toile ont tant d’importance, et les figures sont disposées d’une manière si théâtrale, que la composition tout entière ressemble à une scène de mélodrame. C’est une étrange manière d’interpréter l’histoire. Charlet et Raflet ont pourtant montré à M. Gigoux comment on traitait les sujets militaires.

La Razzia de M. Loubon est une heureuse tentative dans le genre des deux maitres que je viens de nommer. Il y a dans cette toile un entrain, une ardeur qui plairont sans doute aux hommes de guerre, et en même temps un choix de couleurs qui prouve que l’auteur a fait de sérieuses études. Dans un ordre d’idées tout différent, M. Dubuisson a montré un talent d’une grande énergie : ses Défricheurs se recommandent à l’attention par l’élégance et la fermeté du dessin. Dire que je préfère cet attelage de bœufs aux Percherons de M. Verlat serait faire à M. Dubuisson un piètre compliment ; je me contenterai de le citer comme un ouvrage bien conçu et d’une bonne exécution.

J’aime à penser que M. Dauzats, en nous envoyant sa Mosquée de Cordoue, a voulu justifier les éloges de don Federico de Madrazo et de don Eugenio de Ochoa. C’est une excellente intention, à laquelle nous ne pouvons qu’applaudir. Pourquoi faut-il que le succès réponde à l’intention d’une manière si incomplète ? Dans la Mosquée de Cordoue comme dans tous les ouvrages de l’auteur, l’architecture est traitée avec adresse ; mais les figures sont très loin de valoir l’architecture. M. Dauzats compromet ses amis d’Espagne. La plume de don Eugenio nous a rendu exigeans, et nous avons le droit de demander quelque chose de mieux que la Mosquée de Cordoue.

Parmi les portraits, je ne peux guère louer qu’un très beau portrait de femme de M. Hippolyte Flandrin. Le portrait de l’impératrice par M. Winterhalter, quoique très supérieur au Décaméron de 1855, n’est pas dessiné avec assez d’élégance pour obtenir l’approbation des connaisseurs. M. Ricard continue d’imiter l’école vénitienne et oublie de modeler. MM. Horace Vernet et Larivière ; n’ont fait que des portraits d’un style assez mesquin et d’une couleur très peu satisfaisante. Le portrait équestre de l’empereur n’a pas même les qualités auxquelles M. Vernet nous a depuis longtemps habitués. Le cheval manque de vie, et les épaules sont modelées avec négligence. Les maréchaux Canrobert et Bosquet sont d’un ton cru qui rappelle les papiers peints. Le maréchal Baraguey-d’Hilliers, l’amiral Parseval-Deschênes n’ont pas mieux inspiré M. Larivière. Le portrait au pastel de Mme la comtesse de Castiglione prouve trop clairement que M. Giraud n’a pas étudié les pastels de Latour. S’il les eût étudiés, il n’aurait jamais songé à traiter la forme de son modèle d’une manière si sommaire. Le visage, sans être dessiné très purement, est au moins indiqué de façon à contenter ceux qui ne tiennent pas à la précision ; quant au torse, quant aux membres, il n’en est pas question. La robe est vide et tombe comme un rideau.

Le paysage est aujourd’hui, j’ai regret à le dire, la partie la plus florissante de la peinture française. Bien des gens s’en réjouissent, les vrais amis de la peinture s’en affligent à bon droit. La prospérité du paysage ne serait pas un fait à déplorer, si la composition, dans ce genre d’ailleurs très digne d’intérêt, avait autant d’importance que l’exécution ; mais, pour le croire, il faudrait fermer les yeux à l’évidence. L’école française compte aujourd’hui des artistes habiles dans l’imitation de la nature ; ceux qui associent le paysage à l’expression d’une pensée sont malheureusement trop faciles à compter. Cependant la notion de l’idéal n’est pas encore complètement perdue. Pour le prouver, il me suffira de nommer M. Corot. Personne n’a oublié son Joueur de flûte, qui pouvait se comparer aux plus fraîches idylles de Théocrite. M. Corot est encore aujourd’hui le représentant le plus heureux du paysage poétique. Il possède toutes les qualités qu’il possédait il y a dix ans ; mais si sa pensée a conservé toute sa grandeur, s’il est toujours aussi ingénieux dans l’invention, il exprime toujours ce qu’il a conçu avec la même gaucherie, la même maladresse. Il sait très bien ce qu’il veut, et ce qu’il veut est presque toujours digne de louange. L’heure venue de traduire sa volonté, sa main hésite ; on dirait que sa vue se trouble et n’aperçoit plus qu’à travers un nuage le modèle qu’elle avait d’abord contemplé dans toute sa pureté. Si M. Corot savait présenter sous une forme précise les fruits de son imagination, il occuperait aujourd’hui un rang très élevé dans l’école française. L’insuffisance, l’inhabileté de l’exécution l’oblige à se contenter du suffrage de quelques amis, de l’approbation éclairée d’un petit nombre de connaisseurs. Vraiment c’est grand dommage, car personne ne comprend le paysage d’une manière plus poétique. Il y a chez lui une finesse d’intelligence, une délicatesse de goût qui le placeraient parmi les peintres les plus éminens, s’il connaissait toutes les lois de la langue dont il se sert. Les plus bienveillans sont forcés d’avouer qu’il les ignore, ou du moins qu’il les connaît très imparfaitement. Terrains, troncs et feuillages, tout demeure à l’état d’ébauche dans les compositions de M. Corot. Il indique ce qu’il a conçu avec un bonheur singulier ; il ne sait pas mettre sa pensée au net. Or les ébauches ne peuvent séduire que les gens du métier, capables de rêver le complément de ce qu’ils aperçoivent sous une forme confuse. Quant au public, les ébauches n’arrivent pas jusqu’à lui ; elles le laissent indifférent, parce qu’il faut à son intelligence une langue claire et précise. Pour lui, tout ce qui est inachevé est comme non avenu. M. Corot n’a pas le droit de se plaindre. Il possède l’estime et la sympathie des hommes du métier ; il n’est pas populaire et ne devait pas l’être. Il n’a pas travaillé pour la foule, et la foule connaît à peine son nom. Tout s’est passé comme on pouvait le prévoir.

M. Daubigny, doué d’une imagination moins puissante que M. Corot, réunit un plus grand nombre de suffrages, et nous ne devons pas nous en étonner, car il posséde une main beaucoup plus habile. Si le Printemps, une Futaie de Peupliers, un Soleil couché, ne sont pas des merveilles d’invention, l’exécution de ces tableaux a de quoi plaire à ceux qui aiment à retrouver ce qu’ils ont vu sous une forme élégante et harmonieuse. La Futaie de Peupliers doit contenter pleinement les partisans de l’imitation littérale. Écorce et feuillage, tout est rendu avec fidélité. Cette toile, il est vrai, n’offre pas un bien vif intérêt, et ne dit pas grand’chose à l’intelligence du spectateur ; mais si cette futaie, comme je le crois, est un simple portrait, celui qui possède l’original doit s’empresser d’acquérir la copie. Quand il aura fait une coupe fructueuse, il placera dans son salon ce précieux souvenir. Dans le Soleil couché, l’imagination intervient. L’expression poétique n’est pas négligée. Il y a dans ce tableau un sentiment qui ne manque pas de grandeur. Ce n’est pas encore le caractère épique ; mais la manière dont les diverses parties sont disposées, les détails éteints, les détails mis en relief, concourent heureusement à l’effet général. Cependant on pourrait souhaiter plus de franchise dans la conception. Si ce n’est pas la réalité littérale, ce n’est pas encore la réalité assez librement interprétée. Il y a dans les terrains des morceaux qui gagneraient à changer de forme. M. Daubigny, porté par la nature de ses facultés vers le paysage poétique, procède encore trop timidement. Dans son Printemps comme dans son Soleil couché, il se tient encore trop près des choses qu’il a vues. Il n’ose pas dire ce qu’il sent en pliant les choses au sentiment qu’il éprouve. Il entrevoit les régions élevées de l’art, il se met en route pour y entrer, et le courage lui manque pour les fouler d’un pied libre et vigoureux. Ses tentatives, quoique timides, méritent les encouragemens de tous ceux qui dédaignent l’imitation littérale. La voie qu’il a choisie n’est pas aujourd’hui très fréquentée. Si nous voulons qu’elle porte bientôt des empreintes de pas plus nombreuses, il ne faut rien négliger. M. Daubigny ne s’en tient pas au paysage prosaïque, au paysage qui réussit aujourd’hui ; pour qu’il entraîne à sa suite ceux qui hésitent encore sur le choix du chemin, nous devons d’abord lui dire qu’il est dans le vrai, et lui dire d’une voix plus haute qu’il n’embrasse pas assez résolument la cause de la vérité. Puisqu’il a raison, qu’il ne tâtonne plus, qu’il interprète librement ce qu’il voit, et ne se défie plus des facultés qu’il possède. Il a révélé cette année ce que ses premiers ouvrages permettaient de pressentir, un sentiment poétique dont le paysage ne peut se passer. Qu’il s’engage donc plus hardiment dans ce pays de la fantaisie, que le vulgaire n’a jamais entrevu, et que tous les artistes glorieux ont voulu visiter.

Les compositions de M. Français n’ont pas grand’chose à démêler avec l’invention, et cependant il serait injuste de les passer sous silence. Si elles relèvent de la réalité, elles sont traitées avec une élégance, une précision qui les désignent à l’attention de la foule. La plus importante de ces compositions, une Journée d’hiver, peut se comparer, pour la finesse des détails, aux paysages de l’école hollandaise. Les arbres dépouillés de leurs feuilles sont rendus avec une adresse merveilleuse ; la neige n’est pas copiée avec moins de fidélité. Quant aux montagnes du fond, je consens à croire qu’elles sont imitées exactement : je ne mets pas en doute la sincérité de l’auteur ; mais comme, au lieu de se détacher du ciel, elles paraissent faire un trou dans le ciel, l’exactitude de la représentation fût-elle cent fois démontrée, c’était le cas de tricher. Que l’aspect des choses donne parfois raison à M. Français, je ne le nie pas : le point capital est de se faire comprendre, et les montagnes de son tableau ne s’expliquent pas assez clairement. En face de la nature, lors même que l’apparence n’est pas d’accord avec la réalité, on est obligé d’accepter l’apparence ; en face de l’imitation, on a le droit de se montrer plus exigeant et de demander que l’apparence laisse deviner la réalité. Or, dans le tableau de M. Français, l’apparence contredit la réalité. Le ciel est plus rapproché de l’œil que les montagnes, tandis que les montagnes devraient être plus près de nous que le ciel. C’est une chose excellente que de bien voir, un talent précieux que de bien rendre ce qu’on a vu ; mais en peinture il ne faut jamais séparer la vraisemblance de la vérité, et M. Français a méconnu l’autorité de cette maxime dans sa Journée d’hiver. Le Souvenir de la vallée de Montmorency est un tableau charmant. Les arbres sont d’une forme élégante, et je comprends que ce paysage-portrait excite l’admiration. On aimerait à s’asseoir sous les ombrages de cet heureux séjour. Le dirai-je pourtant ? Parmi les ouvrages envoyés par M. Français, celui qui possède à mes yeux la plus grande valeur, le mérite le plus solide, c’est le Ruisseau de Neuf-Pré, aux environs de Plombières. Au premier aspect, la toile manque de profondeur ; mais regardez bien, regardez pendant quelques minutes, la toile se creuse et l’espace s’agrandit : pierres, écume, troncs et feuillage, tout s’ordonne, et le regard contemple avec bonheur ce coin de bois, où le murmure de l’eau accompagne doucement les soupirs de la brise. Comme exécution, cette petite toile mérite des éloges sans réserve. Toutes les parties en sont traitées avec une adresse merveilleuse. M. Français connaît maintenant tous les secrets techniques de son métier. S’il possède la faculté d’inventer, s’il se décide à la développer par des études nouvelles et d’un ordre plus élevé, la popularité ne lui manquera pas. Il compte dès à présent parmi les imitateurs les plus habiles ; quant au don poétique, il ne l’a pas encore révélé.

Je voudrais pouvoir dire que M. Théodore Rousseau agrandit sa manière, car il y a dans ses ouvrages un accent de vérité qui m’inspire une vive sympathie ; mais je suis obligé d’avouer qu’il est cette année ce qu’il était il y a deux ans. Il copie très habilement ce qu’il voit, malheureusement il se borne à copier. Il réussit : ses tableaux n’attendent pas les acheteurs ; chacun le sait, et comme on estime trop souvent le mérite d’après le succès, pour bien des gens M. Rousseau représente la perfection. Le bon sens veut qu’on sépare le succès du mérite : le mérite se discute ; quant au succès, il suffit de le constater. M. Rousseau avait débuté par des ébauches parfois confuses, parfois éclatantes, qui n’étaient pas dépourvues de caractère poétique ; seulement, en raison même de leur confusion, ces ébauches se prêtaient aux interprétations les plus diverses. Chacun y voyait ce qu’il voulait y voir, et la contradiction était difficile. À parler franchement, ce n’était pas de la peinture sérieuse. Maintenant la confusion a disparu. M. Rousseau écrit très nettement la forme des choses, mais il n’écrit que la forme des choses. Quant au sentiment que laissaient deviner ses premières ébauches, il ne paraît plus y attacher grande importance. Il a quitté la rêverie pour l’imitation, et comme sur le marché l’imitation a plus de valeur que la rêverie, je crains fort qu’il ne continue pendant longtemps à faire ce qu’il fait aujourd’hui. Avec le talent qu’il possède maintenant et son ambition d’autrefois, il y aurait de quoi composer un peintre d’un ordre élevé.

M. Desjobert se préoccupe de l’imitation comme M. Français, comme M. Rousseau. Jusqu’à présent, il n’a pas essayé d’inventer. Il tient à prouver qu’il sait faire un morceau, et il le prouve. Je dois lui dire que son Entrée de Forêt, dont les diverses parties sont traitées avec habileté, gagnerait beaucoup, si la toile était réduite de moitié. Les proportions qu’il a choisies ne conviennent pas au sujet, si toutefois une entrée de forêt est vraiment un sujet. Les arbres sont élégans, les terrains solides et d’une bonne couleur ; l’air circule dans le feuillage, l’espace s’étend devant le regard. Ces mérites sans doute ne sont pas à dédaigner ; mais une entrée de forêt serait mieux placée dans un cadre plus étroit. Dans ce tableau, rien ne s’adresse à la pensée, tout s’adresse aux yeux, et je ne comprends pas l’utilité d’un si vaste champ pour une telle donnée. Une petite toile du même auteur, le Pont rompu, se recommande par la précision des détails. C’est un ouvrage qui révèle des habitudes studieuses, et dont les proportions sont d’accord avec le sujet. M. Desjobert paraît se contenter difficilement : c’est le plus sûr moyen de bien faire ; mais quand il sera parvenu aux dernières limites de l’imitation, il ne sera encore que sur le seuil du paysage. Qu’il ne l’oublie pas, s’il veut que ses ouvrages intéressent les esprits élevés.

S’il fallait juger l’état présent de la peinture française d’après les ouvrages exposés cette année, on serait obligé de formuler des conclusions bien sévères, car si le talent ne manque pas, si les genres secondaires sont traités avec habileté, les compositions de grand style font absolument défaut. Pour demeurer dans l’équité, il faut se rappeler que MM. Ingres, Decamps et Delacroix n’ont rien envoyé. Leur absence a trop d’importance pour qu’on n’en tienne pas compte quand il s’agit d’exprimer une opinion sur l’état présent de notre école. Restreignant la portée de nos paroles dans la mesure que le bon sens commande, nous sommes obligé d’affirmer que le nombre des œuvres élevées diminue de jour en jour. En parcourant le salon de cette année, on aperçoit des morceaux bien faits, des scènes rendues avec adresse, quelquefois avec élégance ; mais chercher l’expression d’une idée grande serait peine perdue. Non-seulement la pensée ne tient pas le premier rang, mais elle est à peu près oubliée. La peinture, pour ceux qui tiennent le pinceau comme pour ceux qui regardent leurs œuvres, semble n’être qu’un passe-temps. Réveiller de grands souvenirs, élever les âmes par la représentation des actions héroïques, émouvoir par l’expression des passions, cela était bon pour les rêveurs, et la rêverie n’est pas à la mode. La peinture n’a guère d’autre souci que d’amuser, ou d’exciter la curiosité ; elle ne s’attribue aucune mission morale, et paraît oublier qu’elle doit s’adresser à l’intelligence en même temps qu’aux yeux, ou plutôt qu’elle ne doit parler aux yeux que pour parler à l’intelligence. Elle veut se faire réelle et se fait puérile ; elle sacrifie la pensée, le sentiment à la représentation des choses, et demeure sans action sur l’esprit de la foule. À Dieu ne plaise que je conseille à ceux qui tiennent le pinceau d’enfermer une leçon dans chacun de leurs ouvrages ! ce n’est pas ainsi que je comprends le respect de la pensée dans les arts du dessin ; mais sans procéder d’une manière dogmatique, ce qui serait insensé, la peinture peut choisir des sujets d’un ordre élevé, les traiter dans un style pur et sévère, habituer la foule à la contemplation de la beauté, l’affranchir pendant quelques instans des préoccupations mesquines, et prendre ainsi une part importante dans le gouvernement des intelligences. Qu’elle se complaise dans la représentation des actions héroïques, dans l’expression des sentimens généreux, et sans devenir dogmatique, elle agira sur les instincts de la génération nouvelle. L’amour du beau, l’amour du bien, ne sont pas si étrangers l’un à l’autre que l’ignorance s’est habituée à le penser. Que la peinture, qui est aujourd’hui puérile, redevienne sérieuse, néglige le joli et l’amusant pour s’attacher à la beauté : notre école se relèvera.


GUSTAVE PLANCHE.