Satires (Perse)/IV

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SATIRE IV.



CONTRE LES JEUNES GENS QUI S’INGÈRENT DANS
LE GOUVERNEMENT DE L’ÉTAT.

Quoi ! du grand Périclès téméraire pupille,
Vous oseriez prétendre à gouverner la ville,
Dit ce sage vieillard qu’un injuste poison
Chez les Athéniens fit périr en prison ?
Où sont vos droits ? Chez vous, selon toute apparence,
Le temps avant la barbe amena la prudence ;
Vous sauriez et parler et vous taire à propos ;
Et si, de la discorde agitant les flambeaux,
Tout-à-coup un vil peuple allait troubler Athène,
Habile à modérer les transports de sa haine,
Votre main étendue avec autorité,
Imposerait silence à ce peuple ameuté.
Citoyens, diriez-vous, ce projet n’est pas sage,
Ceci convient ; cela conviendrait davantage ;
La justice, en un mot, pour peser les humains,
Remettrait sans danger sa balance en vos mains ;
Vous reconnaîtriez la limite insensible
Où le faux touche au vrai par un point invisible ;

Et vous pourriez enfin, sans erreur, sans appel,
Marquer du noir Thêta le nom d’un criminel.
Soyons plus vrais : le soin d’une parure vaine,
Voilà votre talent. Quelle erreur vous entraîne ?
Ah ! pour nous gouverner, attendez l’âge mûr,
Et prenez mille fois de l’ellébore pur,
Plutôt que de venir, sous un brillant plumage,
Du peuple, avant le temps, rechercher le suffrage.
Que doit-on, selon vous, désirer ici-bas ?
— Une table splendide et des mets délicats,
Et les rares odeurs dont, avec indolence,
Se parfume au soleil une heureuse opulence.
— Attendez. La Baucis qui s’approche de nous,
Sur ce point, j’en réponds, va parler comme vous.
Triomphez maintenant d’une vaine chimère ;
Venez nous répéter : Dinomaque est mon père ;
Je suis beau. Ces deux points, il faut vous les passer ;
Mais, pour le sens commun, pour le don de penser,
Valez-vous cette vieille en haillons, au teint have,
Qui surfait sa denrée à ce vaurien d’esclave ?
Hélas ! que l’on voit peu de gens avec candeur
Chercher à pénétrer dans le fond de leur cœur !
Et que, prompts à juger la conduite des autres,
Nous voyons leur défauts beaucoup mieux que les nôtres !
— Quelqu’un de vous ici connaîtrait-il Bassus ?
Qui ? Bassus, direz-vous ? ce richard, ce Crésus
Qui dans les champs Sabins s’est acquis un domaine
Qu’un milan dans un jour traverserait à peine !
Qui ne le connaît pas, cet avare odieux,
Ennemi de lui-même et détesté des dieux,

Qui, dans les compitum, aux fêtes des semailles,
Quand ses jougs renversés sont pendus aux murailles,
Gémit d’être forcé d’entamer son vin vieux,
Et ne dit qu’en pleurant : amis, soyons joyeux ?
Le ladre ! il faudrait voir avec quelles délices
Il mord dans un ognon que, pour toutes épices,
Sans même l’éplucher, il saupoudra de sel !
Il faudrait voir ses gens, dans ce jour solennel,
Trépigner à l’aspect d’une grosse bouillie,
Tandis que, sans dégoût, il boit jusqu’à la lie,
D’un vin qui, moisissant au fond de ses tonneaux,
Tourne à l’aigre et se tire en bleuâtres lambeaux !
— Mais vous, censeur chagrin, qui blâmez tout le monde,
Quand de parfums exquis le baigneur vous inonde,
Et qu’ensuite on vous voit vous étendre au soleil,
Êtes-vous à l’abri de quelque trait pareil ?
Ne redoutez-vous pas qu’instruit de votre vice,
Un voisin, vous poussant le coude avec malice,
À cet aigre discours qui retombe sur vous,
N’attaque aussi vos mœurs et vos infâmes goûts ;
Vous, mortel dépravé dont la débauche impure
Par tant d’affreux excès outrage la nature ?
On blâme, on est blâmé : voilà l’homme ici-bas ;
Voilà pourquoi vos mœurs ne m’en imposent pas.
Vous portez au flanc gauche une large blessure
Que vous nous cachez mal sous cette riche armure ;
Je la vois à travers votre baudrier d’or.
Cherchez, par vos discours, à nous séduire encor ;
Aveuglez-vous, trompez vos nerfs, s’il est possible.
— Mais lorsqu’à tous les yeux mon mérite est visible,

Seul je n’y croirai pas ! — Eh ! mortel corrompu,
Si l’on vous voit pâlir à l’aspect d’un écu ;
Si rien ne met de frein à votre ardeur lubrique ;
Si, le fouet à la main, dans la place publique,
Vous courez sans pudeur insulter les passans,
Vainement vos flatteurs vous enivrent d’encens.
Rejetez, rejetez de frivoles hommages ;
Que ce vil courtisan remporte ses suffrages ;
Habitez en vous-même, et, de honte accablé,
Rougissez de vous voir si pauvrement meublé.