Scènes de la nature dans les États-Unis et le Nord de l’Amérique/L’oiseau bleu

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L’OISEAU BLEU.


On rencontre ce charmant oiseau dans toutes les parties des États-Unis, que généralement il ne quitte en aucune saison. Il ajoute encore aux délices du printemps, et sa présence embellit même les jours de l’hiver. Plein d’une innocente gaieté, gazouillant sans cesse son doux ramage, aussi familier que puisse l’être un oiseau dans sa liberté native, il est sans contredit l’un des plus agréables parmi nos favoris des tribus emplumées. Le pur azur de son manteau, le magnifique éclat de sa gorge le font admirer tandis qu’il vole par les vergers et les jardins, qu’il traverse les champs et les prairies, ou qu’il s’en va sautillant le long des routes et des sentiers. Se rappelant la petite boîte qu’on a préparée pour lui, sur le toit de la maison, sur le faîte de la grange ou les pieux de la clôture, il y retourne continuellement, même pendant l’hiver, et ses visites sont toujours les bienvenues pour ceux qui ont appris à le connaître.

Quand revient le mois de mars, le mâle commence à faire sa cour, et témoigne, à l’objet de son choix, autant de tendresse et d’affection que la tourterelle même. Martinets et troglodytes[1], garde à vous ! que l’on se tienne à une distance respectueuse, si l’on ne veut éprouver son courroux. Il n’est pas jusqu’au chat rusé qu’il ne harcelle de son cri plaintif, chaque fois qu’il le rencontre dans le sentier où il guette lui-même un insecte pour sa femelle.

Dans les Florides, l’oiseau bleu fait son nid dès le mois de janvier. À Charleston, il s’accouple dans le même mois, en Pensylvanie vers le milieu d’avril, et en juin seulement dans l’État du Maine. Il construit son nid dans la boîte qu’on lui a faite tout exprès, ou bien dans quelque creux à sa convenance. Quelquefois il prend possession des trous que les piverts ont abandonnés. Les œufs, au nombre de quatre à six, sont d’un bleu pâle ; il y a souvent deux ou trois pontes par année. Tandis que la femelle couve sur les œufs de la seconde, le mâle a soin des petits de la première, et ainsi de suite.

La nourriture de ces oiseaux consiste en coléoptères, chenilles, araignées et insectes de différentes sortes qu’ils vont souvent chercher contre l’écorce des arbres. Ils aiment aussi les fruits mûrs, tels que figues, persimons[2] et raisins ; et durant les mois d’automne, ils attrapent les sauterelles qui sont sur les tiges de la grande molène si commune dans les vieux terrains. Ils se plaisent particulièrement sur les champs nouvellement labourés, surtout en hiver ou au commencement du printemps, et on les y voit en quête des insectes qui viennent d’être arrachés de leurs retraites par le tranchant de la charrue.

Le chant de l’oiseau bleu est un gazouillement doux et agréable qu’il répète souvent, tant que dure la saison des amours, l’accompagnant d’habitude d’un gracieux frémissement de ses ailes. Lorsque arrive l’époque des migrations, sa voix ne consiste plus qu’en quelques notes tendres et plaintives, qui indiquent peut-être la répugnance avec laquelle il contemple les approches de l’hiver. En novembre, la plupart des individus qui, pendant l’été, ont résidé dans les districts du nord et du centre, passent en volant haut dans les airs, et se dirigent vers le sud avec leurs familles, s’arrêtant de temps à autre pour chercher la nourriture et prendre quelque repos. Mais en hiver on en voit encore beaucoup, et ils ne quittent point les lieux où ils peuvent jouir, même en cette saison, de quelques beaux jours. C’est qu’ils ont toujours un vif attachement pour leurs anciennes demeures, et qu’avec la grande puissance de leur vol, il leur est facile de se transporter d’un canton à un autre, quand il leur plaît. Ils reviennent de bonne heure, dès février ou mars, et se montrent par troupes de huit à dix individus de l’un et de l’autre sexe. Alors, quand ils se posent, on entend les joyeuses chansons des mâles qui retentissent du haut des érables et des sassafras aux fleurs précoces.

En hiver, ils abondent dans tous les États du sud et spécialement dans les Florides, où j’en trouvais des centaines sur chaque plantation que je visitais. Ils deviennent plus rares dans le Maine, davantage encore dans la Nouvelle-Écosse. À Terre-Neuve et au Labrador, nous n’en vîmes aucun durant notre expédition.

Mon excellent et savant ami le docteur Richard Harlan, de Philadelphie, me dit qu’un jour, aux environs de cette ville, étant assis devant la maison d’un de ses amis, il s’amusait à observer un couple d’oiseaux bleus qui s’étaient installés dans un trou creusé spécialement pour eux, à l’extrémité de la corniche. Ils avaient des petits et déployaient la plus grande vigilance pour leur sûreté, à ce point qu’il n’était pas rare de les voir voler, et surtout le mâle, à la rencontre des personnes qui passaient dans le voisinage. Une poule, avec ses poussins, s’étant approchée trop près, la colère de l’oiseau bleu monta à un si haut degré que, nonobstant l’extrême disparité des forces, il se précipita sur elle, et continua de l’assaillir avec une telle violence, que la pauvre poule fut à la fin forcée de battre en retraite et de se réfugier sous un buisson assez éloigné. Quant au petit champion, il revint triomphant à son nid, où il chanta fièrement sa victoire. Les choses, cependant, prennent parfois une tout autre tournure ; et l’on se rappelle ce que j’ai dit précédemment des combats de l’oiseau bleu et du martinet pourpré.

Cette espèce m’a souvent remis en mémoire celle du robin rouge-gorge d’Europe qui, en effet, lui est assez semblable de forme et de mœurs. Comme l’oiseau bleu, le rouge-gorge a de grands yeux où se peint fréquemment et d’une manière très expressive le pouvoir de ses passions ; comme lui aussi, il aime à descendre sur les dernières branches des arbres d’où, restant longtemps dans la même posture, il épie d’un œil furtif chaque objet au-dessous de lui. Puis, lorsqu’il a découvert un insecte ou un ver, il s’élance légèrement, le prend dans son bec, regarde encore aux environs, pour voir s’il n’en aperçoit pas d’autre, fait quelques petits sauts en inclinant son corps en bas, enfin s’arrête, se redresse, et se renvole sur sa branche, où de plus belle il entonne sa chanson. C’est peut-être après avoir remarqué quelques-uns des traits rappelant cette conformité d’habitudes dans les deux espèces, que les premiers colons du Massachusetts ont donné à notre oiseau le nom de robin bleu qu’il porte encore dans cet État.

Quant à moi, si j’étais maintenant pour établir une classification des oiseaux de notre pays, je ne serais pas éloigné d’assigner à l’oiseau bleu une place parmi les Turdiens.





  1. House wren (Troglodytes Aedon, Vieill.). Dans l’Amérique du Nord, les habitants ont aussi coutume d’attirer cet oiseau au voisinage de leur demeure, en lui élevant un abri qu’ils attachent au bout d’une perche.
  2. Vide sup., p. 298.