Scènes de la nature dans les États-Unis et le Nord de l’Amérique/La tourterelle de la Caroline

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LA TOURTERELLE DE LA CAROLINE.


J’ai cherché, cher lecteur, à vous donner une fidèle représentation de deux couples de tourterelles, aussi jolies qu’aucunes qui aient jamais roucoulé leurs amours sous la verte cime des bois. Je les ai placées sur une branche de stuartia[1], que vous voyez ornée d’une profusion de blanches fleurs, symbole d’innocence et de chasteté.

Regardez la femelle : avec quel zèle elle couve ses œufs, doucement enlacée par l’épais feuillage, recevant la nourriture du bec du mâle, et prêtant l’oreille avec délices aux assurances de son affection dévouée. Rien ne manque au couple fortuné, rien de ce qui pourrait, en un tel moment, rendre tout autre couple également heureux.

Sur la branche au-dessus, voici les préludes d’une scène d’amour : la femelle, toujours réservée et indécise, semble douter des protestations de son amant et, comme une vierge craintive, se résout à mettre sa sincérité à l’épreuve, en se refusant quelque temps encore à ses désirs : elle a gagné l’extrémité de la branche ; déjà s’ouvrent ses ailes et sa queue, elle va s’envoler dans quelque réduit plus solitaire… Qu’il persiste à l’y suivre, sans laisser se ralentir son ardeur ; et bientôt, n’en doutez pas, ils reproduiront la même scène de félicité que le couple qui est au-dessous d’eux.

La tourterelle annonce le retour du printemps ; il y a mieux : on oublie l’hiver et ses frissons, en entendant ses roucoulements si mélancoliques et si doux. C’est que son cœur est déjà tellement enflammé, tellement gonflé par la passion, qu’il ne cherche qu’à s’épancher ; comme demandent à s’épanouir les boutons de la jeune tige, sous la féconde influence des premières chaleurs.

Son vol est extrêmement rapide et très soutenu ; quand on l’a surprise et qu’elle s’enlève de terre ou de dessus la branche, ses ailes produisent une sorte de sifflement qui retentit à une distance considérable. Alors on la voit souvent tournoyer en l’air d’une façon bizarre, comme pour essayer la puissance de son vol. Rarement elle monte haut au-dessus des arbres ; et rarement aussi elle s’engage au travers des bois épais et des forêts ; mais elle préfère côtoyer leurs bords et s’ébattre aux alentours des haies et des champs. Au printemps néanmoins, et pendant que la femelle est sur ses œufs, le mâle se met parfois à battre fortement des ailes, et semble vouloir s’élever à une grande hauteur ; mais tout à coup il redescend en décrivant un large cercle ; puis nageant doucement, la queue et les ailes étendues, il revient se poser sur l’arbre où est sa compagne, ou sur quelque autre très voisin. Ces manœuvres sont fréquemment répétées durant les jours de l’incubation, et bien moins souvent, lorsque les mâles courtisent les femelles. Ils ne se sont pas plutôt posés, qu’ils étalent et agitent leur queue de la manière la plus gracieuse, en se balançant la tête et le cou. Leurs migrations ne sont pas aussi lointaines que celles du pigeon voyageur ; elles ne s’accomplissent pas non plus en si grand nombre, la réunion de deux cent cinquante ou de trois cents de ces tourterelles étant regardée comme une grosse troupe.

Par terre, le long des haies ou sur les branches des arbres, elles marchent avec beaucoup d’aisance et de légèreté ; elles courent même assez vite, comme on peut le voir lorsqu’elles cherchent la nourriture dans les lieux où elle est rare. Elles se baignent peu, mais boivent en avalant par longues gorgées, le ventre profondément enfoncé dans l’eau, où elles sont plongées très souvent jusqu’aux yeux.

Ces oiseaux nichent dans toutes les parties des États-Unis que j’ai visitées, et, selon la température des diverses localités, élèvent une ou deux couvées par saison. Dans la Louisiane, ils pondent aux premiers jours d’avril, quelquefois dès le mois de mars, et ont alors deux couvées ; dans le Connecticut, ils ne commencent à pondre que vers le milieu de mai, et ont rarement plus d’une couvée. Sur les frontières du lac Supérieur, ils sont encore plus tardifs. Les œufs, toujours au nombre de deux au plus, sont d’un blanc pur et, jusqu’à un certain point, translucides. Toute espèce d’arbre leur est bonne pour faire leur nid, qu’ils placent sur des branches ou de jeunes pousses horizontales ; il est composé de petites bûchettes entrecroisées, mais si peu rapprochées l’une de l’autre, qu’elles semblent à peine suffisantes pour empêcher les œufs ou les petits de tomber.

La tourterelle de la Caroline fait sa retraite habituelle parmi les longues herbes qui poussent dans les champs abandonnés, au pied des tiges sèches de maïs, sur la lisière des prés ; on ne la trouve qu’accidentellement sur les arbres à feuilles mortes, de même que sur certaines espèces d’arbres toujours verts ; mais dans un lieu ou dans un autre, elle s’enfuit toujours à l’approche de l’homme, quelque obscure que soit la nuit : ce qui prouve l’excellence de sa vue, même dans les ténèbres. Quand elles reposent par terre, elles n’aiment pas à se placer l’une près de l’autre ; mais quelquefois les divers individus d’une seule troupe paraissent éparpillés presque également sur toute la surface d’un champ. Elles diffèrent totalement, par cette particularité, des pigeons voyageurs qui s’entassent en masses compactes à l’extrémité des mêmes branches, pour passer la nuit. Cependant les tourterelles, ainsi que les pigeons, se plaisent à revenir au même perchoir, et souvent de distances considérables. Certains individus se mêlent parfois avec les pigeons sauvages, comme ceux-ci, de temps en temps, avec nos tourterelles.

On peut dire que la tourterelle de la Caroline glane plutôt qu’elle ne moissonne sur les champs du laboureur, où elle se contente presque toujours de ravir quelques grains, à l’époque des semailles ; après quoi, elle s’adonne de préférence aux chaumes, quand les récoltes ont été enlevées. C’est un oiseau robuste, supportant les plus rudes hivers de nos États du centre, où quelques-uns restent toute l’année.

Leur chair est très délicate, lorsqu’on se les procure jeunes et dans la saison convenable ; elles deviennent très grasses, sont tendres, succulentes, et dans l’opinion de plusieurs de mes amis, comme dans la mienne, d’une saveur égale à celle de la bécassine et même de la bécasse. Mais comme le goût, en pareille matière, dépend beaucoup des circonstances ou peut-être du caprice, si j’ai un avis à vous donner, bon lecteur, c’est d’en essayer par vous-même.

Pour les chasser avec succès, il faut être un fin tireur, car leur coup d’aile est très vif ; elles filent rarement en droite ligne, et il est rare qu’on en tue, au vol, plus d’une à la fois, et plus de deux ou trois, par terre, à cause de cette disposition qu’elles ont à se tenir écartées les unes des autres.

En hiver, ces oiseaux s’approchent des fermes, mangent avec les volailles, les moineaux, les quisquales[2], et sont très familiers et très gentils ; mais dès qu’on commence à les troubler, ils deviennent extrêmement farouches. Quand on les a enlevés du nid, ils se laissent facilement apprivoiser ; j’en ai même connu qui nichaient en captivité. Pris dans des cages ou des trappes, ils se nourrissent volontiers et bientôt, devenus gras, forment un excellent mets pour la table.

Une fois tuées, ou prises vivantes dans la main, ces tourterelles et nos autres espèces de pigeons perdent leurs plumes, pour peu qu’on y touche. C’est un caractère propre au genre et à certains gallinacés.





  1. Stuartia, ou Stewartia malacodendron, de la famille des Malvacées, arbrisseau de hauteur médiocre, et dont la fleur grande, ouverte, agréable à la vue, mais sans odeur, rappelle assez bien, en effet, celle de certaines lavatères.
  2. « Grackle », Gracula, Quisquales ou Étourneaux Mainates de Daudin.