Seconds Analytiques/Livre deuxième

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Les Seconds Analytiques (Organon IV)
Traduction par Sœur Pascale-Dominique Nau op.
Texte établi par Immanuel Bekker, Academia regia borusica, Berolini (1p. 89).

Seconds Analytiques
Livre deuxième


1[modifier]

Les questions que l’on se pose sont précisément en nombre égal aux choses que nous connaissons. Or, nous nous posons quatre sortes de questions : le fait, le pourquoi, si la chose existe, et enfin ce qu’elle est.

Ainsi, quand, embrassant une pluralité de termes, nous nous demandons si la chose est telle ou telle, si, par exemple, le Soleil subit ou non une éclipse, c’est alors le fait que nous recherchons La preuve en est ici : c’est que, dès que nous avons découvert que le Soleil subit une éclipse, nous n’allons pas plus loin ; et si, dès le début, nous savions que le Soleil subit une éclipse, nous ne chercherions pas à savoir s’il la subit. Mais, quand nous connaissons le fait, nous cherchons le pourquoi : par exemple, sachant que le Soleil subit une éclipse et que la Terre tremble, nous cherchons le pourquoi de l’éclipse ou le pourquoi du tremblement de terre.

Telles sont donc les questions que nous nous posons quand nous embrassons une pluralité de termes. Mais il y a des cas où nous nous posons la question d’une autre façon : par exemple, s’il est ou non un Centaure ou un Dieu (Je prends l’expression s’il est ou non au sens absolu, et non pas comme quand on dit s’il est ou n’est pas blanc). Et quand nous avons connu que la chose est, nous recherchons ce qu’elle est : par exemple, qu’est-ce donc que Dieu, ou qu’est-ce que l’homme ?

2[modifier]

Telles sont donc les sortes de questions que nous nous posons, et c’est dans les réponses à ces questions que consiste notre savoir.

Quand, nous cherchons le fait ou quand nous cherchons si une chose est au sens absolu, nous cherchons m réalité s’il y a de cela un moyen terme ou s’il n’y en a pas ; et une fois que nous savons le fait ou que la chose est (autrement dit, quand nous savons qu’elle est soit en partie, soit absolument), et qu’en outre [90a] nous recherchons le pourquoi, ou la nature de la chose, alors nous recherchons quel est le moyen terme (quand la recherche porte sur le fait, je parle d’existence partielle de la chose, et si elle porte sur l’existence même, je parle d’existence au sens absolu. Il y a existence partielle, quand, par exemple, je demande : la Lune subit-elle-une éclipse ? ou encore: la Lune s’accroît-elle ? car, dans des questions de ce genre, nous recherchons si une chose est une chose ou n’est pas cette chose. Quant à l’existence d’une chose au sens absolu, c’est quand nous demandons, par exemple, si la Lune ou la Nuit existe). Le résultat c’est que dans toutes ces recherches, nous nous demandons soit s’il y a un moyen terme, soit quel est le moyen terme. En effet, le moyen c’est la cause, et c’est lui l’objet de toutes nos recherches. Par exemple, est-ce que la Lune subit une éclipse ? signifie : y a-t-il ou n’y a-t-il pas une cause à l’éclipse ? Après cela, quand nous savons qu’il y en a une, nous passons à la question : quelle est donc cette cause ? Car la cause par laquelle une chose est, non pas ceci ou cela, mais d’une façon absolue et substantiellement, aussi bien que la cause par laquelle une chose est, non plus d’une façon absolue mais ceci ou cela, en tant qu’elle possède quelque attribut essentiel ou accidentel, c’est, dans les deux cas, le moyen terme. Par ce qui est au sens absolu, j’entends le sujet lui-même, par exemple la Lune, la Terre, le Soleil, le triangle ; par la qualité affirmée du sujet, j’entends l’éclipse, l’égalité, l’inégalité, l’interposition ou la non-interposition de la Terre. Dans tous ces exemples, il est clair qu’il y a identité entre la nature de la chose et pourquoi elle est. La question : qu’est-ce que l’éclipse ? et sa réponse : la privation de la lumière de la Lune par l’interposition de la Terre, sont identiques à la question : pourquoi y a-t-il éclipse ? ou pourquoi la Lune subit-elle une éclipse ? et sa réponse ; en raison du manque de lumière quand la Terre vient à s’interposer. De même à : qu’est-ce qu’un accord musical ? C’est le rapport numérique dans l’aigu et dans le grave, nous pouvons substituer : pourquoi l’aigu s’accorde-t-il avec le grave ? Parce qu’il existe un rapport numérique entre l’aigu et le grave. Enfin: est-ce que l’aigu et le grave font un accord ? revient à : est-ce que leur rapport est numérique ? Et quand nous l’avons reconnu, nous demandons : quel est donc ce rapport ?

Que la recherche porte toujours sur le moyen, cela résulte manifestement des cas où le moyen terme tombe sous les sens. Nous ne le cherchons, en effet, que parce que nous ne le percevons pas : nous cherchons s’il y a, ou non, un moyen, causant, par exemple, une éclipse. Mais si nous étions sur la Lune, nous ne rechercherions ni si l’éclipse a lieu, ni pourquoi elle a lieu, mais le fait et le pourquoi seraient en même temps évidents. En effet, c’est de l’acte de perception que nous viendrait aussi la connaissance de l’universel : car la sensation nous apprend qu’il y a présentement interposition de la Terre parce qu’il est évident qu’actuellement la Lune subit une éclipse, et c’est de là que viendrait l’universel.

Ainsi donc que nous l’avons dit, connaître ce qu’est. une chose revient à connaître pourquoi elle est ; et cela est également vrai des choses en tant qu’elles sont au sens absolu et non pas seulement comme qualifiées par quelque attribut, et aussi en tant qu’elles sont dites posséder quelque attribut, tel que égal à deux droits, ou plus grand ou plus petit.



3[modifier]

Qu’ainsi tous les problèmes consistent dans la recherche du moyen terme, c’est évident.

Disons donc comment on montre ce qu’est une chose, et de quelle façon la définition peut se ramener à la démonstration, ce qu’est la définition et de quoi il y a définition. Développons d’abord certaines difficultés que ces questions soulèvent, et commençons ce que nous avons à dire par l’examen d’un point qui se rapproche le plus de nos remarques qui précèdent immédiatement. On pourrait, en effet, se demander [90b] s’il est possible de connaître la même chose, selon le même procédé, à la fois par définition et par démonstration ; ou bien, est-ce impossible ? Car la définition semble bien porter sur ce qu’est la chose, et tout ce qui explique ce qu’est une chose est universel et affirmatif, alors que les syllogismes peuvent être les uns négatifs, et d’autres non-universels : par exemple, tous ceux de la seconde figure sont négatifs, et ceux de la troisième non-universels. Bien plus, les conclusions affirmatives de la première figure ne sont même pas toutes définissables : par exemple, tout triangle a ses angles égaux à deux droits. La raison en est que savoir ce qui est démontrable, c’est en avoir la démonstration ; par suite, si de conclusions de cette nature il peut y avoir démonstration, il est évident qu’il ne peut pas y en avoir aussi définition : autrement, on pourrait connaître une telle conclusion aussi, en vertu de sa définition sans en avoir la démonstration, car rien ne s’oppose à ce qu’on puisse avoir l’une sans l’autre.

Une conviction suffisante peut aussi nous être fournie par l’induction, car jamais encore nous n’avons connu par définition rien de ce qui est affirmé d’une autre chose, soit à titre d’attribut essentiel, soit comme accident. En outre, si la définition nous fait acquérir la connaissance d’une substance, de toute façon de telles déterminations ne sont manifestement pas des substances.

Qu’ainsi il n’y ait pas définition de tout ce dont il y a démonstration, c’est là une chose évidente. Mais alors, est-ce qu’il y a démonstration de tout ce dont il y a définition, ou bien n’est-ce pas possible ? Il y a une raison, la même que précédemment, qui s’applique encore ici. Une seule et même chose, en tant qu’une, ne peut être connue que d’une seule façon : d’où, puisque savoir la chose démontrable est en posséder la démonstration, on arrivera à cette impossibilité que la possession de la définition, sans la démonstration, donnera la connaissance de la chose démontrable.

En outre, les principes des démonstrations sont des définitions, pour lesquelles il n’y aura pas de démonstrations possibles, ainsi qu’on l’a prouvé antérieurement : car, ou bien les principes seront démontrables, ainsi que les principes des principes, et ainsi de suite à l’infini, ou bien les vérités premières seront des définitions indémontrables.

Mais si, pris dans leur totalité, les objets de la définition et ceux de là démonstration ne peuvent être les mêmes, n’y en a-t-il pas du moins certains qui peuvent l’être ? Ou bien cela n’est-il pas possible, puisqu’il ne peut pas y avoir démonstration de ce dont il y a définition ? C’est qu’en effet, la définition porte sur l’essence et la substance, tandis qu’il est manifeste que toutes les démonstrations posent et assument l’essence : par exemple, les démonstrations mathématiques posent l’essence de l’unité et l’essence de l’impair ; et, dans les autres sciences, il en est de même. En outre, toute démonstration prouve un prédicat d’un sujet comme lui appartenant ou ne lui appartenant pas, mais, dans la définition, un élément n’est en rien attribué à l’autre : nous n’affirmons, par exemple, ni l’animal du bipède, ni le bipède de l’animal ; nous n’affirmons pas non plus la figure de la surface, car la surface n’est pas figure, ni la figure surface. De plus, il y a une différence entre démontrer ce qu’est une chose et démontrer le fait d’une attribution. La définition fait connaître ce qu’est la chose, et la démonstration, [91a] que tel attribut appartient ou n’appartient pas à tel sujet ; or des choses différentes requièrent des démonstrations différentes, à moins que l’une des démonstrations ne soit à l’autre comme la partie au tout. J’ajoute cette restriction, parce que, si on a prouvé que tout triangle a ses angles égaux à deux droits, on a prouvé par là même que cette propriété Appartient à l’isocèle, car l’isocèle est une partie du triangle pris comme un tout, tandis que, dans le cas qui nous occupe, le fait de l’attribution et l’essence de la chose n’entretiennent pas des rapports mutuels de. ce genre, puisque l’un n’est pas une partie de l’autre.

On voit ainsi qu’il n’y a pas démonstration de tout ce dont il y a définition, ni définition de tout ce dont il y a démonstration. La conclusion générale à tirer, c’est qu’on ne peut jamais d’une même chose avoir à la fois définition et démonstration. Il en résulte évidemment que la définition et la démonstration ne peuvent être ni identiques, ni contenues l’une dans l’autre, car autrement leurs sujets seraient dans les mêmes relations.



4[modifier]

Arrêtons là notre exposé des difficultés préliminaires.

Est-ce que de l’essence, le syllogisme, autrement dit la démonstration, est possible, ou, comme la présente discussion le supposait, impossible ? C’est qu’en effet le syllogisme prouve un attribut d’un sujet par le moyen terme, et, d’autre part, l’essence est à la fois propre au défini et lui est attribuée comme appartenant à son essence. Mais, dans ce cas, le sujet, sa définition et le moyen terme sont nécessairement réciprocables : car si A est propre à C, il est évident que A est propre à B, et B à C, de sorte que tous ces termes sont propres l’un à l’autre ; et, en outre, si A est contenu dans l’essence de tout B, et si B est affirmé universellement de tout C comme appartenant à l’essence de C, A doit aussi nécessairement être affirmé de C comme appartenant à son essence. Mais s’il n’en est pas ainsi dans les deux prémisses, autrement dit si A est affirmé comme appartenant à l’essence de B, mais si B n’appartient pas à l’essence des sujets dont il est affirmé, A ne sera pas nécessairement affirmé de C comme appartenant à son essence. Ainsi les deux prémisses affirmeront l’une et l’autre l’essence, et par suite B aussi sera affirmé de C comme son essence. Puis donc que les prémisses affirment l’une et l’autre l’essence, autrement dit la substance, la substance de C sera dans le moyen terme avant que la conclusion soit tirée.

Pour généraliser, supposons qu’on ait à prouver l’essence de l’homme. Admettons que C soit homme, et A l’essence de l’homme, c’est-à-dire animal-bipède ou quelque autre chose. Alors, si nous voulons faire un syllogisme, il est nécessaire que A soit attribué à tout B. Mais cette prémisse aura un nouveau moyen terme, qui par suite sera aussi l’essence de l’homme. L’argument pose donc ce qu’il faut prouver, puisque B aussi est l’essence de l’homme.

Mais c’est le cas où il y a seulement les deux prémisses, c’est-à-dire quand les prémisses sont premières et immédiates, qu’il faut considérer, car c’est ainsi qu’on pourra élucider le mieux ce que nous disons.

Ainsi, ceux qui prouvent l’essence de l’âme, ou l’essence de l’homme, ou quelque autre réalité par des termes réciprocables, font une pétition de principe : si, par exemple, on prétendait que l’âme a en soi-même la cause de sa propre existence, et que ce qui a en soi-même la cause de sa propre existence est un nombre se mouvant soi-même ; car il faut alors postuler que l’âme est dans son essence un nombre qui se meut soi-même, en ce sens qu’il y a identité parfaite de l’âme et de ce nombre. En effet, si A est un [91b] simple conséquent de B, et B de C, A ne sera pas la substance de C, mais il sera seulement ce qu’il était vrai de dire de C. Il en est de même si A affirmé de tout B, en tant que B, est identique à une espèce de A : l’essence de l’animal est affirmée de l’essence de l’homme (puisqu’il est vrai que, dans tous tes cas, l’essence de l’homme est l’essence de l’animal, de même qu’il est vrai aussi que tout homme est animal), mais non pas comme identique à l’essence de l’homme.

Nous concluons donc que, à moins de prendre les deux prémisses comme nous l’avons dit, on ne peut pas conclure que A est l’essence et la substance de C. Seulement, si on les prend de cette façon, en assumant B on aura assumé, antérieurement à la conclusion, que B est la substance de C. Il en résulte qu’il n’y a pas eu de démonstration : on n’aura fait qu’une pétition de principe.



5[modifier]

La méthode de division n’arrive pas non plus à conclure, ainsi que nous l’avons dit dans l’analyse relative aux figures. En effet, on n’obtient jamais d’une façon nécessaire que telle chose soit parce que telles autres choses sont : la division, ne démontre pas plus que l’induction. C’est qu’il ne faut pas que la conclusion soit une interrogation, ni qu’elle dépende d’une concession de l’adversaire ; mais il est nécessaire qu’elle soit, quand les prémisses sont données, même si celui qui répond la nie. On demande, par exemple : l’homme est-il animal ou être inanimé ? On pose ensuite, mais on ne conclut pas, qu’il est animal. On ajoute qu’à son tour, tout animal, sans exception, est ou pédestre ou aquatique, et on pose que l’homme est pédestre.

En outre, que l’homme soit l’ensemble de ces deux notions, autrement dit animal-pédestre, ne résulte pas nécessairement de ce qu’on a dit, mais c’est là encore un nouveau postulat. Peu importe, du reste, que la division se fasse par un l^rand nombre ou par un petit nombre de différences : dans les deux cas, c’est le même raisonnement. Pour ceux qui procèdent par cette méthode, l’emploi de la division est à ce point inutile qu’ils ne peuvent même pas conclure les vérités qui pourraient être démontrées par syllogisme. Car, qu’est-ce qui empêche que cet ensemble ne soit vrai de l’homme, et cependant n’en indique ni l’essence, ni la substance ? Qu’est-ce qui garantit qu’on n’ajoute pas quelque chose à l’essence, ou qu’on n’en retranche pas quelque chose, ou enfin qu’on ne passe pas par dessus un caractère essentiel ?

Ce sont là assurément des défauts, dira-t-on, mais on peut les éviter si on prend tous les éléments contenus dans l’essence, et si, après avoir postulé l’élément premier, on continue par la division la série ininterrompue des termes, sans en omettre aucun. Et ces conditions doivent être forcément remplies, puisque la division doit aboutir à ce qui est spécifiquement indivisible.

Mais pourtant, répondrons-nous, il n’y a pas en cela syllogisme et si la division nous fait connaître quelque chose, c’est d’une autre façon. Et il n’y a là rien d’étonnant, car sans doute l’induction n’est pas davantage une démonstration, et cependant elle montre quelque chose. Mais on ne fait pas de syllogisme quand on tire de la division la définition. Car, de même que dans les conclusions obtenues sans leurs moyens termes, si on dit que telles prémisses étant données il faut nécessairement que telle chose soit, on peut demander pourquoi : ainsi en est-il aussi dans les définitions qui s’appuient sur la division. Par exemple : quelle est l’essence de l’homme ? Animal, mortel, qui a des pieds, bipède, sans ailes. [92a] Mais pourquoi ? peut-on demander à chaque addition d’un nouvel attribut. On dira, et on démontsera même (du moins on le croit) par la division, que tout animal est ou mortel ou immortel. Mais une telle formule, dans sa totalité, n’est pas une définition. De telle sorte que, même en supposant qu’on puisse la démontrer par la division, de toute façon la définition ne devient pas conclusion.



6[modifier]

Mais est-ce qu’il est encore possible de démontrer la définition qui exprime l’essence d’une chose, en procédant cette fois par hypothèse, c’est-à-dire en posant, d’une part, que la substance d’une chose est constituée par les éléments propres de son essence, et, d’autre part, que ces éléments sont les seuls contenus dans l’essence et que leur ensemble est propre à la chose ? Car c’est en quoi consiste l’essence de la chose.

Ne serait-ce pas plutôt que, là encore, la substance est postulée dans cette prémisse, puisque la preuve doit se faire nécessairement par le moyen terme ?

En outre, de même que dans le syllogisme on ne pose pas comme prémisse ce qu’est le syllogisme lui-même (puisque toujours l’une des prémisses dont le syllogisme est constitué, est à l’égard de l’autre comme le tout à la partie), ainsi la substance ne doit pas non plus être contenue dans le syllogisme, mais elle doit être en dehors des prémisses posées. C’est seulement à celui qui doute si la conclusion est ou non syllogistique, qu’il faut répondre qu’elle l’est parce qu’elle est conforme à la définition que nous avions posée du syllogisme ; et c’est seulement à celui qui doute que la conclusion soit la substance, qu’il faut répondre qu’assurément elle l’est parce qu’elle est conforme à la définition de la substance que nous avions posée. Par suite, on doit pouvoir, même sans la définition du syllogisme ou sans celle de la substance, obtenir une conclusion.

Il en est de même dans la preuve par hypothèse du type suivant. Si l’essence du Mal consiste dans la divisibilité, et si l’essence du contraire d’une chose (dans le cas des choses qui ont un contraire) est le contraire de l’essence de la chose, alors, si le Bien est le contraire du Mal, et l’indivisible du divisible, il en résulte que l’essence du Bien consiste dans l’indivisibilité. C’est là une pétition de principe, car on ne démontre encore ici qu’en posant l’essence comme prémisse, et comme une prémisse posée en vue de démontrer la substance.

Pourtant, dira-t-on, c’est une autre substance ?

Je l’admets, car, dans les démonstrations aussi, nous posons comme prémisse que telle chose est attribuée à telle autre ; seulement, le terme attribué n’est ni le même que le majeur, ni identique à lui par la définition ou convertible avec lui.

En outre, à l’égard des deux sortes de preuves, la preuve par division et la preuve par un syllogisme tel que nous venons de le décrire, on est en présence de la même difficulté : pourquoi l’homme serait-il animal-bipède-pédestre, et non animal et pédestre ? En effet, des prémisses adoptées il ne résulte aucune nécessité que le prédicat forme une unité : il peut en être comme dans le cas où musicien et grammairien sont attribués au même homme.



7[modifier]

Comment donc, en définissant, prouvera-t-on la substance ou essence ? On ne peut pas, comme quand ou démontre en partant de propositions dont la vérite est concédée, montrer que, telles choses étant, quelque autre chose est nécessairement, car c’est là une démonstration ; on ne pourra pas montrer non plus, comme dans l’induction, en s’appuyant sur l’évidence des cas particuliers, que le tout est ainsi parce que aucun des cas particuliers n’est autrement : car l’induction ne prouve pas ce qu’est la chose, mais [92b] qu’elle a ou n’a pas quelque attribut. Quelle autre méthode nous reste-t-il donc ? Car, à coup sûr, on ne peut pas prouver l’essence par la sensation ou en la montrant du doigt.

De plus, comment par la définition prouvera-t-on l’essence ? Nécessairement, en effet, quand on sait ce qu’est l’homme, ou tout autre chose, on sait aussi qu’il est, car pour ce qui n’est pas, personne ne sait ce qu’il est : on peut seulement savoir ce que signifie le discours ou le nom, comme lorsque je dis bouc-cerf, mais ce qu’est un bouc-cerf, il est impossible de le savoir. Mais, en outre, si la définition peut prouver ce qu’est une chose, peut-elle aussi prouver qu’elle existe ? Et comment prouvera-t-elle à la fois essence et existence par le même raisonnement, puisque la définition, de même que la démonstration, fait connaître une seule et unique chose ? Or, ce qu’est l’homme est une chose, et le fait que l’homme existe en est une autre.

Ensuite nous soutenons que c’est nécessairement par une démonstration qu’on montre qu’une chose quelconque est, à l’exception de la seule substance. Or, l’être n’est jamais la substance de quoi que ce soit, puisqu’il n’est pas un genre. La démonstration aura donc pour objet que la chose est. Et c’est bien là ce que font actuellement les sciences : le géomètre pose la signification du terme triangle, mais il prouve qu’il a tel attribut. Qu’est-ce alors qu’on prouvera on définissant l’essence ? Sera-ce le triangle ? Alors, en connaissant par définition ce qu’est une chose, on ne saura pas si elle existe, ce qui est impossible.

Il est clair encore, si nous considérons les méthodes nctuelles de définition, que la définition ne prouve pas que la chose définie existe, puisque, même s’il y a quelque chose qui soit équidistant d’un centre, cependant pourquoi la chose définie existerait-elle ? Pourquoi, en d’autres termes, serait-ce là la définition du cercle ? On pourrait aussi bien dire que c’est celle de Forichalque. Car les définitions ne vont pas jusqu’à démontrer que la chose définie puisse exister, ni qu’elle est ce qu’on prétend définir : il est toujours possible de demander le pourquoi.

Puis donc que définir c’est montrer soit ce qu’est la chose, soit ce que signifie son nom, nous pouvons en conclure que la définition, si elle ne’ prouve absolument pas ce qu’est la chose, ne sera qu’un discours ayant la même signification que le nom. Mais c’est là une absurdité. D’abord, en effet, il y aurait définition et de ce qui n’est pas substance et de ce qui n’existe pas du tout, puisqu’on peut exprimer par un nom, même des choses qui n’existent pas. En outre, tous les discours seraient des définitions, puisqu’on pourrait toujours imposer un nom à un discours quelconque, de sorte que tout ce que nous dirions ne serait que définition et que l’Iliade même serait une définition. Enfin, aucune démonstration ne pouvant prouver que tel nom signifie telle chose, les définitions par suite ne nous font pas connaître cela non plus.

En vertu de ces considérations, il ne semble donc pas que ni la définition et le syllogisme soient une seule et même chose, ni que l’objet de la définition et celui du syllogisme soient identiques ; il résulte en outre que la définition ne démontre ni ne prouve rien, et que l’essence ne peut être connue ni par définition, ni par démonstration.



8[modifier]

Nous devons examiner à nouveau quelles sont cela [93a] les de ces conclusions qui sont fondées et quelles Hont celles qui ne le sont pas, quelle est la nature de la définition, et si l’essence peut en un certain sens être objet de démonstration, ou si c’est absolument impossible.

Ainsi que nous l’avons dit, connaître ce qu’est une chose revient à connaître la cause de son existence, et la raison de ceci, c’est qu’une chose doit avoir une cause. En outre, cette cause est soit identique à l’essence, soit autre qu’elle, et c’est dans le cas seulement où sa cause est distincte d’elle que l’essence peut être soit démontrable, soit indémontrable. Par conséquent, si la cause est autre que l’essence, et la démonstration possible, la cause est nécessairement le moyen terme, et la preuve se fait dans la première figure, attendu que la conclusion prouvée est à la fois universelle et affirmative. Ainsi la méthode que nous venons d’exposer serait la première façon d’arriver au but que nous poursuivons : c’est de démontrer l’essence par une autre. En effet, des conclusions contenant des essences doivent être nécessairement obtenues par un moyen qui soit lui-même une essence, comme les attributs propres le sont par un moyen propre ; de sorte que des deux substances de la même chose, on prouvera l’une et on ne prouvera pas l’autre.

Nous avons dit plus haut que cette méthode ne peut pas constituer une démonstration, mais qu’il s’agit là seulement d’un syllogisme dialectique de l’essence. Reprenons donc la question à son point de départ, et expliquons de quelle façon on peut démontrer l’essence. Quand nous avons connaissance du fait, nous recherchons le pourquoi, et, bien que parfois le fait et le pourquoi nous soient connus simultanément, il n’est cependant pas possible de savoir le pourquoi avant le fait ; de même, il est évident que la substance d’une chose ne va pas sans son existence, car il est impossible de connaître ce qu’est une chose quand on ignore si elle existe.

De plus, nous avons la connaissance qu’une chose existe ou non, tantôt en appréhendant un élément essentiel de la chose, tantôt par accident, comme, par exemple, quand nous savons seulement que le tonnerre est un bruit des nuages, l’éclipse une privation de lumière, l’homme une espèce d’animal, et l’âme ce qui se meut soi-même. Toutes les fois que c’est par accident que nous savons que la chose existe, nous sommes nécessairement dans une complète ignorance en ce qui concerne l’essence, puisque nous ne savons même pas véritablement que la chose existe, et chercher ce qu’est.une chose sans savoir qu’elle existe, c’est assurément ne rien chercher du tout. Par contre, dans les cas où nous appréhendons un élément de la chose, la recherche de l’essence est plus aisée. Il en résulte que mieux nous connaissons qu’une chose existe, mieux aussi nous sommes aptes à connaître son essence.

Parlons donc des choses dont nous connaissons un élément de l’essence, et commençons par l’exemple suivant. Admettons que A signifie éclipse, C la Lune, et B interposition de la Terre. Rechercher s’il y a éclipse ou non, c’est chercher si B se produit ou non, ce qui ne diffère en rien de rechercher s’il y a une raison pour A. Et si cette raison existe, nous disons que A aussi existe. Autre exemple : on peut rechercher lequel des deux membres d’une contradiction la raison détermine: rend-elle les angles d’un triangle égaux ou non égaux à deux droits ? Quand nous avons trouvé, nous savons simultanément le fait et le pourquoi, à la condition que les prémisses soient immédiates ; si elles ne le sont pas, nous connaissons le fait, mais non le pourquoi comme dans l’exemple suivant. Soit C la Lune, A éclipse, et B l’incapacité, à l’époque de la pleine Lune, de projeter une ombre, bien qu’aucun corps apparent ne soit interposé entre nous et la Lune. Si donc B, l’incapacité de projeter une ombre, bien qu’aucun [93b] corps ne soit interposé entre nous et la Lune, appartient à C, et A, subir une éclipse, à B, il est évident que la Lune subit une éclipse, mais on ne voit pas encore pourquoi ; et que l’éclipse existe, nous le savons, mais ce qu’elle est, nous ne le savons pas. Mais une fois qu’il est clair que A appartient à C, chercher le pourquoi de cette attribution c’est chercher ce qu’est B : est-ce l’interposition de la Terre, ou la rotation de la Lune, ou l’extinction de sa lumière ? Mais ce nouveau moyen terme est la définition même de l’autre extrême, c’est-à-dire, dans ces exemples, de A : car l’éclipse n’est autre chose que l’interposition produite par la Terre. Ainsi encore : Qu’est-ce que le tonnerre ? C’est l’extinction du feu dans un nuage, revient à : Pourquoi tonne-t-il ? Du fait que le feu s’éteint dans le nuage. Soit C nuage, A tonnerre, et B extinction du feu. Alors, B appartient à C, nuage, parce que le feu s’éteint en lui ; et A, bruit, appartient à B ; et B est assurément la définition de A, le grand extrême. S’il faut encore un autre moyen terme comme cause de B, ce sera l’une des définitions restantes de A.

Nous avons donc établi comment on atteint l’essence et comment on parvient à la connaître ; et nous voyons que, bien qu’il n’y ait pas de syllogisme, autrement dit de démonstration, de l’essence, pourtant c’est par syllogisme, c’est-à-dire par démonstration, que l’essence est connue. Nous concluons que, sans démonstration, il n’est pas possible de connaître l’essence d’une chose qui a une cause autre qu’elle-même, et qu’elle ne peut pas non plus être démontrée, ainsi que nous l’avons indiqué dans nos discussions préliminaires.



9[modifier]

Certaines choses ont une cause autre qu’elles-mêmes, tandis que, pour d’autres choses, leur cause n’est pas distincte d’elles-mêmes. D’où il est évident que, parmi les essences aussi, il y en a qui sont immédiates, autrement dit sont principes, et ces essences on doit supposer non seulement qu’elles sont, mais encore ce qu’elles sont, ou les faire connaître d’une autre façon. C’est précisément ce que fait l’arithméticien, puisqu’il suppose à la fois et ce qu’est l’unité et que l’unité est. D’autre part, pour les choses qui ont un moyen terme, c’est-à-dire une cause autre que leur substance, il est possible, de la façon que nous avons expliquée, de montrer leur essence par démonstration, sans pourtant la démontrer.



10[modifier]

Puisque la définition est regardée comme le discours qui explique ce qu’est une chose, il est clair que l’une de ses espèces sera un discours expliquant ce que signifie le nom, autrement dit un discours purement nominal différent de celui qui exprime l’essence : ce sera, par exemple, ce que signifie le terme triangle, ce qu’est une figure en tant que nommée triangle. Quand nous savons que le triangle est, nous cherchons pourquoi il est. Or, il est difficile ainsi d’appréhender la définition de choses dont nous ne savons pas l’existence, la cause de cette difficulté étant, comme nous l’avons dit plus haut, que nous ne connaissons que par accident si la chose existe ou non. En outre, un discours est un de deux façons : soit en vertu d’un simple lien, comme l’Iliade, ou parce qu’il exprime un seul prédicat d’un seul sujet autrement que par accident.

Voilà donc une première définition de la définition : c’est celle que nous venons de donner. Une autre espèce de définition est le discours qui montre pourquoi la chose est. Ainsi, la première donne une signification, mais ne prouve pas, tandis que la seconde [94a] sera évidemment une quasi-démonstration de l’essence, ne différant de la démonstration que par la position de ses termes. Car il y a une différence entre dire pourquoi il tonne et dire ce qu’est le tonnerre : dans le premier cas, on dira que c’est parce que le feu s’éteint dans les nuages, tandis que, pour établir ce qu’est le tonnerre, on dira que c’est le bruit du feu s’éteignant dans les nuages. Ainsi, c’est le même discours qui prend une forme différente : dans l’une, c’est une démonstration continue, dans l’autre une définition.

On peut encore définir le tonnerre comme du bruit dans les nuages, ce qui est la conclusion de la démonstration de l’essence.

Enfin, la définition des termes immédiats est une donnée indémontrable de l’essence.

Nous concluons que la définition est, en un premier sens, un discours indémontrable de l’essence ; en un second sens, un syllogisme de l’essence ne différant de la démonstration que par la position des termes ; et, en un troisième sens, la conclusion de la démonstration de l’essence.

On voit donc, d’après ce que nous avons dit : en premier lieu, en quel sens il y a, et en quel sens il n’y a pas démonstration de l’essence, à quelles choses elle s’applique et à quelles choses elle ne s’applique pas ; en second lieu, en combien de sens est prise la définition, en quel sens elle montre l’essence et en quel sens elle ne la montre pas, à quelles choses elle s’applique et à quelles choses elle ne s’applique pas ; enfin, quel est le rapport de la définition à la démonstration, et comment elle peut s’appliquer au même objet qu’elle et comment elle ne le peut pas.



11[modifier]

Nous pensons connaître quand nous savons la cause. Or, les causes sont au nombre de quatre : en premier lieu, l’essence ; en second lieu, que certaines choses étant données, une autre suit nécessairement ; en troisième lieu, le principe du mouvement de la chose ; et, en quatrième lieu, la fin en vue de laquelle la chose a lieu. D’où toutes ces causes peuvent servir de moyen terme à la preuve.

En effet, que telle chose étant donnée, il en résulte nécessairement que ceci est, c’est ce qu’on ne peut démontrer à l’aide d’une seule prémisse, mais il en faut au moins deux ; c’est-à-dire que ces deux propositions doivent avoir un seul moyen terme. Ainsi, cet unique moyen terme une fois posé, la conclusion suit nécessairement. On peut encore le montrer par l’exemple suivant : pourquoi l’angle inscrit dans le demi-cercle est-il droit ? ou bien : de quelle donnée suit-il que c’est un angle droit ? Ainsi, admettons que A soit angle droit, B moitié de deux angles droits, et C angle inscrit dans le demi-cercle. Alors B est la cause en vertu de laquelle A, angle droit, appartient à C, angle inscrit dans le demi-cercle, puisque B est égal à A, et C à B, car C est la moitié de deux angles droits. Donc B, moitié de deux angles droits, est la donnée de laquelle il suit que A appartient à C, c’est-à-dire, avons-nous dit, que l’angle inscrit dans le demi-cercle est droit. De plus, B est identique à la substance de A, puisqu’il est ce que la définition de A signifie ; or nous avons déjà montré que le moyen est la substance comme cause.

D’autre part, pourquoi les Mèdes ont-ils fait la guerre aux Athéniens! signifie : quelle est la cause de la guerre faite aux Athéniens ? et la réponse est: [94b] parce que les Athéniens avaient attaqué Sardes avec les Eréthriens, puisque c’est ce fait qui a déclenché la guerre. Admettons que A signifie guerre, B avoir attaqué en agresseurs, et C les Athéniens. Alors B, avoir attaqué en agresseurs, appartient à C, les Athéniens, et A à B, puisqu’on fait la guerre à l’injuste agresseur. Ainsi A, faire la guerre, appartient à B, ceux qui ont commencé les premiers, et B à C, les Athéniens, car ce sont eux qui ont commencé d’abord. Donc, ici aussi, la cause, autrement dit le principe du mouvement, est le moyen terme.

Il en est de même pour les cas où la cause est la cause finale. Par exemple, pourquoi se promène-t-on ? Afin de se bien porter, et pourquoi une maison existe-t-elle ? Afin de préserver les biens. Dans le premier cas, la cause finale est la santé, dans le second la préservation des biens. Mais entre demander pourquoi il faut se promener après dîner, et demander en vue de quelle fin il faut le faire, il n’y a aucune différence. Soit C signifiant la promenade après dîner, B le fait pour les aliments de ne pas rester sur l’estomac, et A se bien porter. Admettons alors que le fait de se promener après dîner possède la propriété d’empêcher les aliments de rester à l’orifice de l’estomac, et que ce soit là une chose bonne pour la santé : car il semble bien que B, le fait pour les aliments de ne pas rester sur l’estomac, appartient à C, le fait de se promener, et que A, ce qui est sain, appartient à B. Quelle est donc la cause par laquelle A, la cause finale, appartient à C ? C’est B, le fait de ne pas rester sur l’estomac. Mais B est une sorte de définition de A, puisque c’est par lui qu’on rendra compte de A. Mais pourquoi B est-il la cause de l’attribution de A à C ? Parce que c’est se bien porter que d’être dans un état tel que B. Il faut transposer les définitions, et de cette façon tout deviendra plus clair. Seulement, l’ordre du devenir est ici l’inverse de ce qu’il est dans les causes du mouvement : dans l’ordre des causes efficientes, le moyen terme doit se produire le premier, tandis que, dans l’ordre des causes finales, c’est le mineur C qui est le premier, et ce qui vient en dernier lieu c’est la cause finale.

Il peut se faire d’ailleurs que la même chose à la fois existe en vue d’une fin et qu’elle soit le produit de la nécessité  : par exemple, pourquoi la lumière traverse la lanterne. C’est, d’abord, parce que ce qui est composé de particules plus petites passe nécessairement au travers des pores plus grands, en supposant bien entendu que la lumière se produise au dehors par pénétration ; et, en second lieu, c’est en vue d’une fin, à savoir pour que nous ne nous heurtions pas. Si donc une chose peut exister par deux causes, ne peut-elle pas aussi devenir par deux causes : comme, par exemple, si le tonnerre est un sifflement et un bruit nécessairement produit par l’extinction du feu dans les nuages, et s’il a aussi pour fin, comme l’assurent les pythagoriciens, de menacer les habitants du Tartare afin de leur inspirer de la crainte ? Des exemples de ce genre sont du reste très nombreux, et principalement dans les êtres dont le devenir et la constitution sont naturels, car la nature produit tantôt en vue d’une fin, tantôt par nécessité.

Or, la nécessité est de deux sortes. L’une est conforme à la tendance naturelle d’une chose ; l’autre procède par violence [95a] et contrairement à la tendance : par exemple, c’est par nécessité que la pierre se porte et vers le haut et vers le bas, mais ce n’est pas par la même nécessité.

Quant aux productions de l’intelligence, les unes, comme par exemple une maison ou une statue, ne sont jamais dues au hasard ni à la nécessité, mais sont toujours faites en vue d’une fin, les autres, telles que la santé et la conservation, peuvent aussi résulter de la fortune. C’est surtout dans celles qui peuvent être ainsi et autrement (mais seulement dans les cas où la production ne dépend pas de la fortune, de telle sorte que la fin est bonne) qu’un résultat est dû à une fin, que ce soit dans la nature ou dans l’art. D’autre part, rien de ce qui dépend de la fortune ne se produit en vue d’une fin.



12[modifier]

Quand il s’agit de faits, soit en train de se produire, soit passés, soit futurs, la cause est exactement la même que dans les êtres (car c’est le moyen terme qui est cause), avec cette différence que, pour les êtres, la cause est, tandis que pour les faits présents elle devient, pour les faits passés elle est passée, et pour les faits futurs elle est future. Par exemple, pourquoi l’éclipse a-t-elle eu lieu ? parce que l’interposition de la terre a eu lieu ; l’éclipse a lieu, parce que l’interposition de la Terre a lieu ; l’éclipse aura lieu, parce que l’interposition aura lieu ; et l’éclipse est, parce que l’interposition est. Autre exemple : qu’est-ce que la glace ? Admettons que ce soit de l’eau congelée, et figurons eau par C, congelée par A, et le moyen, qui est cause, par B, savoir le défaut total de chaleur. Donc B appartient à C, et A, la congélation, à B : la glace se forme quand B se produit, elle est formée quand B s’est produit, elle se formera quand B se produira.

Cette sorte de cause et son effet deviennent simultanément, quand ils sont en train de devenir, et ils existent simultanément, quand ils existent ; et s’ils sont passés, et s’ils sont futurs, il en est de même. Mais dans les cas où il n’y a pas simultanéité de la cause et de l’effet, est-ce que des choses peuvent, comme il nous le semble bien, être causes d’autres choses, dans un temps continu, un effet passé résultant d’une cause passée différente de lui-même, un effet futur d’une cause future différente, et un effet en devenir d’une cause différente et antérieure à lui ? Mais alors, c’est du fait postérieur dans le passé que part le syllogisme, (bien que les événements postérieurs aient, en fait, pour origine les événements antérieurs, ce qui montre bien encore que, dans le cas d’événements en devenir, le raisonnement a le même point de départ). Au contraire, à partir du fait antérieur il n’y a pas de syllogisme possible (nous ne pouvons pas conclure, par exemple, que parce que tel fait passé est arrivé, tel autre fait passé est arrivé postérieurement, et, pour les événements futurs, il en est de même) : en effet, que le temps intermédiaire entre la cause et effet soit indéterminé ou déterminé, il ne sera jamais possible de conclure que, par cela seul qu’il est vrai de dire que tel événement passé s’est produit, il soit vrai de dire que tel autre événement passé postérieur s’est produit : car, dans l’intervalle de l’un à l’autre, ce dernier énoncé sera faux, bien que le premier événement se soit déjà produit. Le raisonnement est encore le même quand il s’agit du futur : on ne peut pas non plus conclure que, parce que tel événement s’est produit, un événement futur se produira ; le moyen doit, en effet, appartenir au même genre que les extrêmes, passé quand les extrêmes sont passés, futur quand ils sont futurs, en devenir quand ils sont en devenir, étant quand ils sont ; or, avec des extrêmes respectivement passé et futur, il ne peut pas y avoir de moyen terme homogène. Une autre raison encore, c’est que le temps intermédiaire ne peut être ni déterminé, ni indéterminé, puisque l’énoncé sera faux pendant tout ce temps.

Nous avons [95b] aussi à examiner la nature de ce qui assure la continuité des événements de telle sorte que, dans les choses mêmes, à l’événement passé succède l’événement en devenir. Il est évident, peut-on dire, qu’un événement présent n’est pas contigu à un événement passé, puisqu’un événement passé ne peut même pas l’être à un événement passé, les événements passés étant des limites et des indivisibles : de même que les points ne sont pas contigus les uns aux autres, les événements passés ne le sont pas non plus, car, dans les deux cas, ce sont des indivisibles. Pas davantage un événement présent ne peut être contigu à un événement passé, et ce, pour la même raison, car le devenir présent est divisible et l’événement passé indivisible. Ainsi la relation du devenir présent à l’événement passé est analogue à celle de la ligne au point, puisqu’une infinité de faits passés se trouve contenue dans ce qui est en train de devenir. Ces questions doivent d’ailleurs être traitées d’une façon plus explicite dans notre théorie générale du Mouvement. Pour rendre compte de quelle manière, en supposant que le devenir soit une série d’événements consécutifs, le moyen est identique à la cause, bornons-nous aux considérations suivantes. Nécessairement, même dans ces syllogismes, le moyen et le majeur doivent former une prémisse immédiate. Par exemple, nous disons que puisque C a eu lieu, A a eu lieu : et C a eu lieu le dernier, et A le premier ; mais le principe du raisonnement est C, parce qu’il est le plus rapproché de ce qui a lieu présentement, et que le point de départ du temps est le présent. Nous disons ensuite que C est arrivé, si D est arrivé. Nous concluons alors que, puisque D a eu lieu, A a nécessairement eu lieu. Et la cause est C, car ; puisque D a eu lieu, C doit nécessairement avoir eu lieu, et si C a eu lieu, A doit nécessairement avoir eu lieu auparavant. En prenant de cette façon le moyen terme, la série s’arrêtera-t-elle, à un moment donné, à une prémisse immédiate, ou bien un nouveau moyen terme viendra-t-il toujours s’insérer, parce qu’il y en a une infinité, étant donné, ainsi que nous l’avons dit, qu’un événement passé n’est pas contigu à un événement passé ? Il faut néanmoins partir d’une prémisse formée du moyen et du présent majeur.

Il en est de même encore des événements futurs, puisque s’il est vrai de dire que D existera, il doit être antérieurement vrai de dire que A existera, et la cause de cette conclusion est C ; car si D doit exister dans le futur, C existera avant lui, et si C doit exister dans le futur, A existera avant lui. Et, ici encore, c’est la même division à l’infini, puisque les événements futurs ne sont pas contigus les uns aux autres ; mais, ici encore, il faut prendre comme principe une prémisse immédiate.

Et il en est bien ainsi dans la réalité : si une maison a été construite, nécessairement des pierres doivent avoir été taillées et extraites. Pourquoi cela ? Parce que des fondations ont nécessairement été faites, puisqu’ une maison a été construite ; et, s’il y a eu des fondations, il a fallu nécessairement que des pierres aient été taillées auparavant. De même, s’il doit y avoir une maison dans le futur, des pierres devront être également taillées auparavant ; et la preuve a lieu par le moyen terme, de la même façon, car les fondations existeront avant la maison.

Mais comme nous observons dans la nature des choses une sorte de génération circulaire, cela aussi se retrouve dans la démonstration, si le moyen et les extrêmes se suivent réciproquement, puisque, dans ce cas, la conversion a lieu. Or, cela, à savoir, la convertibilité des conclusions et des prémisses, [96a] a été démontré dans nos précédents chapitres, et la génération circulaire en est un exemple. Dans la réalité elle-même, voici comment elle se manifeste. Quand la terre a été mouillée, il s’élève nécessairement une vapeur ; une fois cette vapeur produite, c’est un nuage qui s’est formé ; ce dernier étant formé, c’est la pluie ; et quand la pluie est tombée, la terre est nécessairement mouillée : or c’était là précisément notre point de départ, de sorte qu’on a bouclé le cercle, puisque de l’un quelconque de ces termes une fois donné un autre suit, de ce dernier un autre, et de cet autre le premier.

Il v a certains événements qui se produisent universellement (car toujours et dans tous les cas ils sont, ou ils deviennent ce qu’ils sont) ; pour d’autres, c’est non pas toujours, mais seulement le plus souvent : par exemple, le mâle, chez l’homme, n’a pas toujours de la barbe au menton, mais il en a la plupart du temps. Dans des cas de ce genre, il faut nécessairement que le moyen terme ait aussi ce caractère d’être le plus souvent. En effet, si A est affirmé universellement de B, et B universellement de C, il est nécessaire aussi que A soit toujours et dans tous les cas affirmé de C, puisque c’est la nature de l’universel que d’être attribué dans tous les cas et toujours. Ici, au contraire, nous avons supposé seulement qu’il s’agissait de ce qui arrive le plus souvent ; il faut donc nécessairement aussi que le moyen terme, représenté par B, arrive seulement le plus souvent. Il y aura donc également pour les conclusions qui sont le plus souvent, des principes immédiats : ce sont les conclusions qui sont ou se produisent le plus souvent de cette façon-là.



13[modifier]

Nous avons rendu compte antérieurement de la façon dont l’essence se manifeste dans les termes d’une démonstration, et de quelle façon il y a ou non démonstration ou définition de l’essence. Indiquons à présent par quelle méthode il faut rechercher les prédicats contenus dans l’essence.

Parmi les attributs qui appartiennent toujours à une chose, certains ont une extension plus grande qu’elle, tout en ne s’étendant pas au-delà du genre (par attributs à extension plus grande, j’entends ceux qui, tout en appartenant universellement à un sujet, appartiennent cependant aussi à un autre). Par exemple, tandis qu’il y a un attribut qui appartient à toute triade et qui cependant appartient aussi à ce qui n’est pas une triade (comme l’être appartient à la triade, mais aussi à ce qui n’est pas du tout un nombre), l’impair, par contre, est à la fois un attribut de toute triade et un attribut à extension plus grande qu’elle (puisqu’il appartient aussi à la pentade), mais il ne s’étend pas au-delà du genre, puisque la pentade est un nombre et que rien, en dehors du nombre, n’est impair. Ce sont des attributs de cette nature que nous devons prendre, en nous arrêtant au point précis où chacun d’eux aura une extension plus grande que le sujet, mais où leur totalité sera coextensive avec lui, car cette totalité est nécessairement la substance même de la chose. Par exemple, toute triade a comme attributs d’être un nombre, un nombre impair, et aussi un nombre premier dans les deux sens du terme : c’est-à-dire, non seulement comme n’étant divisible par aucun nombre, mais encore comme n’étant pas une somme de nombres. C’est là précisément ce qu’est la triade : un nombre impair premier, et premier au double sens du terme, car ces attributs, pris séparément, appartiennent, les deux premiers, à tous les nombres impairs, et le dernier aussi bien à la dyade qu’à la triade, tandis que, pris collectivement, ils n’appartiennent à aucun autre sujet que la triade. [96b] Mais puisque nous avons montré plus haut que sont des prédicats nécessaires les prédicats contenus dans l’essence, et que les attributs universels sont nécessaires, et puisque les attributs que nous prenons comme appartenant à la triade, ou à tout autre sujet constitué de cette façon, sont affirmés comme appartenant à son essence, la triade possédera ainsi ces attributs d’une manière nécessaire.

En outre, que la substance de la triade soit constituée par la collection de ces attributs, voici qui va le montrer. Si, en effet, ce n’était pas là l’essence de la triade, il faudrait nécessairement que ce fût, par rapport à la triade, comme une sorte de genre, soit nommé, soit innomé, qui par suite aurait une extension plus grande que la triade : car il faut admettre que le genre a pour caractère de posséder, tout au moins en puissance, une plus grande extension que son contenu. Si donc cet ensemble d’attributs n’appartient à aucun autre sujet que les triades individuelles, il sera l’essence même de la triade, car nous pouvons admettre encore que. la substance de chaque sujet est cette sorte d’attribution dernière qui s’applique aux individus. Il en résulte que tout autre ensemble d’attributs ainsi démontrés sera, semblablement, identique à l’essence même du sujet.

Il faut, quand on veut traiter quelque sujet qui est un tout, diviser le genre en ses espèces infimes indivisibles, par exemple le nombre en triade et en dyade, et ensuite essayer d’appréhender, de la façon que nous avons indiquée, la définition de ces espèces infimes, par exemple celle de la ligne droite, du cercle ou de l’angle droit ; après cela, ayant établi ce qu’est leur genre, s’il appartient par exemple à la quantité ou à la qualité, on doit considérer les propriétés particulières du genre, au moyen des propriétés communes et premières des espèces. En effet, puisque les espèces particulières dont le genre est composé ont été définies, on saura par ces définitions elles-mêmes quels sont les attributs essentiels du genre : en effet, le principe de toutes ces notions est la définition, c’est-à-dire ce qui est simple, et les attributs appartiennent essentiellement et uniquement à ces espèces simples, tandis qu’ils n’appartiennent au genre que par leur intermédiaire. Les divisions qui se font par les différences spécifiques sont une aide utile pour procéder comme on vient de le dire. Quant à leur force probante, nous l’avons indiquée plus haut  ; nous allons montrer ici qu’elles peuvent seulement servir à conclure l’essence. Assurément elles pourraient sembler ne servir à rien d’autre que de poser toute chose d’une manière immédiate, à la façon dont on pose un postulat initial sans division. Mais l’ordre des prédicats, suivant que l’un est affirmé le premier ou le dernier, n’est pas indifférent : ce n’est pas la même chose, par exemple, de dire animal-apprivoisé-bipède et de dire bipède-animal-apprivoisé. En effet, si tout ce qui est définissable est composé de deux éléments, et que animal-apprivoisé forme une unité, et si cette notion à son tour, jointe à une différence, constitue l’homme (ou une autre chose quelconque devenant une seule notion), c’est alors que les éléments posés ont nécessairement été atteints par la division.

De plus, la division est la seule méthode possible pour éviter de ne rien omettre dans l’essence. En effet, le premier genre étant posé, si on prend l’une des divisions inférieures, la chose à diviser ne tombera pas tout entière sous cette division : par exemple, ce n’est pas tout animal qui est ou à ailes pleines ou à ailes divisées, mais seulement tout animal ailé, car c’est à cette dernière notion que la [97a] différenciation appartient. Mais la première différenciation d’animal doit être celle sous laquelle tout animal tombe. Il en est de même pour tous les autres genres, aussi bien pour les genres en dehors du genre animal que pour les genres qui lui sont subordonnés : par exemple, dans ce dernier cas, la première différenciation d’oiseau est celle sous laquelle tombe tout oiseau, de poisson celle sous laquelle tombe tout poisson. Ainsi, en procédant de cette façon, nous pouvons être assurés que rien n’a été oublié ; mais procéder autrement conduit nécessairement à des omissions, sans même qu’on en ait connaissance.

Il n’est nullement besoin, pour définir et diviser, de connaître la totalité des êtres. Cependant certains prétendent qu’il est impossible de connaître les différences distinguant chaque chose de chacune des autres choses, sans connaître chacune de ces autres choses ; ils ajoutent qu’on ne peut pas connaître chaque chose sans connaître ses différences, puisque ce dont une chose ne diffère pas est identique à cette chose, et que ce dont elle diffère est autre qu’elle-même.

Mais, d’abord, cette dernière assertion est fausse : une chose n’est pas autre qu’une autre selon toute espèce de différence, car beaucoup de différences appartiennent à des choses spécifiquement identiques sans pour cela intéresser la substance, ni être essentielles. Ensuite, quand on a pris des opposés et une différence et qu’on a admis que tout le contenu du genre tombe sous l’un ou sous l’autre opposé, et que le sujet qu’on cherche à définir est présent dans l’un d’eux, et qu’on le connaisse véritablement, alors peu importe qu’on connaisse ou qu’on ne connaisse pas tous les autres sujets dont les différences sont aussi affirmées. Il est clair, en effet, que si, en poursuivant ainsi la division, on arrive aux sujets qui ne sont plus susceptibles de différenciation, on possédera la définition de l’essence. En outre, poser que tout le contenu du genre tombe sous la division n’a rien d’un postulat illégitime, s’il s’agit d’opposés qui n’ont pas d’intermédiaire ; car il faut nécessairement que tout ce qui rentre dans le genre se trouve dans l’une des deux parties de la division, si c’est bien la différence de ce genre qu’on a prise.

Pour constituer une définition par divisions, il faut observer trois règles : prendre les prédicats contenus dans l’essence ; ensuite les ranger dans leur ordre, dire quel est le premier ou le second ; et enfin les prendre tous sans exception.

La première de ces conditions est réalisable, parce que, de même que pour l’accident nous pouvons conclure qu’il appartient à la chose, on peut de la même façon établir le genre et la différence par le genre.

D’autre part, les attributs seront rangés dans l’ordre convenable si on prend comme premier le terme qu’il faut, et car le second terme sera le premier des termes restants, et le troisième le premier des termes suivants, puisque, une fois retranché le terme le plus élevé, le terme restant qui vient après sera le premier. Et ainsi de suite.

Quant à l’énumération complète de tous les attributs, elle résulte clairement de notre façon de procéder : nous avons pris la différence qui vient en premier lieu dans la division , de sorte que tout animal, par exemple, est ou ceci ou cela, et que l’un de ces attributs lui appartient Ensuite, de ce tout nous avons pris la différence, et montré que, pour le dernier tout, il n’y a plus de différence, c’est-à-dire que, aussitôt que nous avons pris la dernière différence pour former le composé, ce composé n’admet plus aucune division en espèces. Il est évident, en effet, d’une part, qu’on n’a rien ajouté [97b] en trop, puisque tous ces termes que nous avons pris font partie de l’essence ; d’autre part, qu’on n’a rien omis non plus, puisque le terme manquant serait ou un genre ou une différence : or ce qui a été posé en premier lieu et pris avec ses différences, c’est le genre, et, de leur côté, les différences sont toutes comprises, puisqu’il n’y a plus aucune différence ultérieure : sinon, en effet, le composé ultime différerait spécifiquement de la définition, alors que nous avons dit qu’il n’en différait pas.

En résumé, il faut commencer par prendre en considération un groupe d’individus semblables entre eux et indifférenciés, et rechercher quel élément tous ces êtres peuvent avoir d’identique. On doit ensuite en faire autant pour un autre groupe d’individus qui, tout en rentrant dans le même genre que les premiers, sont spécifiquement identiques entre eux, mais spécifiquement différents des premiers. Une fois que, pour les êtres du second groupe, on a établi quel est leur élément identique à tous, et qu’on en a fait autant pour les autres, il faut considérer si, à leur tour, les deux groupes possèdent un élément identique, jusqu’à ce qu’on atteigne une seule et unique expression, car ce sera là la définition de la chose. Si, par contre, au lieu d’aboutir à une seule expression, on arrive à deux ou à plusieurs, il est évident que ce qu’on cherche à définir ne peut pas être unique mais qu’il est multiple. Je prends un exemple. Si nous avons à chercher l’essence de la fierté, il faut porter notre attention sur quelques hommes fiers, bien connus de nous, et considérer quel élément ils ont tous en commun, en tant que tels ; par exemple, si Alcibiade était fier, ou Achille et Ajax, on se demandera quel élément leur est commun à tous : c’est de ne pouvoir supporter un affront ; et, en effet, c’est là ce qui a conduit le premier à la guerre, le second à la colère, et le dernier au suicide. Nous examinerons à leur tour d’autres cas, Lysandre, par exemple, ou Socrate. Et alors, s’ils, ont en commun l’indifférence à la bonne et à la mauvaise fortune, on prend ces deux éléments communs et on considère quel élément ont en commun l’égalité d’âme à l’égard des vicissitudes de la fortune et l’impatience à supporter le déshonneur. S’il n’y en a aucun, c’est qu’il y aura deux espèces de fierté.

En outre, toute définition est toujours universelle : le médecin ne dit pas seulement ce qui est sain pour un œil en particulier, mais il l’indique pour tous les yeux, ou du moins pour une espèce d’yeux déterminée.

Il est aussi plus facile de définir l’espèce particulière que l’universel, et voilà pourquoi on doit passer des espèces particulières aux genres universels ; une autre raison encore, c’est que les homonymies échappent davantage à l’attention dans les genres universels que dans les espèces qui n’admettent plus de différences. Or, de même que dans les démonstrations il faut au moins la force concluante, ainsi dans les définitions faut-il de la clarté. Et on y parviendra si, au moyen des groupes particuliers que nous avons constitués, on peut obtenir séparément la définition de chaque espèce (par exemple, la définition du semblable, non pas en général, mais seulement dans les couleurs et les figures ; la définition de l’aigu, mais seulement dans la voix), et si ou s’avance ainsi vers l’élément commun, en prenant bien soin de ne pas tomber dans l’homonymie. J’ajoute que si, dans la discussion dialectique, on doit éviter les métaphores, il est tout aussi évident qu’on ne doit non plus se servir dans la définition ni de métaphores, ni d’expressions métaphoriques, sinon la dialectique devrait aussi employer des métaphores.



14[modifier]

Pour bien présenter les problèmes à résoudre, [98a] il importe de choisir les sections et les divisions.

La méthode de sélection consiste à poser le genre qui est commun à tous les sujets étudiés : par exemple, si ce sont des animaux, quelles sont les propriétés qui appartiennent à tout animal. Celles-ci une fois acquises, c’est au tour de la première des classes restantes : on se demande quels sont les conséquents qui appartiennent à cette classe tout entière ; si c’est, par exemple, l’oiseau, quelles sont les propriétés appartenant à tout oiseau ; et ainsi de suite, en s’attachant toujours aux propriétés de la classe la plus proche. Il est évident que nous serons dès lors capables de dire en vertu de quel caractère les classes qui sont subordonnées au genre commun possèdent leurs attributs : par exemple, en vertu de quel caractère l’homme ou le cheval possède ses attributs. Admettons que A soit animal, B les attributs de chaque animal, et CDE certaines espèces d’animal. On voit alors clairement en vertu de quel caractère B appartient à D : c’est en vertu de A ; et c’est aussi par A qu’il appartient aux autres espèces. Et pour les autres classes, c’est toujours la même règle qui s’applique.

Nous venons de prendre des exemples parmi les choses qui ont reçu un nom commun, mais nous ne devons pas borner là notre examen : si nous avons observé encore quelque autre attribut commun, il nous faut, après l’avoir pris, voir ensuite de quelles espèces il est l’attribut et quelles propriétés lui appartiennent. Par exemple, dans les animaux qui ont des cornes, nous relevons comme propriétés communes le fait de posséder un troisième estomac et de n’avoir de dents qu’à une mâchoire. La question à se poser ensuite, c’est: de quelles espèces la possession des cornes est-elle un attribut ? car on voit en vertu de quoi les attributs en question appartiendront à ces animaux : ce sera par le fait d’avoir des cornes. Il y a enfin une autre méthode, c’est le choix d’après l’analogie : il n’est pas possible, en effet, de trouver un seul et même nom, pour désigner l’os de la seiche, l’arête et l’os proprement dit, et pourtant toutes ces choses possèdent des attributs qui leur appartiennent comme si elles étaient d’une seule et même nature de cette sorte.



15[modifier]

Certains problèmes à résoudre sont identiques, parce qu’ils possèdent un seul et même moyen, par exemple parce que tout ce qui compose le groupe de faits à prouver est un effet de réaction.

Parmi ces problèmes eux-mêmes, certains sont identiques seulement par le genre ; ce sont ceux qui ne diffèrent entre eux que parce qu’ils concernent des sujets différents, ou encore par leur mode de manifestation : c’est le cas, si on demande la cause de l’écho, ou la cause de la réflexion des images, ou la cause de l’arc-en-ciel. Tous ces problèmes ne sont, en effet, génériquement qu’une seule et même question (puisque tous ces phénomènes sont des formes de répercussion) ; mais ils diffèrent spécifiquement.

Pour d’autres problèmes, leur différence consiste seulement en ce que le moyen terme de l’un est subordonné au moyen terme de l’autre : par exemple, pourquoi le Nil coule-t-il plus abondamment à la fin du mois ? parce que le mois est plus humide à son déclin. Mais pourquoi le mois est-il plus humide à son déclin ? parce que la Lune décroît. Le rapport mutuel de ces faits est bien celui que nous indiquons.



16[modifier]

En ce qui concerne la cause et son effet, on pourrait se demander si, quand l’effet est présent, la cause aussi est présente : si, par exemple, une plante perdant ses feuilles ou la Lune s’éclipsant, la cause de l’éclipse ou de la chute des feuilles se trouvera aussi présente, à savoir, dans le premier cas, le [98b] fait de posséder de larges feuilles, et, dans le cas de l’éclipse, l’interposition de la Terre.

En effet, pourrait-on dire, si cette cause n’est pas présente, quelque autre chose sera la cause de ces phénomènes ; si la cause est présente, l’effet existera en même temps : par exemple, quand la Terre s’interpose il y a éclipse, et quand les feuilles sont larges il y a chute des feuilles ; mais, s’il en est ainsi, la cause et l’effet seront simultanés et pourront se démontrer l’un par l’autre. Admettons, en effet, que perdre ses feuilles soit représenté par A, avoir de larges feuilles par B, et vigne par C. Si A appartient à B (car toute plante à feuilles larges perd ses feuilles), et si B appartient à C (car toute vigne est une plante à feuilles larges), alors A appartient à C, autrement dit toute vigne perd ses feuilles, et c’est le moyen terme B qui est cause. Mais on peut aussi démontrer que la vigne est une plante à feuilles larges parce qu’elle perd ses feuilles. Admettons que D signifie plante à larges feuilles, F perdre ses feuilles, et G vigne. Alors F appartient à G (car toute vigne perd ses feuilles), et D à F (puisque toute plante qui perd ses feuilles est une plante à larges feuilles) ; donc toute vigne est une plante à feuilles larges, et c’est le fait de perdre ses feuilles qui est cause.

Mais s’il n’est pas possible que ces termes soient causes l’un de l’autre (car la cause est antérieure à ce dont elle est cause, et c’est l’interposition de la Terre qui est cause de l’éclipse, et non pas l’éclipse cause de l’interposition de la Terre), si alors la démonstration par la cause est celle du pourquoi, et la démonstration qui ne procède pas par la cause celle du simple fait, quand on connaît par l’éclipse on connaît seulement le fait de l’interposition, mais on n’en connaît pas le pourquoi. En outre, que l’éclipse ne soit pas la cause de l’interposition, mais bien l’interposition celle de l’éclipse, c’est là une chose évidente, puisque dans la définition même de l’éclipse se trouve contenue l’interposition de la Terre ; il en résulte évidemment que c’est l’éclipse qui est connue par l’interposition de la Terre, et non pas l’interposition de la Terre par l’éclipse. Mais est-il possible que pour un seul effet, il y ait plusieurs causes ? En effet, pourrait-on dire, si le même prédicat est affirmé de plusieurs choses prises comme sujets premiers, B par exemple étant le sujet premier de l’attribut A, et C un autre sujet premier de A, et D et E d’autres sujets premiers de B et de C respectivement, alors A appartiendra à D et à E, et B sera la cause de l’attribution de A à D, et C de l’attribution de A à E. Ainsi, la cause étant présente, il est nécessaire que l’effet soit ; mais l’effet existant, il n’est pas nécessaire que tout ce qui peut en être cause existe ; ce qui est nécessaire c’est qu’une cause existe et non pas toutes les causes.

Ne serait-ce pas plutôt que, puisque la question à résoudre est toujours universelle, non seulement la cause sera une totalité, mais encore l’effet sera aussi universel ? Par exemple, le fait de perdre ses feuilles appartiendra exclusivement à un sujet qui est un tout, et, même si ce tout a des espèces, universellement à ses espèces aussi, soit à toutes les espèces de plantes, soit à une espèce particulière de plantes. Ainsi, dans ces syllogismes, il doit y avoir adéquation du moyen terme et de ses effets, c’est-à-dire qu’ils doivent être convertibles l’un dans l’autre. Par exemple, pourquoi les arbres perdent-ils leurs feuilles ? En supposant que ce soit par la coagulation de l’humidité, alors si un arbre perd ses feuilles, la coagulation doit être présente, et si la coagulation est présente, non pas dans n’importe quoi mais dans un arbre, l’arbre doit perdre ses feuilles.



17[modifier]

[99a] Est-il possible que la cause d’un même effet ne soit pas la même dans tous les sujets, mais différente ? Ou bien est-ce impossible ? Peut-être est-ce impossible, si l’effet est démontré comme appartenant essentiellement à la chose, et non pas seulement comme signe ou comme accident de la chose, puisque le moyen est alors la définition du majeur ; par contre, si la démonstration ne porte pas sur l’essence, la multiplicité des causes est alors possible. On peut assurément considérer un effet et son sujet en tant que formant une union accidentelle ; pourtant il semble bien que ce ne soit pas là des problèmes proprement dits. Si cependant une liaison accidentelle est acceptée comme objet de problème, le moyen sera semblable aux extrêmes : si ces derniers sont homonymes, le moyen sera homonyme, et s’ils sont génériquement uns, le moyen le sera aussi. Par exemple, pourquoi les termes d’une proportion sont-ils convertibles ? La cause est différente pour les lignes, et pour les nombres, mais elle est au fond aussi la même : en tant que ce sont des lignes, elle est autre, mais en tant qu’impliquant un accroissement déterminé, elle est la même. Il en est ainsi dans toutes les proportions. Par contre, la cause de la similitude entre couleur et couleur est autre que celle entre figure et figure ; car la similitude est ici un terme homonyme signifiant sans doute, dans le dernier cas, la proportionnalité des côtés et l’égalité des angles, et, dans le cas des couleurs, l’unité de la sensation qui les perçoit, ou quelque autre chose de ce genre. Mais les choses qui sont les mêmes seulement par analogie auront le moyen également analogue. La vérité est que la cause, l’effet et le sujet sont réciproquement affirmés l’un de l’autre de la façon suivante. Si on prend les espèces séparément, l’effet a une extension plus grande que le sujet (par exemple, avoir les angles externes égaux à quatre angles droits est un attribut qui s’étend au delà du triangle ou du carré), mais si on prend les espèces dans leur totalité, l’effet leur est coextensif (l’attribut est coextensif, dans cet exemple, à toutes les figures dont les angles externes sont égaux à quatre droits). Et le moyen se réciproque de la même façon, car le moyen est une définition du majeur ; et c’est pourquoi aussi, toute science part d’une définition.

Par exemple, le fait de perdre ses feuilles est en même temps un attribut de la vigne et un attribut d’une extension plus grande qu’elle ; c’est aussi un attribut du figuier, et un attribut d’une extension plus grande que lui. Mais cet attribut ne dépasse pas la totalité des espèces, il leur est au contraire coextensif. Si alors on prend le moyen qui est premier à partir du majeur, c’est là une définition du fait de perdre ses feuilles. En effet, on aura d’abord un moyen terme premier à partir du mineur, et une prémisse affirmant ce moyen de la collectivité du sujet, et, après cela, un moyen, à savoir la coagulation de l’humidité, ou quelque autre chose de cette sorte. Qu’est-ce donc alors que perdre ses feuilles ? C’est la coagulation de la semence génératrice au point de jonction des feuilles à la branche.

Si on demande une représentation schématique de la liaison de la cause et de son effet, voici celle que nous proposons. Admettons que A appartienne à tout B, et B à chacune des espèces de D, mais de telle façon que A et B soient d’une, extension plus grande que leurs sujets respectifs. Alors B sera un attribut universel de chacune des espèces de D (car j’appelle un tel attribut « universel », même s’il n’est pas réciprocable, et je l’appelle un attribut premier universel s’il est réciprocable, non pas avec chacune des espèces, mais avec leur totalité), et il s’étend en dehors de chacune d’elles prises séparément. Ainsi, B est la cause de l’attribution de A aux espèces de D ; en conséquence, A doit être d’extension plus grande que B, sinon pourquoi B serait-il la cause de l’attribution de A à D, plutôt que A la cause de l’attribution de B à D ? Maintenant, si A appartient à toutes les espèces de E, toutes les espèces de E formeront une unité du fait de posséder une cause commune autre que B, sans quoi comment serions-nous capables de dire que A est prédicable de tout ce dont E est prédicable, alors que E n’est pas prédicable de tout ce dont A est [99b] prédicable ? Pourquoi n’y aurait-il pas quelque cause de l’attribution de A à E, comme il y en avait une de l’attribution de A à toutes les espèces de D ? Mais alors les espèces de E formeront, elles aussi, une unité par la possession d’une cause qui doit être également considérée, et qu’on peut désigner par C.

Nous concluons alors que le même effet peut avoir plus d’une cause, mais non dans des sujets spécifiquement identiques. Par exemple, la cause de la longévité chez les quadrupèdes est le manque de fiel, et, chez les oiseaux, la sécheresse de leur constitution ou quelque cause différente de celle des quadrupèdes.



18[modifier]

Si on ne parvient pas sur-le-champ à des prémisses immédiates, et qu’il y ait non pas simplement un seul moyen terme, mais plusieurs, autrement dit si les causes sont multiples, est-ce que, parmi les moyens, la cause de l’attribution de la propriété aux différentes espèces est le moyen qui se rapproche le plus du terme universel et premier, ou celui qui se rapproche le plus des espèces ? Il est évident que sont causes les moyens les plus rapprochés de chaque espèce prise séparément dont ils sont causes, puisque la cause c’est ce qui fait que le sujet est contenu sous l’universel. Admettons, par exemple, que C soit la cause de l’attribution de B à D : il s’ensuit que C est la cause de l’attribution de A à D, B celle de l’attribution de A à C, tandis que la cause de l’attribution de A à B est B lui-même.



19[modifier]

En ce qui concerne le syllogisme et la démonstration, on voit clairement l’essence de l’un et de l’autre, ainsi que la façon dont ils se forment ; on le voit aussi en même temps pour la science démonstrative, puisqu’elle est identique à la démonstration même.

Quant aux principes, ce qui nous apprendra clairement comment nous arrivons à les connaître et quel est l’habitus qui les connaît, c’est la discussion de quelques difficultés préliminaires.

Nous avons précédemment indiqué qu’il n’est pas possible de savoir par la démonstration sans connaître les premiers principes immédiats. Mais au sujet de la connaissance de ces principes immédiats, des questions peuvent être soulevées : on peut se demander non seulement si cette connaissance est ou n’est pas de même espèce que celle de la science démonstrative, mais encore s’il y a ou non science dans chacun de ces cas ; ou encore si c’est seulement pour les conclusions qu’il y a science, tandis que pour les principes il y aurait un genre de connaissance différent ; si enfin les habitus qui nous font connaître les principes ne sont pas innés mais acquis, ou bien sont innés mais d’abord latents.

Mais que nous possédions les principes de cette dernière façon, c’est là une absurdité, puisqu’il en résulte que tout en ayant des connaissances plus exactes que la démonstration nous ne laissons pas de les ignorer. Si, d’autre part, nous les acquérons sans les posséder antérieurement, comment pourrons-nous les connaître et les apprendre, sans partir d’une connaissance préalable ? C’est là une impossibilité, comme nous l’avons indiqué également pour la démonstration. Il est donc clair que nous ne pouvons pas posséder une connaissance innée des principes, et que les principes ne peuvent non plus se former en nous alors que nous n’en avons aucune connaissance, ni aucun habitus. C’est pourquoi nous devons nécessairement posséder quelque puissance de les acquérir, sans pourtant que cette puissance soit supérieure en exactitude à la connaissance même des principes.

Or, c’est là manifestement un genre de connaissance qui se retrouve dans tous les animaux, car ils possèdent une puissance innée de discrimination que l’on appelle perception sensible. Mais bien que la perception sensible soit innée dans tous les animaux, chez certains il se produit une persistance de l’impression sensible qui ne se produit pas chez les autres. Ainsi les animaux chez qui cette persistance n’a pas lieu, ou bien n’ont absolument aucune connaissance au-delà de l’acte même de percevoir, ou bien ne connaissent que par le sens les objets dont l’impression ne dure pas ; au contraire, les animaux chez qui se produit cette persistance retiennent encore, après la sensation, l’impression [100a] sensible dans l’âme.

Et quand une telle persistance s’est répétée un grand nombre de fois, une autre distinction dès lors se présente entre ceux chez qui, à partir de la persistance de telles impressions, se forme une notion, et ceux chez qui la notion ne se forme pas. C’est ainsi que de la sensation vient ce que nous appelons le souvenir, et du souvenir plusieurs fois répété d’une même chose vient l’expérience, car une multiplicité numérique de souvenirs constitue une seule expérience. Et c’est de l’expérience à son tour (c’est-à-dire de l’universel en repos tout entier dans l’âme comme une unité en dehors de la multiplicité et qui réside une et identique dans tous les sujets particuliers) que vient le principe de l’art et de la science, de l’art en ce qui regarde le devenir, et de la science en ce qui regarde l’être.

Nous concluons que ces habitus ne sont pas innés en nous dans une forme définie, et qu’ils ne proviennent pas non plus d’autres habitus plus connus, mais bien de la perception sensible. C’est ainsi que, dans une bataille, au milieu d’une déroute, un soldat s’arrêtant, un autre s’arrête, puis un autre encore, jusqu’à ce que l’armée soit revenue à son ordre primitif : de même l’âme est constituée de façon à pouvoir éprouver quelque chose de semblable.

Nous avons déjà traité ce point, mais comme nous ne l’avons pas fait d’une façon suffisamment claire, n’hésitons pas à nous répéter. Quand l’une des choses spécifiquement indifférenciées s’arrête dans l’âme, on se trouve en présence d’une première notion universelle ; car bien que l’acte de perception ait pour objet l’individu, la sensation n’en porte pas moins sur l’universel : c’est l’homme, par exemple, [100b] et non l’homme Callias. Puis, parmi ces premières notions universelles, un nouvel arrêt se produit dans l’âme, jusqu’à ce que s’y arrêtent enfin les notions impartageables et véritablement universelles : ainsi, telle espèce d’animal est une étape vers le genre animal, et cette dernière notion est elle-même une étape vers une notion plus haute.

Il est donc évident que c’est nécessairement l’induction qui nous fait connaître les principes, car c’est de cette façon que la sensation elle-même produit en nous l’universel. Quant aux habitus de l’entendement par lesquels nous saisissons la vérité, puisque les uns sont toujours vrais et que les autres sont susceptibles d’erreur, comme l’opinion, par exemple, et le raisonnement, la science et l’intuition étant au contraire toujours vraies ; que, d’autre part, à l’exception de l’intuition, aucun genre de connaissance n’est plus exact que la science, tandis que les principes sont plus connaissables que les démonstrations, et que toute science s’accompagne de raisonnement : il en résulte que des principes il n’y aura pas science. Et puisque, à l’exception de l’intuition, aucun genre de connaissance ne peut être plus vrai que la science, c’est une intuition qui appréhendera les principes. Cela résulte non seulement des considérations qui précèdent, mais encore du fait que le principe de la démonstration n’est pas lui-même une démonstration, ni par suite une science de science. Si donc nous ne possédons en dehors de la science aucun autre genre de connaissance vraie, il reste que c’est l’intuition qui sera principe de la science. Et l’intuition est principe du principe lui-même, et la science tout entière se comporte à l’égard de l’ensemble des choses comme l’intuition à l’égard du principe.