Sermon du cordelier aux soldats

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Sermon du Cordelier aux Soldats, ensemble la responce des soldats au cordelier.

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Sermon du Cordelier aux Soldats, ensemble la responce des Soldats au Cordelier, recueillis de plusieurs bons autheurs catholiques.
Lisez hardiement, car il n’y a pas d’heresie.
À Paris, imprimé par Nicolas Lefranc, demeurant vis-à-vis les Cordeliers.
M.DC.XXII.
In-81.

Sermon du Cordelier aux soldats.

Un cordelier tomba entre les mains
D’aucuns soldats, non pas trop inhumains,
Qui luy ont dit : Frère, qu’on se despeche :
Fay nous icy quelque beau petit presche
Pour resjouyr la compagnie toute.

Le cordelier, qui leur parler escoute
Sans s’estonner, ne leur refusa poinct,
Et pour prescher commença en ce poinct :

Je ne sçaurois assez vous collauder,
Messieurs, dit-il ; je veux bien asseurer
Que vostre train, pur, innocent et munde,
À cil de Christ ressemble estant au monde.

Premièrement, il hantoit les meschans :
Sy faictes-vous, et les allez cherchans ;
Il ne fuyoit les noces et banquetz :
À table on oit nuict et jour vos caquetz ;
À luy venoient paillards et publicains :
Avecques vous sont tousjours les putains ;
En croix pendu fut avec les larrons :
En tel estat de bref nous vous verrons ;
Puis vous sçavez qu’aux enfers descendit :
Vous aurez bien un semblable credit ;
Il en revint, puis au ciel s’envola :
Mais vous jamais ne bougerez de là.
Voilà sans faute, en oraison petite,
De vostre estat la louange deduicte.

La Responce des Soldats.

Ces bons soldats, ayant bien escouté
Du cordelier le sermon effronté,
L’un print propos, disant en ceste sorte :
Heu ! compagnons, que nul ne se transporte
Hors de ce lieu tant qu’auray respondu
Au bon sermon de ce moine tondu.
Escoutez tous. Premierement, il dict
Que les meschans ont vers nous grand credit.

Confesser faut que sommes mal vivans,
Que la plupart de ceux qu’allons cherchans
Aussi pour nous nous montrent les effects
De ce en quoy l’on nous tient pour suspects.

Mais qui commet des maux en plus de guise
Que vous, moines, vous disant gens d’eglise ?
Soubz vostre habit marqué de saincteté,
Passans le temps en toute oysiveté,
Et si allez suivans les bonnes tables,
Estant assis en pères venerables,
Où vous vuidez tasses et gobeletz,
Où vous mangez les frians morceletz,
Chapons, perdrix sautant de broche en bouche2,
Et en bruslant la langue qui les touche,
Vous vous plaignez (sans que je le deguise)
Qu’avez du mal à servir saincte eglise3.

Après pastez, andouilles aux espices,
Les cervelats et les bonnes saucisses,
Les bons jambons et belles eschinées4
Qui sont pendus à l’air des cheminées,
Que vous nommez les aiguillons de vin,
Les arrousant de mainte beau latin :
Temoings en sont vos belles rouges trognes,
Vos beaux rubis et ces gros nez d’yvrognes,
Nez que tousjours ceste eau benite lave
Qu’on va querir au profond de la cave ;
Nez qu’on peut dire estre assez buvatif,
Nez coloré de teinct alteratif,
Nez dont je dis que mesme la roupie
Pisse tousjours vin de théologie,
Nez vrais gourmetz de vos très sainctz desirs,
Seuls alembics de vos plus beaux plaisirs.
Nez par qui sont seurement annoncez
L’aigre, le doux, l’esvent et le poussé5.
Nez qui chantent les très grandes merveilles
Du vin hoché à deux ou une oreilles6.
Nez suce-vin, vaillans roys des bouteilles,
Nez rougissans comme roses vermeilles,
Nez que je dis vrays nez de cardinal,
Vos heures sont et vostre doctrinal ;
Nez vrays miroërs de zèle sorbonique
Qui ne pensa jamais estre heretique ;
Nez vrays supports de nostre mère Eglise,
Très dignes nez, que l’on les canonise :
Le beau rebec, la belle cornemuse,
Dont la ronflante, harmonieuse muse,
Du blanc, du teinct et du clairet enflée,
Ose hardiement, voire d’une soufflée,
Le dieu Bacchus, avec tous ses enfans,
Je dis mesme jusqu’aux plus triomphans,
Ce dieu qui est assis sur un poinçon,
Desfier à beaux coups de gros flacons.

Voilà comment vous vivez en prelatz,
En regardant du monde les debatz ;
Et nous, soldats, portons les corseletz,
Tandis que vous vuydez les gobeletz ;
Avons en main harquebuses ou picques,
Et vous, messieurs, croix d’or ou des reliques ;
Couchons souvent sur paille ou terre dure,
Souffrant la faim, soif, chaleur ou froidure,
Puis assaillis dans quelque forte place,
Puis assaillans l’ennemy plein d’audace,
Nous endurons des maux en mainte guyse
Pour deffendre ces sainctes gens d’eglise,
Qui cependant meritez paradis,
Pour vous et nous chantans De profundis
En vos manoirs et plaisantes demeures,
Où soustenez, comme en cavernes seures,
Les grands larrons, meurtriers et parricides ;
Putiers, putains, perjures, homicides,
Incestueux, sodomites damnables,
Pour de l’argent vous sont tous agreables.

Or, sus, allons : pendant que suis dispos,
Poursuivre faut ton troisième propos.
Tu nous as dict que les putains tousjour
Avec nous sont et y font leur sejour ;
Mais je voy bien, frater à rouge trogne,
Qu’en nous grattant tu n’as senti ta rongne.
Si quelque honte il te reste au museau,
Sçait-on trouver (dy-moy) plus grand bourdeau,
Où l’on commet d’ordures plus grand’somme,
Qu’en voz convens, vrays manoirs de Sodome ?
Vous, Cordeliers, Jacopins, Jesuites,
Carmes, Chartreux, Augustins hypocrites,
D’où vient cela qu’on vous nomme beaux pères ?
C’est qu’à l’ombre d’un joly crucifix
Gaignez souvent des filles ou des filz
En accoinctant vos sainctes belles-mères.
Quant aux parloirs et aux confessions,
Vous commetez vos dissolutions,
Attouchemens vilains et execrables,
Sales propos et faicts deraisonnables :
Là le peché s’abaisse jusqu’au centre,
Et les beaux fruits se font sentir au ventre
Que despescher faictes devant son jour
Avant que voir du beau monde l’entour,
Pour conserver la reputation
De l’ordre et de vostre religion,
Sçachant qu’il faut besoigner cautement,
Puis qu’on ne sçait soy tenir chastement.
Aussi avez au besoin vos novices
Qui ne sont pas ignorans de vos vices.
Hors des convens, bourgeoises, damoiselles,
Tombent aussi souvent dessoubz vos ailes ;
Et si de là il en sorte quelque ange,
C’est peu de cas, il ne vous semble estrange ;
Pas on n’accourt vous dire : « Tenez, frère,
Cest enfançon, vous en estes le père. »
La dame en rit, oyant crier : Papa !
Au pauvre Jean qui le père n’est pas.
Brief, frère gris, vous infectez le monde
Bien plus que nous de vostre ordure immonde,
Et pense bien que Sodome l’infecte
Auprès de vous sera dicte parfaicte.

Quatriemement, je l’ai bien entendu
Quand tu as dit que nous serons pendu
Au beau milieu des voleurs et larrons,
Et qu’un gibet pour sepulture aurons.
Mais telle mort nous servira de gloire,
Par cestuy-là qui en a eu victoire,
Tournant la croix en benediction
À ce brigant dont eut salvation,
En invoquant humblement ce Jesus,
Qui lui donna sans vous, moines tondus,
De ses pechez pleine remission,
Dont avoit fait humble confession
À cil qui seul les pouvoit pardonner,
Et sans argent paradis luy donner,
Car en ce temps ces moines bigarrez
N’estoient encor parmy le monde entrez ;
N’estoit sorty de l’abysme du puits
Ce saint François qui vous couva depuis,
Monstres malins, mordantes sauterelles,
Bruyant, portant partout playes mortelles :
Car sous un veu d’obeissance feinte
Tenez le monde en erreur et en crainte,
Et soubs couleur de fausse pauvreté
Mainte present au couvent est porté.

Mais, je vous pry, quels pauvres sont ceux-cy,
Tant bien logez, dormans sans nul soucy,
Très bien vestus et nourris gros et gras,
Sans travailler ni d’esprit ni des bras ?
Voz revenus, voz menus fruicts et rentes,
Terres et prez et vos bestes errantes,
Telle abondance, est-ce pauvreté saincte
Que pretendez par devotion feinte ?

Sy en larrons donc nous sommes pendus,
Vous, Cordeliers, devez estre esperdus,
Craignans qu’enfin ne soyons camarades,
Et que facions ensemble les gambades :
Car qui depend et dict n’avoir nul bien,
Ny d’en gaigner ne sçait aucun moyen,
Sy le nommer on veut par son droit nom,
Les payens mesme en feront un larron.
Sy ne pillez les vivans seulement,
Comme faisons ; mais les morts seurement
N’ont au sepulchre un asseuré repos,
Par vous, gourmans, qui leur rongez les os,
Et devorez, sous ombre d’oraisons,
Leurs orphelins et entières maisons,
Dont vous chantez, joyeux en vos soulaz.
Mais quelque jour ensuivront les helas
Pour tant avoir trompé de femmelettes,
Et pour deux glands attrappé leurs toilettes7,
Et pratiqué tant de fraudes pieuses
Qui sont enfin à Dieu tant ennuyeuses,
Qu’il a desjà ses bras forts estendus
Pour desoler ces gros frères tondus.

Or, pour la fin, voicy le dernier poinct8 :
Tu nous as dit qu’en enfer nous irons,
Et que de là jamais ne bougerons.
Mais, contemplant enfer au temps passé,
En son pourtraict j’y vis prestres assez.
Tu me diras : En quoy les as cogneus ?
Je te respons : Pour les voir tous tondus,
Ainsi que vous, messieurs les cordeliers.
Mais les soldats, encor que par milliers
Soyent escrottez, regardant ces figures,
Pas un n’en veis mis en ces pourtraictures.
Trop bien j’y veis aussy des femmelettes,
Mais on me dict que ce sont beguinettes
Qui avec vous n’ont faict difficulté
De dispenser leur veu de chasteté,
Dont m’esbahis comment si sainctes gens
Sont reservé en ces lieux de tourmens.

Et par ainsy je conclus que soldats
Plustost sauvés seront que tels prelats.
Voylà, frater, quel est le tesmoignage
Que je donray à vostre parentage.

Epilogue.

Mais, pour chasser toute melancolie
Et resjouir la bonne compagnie,
Sus, sus, soldats ! chantons joyeusement
Ces beaux huictains que nous apprit Clement,
Je dis Marot, qui le pot descouvrit,
Dont ces cagots creveront de despit.

Nos beaux peres religieux9,
Vous disnez pour un grand mercy.
Ô gens heureux ! ô demi-dieux !
Pleust à Dieu que fussions ainsy !
Comme nous vivrions sans soucy !
Car le veu qui l’argent vous oste,
Il est clair qu’il deffend aussy
Que ne payez jamais vostre oste.

Pause.

Voulez-vous voir un homme honneste ?
Attachez-moy une sonnette
Sur le front d’un moine crotté,
Une oreille à chaque costé
Au capuchon de sa caboche :
Voilà un sot de la basoche
Aussi bien peinct que sçauroit homme
Depuis Paris jusques à Rome.

Autre plus briefve response au sermon du Cordelier, contenant la conference ou plustost la difference de Jesus-Christ et de sainct François10.

Sainct François a suyvi la trace
(Ce dict des Cordeliers la race)
De Jesus-Christ, et contrefaict
Tout ce que Jesus-Christ a faict,
Et ne s’est trouvé en ce monde
Qu’un sainct François qui le seconde.

Jesus-Christ fut bien povre icy,
Et sainct Françoys le fut aussy,
Qui nous delegua sa besace.

Jesus-Christ seul, à sa menace,
Fit taire les vents et les eaux,
Nostre sainct Francois les oyseaux.

Jesus-Christ repeut cinq mille hommes,
Et sainct François, à qui nous sommes,
En entretient par son secours
Plus de dix mille tous les jours,
Gras, enbonpoinct, sans s’entremettre
De mestier où la main faut mettre.

Jesus aux enfers devala :
Saint Francois aussi y alla.

Jesus-Christ est monté en gloire,
Emportant d’enfer la victoire :
Ils sont differents en ce poinct,
Car sainct François n’en revint poinct.



1. Cette pièce a été réimprimée à Chartres, chez Garnier fils, en 1833, à trente exemplaires.

2. On trouve ici l’origine de cette locution connue, manger de la viande de broc en bouche, c’est-à-dire la manger toute chaude, sortant de la broche.

3. Dans ce vers et ce qui le précède, on trouve un souvenir évident de la jolie épigramme de Marot, le Service de Dieu :

Un gros prieur sommeilloit en sa couche
Tandis rôtir sa perdrix on faisoit ;
Se lève, crache, esmeutit et se mouche.
La perdrix vire au sel de broque en bouche
La devora : bien sçavoit la science ;
Puis, quand il eut pris sur sa conscience
Broc de vin blanc, du meilleur qu’on elise :
Mon Dieu, dit-il, donnez-moi patience !
Qu’on a de mal à servir sainte Eglise !

4. La pièce de chair qui se taille sur le dos du porc. C’est toujours le terga suis qu’Ovide nous montre pendu aux solives de la cabane de Philémon et Baucis. Au XVIIe siècle, « une échinée aux pois », c’étoit un des bons ragoûts des gens du peuple.

5. Le vin poussé est celui que le trop de chaleur a gâté.

6. C’est le vin à une oreille dont parle Rabelais (liv. 1er, ch. 5). Ce vers donne raison à Le Duchat, qui pensoit qu’on appeloit ainsi le bon vin qui faisoit hocher de la tête sur l’une et l’autre oreille en signe d’approbation.

7. Ce passage, qui nous a fort embarrassé, fait sans doute allusion aux glands de cette sorte d’écharpe dont, par dévotion pour le patron des Cordeliers, saint François d’Assise, la reine Anne de Bretagne avoit fait l’insigne de son ordre de la Cordelière, et qui par là, à la plus grande gloire des frères de S.-François, étoit devenue une parure recherchée des dames de la cour.

8. Le vers qui doit rimer avec celui-ci manque.

9. Ce huitain n’est pas de Marot, mais de Brodeau, poète tourangeau, son contemporain. C’est son épigramme à deux frères mineurs. (V. Œuvres de Marot, édit. Lenglet-Dufresnoy, t. 2, p. 261.) L’autre huitain n’est pas non plus de Clément Marot.

10. Dans un de ses colloques, Exequiæ Seraphicæ, Érasme a fait aussi un parallèle entre Jésus-Christ et saint François. On y lit, entre autres choses : Christus legem evangelicam promulgavit, Franciscus legem suam angeli manibus, bis descriptam, bis tradidit seraphicis fratribus.