Shirley/7

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Shirley
Traduction par Ch. Romey et A. Rolet.
Shirley et Shirley et Agnès GreyCh. Lahure et Cie (p. 109-125).

CHAPITRE VII.

Noé et Moïse.


Le lendemain, Moore, s’étant levé avant le jour, était allé à cheval à Whinbury et en était revenu avant que sa sœur eût fait le café au lait, ou coupé les tartines pour le déjeuner. Ce qu’il était allé faire, il ne le confia à personne. Hortense ne lui fit aucune question. Il n’était pas dans ses habitudes de commenter les mouvements de son frère, ni dans celles de celui-ci d’en rendre compte. Les secrets des affaires, mystères compliqués et souvent terribles, étaient ensevelis dans sa poitrine, et ne sortaient jamais de leur sépulcre, sinon de temps à autre pour épouvanter Joe Scott ou faire tressaillir de peur quelque correspondant étranger ; enfin une habitude de réserve générale sur tout ce qui était important semblait être naturelle chez lui.

Après le déjeuner, il se rendit au comptoir. Henri, le fils de Joe Scott, apporta les lettres et les journaux. Moore s’assit à son bureau, brisa les cachets des lettres et les parcourut. Elles étaient toutes brèves, mais non agréables, paraissait-il ; probablement fâcheuses, au contraire : car, lorsque Moore déposa la dernière, ses narines dilatées exprimaient une certaine colère railleuse et défiante, et, quoiqu’il ne se livrât à aucun soliloque, il y avait dans ses yeux une expression qui semblait invoquer le diable, et le charger d’emporter le commerce à la Géhenne. Cependant, ayant pris une plume qu’il dépouilla de ses barbes dans un accès de fureur de ses doigts, de ses doigts seulement, car son visage était calme, il traça une liasse de réponses, les cacheta et s’en fut faire un tour à la fabrique ; lorsqu’il revint, il s’assit pour lire son journal.

Le contenu ne paraissait pas d’un intérêt absorbant. Plus d’une fois il le plaça sur ses genoux, croisa ses bras et regarda dans le feu ; de temps en temps il tournait la tête du côté de la fenêtre ; par intervalles il regardait à sa montre ; enfin, son esprit semblait préoccupé. Peut-être pensait-il à la beauté du temps, car c’était une belle et douce matinée pour la saison, et désirait-il être au milieu des champs pour en jouir. La porte du comptoir était grande ouverte, la brise et le soleil entraient librement ; seulement le premier de ces visiteurs n’apportait aucun parfum sur ses ailes, mais de temps à autre une bouffée de la sulfureuse et noire fumée qui se précipitait de la haute cheminée de la fabrique.

Une sombre apparition (celle de Joe Scott, sortant d’une cuve de teinture) se montra un instant sur la porte ouverte, prononça les mots : « Il est venu, monsieur, » et disparut.

M. Moore ne leva pas les yeux de son journal. Un homme d’une taille élevée, aux larges épaules, aux membres solides, vêtu d’habits de futaine et portant des bas gris, entra, fut accueilli par un signe de tête et invité à prendre un siège ; ce qu’il fit, émettant la remarque, en ôtant son chapeau (un très-mauvais chapeau) qu’il plaça sous sa chaise et après s’être essuyé le front avec un mouchoir de poche de coton souillé extrait dudit chapeau, qu’il faisait extrêmement chaud pour une journée de février. M. Moore fit un signe d’assentiment ; au moins murmura-t-il quelques sons qui, quoique inarticulés, pouvaient passer pour un assentiment. Le visiteur déposa ensuite soigneusement à côté de lui le bâton officiel qu’il tenait à la main ; cela fait, il se mit à siffler, probablement par manière d’indiquer qu’il était à son aise.

« Vous avez ce qu’il vous faut, je suppose, dit M. Moore.

— Oui, oui, c’est bien. »

Il renouvela son sifflement, Moore sa lecture. Apparemment le journal était devenu plus intéressant. Bientôt cependant il se tourna vers le buffet qui était à portée de son bras, l’ouvrit sans se lever, en tira une bouteille noire, celle avec laquelle Malone avait fait connaissance, un gobelet, une cruche, les plaça sur une table et dit à son convive :

« Buvez un coup ; il y a de l’eau dans cette jarre, là au coin.

— Avec plaisir ; on a toujours soif le matin, dit le monsieur aux vêtements de futaine, se levant et faisant ce que Moore venait de lui dire. Ne prendrez-vous rien vous-même, monsieur Moore ? demanda-t-il en préparant sa mixture d’une main habile, puis, buvant un long coup, il se laissa retomber avec satisfaction dans sa chaise.

Moore, ordinairement sobre de paroles, répondit par un signe de tête négatif.

« Vous avez tort, continua le visiteur ; il n’y a rien de tel pour chasser l’ennui. Voilà d’excellent hollande ! vous le tirez de l’étranger, je pense !

— Oui.

— Croyez-moi, essayez d’en boire un verre. Ces garçons qui vont venir vont vous faire parler on ne sait combien de temps ; vous avez besoin de prendre des forces.

— Avez-vous vu M. Sykes ce matin ? demanda M. Moore.

— Je l’ai vu il y a une demi-heure, un quart d’heure peut-être, au moment où j’allais partir. Il m’a dit qu’il avait l’intention de venir ici, et je ne serais pas étonné d’y voir arriver aussi le vieux Helstone. J’ai vu que l’on sellait son cheval en passant derrière le presbytère. »

La prophétie était vraie, car cinq minutes après on entendit le trot du petit poney entrant dans la cour ; il s’arrêta, et une voix nasale bien connue cria :

« Garçon (s’adressant probablement au fils de Joe Scott), prends mon cheval et conduis-le à l’écurie. »

Helstone entra, le pas leste et le corps droit, paraissant plus brun, plus vif et plus gaillard que jamais.

« Belle matinée, Moore ! comment vous portez-vous, mon garçon ? Ah ! qui avons-nous donc ici (se tournant vers le personnage au bâton) ? Sugden ! Quoi ! vous allez vous mettre aussitôt à la besogne ? Sur ma parole, vous ne perdez pas de temps ! Mais je viens pour demander des explications ; on m’a remis votre message. Êtes-vous sûr d’être sur la vraie piste ? Comment entendez-vous mener cette affaire ? Vous êtes-vous procuré un ordre d’arrestation ?

— Sugden en a un.

— Alors, vous allez vous mettre à la poursuite du coupable ? Je vous accompagnerai.

— Cette peine vous sera épargnée, monsieur ; il vient me trouver ici. Vous me voyez attendant son arrivée.

— Et qui est-il ? Un de mes paroissiens ? »

Joe Scott entra sans être remarqué. Semblable à un fantôme, la moitié de sa personne teinte de la plus sombre couleur de l’indigo, il s’appuya contre le bureau. La réponse de son maître au recteur fut un sourire ; Joe prit la parole ; de l’air calme du chat qui aiguise ses griffes, il dit :

« C’est un de vos amis, monsieur Helstone ; un gentleman dont vous parlez souvent.

— En vérité ! Son nom, Joe ? Vous avez bonne mine ce matin.

— Oh ! seulement le révérend Moïse Barraclough, l’orateur du baquet, comme vous l’appelez quelquefois, je crois.

— Ah ! dit le recteur, prenant sa tabatière et aspirant une longue prise. Ah ! on n’aurait jamais supposé cela. Mais le vieux personnage ne fut jamais un de vos ouvriers, Moore ? Il est tailleur de son état.

— Je lui en veux d’autant plus d’intervenir dans mes affaires, et d’exciter contre moi les hommes que j’ai congédiés.

— Et Moïse était présent à l’affaire du marais de Stilbro’ ? Il y est allé avec sa jambe de bois ?

— Oui, monsieur, répondit Joe ; il y est allé à cheval, afin que sa jambe de bois ne le fît point reconnaître. Il était le capitaine et portait un masque ; les autres s’étaient seulement noirci la figure.

— Et comment a-t-il été découvert ?

— Je vais vous le dire, répondit Joe. Il faisait la cour à Sarah, la servante de M. Moore, qui, soit à cause de sa jambe de bois, soit à cause de son hypocrisie bien connue, ne semblait pas beaucoup l’encourager. Peut-être (car les femmes ont parfois d’étranges caprices, nous pouvons bien dire cela entre nous, il n’y a pas de femmes ici) peut-être l’eût-elle encouragé, en dépit de sa jambe de bois et de sa fausseté, pour passer le temps ; j’en ai connu qui en ont fait autant, et des plus jolies et des plus aimables encore ; oui, j’ai vu de ces charmantes et jeunes petites choses, qui paraissaient aussi délicates, aussi pures que les marguerites de la prairie, et qui, avec le temps, se sont trouvées n’être que de piquantes et venimeuses orties…

— Joe est un homme de bon sens, dit Helstone.

— Cependant, Sarah avait une autre corde à son arc : Frédéric Murgatroyd, un de nos garçons, en tient pour elle, et, comme les femmes jugent les hommes d’après leur visage, et que Frédéric a une jolie figure, tandis que Moïse est loin d’être beau, comme vous le savez tous, la fillette accueillit Frédéric. Il y a deux ou trois mois, Murgatroyd et Moïse se rencontrèrent un dimanche soir. Tous deux étaient venus rôder autour de la maison dans le but d’engager Sarah à faire avec eux un bout de promenade. Ils se querellèrent, une bataille suivit, et Frédéric fut fort maltraité ; car il est jeune et petit, et Barraclough, quoiqu’il n’ait qu’une jambe, est presque aussi fort que Sugden que voilà.

— Joe, vous êtes insupportable, interrompit M. Moore. Vous êtes aussi long dans vos explications que Moïse dans ses sermons. Toute l’histoire est que Murgatroyd était jaloux de Barraclough, et la nuit dernière, comme lui et un ami avaient cherché dans une grange un abri contre l’averse, ils entendirent et virent à l’intérieur Moïse en conférence avec ses associés. De leurs discours, il ressortait clairement qu’il avait été leur chef, non-seulement à Stilbro’, mais encore dans l’attaque contre la maison de Sykes ; de plus, ils organisèrent une députation qui doit me rendre visite ce matin, conduite par le tailleur, et qui, de la manière la plus respectueuse et la plus pacifique, doit m’engager à jeter hors de ma maison les maudites machines. Je me suis rendu ce matin à Whinbury, je me suis pourvu d’un mandat d’arrêt et d’un constable, et j’attends le moment de donner à mon ami la réception qu’il mérite ; mais voici Sykes ; monsieur Helstone, remontez-lui le moral : il s’effraye à l’idée de poursuites. »

On entendit le bruit d’un cabriolet dans la cour. M. Sykes entra ; c’était un homme d’une haute taille et d’une forte corpulence, âgé d’environ cinquante ans, aux traits assez agréables, à la physionomie pusillanime. Il paraissait inquiet.

« Sont-ils venus ? sont-ils partis ? L’avez-vous arrêté ? est-ce fini ? demanda-t-il.

— Pas encore, répondit Moore avec flegme ; nous les attendons.

— Ils ne viendront pas. Il est près de midi ; il vaut mieux renoncer à votre dessein ; cela ne peut qu’exciter la haine, amener une révolte, et avoir de fatales conséquences.

— Vous n’avez pas besoin de paraître, dit Moore. J’irai à leur rencontre dans la cour quand ils arriveront : vous pourrez demeurer ici.

— Mais mon nom figurera dans la procédure ; une femme et une famille, monsieur Moore, une femme et une famille rendent un homme prudent. »

Moore fit un mouvement de dégoût.

« Allez-vous-en si vous voulez, dit-il, et laissez-moi livré à moi-même. Je n’ai aucune répugnance à agir seul. Seulement, soyez sûr que vous ne trouverez aucune sécurité dans la soumission ; votre associé, Pearson, recula, céda, pardonna ; cela les a-t-il empêchés de tirer sur lui dans sa propre maison ?

— Mon cher monsieur, prenez un peu de vin et d’eau, » dit M. Helstone.

Le vin et l’eau étaient tout simplement de la liqueur de Hollande et de l’eau, comme le découvrit M. Sykes, lorsqu’il en eut composé et avalé un plein gobelet qui le transforma en deux minutes, ramena la couleur à son visage, et le rendit au moins vaillant en paroles. Il annonça qu’il n’était pas disposé à se laisser fouler aux pieds par la populace ; qu’il était décidé à ne pas tolérer plus longtemps l’insolence des classes ouvrières ; qu’il avait réfléchi et qu’il était résolu d’aller jusqu’au bout ; que, si le courage et l’argent pouvaient venir à bout de ces émeutiers, il fallait qu’ils fussent anéantis. M. Moore pourrait agir comme il l’entendrait ; mais lui, Christie Sykes, dépenserait son dernier penny devant la justice, avant de se tenir pour battu. Il les mettrait à la raison, ou l’on verrait…

« Prenez encore un verre, » dit M. Moore.

M. Sykes n’y vit point d’objection ; c’était une froide matinée (Sugden avait trouvé qu’elle était chaude) ; il fallait être très-prudent à cette époque de l’année ; il était bon de prendre quelque chose pour empêcher le froid de pénétrer à l’intérieur ; il était déjà un peu enrhumé (il toussa pour attester le fait) ; quelque chose de cette sorte (levant la noire bouteille) était une excellente médecine (il versa le remède dans son gobelet) ; il n’avait pas l’habitude de boire des spiritueux le matin, mais parfois il était réellement prudent de prendre des précautions.

« Tout à fait prudent, et de les prendre par tous les moyens, » répondit son hôte.

M. Sykes s’adressa ensuite à Helstone, qui se tenait debout devant le foyer, son large chapeau sur la tête, le regardant d’une façon significative avec ses petits yeux perçants.

« Vous, monsieur, un membre du clergé, dit-il, pouvez trouver désagréable d’être présent à ces scènes de tumulte et je pourrais dire de danger ; vos nerfs ne pourraient les supporter ; vous êtes un homme de paix, monsieur ; mais nous, manufacturiers, vivant dans le monde et continuellement dans le tumulte, la présence du danger excite notre cœur et le fait battre d’une vive ardeur. Lorsque mistress Sykes a peur (ce qui lui arrive tous les soirs) que la maison ne soit attaquée et les portes brisées, je me sens excité d’une façon extraordinaire. Vraiment, si quelqu’un venait, voleurs ou autres, je crois que j’en éprouverais un vif plaisir : telle est ma nature. »

Le rire le plus strident, quoique bref et nullement insultant, fut la réponse du recteur. Moore eût bien voulu faire avaler au manufacturier héroïque un troisième gobelet ; mais le recteur, qui jamais ne transgressait ni ne permettait qu’on transgressât en sa présence la loi du décorum, l’arrêta.

« On en a assez lorsqu’on en a autant qu’il en faut, n’est-ce pas, monsieur Sykes ? » dit-il.

M. Sykes inclina la tête affirmativement, tout en suivant d’un œil de regret Joe Scott, qui, sur un signe d’Helstone, emportait la bouteille. Moore semblait avoir grande envie de le voir ivre. Qu’aurait dit certaine jeune petite cousine, si elle eût vu en ce moment son cher, son bon, son grand Robert, son Coriolan ? Eût-elle reconnu dans ce méchant et sardonique visage celui qu’elle avait regardé avec tant d’amour, et qui s’était incliné sur elle avec tant de douce tendresse la nuit précédente ? Était-ce là l’homme qui avait passé une si tranquille soirée avec sa sœur et sa cousine, si suave pour l’une, si tendre pour l’autre, lisant Shakspeare et écoutant Chénier ?

Oui, c’était le même homme vu d’un autre côté, un côté que Caroline n’avait point aperçu encore, quoique peut-être elle eût assez de sagacité pour soupçonner son existence. Et Caroline aussi avait, sans doute, son côté défectueux. Elle était mortelle, elle devait être très-imparfaite ; et, si elle eût vu Moore sous son plus mauvais côté, c’est ce qu’elle n’eût pas manqué de se dire pour le disculper. L’amour peut tout excuser, hormis la bassesse ; mais la bassesse tue l’amour, meurtrit même l’affection naturelle : sans estime, le véritable amour ne peut exister. Avec tous ses défauts, Moore pouvait être estimé, car il n’avait dans l’esprit aucune scrofule morale, aucune tache indélébile, telle, par exemple, que celle de la fausseté : il n’était pas l’esclave de ses appétits ; la vie active pour laquelle il était né et qu’il avait toujours pratiquée lui avait donné autre chose à faire que de se joindre à la chasse du plaisir. C’était une nature saine et non dégradée, un disciple de la Raison, non du Sentiment. La même chose se pouvait dire du vieux Helstone : ni l’un ni l’autre n’eût voulu penser et dire un mensonge ; tous deux avaient des droits à ce fier titre de chef-d’œuvre de la création, car aucun vice animal ne régnait sur eux ; ils étaient bien supérieurs au pauvre Sykes.

Un bruit de pas nombreux se fit entendre dans la cour, auquel succéda une pause. Moore s’avança à la fenêtre ; Helstone le suivit ; tous deux se tinrent debout d’un même côté, le plus jeune et le plus grand derrière le plus âgé et le plus petit, regardant avec précaution et de façon à n’être point aperçus du dehors ; le seul commentaire de ce qu’ils virent fut le sardonique éclair que se dardèrent réciproquement leurs yeux.

Une toux qui ressemblait à une préparation oratoire se fit entendre, et fut suivie d’une interjection destinée à calmer le bourdonnement de plusieurs voix. Moore entre-bâilla légèrement la fenêtre, afin que le son arrivât plus librement.

« Joseph Scott, commença une voix nasillarde (Scott faisait sentinelle à la porte du comptoir), pourrions-nous savoir si votre maître est ici, et si on peut lui parler ?

— Il y est, dit nonchalamment Joe.

— Voudriez-vous, s’il vous plaît (appuyant emphatiquement sur le mot vous), avoir la bonté de lui dire que douze gentlemen sont là qui désirent le voir ?

— Il se peut qu’il me demande le but de votre visite, dit Joe ; il serait bon que je pusse le lui dire en même temps.

— Pour quelque chose, » lui fut-il répondu.

Joe entra, « Monsieur, dit-il, s’adressant à Moore, il y a douze gentlemen qui désirent vous parler.

— Bien, Joe, je suis leur homme. Sugden, vous paraîtrez quand je sifflerai. »

Moore sortit en ricanant sèchement. Il s’avança dans la cour, une main dans la poche, l’autre dans son gilet, le bord de son chapeau abaissé sur ses yeux ombrageant en quelque sorte le rayon d’ironie méprisante qui s’en échappait. Douze hommes attendaient dans la cour, les uns en manches de chemise, les autres en tabliers bleus. Deux d’entre eux surtout se faisaient remarquer à l’avant-garde de la troupe : l’un, un petit homme à la mine éveillée, à la démarche fière, avec un nez retroussé ; l’autre, un gaillard à larges épaules, non moins remarquable par sa figure hypocrite, ses yeux de chat où se peignait la fausseté, que par sa jambe de bois et son énorme béquille. Une sorte de sourire contractait faiblement ses lèvres ; il paraissait rire sous cape de quelqu’un ou de quelque chose ; enfin, l’ensemble de sa physionomie n’avait rien de l’homme franc.

« Bonjour, monsieur Barraclough, lui dit Moore d’un ton débonnaire.

— La paix soit avec vous ! fut la réponse que fit M. Barraclough, en fermant entièrement ses yeux naturellement à moitié fermés.

— Je vous suis obligé : la paix est une excellente chose ; il n’est rien que je désire plus ardemment pour moi-même. Mais ce n’est pas là tout ce que vous avez à me dire, je suppose ? j’imagine que la paix n’est point votre dessein.

— Pour ce qui est de notre dessein, commença Barraclough, c’en est un qui pourra sembler étrange et peut-être insensé à des oreilles comme les vôtres, car les enfants de ce monde sont plus sages dans leur génération que les enfants de la lumière.

— Au fait, s’il vous plaît, et apprenez-moi de quoi il s’agit.

— Vous l’allez entendre, monsieur ; et, si je ne puis m’expliquer, en voici onze derrière moi qui m’aideront. C’est un grand dessein (changeant de voix et passant d’un demi-ricanement à une lamentation) ; c’est le dessein du Seigneur, et c’est le meilleur.

— Auriez-vous besoin d’une souscription pour la chapelle d’un nouveau prédicateur, monsieur Barraclough ? À moins que votre démarche n’ait un caractère de cette sorte, je ne vois pas en quoi elle peut me concerner.

— Je n’avais pas ce devoir en vue, monsieur ; mais, puisque la Providence vous a appelé à mentionner ce sujet, je recevrai l’obole dont vous voudrez bien disposer ; la plus petite contribution est toujours acceptable. »

Disant cela, il tendit son chapeau comme une bourse à quêter, sa physionomie prenant en même temps une expression de féroce impudence.

« Si je vous donnais six pence, vous iriez les boire. »

Barraclough leva au ciel ses mains et le blanc de ses yeux, en faisant le geste de la plus burlesque hypocrisie.

« Vous me paraissez d’une remarquable impudence, dit Moore d’un ton sec et froid ; vous ne craignez pas de faire voir que vous êtes un hypocrite à double face, que la fraude est votre profession. Vous espérez même me faire rire de l’habileté avec laquelle vous jouez votre rôle dans cette grossière farce, pendant qu’en même temps vous croyez tromper ces hommes qui sont derrière vous. »

Moïse commença à perdre de son assurance ; il vit qu’il était allé trop loin. Il allait répondre, lorsque le second des meneurs, impatient d’être tenu ainsi sur le second plan, se porta en avant. Cet homme ne ressemblait pas à un traître, malgré son air vain et plein d’arrogance.

« Monsieur Moore, commença-t-il, parlant aussi de la gorge et du nez, et prononçant chaque mot très-lentement, comme pour donner à ses auditeurs le temps de bien apprécier l’élégance peu commune de sa phraséologie, on pourrait peut-être dire justement que la raison plutôt que la paix est notre but. Nous venons d’abord vous supplier d’écouter la voix de la raison, et, si vous refusez, il est de mon devoir de vous avertir, dans les termes les plus précis, que des mesures seront prises pour vous faire sentir l’imprudence, la folie de votre conduite comme négociant dans cette partie manufacturière du pays. Je veux dire, monsieur, qu’étant étranger et venant de pays éloignés, d’une autre partie et d’un autre hémisphère du globe, jeté, jeté, pourrais-je dire, comme un exilé sur ces côtes, les rochers d’Albion, vous n’avez pas l’intelligence de ce qui peut être avantageux aux classes laborieuses. Pour arriver au fait, si vous vous décidiez à abandonner cette fabrique et à retourner sans délai dans votre pays natal, c’est ce que vous pourriez faire de mieux ; je ne vois rien qui puisse s’opposer à ce plan. Qu’en dites-vous, camarades ? » dit-il en se tournant vers les autres membres de la députation, qui répondirent unanimement : « Écoutez, écoutez !

— Bravo ! Noë, murmura Joe Scott, qui se tenait debout derrière M. Moore. Voilà des rochers d’Albion et un autre hémisphère qui’ éclipsent un peu l’éloquence de Moïse. Arrivez-vous de la zone antarctique, maître ? »

Moïse, cependant, ne se tint pas pour battu ; jetant un regard courroucé à Noë, il voulut de nouveau essayer la puissance de ses talents oratoires. Cette fois il prit un ton sérieux, abandonnant le sarcasme qui lui avait si mal réussi.

« Avant que vous ne vinssiez planter votre tente parmi nous, monsieur Moore, dit-il, nous vivions dans la paix et la tranquillité ; oui, je peux le dire, dans une affectueuse et bienveillante amitié. Je ne suis pas très-âgé, et je veux parler d’il y a seulement une vingtaine d’années, alors que le travail manuel était encouragé et respecté, et que l’on ne connaissait pas ces machines qui nous sont si pernicieuses. Je ne suis pas un apprêteur de drap ; je suis tailleur de mon état : cependant, mon cœur est d’une douce nature, je suis un homme très-sensible, et, lorsque je vois mes frères opprimés, comme mon glorieux patron je me lève pour les défendre. C’est pour cela que je vous parle aujourd’hui face à face, et que je vous conseille de vous défaire de vos infernales machines et de reprendre des ouvriers.

— Et qu’arriverait-il si je ne suivais pas votre avis, monsieur Barraclough ?

— Que le Seigneur vous pardonne ; que le Seigneur amollisse votre cœur, monsieur !

— Êtes-vous wesleyen, maintenant, monsieur Barraclough ?

— Dieu soit loué ! son saint nom soit béni ! je suis méthodiste.

— Ce qui ne vous empêche nullement d’être à la fois un ivrogne et un fripon. Je vous vis un soir, il y a une semaine environ, étendu mort-ivre au bord de la route, en revenant du marché de Stilbro’ ; et, pendant que vous prêchez la paix, toute l’occupation de votre vie est de fomenter les dissensions et le trouble. Vous ne sympathisez pas plus avec les pauvres gens qui sont dans le malheur qu’avec moi. Vous les excitez au mal, pour accomplir vos mauvais desseins ; ainsi fait l’individu appelé Noë. Vous êtes tous deux de turbulents intrigants et d’effrontés coquins, dont le principal mobile est une ambition égoïste, aussi dangereuse que puérile. Derrière vous je vois quelques hommes honnêtes, et seulement égarés ; mais vous deux, je vous connais pour d’incorrigibles misérables. »

Barraclough allait répondre.

« Silence ! vous avez eu votre tour, c’est au mien de parler. Quant à recevoir des injonctions de vous, ou de quelque Jack, Jem ou Jonathan que ce soit, c’est ce que je ne peux souffrir. Vous me conseillez de quitter le pays, vous me demandez d’abandonner mes machines ; et, pour le cas où je refuserais, vous me menacez. Je refuse positivement. Je reste ; je garde ma manufacture, dans laquelle je ferai venir les meilleures machines que les inventeurs pourront me fournir. Que ferez-vous ? Le pire que vous puissiez faire, et cela vous ne l’oserez jamais, c’est de brûler ma fabrique, de détruire son contenu et de m’assassiner. Et alors ? Supposez le bâtiment en ruines et moi un cadavre, vous qui êtes là derrière ces deux scélérats, en serez-vous plus avancés ? Aurez-vous arrêté l’invention ou épuisé la science ? Pas seulement une seconde ; un autre et meilleur moulin à fouler le drap s’élèvera sur les ruines de celui-ci, et peut-être serai-je remplacé par un propriétaire plus entreprenant. Écoutez-moi ! je fabriquerai mon drap comme il me plaira, et selon les lumières que je pourrai avoir. Dans ma manufacture, j’emploierai les moyens qui me conviendront. Quiconque, après cette déclaration, osera se mêler de mes affaires en subira les conséquences. Un exemple vous prouvera que je parle sérieusement. »

Il siffla d’un ton aigu et perçant ; Sugden parut avec son bâton de constable et son mandat d’arrêt.

Moore se tourna brusquement vers Barraclough :

« Vous étiez à Stilbro’, dit-il, j’en ai la preuve. Vous étiez sur le marais, vous portiez un masque, vous avez terrassé de votre main un de mes hommes, vous, un prédicateur de l’Évangile ! Sugden, emparez-vous de cet homme. »

Moïse fut saisi ; il y eut un cri, et un mouvement pour se précipiter à son secours ; mais la main droite que Moore avait tenue, pendant toute cette scène, cachée sous son habit, parut armée d’un pistolet.

« Les deux canons sont chargés, dit-il, et j’ai la ferme résolution de m’en servir. Arrière ! »

Marchant alors à reculons, et faisant toujours face à l’ennemi, il accompagna sa capture jusqu’à la porte du comptoir. Il donna l’ordre à Joe Scott et à Sugden d’y entrer avec le prisonnier, et de mettre le verrou en dedans. Pour lui, il se mit à parcourir de long en large l’espace qui s’étendait devant la façade de la fabrique, les yeux fixés sur le sol, la main pendant négligemment à son côté et tenant toujours le pistolet. Les onze députés restants le regardèrent pendant quelque temps, en se parlant à voix basse, puis l’un d’eux s’approcha. Cet homme paraissait tout différent des deux qui avaient porté auparavant la parole. Il était laid, mais la modestie et une mâle énergie étaient peintes sur ses traits.

« Je n’ai pas grande confiance en Moïse Barraclough, dit-il, et je voudrais vous dire moi-même quelques mots, monsieur Moore. Pour ma part, je ne suis pas venu ici dans une mauvaise intention, mais dans le but de faire un effort pour redresser les choses, qui vont cruellement de travers. Vous voyez que nous sommes malheureux, bien malheureux : nous sommes pauvres et nos familles souffrent. Ces machines et ces métiers nous ont privés de notre travail ; nous ne pouvons rien trouver à faire ; nous ne pouvons rien gagner. Que faut-il faire ? Nous résigner et mourir ? Non ; je ne sais pas trouver de grands mots, monsieur Moore, mais je sens qu’il serait lâche, pour un homme raisonnable, de se laisser mourir de faim comme une brute. Je ne le ferai pas. Je ne suis pas pour répandre le sang ; jamais je ne consentirais à tuer ni même à blesser un homme ; je ne suis pas non plus pour démolir les fabriques et briser les machines : car, comme vous l’avez dit, cela n’arrêterait pas les progrès de l’invention. Mais je parlerai ; je ferai autant de bruit que je pourrai. L’invention peut être une bonne chose ; mais je sais aussi qu’il n’est pas juste que les pauvres gens meurent de faim. Ceux qui gouvernent doivent trouver un moyen de nous venir en aide ; ils doivent promulguer de nouveaux ordres. Vous me direz que c’est difficile. Eh bien ! plus les hommes du Parlement mettront de tiédeur à s’occuper de ces difficiles questions, plus nous crierons.

— Tourmentez les membres du Parlement tant qu’il vous plaira, dit Moore ; mais il est absurde de tourmenter les propriétaires de fabriques, et, quant à moi, je ne le souffrirai pas.

— Vous êtes un des plus durs, répondit l’ouvrier. Ne nous accorderez-vous pas un peu de temps ? Ne pourriez-vous consentir à accomplir vos changements un peu plus lentement ?

— Est-ce que je représente à moi seul toute la corporation des fabricants de drap du Yorkshire ? Répondez à cela.

— Vous êtes vous-même.

— Et seulement moi-même ; et, si je m’arrêtais un instant tandis que les autres marchent, je serais foulé aux pieds. Si je faisais ce que vous me conseillez, je serais banqueroutier dans un mois ! Est-ce que ma banqueroute mettrait du pain dans la bouche de vos enfants affamés ? William Farren, je n’obéirai ni à vos injonctions ni à celles de qui que ce soit. Ne me parlez plus de mes machines. Je suivrai mon chemin. Je ferai venir demain d’autres métiers : si vous les brisez, j’en ferai venir d’autres. Je ne céderai jamais. »

En ce moment, la cloche de la fabrique sonna midi : c’était l’heure du dîner. Moore tourna brusquement le dos à la députation, et rentra dans son comptoir.

Ses dernières paroles avaient laissé une mauvaise, une cruelle impression ; il venait de laisser échapper la chance dont il était maître. En parlant avec bonté à William Farren, qui était un très-honnête homme, sans envie et sans haine contre ceux que la fortune avait placés au-dessus de lui, qui ne trouvait ni dur ni injuste d’être obligé de gagner sa vie par son labeur, et ne demandait que du travail, Moore eût pu se faire un ami. Il semble étrange qu’il ait pu tourner le dos à un tel homme sans une parole conciliante ou sympathique. Le visage de ce pauvre homme était hagard de besoin. Il avait l’aspect d’un homme qui n’avait pas connu le bien-être et l’abondance depuis des semaines, depuis des mois peut-être ; et cependant, il n’y avait aucune férocité, aucune méchanceté dans l’expression de ses traits : il était usé, abattu, triste, mais patient. Comment Moore avait-il pu le quitter avec ces mots : « Je ne céderai jamais ! » sans une parole de bienveillance, d’espoir ou d’encouragement ?

C’est ce que se demandait Farren, en s’en retournant vers sa chaumière, autrefois, dans des temps meilleurs, une décente, propre et agréable habitation, maintenant si triste et si pauvre, quoique toujours propre. Il conclut à l’égoïsme, à l’insensibilité, à la folie du fabricant étranger. Il lui sembla que l’émigration, s’il avait seulement les moyens d’émigrer, serait préférable au service sous un tel maître. Il avait l’air abattu, presque désespéré.

Lorsqu’il fut entré, sa femme servit avec ordre le dîner qu’elle avait préparé pour lui et les enfants : il se composait de poireaux seulement, et en trop petite quantité. Quelques-uns des plus jeunes enfants en redemandèrent lorsqu’ils eurent mangé leur portion, ce qui troubla violemment William ; pendant que sa femme les apaisait de son mieux, il se leva de sa chaise, se dirigea vers la porte en sifflant un air joyeux, ce qui n’empêcha pas une ou deux larges gouttes (plus semblables aux premières gouttes d’une pluie d’orage qu’à celles qui coulent de la blessure du gladiateur) de se former sur ses paupières, d’où elles tombèrent sur le seuil. Il s’essuya les yeux avec sa manche, et ce mouvement d’attendrissement fit bientôt place à un sentiment plus ferme et plus austère.

Il était encore là debout, méditant en silence, lorsque survint un gentleman vêtu, de noir ; on voyait tout d’abord que c’était un membre du clergé, mais ce n’était ni Helstone, ni Malone, ni Donne, ni Sweeting. Il pouvait avoir quarante ans ; sa physionomie était simple, son teint bronzé, ses cheveux grisonnants. Il se penchait un peu en avant dans la marche. Il avait l’air triste et préoccupé ; mais, en approchant de Farren, il leva les yeux, et une expression de franche cordialité illumina ses traits.

« Est-ce vous, William ? comment vous portez-vous ? demanda-t-il.

— Tout doucement, monsieur Hall, et vous ? Voulez-vous entrer vous reposer un instant ? »

M. Hall, dont le lecteur a déjà vu le nom, était curé de Nunnely, la paroisse où était né William Farren, et qu’il n’avait quittée que depuis trois ans pour venir demeurer à Briarfield, afin d’être plus près de la fabrique de Hollow, où il avait obtenu du travail. M. Hall entra dans la chaumière, et après avoir salué la femme et les enfants, il s’assit et se mit à causer familièrement du temps qui s’était écoulé depuis que la famille avait quitté sa paroisse, et des changements qui étaient survenus. Il répondit aux questions qui lui furent faites sur sa sœur Marguerite, dont la famille Farren s’informait avec beaucoup d’intérêt. Il questionna à son tour ; puis enfin, jetant un regard anxieux et rapide à travers ses lunettes (il portait des lunettes, ayant la vue très-basse) sur la chambre nue, sur les maigres et pâles visages qui l’environnaient, car les enfants s’étaient approchés de ses genoux, et le père et la mère se tenaient debout devant lui, il dit brusquement :

« Et comment allez-vous tous ? Comment vont vos affaires ?

— Très-pauvrement, dit William. Nous sommes tous sans travail. J’ai vendu à peu près tout notre pauvre mobilier, comme vous pouvez le voir. Et ce que nous allons devenir, Dieu seul le sait !

— Est-ce que M. Moore vous a renvoyé ?

— Il m’a renvoyé ; et j’ai maintenant une telle opinion de lui que, s’il me faisait rappeler demain matin, je ne voudrais pas travailler pour lui.

— Ce n’est pas bien à vous de parler ainsi, William.

— Je le sais, mais je ne suis plus le même ; je sens que je change. Si les enfants et la femme avaient de quoi manger, je n’y ferais pas attention ; mais ils souffrent, mais ils meurent de faim.

— Oui, mon garçon, et vous aussi, je le vois. Ce sont de bien malheureux temps ! partout où je tourne mes regards, je vois la misère. William, asseyez-vous. Grâce, asseyez-vous aussi, nous allons causer. »

Et pour mieux causer, M. Hall fit asseoir le plus jeune des enfants sur son genou, et posa sa main sur la tête d’un autre. Mais, lorsqu’ils se mirent à babiller, il leur imposa silence, et fixant ses yeux sur la grille du foyer, qui ne renfermait plus qu’une poignée de cendres près de s’éteindre :

« Tristes temps ! dit-il, et ils durent longtemps. Dieu le veut. Que sa volonté soit faite ! mais il nous éprouve cruellement. »

Il réfléchit un instant.

« Vous n’avez pas d’argent, William, et il ne vous reste rien à vendre pour vous procurer même une petite somme ?

— Non ; j’ai vendu la commode, l’horloge, le guéridon d’acajou et le service à thé et la porcelaine que ma femme a apportés lorsque nous nous sommes mariés.

— Et si quelqu’un vous prêtait une ou deux livres sterling, pourriez-vous en faire un bon usage ? pourriez-vous vous créer une nouvelle occupation ? »

Farren ne répondit pas, mais sa femme dit avec vivacité :

« Je suis sûre qu’il le pourrait, monsieur ; c’est un garçon très-industrieux que notre William. S’il avait une ou deux livres, il pourrait commencer un petit commerce. Est-ce vrai, William ?

— S’il plaît à Dieu, dit William avec résolution, je pourrais acheter de l’épicerie, de la tresse, du fil, ce que je croirais devoir se vendre ; je pourrais commencer par me faire colporteur.

— Et vous savez, monsieur, interrompit Grâce, vous êtes sûr que William ne boit pas, qu’il n’est pas fainéant et ne dépensera pas son argent de quelque manière inutile que ce soit ; c’est mon mari et je ne devrais pas le louer, mais je dirai qu’il n’est pas dans toute l’Angleterre un homme plus sobre et plus honnête que lui.

— C’est bien ; je parlerai à un ou deux amis, et je crois pouvoir lui promettre d’obtenir cinq livres sterling dans un jour ou deux ; comme prêt, vous entendez, et non comme don : il faudra rendre cet argent.

— Je comprends, monsieur ; c’est bien convenu comme cela.

— En attendant, voici quelques schellings pour vous, Grâce, pour faire bouillir le pot en attendant la pratique. Maintenant, enfants, tenez-vous debout en ligne et récitez votre catéchisme pendant que votre mère ira acheter quelque chose pour le dîner ; car vous n’avez pas mangé grand’chose aujourd’hui, j’en suis sûr. Allons, Ben, commencez. Quel est votre nom ? »

M. Hall demeura jusqu’au retour de Grâce ; alors il prit congé avec hâte, en donnant une poignée de main à Farren et à sa femme ; sur la porte, il leur adressa quelques courtes mais bonnes paroles de consolation religieuse et d’encouragement ; puis, avec un mutuel : « Dieu vous bénisse, monsieur ! Dieu vous bénisse, mes amis, » ils se séparèrent.