Sonnets (Fuster)/Baiser de mort

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BAISER DE MORT



Si Dieu nous accordait la grâce de choisir
Comment nous quitterons les douceurs de la terre,
Je voudrais, — car j’ai peur du tragique mystère, —
Épuiser jusqu’au bout mon suprême désir.

Les yeux lourds, le cœur lourd d’angoisse et de plaisir,
Nous serions là, muets, effrayés de nous taire :
Le silence emplirait la chambre solitaire,
Nous chercherions les mots sans pouvoir les saisir.

Ce serait l’heure douce où frissonnent les choses ;
L’odeur de tes cheveux et le parfum des roses
M’assoupiraient encor dans tes bras épuisés ;

Mes lèvres brûleraient sur tes lèvres de flamme,
Et ce baiser suprême, après tant de baisers.
Nous fermerait les yeux en nous arrachant l’âme.