Sonnets et Madrigals pour Astrée

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Sonnets et Madrigals pour Astrée
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SONETS ET MADRIGALS POUR ASTRÉE


I

Dois-je voler emplumé d’esperance,
Ou si je dois, forcé du desespoir,
Du haut du Ciel en terre laisser choir
Mon jeune amour avorté de naissance ?
Non, j’aime mieux, leger d’outrecuidance,
Tomber d’enhaut, et fol me decevoir,
Que voler bas, deussé-je recevoir
Pour mon tombeau toute une large France.
Icare fit de sa cheute nommer,
Pour trop oser, les ondes de la mer :
Et moy je veux honorer ma contrée
De mon sepulchre, et dessus engraver,
Ronsard voulant aux astres s’eslever,
Fut foudroyé par une belle astrée.


II

Le premier jour que j’avisay la belle
Ainsi qu’un Astre esclairer à mes yeux,
Je discourois en esprit, si les Dieux
Au Ciel là haut estoient aussi beaux qu’elle.
De son regard mainte vive estincelle
Sortoit menu comme flame des Cieux :
Si qu’esblouy du feu victorieux,
Je fus veincu de clarté si nouvelle.

Depuis ce jour mon cœur qui s’alluma,
D’aller au Ciel sottement presuma,
En imitant des Geans le courage.
Cesse mon cœur, la force te defaut :
Bellerophon te devrait faire sage :
Pour un mortel le voyage est trop haut.

III

Belle Erigome, Icarienne race,
Qui luis au Ciel, et qui viens en la terre
Faire à mon cœur une si douce guerre,
De ma raison ayant gaigné la place :
Je suis veincu, que veux-tu que je face
Sinon prier cest Archer qui m’enferre,
Que doucement mon lien il desserre,
Trouvant un jour pitié devant ta face ?
Puis que ma nef au danger du naufrage
Pend amoureuse au milieu de l’orage,
De mast, de voile assez mal accoustrée,
Vueilles du Ciel en ma faveur reluire :
Il appartient aux Astres, mon Astrée,
Luire, sauver, fortuner et conduire.

MADRIGAL I

L’homme est bien sot, qui aime sans cognoistre.
J’aime, et jamais je ne vy ce que j’aime :
D’un faux penser je me deçoy moy-mesme,
Je suis esclave, et ne cognois mon maistre.

L’imaginer seulement me fait estre
Comme je suis en une peine extrême.
L’œil peult faillir, l’aureille fait de mesme,
Mais nul des sens mon amour n’a fait naistre.
Je n’ay ny veu, ny ouy, ny touché :
Ce qui m’offense, à mes yeux est caché :
La playe au cœur à credit m’est venue.
Ou noz esprits se cognoissoient aux Cieux
Ains que d’avoir nostre terre vestue,
Qui vont gardant la mesme affection
Dedans leurs corps, qu’au Ciel ils avoient euë,
Ou je suis fol : encores vaut-il mieux
Aimer en l’air une chose incognue
Que n’aimer rien, imitant Ixion,
Qui pour Junon embrassoit une nue.

IIII

Douce Françoise, ainçois douce framboise,
Fruict savoureux, mais à moy trop amer,
Tousjours ton nom, helas ! pour trop aimer
Loge en mon cœur, quelque part que je voise.
Ma douce paix, mes tréves, et ma noise,
Belle qui peux mes Muses animer,
Ton nom si franc devrait t’accoustumer
Mettre les cœurs en franchise Françoise.
Mais tu ne veux redonner liberté
Au mien captif, que tu tiens arresté
Pris en ta chesne estroitement serrée.
Laisse la force : Amour le retiendra,
Ou bien, Maistresse, autrement il faudra
Que pour Françoise on t’appelle ferrée.


MADRIGAL II

Dequoy te sert mainte Agathe gravée,
Maint beau Ruby, maint riche Diamant ?
Ta beauté seule est ton seul ornement,
Beauté qu’Amour en son sein a couvée.
Cache ta perle en l’Orient trouvée,
Tes graces soient tes bagues seulement :
De tes joyaux en toy parfaitement
Est la splendeur et la force esprouvée.
Dedans tes yeux reluisent leurs beautez,
Leurs vertuz sont en toy de tous costez :
Tu fais sur moy tes miracles, madame.
Sans eux je sens que peult ta Deité :
Tantost glaçon, et tantost une flame,
De jalousie et d’amour agité,
Palle, pensif, sans raison et sans ame,
Ravy, transy, mort, et resuscité.

V

Au mois d’Avril quand l’an se renouvelle,
L’Aube ne sort si belle de la mer,
Ny hors des flots la Déesse d’aimer
Ne vient à Cypre en sa conque si belle,
Comme je vy la beauté que j’appelle
Mon Astre sainct, au matin s’esveiller,
Rire le Ciel, la terre s’esmailler,
Et les Amours voler à l’entour d’elle.

Beauté, jeunesse, et les Graces qui sont
Filles du Ciel, luy pendoient sur le front :
Mais ce qui plus redoubla mon service,
C’est qu’elle avoit un visage sans art.
La femme laide est belle d’artifice,
La femme belle est belle sans du fard.

VI. MADRIGAL

Depuis le jour que je te vey, Maistresse,
Tu as passé deux fois aupres de moy,
L’une muette et d’un visage coy,
Sans daigner voir quelle estoit ma tristesse
L’autre, pompeuse en habit de Déesse,
Belle pour plaire aux delices d’un Roy,
Tirant des yeux tout à l’entour de toy
Dessous ton voile une amoureuse presse.
Je pensois voir Europe sur la mer,
Et tous les vents de son voile enfermer,
Tremblant de peur en te voyant si belle,
Que quelque Dieu ne te ravist aux cieux,
Et ne te fist une essence immortelle.
Si tu m’en crois, fuy*l’or ambicieux :
Ne porte au chef une coiffure telle.
Le simple habit, ma dame, te sied mieux.

VII

L’Astre divin, qui d’aimer me convie,
Tenoit du Ciel la plus haute maison,
Le jour qu’Amour me mit en sa prison,
Et que je vy ma liberté ravie.

Depuis ce temps j’ay perdu toute envie
De me ravoir, et veux que la poison
Qui corrompit mes sens et ma raison,
Soit desormais maistresse de ma vie.
Je veux pleurer, sanglotter et gemir,
Passer les jours et les nuicts sans dormir,
Hayr moymesme, et de tous me distraire,
Et devenir un sauvage animal.
Que me vaudroit de feire le contraire,
Puis que mon Astre est cause de mon mal ?

VIII

Le premier jour que l’heureuse aventure
Conduit vers toy mon esprit et mes pas,
Tu me donnas pour mon premier repas
Mainte dragée et mainte confiture.
Jalouse apres de si douce pasture,
En mauvais goust tu changeas tes appas,
Et pour du sucre, ô cruelle, tu m’as
Donné du fiel, qui corrompt ma nature.
Le sucre doit pour sa douceur nourrir :
Le tien m’a fait cent mille fois mourir,
Tant il se tourne en fascheuse amertume.
Ce ne fut toy, ce fut ce Dieu d’aimer
Qui me deceut, en suivant sa coustume
D’entre-mesler le doux avec l’amer.

IX

Adieu cheveux, liens ambitieux,
Dont l’or frizé ne retient en service,

Cheveux plus beaux que ceux que Berenice
Loin de son chef envoya dans les cieux.
Adieu mirouër, qui fais seul glorieux
Son cœur trop fier d’amoureuse malice :
Amour m’a dit qu’autre chemin j’apprisse,
Et pource adieu belle bouche et beaux yeux.
Trois mois entiers d’un desir volontaire
Je vous servy, et non comme forsaire
Qui par contrainte est sujet d’obeyr.
Comme je vins, je m’en revais, maistresse
Et toutefois je ne te puis hayr.
Le cœur est bon, mais la fureur me laisse.

X

Quand tu portois l’autre jour sur ta teste
Un verd Laurier, estoit-ce pour monstrer
Qu’amant si fort ne se peut rencontrer,
Dont la victoire en tes mains ne soit preste ?
Ou pour monstrer ton heureuse conqueste
De m ’avoir fait en tes liens entrer ?
Dont je te pri’ me vouloir despestrer.
» Peu sert le bien que par force on acqueste.
Soit le Laurier de ton front le sejour :
Le Rosmarin, helas ! que l’autre jour
Tu me donnas, me devoit faire saige.
C’estoit congé que je pren maugré moy :
Car de vouloir resister contre toy,
Astre divin, c’est estre sacrilege.


XI

Je haïssois et ma vie et mes ans,
Triste j’estois de moymesme homicide :
Mon cœur en feu, mon œil estoit humide,
Les Cieux m’estoient obscurs et desplaisans.
Alors qu’Amour, dont les traicts sont cuisans,
Me dist, Ronsard, pour avoir un bon guide
De l’Astre sainct qui maistre te preside,
Peins le portrait au milieu de tes gans :
Sans contredit à mon Dieu j’obey.
J’ay bien cognu qu’il ne m’avoit trahy :
Car dés le jour que je feis la peinture,
Heureux je vey prosperer mes desseins.
Comment n’auroy-je une bonne aventure,
Quand j’ay tousjours mon Astre entre les mains ?

XII

Plus que mes yeux j’aime tes beaux cheveux,
Liens d’Amour que l’or mesme accompaigne,
Et suis jaloux du bon-heur de ton peigne,
Qui au matin desmesle leurs beaux neuds.
En te peignant il se fait riche d’eux,
Il les desrobe : et l’Amour qui m’enseigne
D’estre larron, commande que je prenne
Part au butin assez grand pour tous deux.
Mais je ne puis : car le peigne fidelle
Garde sa proye, et puis ta damoiselle
Serre le reste, et me l’oste des doigts.

O cruautez ! ô beautez trop iniques !
Le pelerin touche bien aux reliques
Par le travers d’une vitre, ou d’un bois.

XIII

Pour retenir un amant en servage,
Il faut aimer, et non dissimuler,
De mesme flame amoureuse brusler,
Et que le cœur soit pareil au langage :
Tousjours un ris, tousjours un bon visage,
Tousjours s’escrire et s’entre-consoler :
Ou qui ne peut escrire ny parler,
A tout le moins s’entre-voir par message.
Il faut avoir de l’amy le portraict,
Cent fois le jour en rebaiser le traict :
Que d’un plaisir deux ames soient guidées.
Deux corps en un rejoincts en leur moitié.
Voyla les poincts qui gardent l’amitié,
Et non pas vous qui n’aimez qu’en idées.

XIIII

Mon ame vit en servage arrestée :
Il adviendra, Dame, ce qu’il pourra :
Le cœur vivra te servant, et mourra :
Ce m’est tout un, la chance en est jettée.
Je suis joyeux dequoy tu m’as ostée
La liberté, et mon esprit sera
D’autant heureux, que serf il se verra
De ta beauté, des Astres empruntée.

Il est bien vray que de nuict et de jour
Je me complains des embusches d’Amour,
Qui d’un penser un autre fait renaistre.
C’est mon seigneur, je ne le puis hayr :
Vueille ou non vueille, il faut luy obeyr.
Le serviteur est moindre que le maistre.

ELEGIE DU PRINTEMPS A LA SŒUR D’ASTRÉE.

Printemps, fils du Soleil, que la terre arrousée
De la fertile humeur d’une douce rousée,
Au milieu des œillets et des roses conceut,
Quand Flore entre ses bras nourrice vous receut,
Naissez, croissez Printemps, laissez vous apparoistre :
En voyant Isabeau, vous pourrez vous cognoistre :
Elle est vostre mirouër, et deux liz assemblez
Ne se ressemblent tant que vous entre-semblez :
Tous les deux n’estes qu’un, c’est une mesme chose.
La Rose que voicy, ressemble à ceste Rose,
Le Diamant à l’autre, et la fleur à la fleur :
Le Printemps est le frere, Isabeau est la sœur.
On dit que le Printemps pompeux de sa richesse,
Orgueilleux de ses fleurs, enflé de sa jeunesse,
Logé comme un grand Prince en ses vertes maisons,
Se vantoit le plus beau de toutes les saisons,
Et se glorifiant le contoit à Zephire.
Le Ciel en fut marry, qui soudain le vint dire
A la mere Nature. Elle pour r’abaisser
L’orgueil de cest enfant, va par tout r’amasser
Les biens qu’elle espargnoit de mainte et mainte année.

Quand elle eut son espargne en son moule donnée,
La fist fondre : et versant ce qu’elle avoit de beau,
Miracle nous fist naistre une belle Isabeau,
Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face,
De corps belle et d’esprit, des trois Graces la grace.
Le Printemps estonné, qui si belle la voit,
De vergongne la fiévre en son cœur il avoit :
Tout le sang luy bouillonne au plus creux de ses veines :
Il fist de ses deux yeux saillir mille fonteines,
Souspirs dessus souspirs comme feu luy sortoient,
Ses muscles et ses nerfs en son corps luy battoient :
Il devint en jaunisse, et d’une obscure nue
La face se voila pour n’estre plus cognue.
Et quoy ? disoit ce Dieu de honte, et furieux,
Ayant la honte au front, et les larmes aux yeux,
Je ne sers plus de rien, et ma beauté premiere
D’autre beauté veincue a perdu sa lumiere :
Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps
Font aux hommes sans moy tous les jours un Printemps :
Et mesme le Soleil plus longuement retarde
Ses chevaux sur la terre, afin qu’il la regarde :
Il ne veut qu’à grand peine entrer dedans la mer,
Et se faisant plus beau fait semblant de l’aimer.
Elle m’a desrobé mes graces les plus belles,
Mes œillets et mes liz, et mes roses nouvelles,
Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveauté,
Et diriez en voyant une telle beauté,
Que tout son corps ressemble une belle prairie
De cent mille couleurs au mois d’Avril fleurie.
Bref, elle est toute belle, et rien je n’apperçoy
Qui la puisse egaler, seule semblable à soy.

Le beau trait de son œil seulement ne me touche :
Je n’aime seulement ses cheveux et sa bouche,
Sa main qui peut d’un coup et blecer et guarir :
Sur toutes ses beautez son sein me fait mourir.
Cent fois ravy je pense, et si ne sçaurois dire
De quelle veine fut emprunté le porphire,
Et le marbre poly dont Amour l’a basty,
Ny de quels beaux jardins cest œillet est sorty,
Qui donna la couleur à sa jeune mammelle,
Dont le bouton ressemble une fraize nouvelle,
Verdelet, pommelé, des Graces le sejour.
Venus et ses enfans volent tout à l’entour,
La douce mignardise et les douces blandices,
Et tout cela qu’Amour inventa de delices.
Je m’en vay furieux sans raison ny conseil :
Je ne sçaurois souffrir au monde mon pareil.
Ainsi disoit ce Dieu tout remply de vergongne.
Voila pourquoi de nous si long temps il s’eslongne
Craignant vostre beauté, dont il est surpassé :
Ayant quitté la place à l’Hyver tout glacé,
Il n’ose retourner. Retourne je te prie,
Printemps pere des fleurs : il faut qu’on te marie
A la belle Isabeau : car vous apparier,
C’est aux mesmes beautez les beautez marier,
Les fleurs avec les fleurs : de si belle alliance
Naistra de siecle en sielce un Printemps en la France.
Pour douaire certain tous deux vous promettez
De nous entre-donner voz fleurs et voz beautez,
Afin que voz beaux ans en despit de vieillesse,
Ainsi qu’un renouveau soient tousjours en jeunesse.