Sonnets pour Hélène

La bibliothèque libre.


Texte établi par Roger Sorg, éds. Bossard, 1921
Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle

VIII

Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J’ay gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croistront à l’envy de l’escorce nouvelle.

Faunes qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos dances et vos tours.
Favorisez la plante et luy donnez secours,
Que l’Esté ne la brusle, et l’Hyver ne la gelle.
 
Pasteur qui conduiras en ce lieu ton troupeau.
Flageolant une Eclogue en ton tuyau d’aveine,
Attache tous les ans à cest arbre un tableau.
 
Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine :
Puis l’arrosant de laict et du sang d’un agneau,
Dy, Ce Pin est sacré, c’est la plante d’Helene.

Le soir qu’Amour vous fit en la salle descendre

XLVIII

Le soir qu’Amour vous fist en la salle descendre
Pour danser d’artifice un beau ballet d’Amour,
Vos yeux, bien qu’il fust nuict, ramenèrent le jour,
Tant ils sceurent d’esclairs par la place respandre.

Le ballet fut divin, qui se souloit reprendre,
Se rompre, se refaire, et tour dessus retour
Se mesler, s’escarter, se tourner à l’entour.
Contre-imitant le cours du fleuve de Méandre.
 
Ores il estoit rond, ores long, or’estroit.
Or’en poincte, en triangle, en la façon qu’on voit
L’escadron de la Grue évitant la froidure.

Je faux, tu ne dansois, mais ton pied voletoit
Sur le haut de la terre : aussi ton corps s’estoit
Transformé pour ce soir en divine nature.

Madrigal

MADRIGAL

Si c’est aimer, Madame, et de jour et de nuict
Resver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu’adorer et servir la beauté qui me nuit :

Si c’est aimer de suivre un bon-heur qui me fuit,
De me perdre moy mesme et d’estre solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,
Pleurer, crier mercy et m’en voir esconduit :

Si c’est aimer de vivre en vous plus qu’en moy mesme,
Cacher d’un front joyeux une langueur extrême,
Sentir au fond de l’ame un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fiévre amoureuse me traitte :
Honteux parlant à vous de confesser mon mal :
 
Si cela c’est aimer, furieux je vous aime.
Je vous aime, et sçay bien que mon mal est fatal :
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.

Maîtresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi

I

Maistresse, embrasse moy, baize moy, serre moy,
Haleine contre haleine, échauffe moy la vie,
Mille et mille baizers donne moy je te prie,
Amour veut tout sans nombre, amour n’a point de loy.

Baize et rebaize moy ; belle bouche, pourquoy
Te gardes tu là bas, quand tu seras blesmie,
A baiser (de Pluton ou la femme ou l’amie)
N’ayant plus ny couleur, ny rien semblable à toy ?

En vivant presse moy de tes lèvres de roses ;
Bégaye, en me baisant, à lèvres demy-closes
Mille mots trançonnez, mourant entre mes bras.

Je mourray dans les tiens, puis, toy resuscitée,
Je resusciteray ; allons ainsi là bas,
Le jour tant soit-il court vaut mieux que la nuitée.

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle

XLII

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie.
 
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.

Tant de fois s'appointer, tant de fois se fascher
XIX

Tant de fois s’appointer, tant de fois se fascher,
Tant de fois rompre ensemble et puis se renouer,
Tantost blasmer Amour et tantost le louer.
Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher,

Tant de fois se monstrer, tant de fois se cacher,
Tantost se mettre au joug, tantost le secouer,
Advouer sa promesse et la desadvouer,
Sont signes que l’amour de près nous vient toucher.
 
L’inconstance amoureuse est marque d’amitié.
Si donc tout à la fois avoir haine et pitié,
Jurer, se parjurer, sermens faicts et desfaicts.

Espérer sans espoir, confort sans reconfort,
Sont vrais signes d’amour, nous entr’aimons bien fort :
Car nous avons tousjours ou la guerre ou la paix.

Te regardant assise auprès de ta cousine
XVI

Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toy comme un Soleil,
Je pensay voir deux fleurs d’un mesme teint pareil.
Croissantes en beauté l’une à l’autre voisine.
 
La chaste saincte belle et unique Angevine
Viste comme un esclair sur moy jetta son œil :
Toy comme paresseuse et pleine de sommeil,
D’un seul petit regard tu ne m’estimas digne.

Tu t’entretenois seule au visage abaissé,
Pensive toute à toy, n’aimant rien que toymesme,
Desdaignant un chacun d’un sourcil ramassé,
 
Comme une qui ne veut qu’on la cherche ou qu’on l’aime.
J’eu peur de ton silence, et m’en-allay tout blesme.
Craignant que mon salut n’eust ton œil offensé.

Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre
XXXVI

Vous me distes, Maistresse, estant à la fenestre,
Regardant vers Mont-martre et les champs
La solitaire vie, et le derert séjour d’alentour :
Valent mieux que la Cour, je voudrois bien y estre.

A l’heure mon esprit de mes Sens seroit maistre,
En jeusne et oraison je passerois le jour,
Je desfi’rois les traicts et les flames d’Amour :
Ce cruel de mon sang ne pourroit se repaistre.

Quand je vous respondy, Vous trompez de penser
Qu’un feu ne soit pas feu pour se couvrir de cendre :
Sur les cloistres sacrez la flame on voit passer :

Amour dans les déserts comme aux villes s’engendre.
Contre un Dieu si puissant, qui les Dieux peut forcer,
Jeusnes ny oraisons ne se peuvent défendre.