Stances pour le nouvel an

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Chez Léon Vanier, éditeur (p. 79-82).
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STANCES
POUR LE NOUVEL AN



La belle dame de Paris
Trottine par le brouillard gris
Du matin, à pas de souris.

Son manchon de loutre ou d’hermine
Sur son nez rose, elle chemine
D’une façon leste et gamine.

Le trottoir est un lac gelé
Où son talon ensorcelé
Semble un papillon sur le blé.


Point d’atours ni de fanfreluches ;
Mais, pour braver les coqueluches,
La gamme sombre des peluches.

La voilette rouge, sur ses
Cheveux d’avoine mal lissés.
Met des tons de pourpre foncés.

Les Clymènes et les Zerlines
Sur les potiches zinzolines,
Du même air croquent des pralines.

La printanière blondeur
De sa gorgerette a l’odeur
Amène de l’Iris-powder.

Et son fin museau de belette
Rit à souhait pour la palette
De Fragonard ou de Willette.

Depuis le Gymnase, où renaît
Chaque soir monsieur George Ohnet,
Jusqu’à Peters, on la connaît.

Les hommes graves, par centaines,
Gantent leurs plus belles mitaines
Pour escorter ses pretantaines.


Et, surgissant on ne sait d’où,
Ce vieux coureur de guilledou,
Le Soleil, vient baiser son cou.

Or, cette dame qui s’avance
Est celle qui, pour redevance.
Nous apporte deuil ou chevance.

Au gui l’an neuf ! Le houx en fleur
De Christmas à la Chandeleur
S’épanouit, ensorceleur.

Les rois des terres levantines
Aux Porcherons chantent matines
Et subornent les Valentines.

La bûche flambe. Au gui l’an neuf !
Tel un oisillon de son œuf.
L’heure s’échappe. Trois ! six ! neuf !

Douze ! Et la flamme ranimée
À travers la rose fumée,
Exhale une âme parfumée.

L’Espérance donne du cor
Et, sur l’acier qui vibre encor,
Fait tinter son cothurne d’or.


Ô madame la jeune année,
Par vous me soit encor donnée
Une fleur de ma fleur fanée.

Pour avoir repos et soulas,
Faites germer en mon cœur las
Le regain des premiers lilas.