Sur le Rhin

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SUR LE RHIN


Montagnes et donjons regardent dans le fleuve clair comme un miroir, et mon petit esquif cingle joyeusement, illuminé de l’éclat du soleil.

Tranquille, je regarde le scintillement des vagues qui se replient avec des reflets d’or ; silencieusement s’éveillent les pensées qui dormaient au fond de mon cœur.

La magnificence du fleuve me salue et m’attire par d’amicales promesses ; mais je le connais ; sa surface trompeuse cache au dedans la mort et la nuit.

Au dehors le bonheur, et des embûches dans le sein, fleuve, tu es l’image de ma bien-aimée : elle aussi a l’air si amical, elle aussi sourit doucement.


Au commencement, j’étais près de désespérer et je croyais ne jamais y tenir ; et pourtant, j’ai fini par m’y faire, — mais ne me demandez pas comment !


Là haut où scintillent les étoiles, s’épanouissent pour nous les joies refusées ici-bas : ce n’est que dans les bras glacés de la mort que la vie peut se ranimer ; c’est de la nuit que point la lumière.


De roses, de cyprès, et de lames d’or, je voudrais parer avec amour ce livre comme un cercueil, et y ensevelir mes chants.

Oh ! si je pouvais aussi y ensevelir mon amour ! Sur la tombe de l’amour croît la petite fleur du repos, c’est là qu’elle s’épanouit, c’est là qu’on la cueille ; — mais elle ne fleurira pour moi que lorsque je serai dans la fosse.

Ils sont là maintenant, ces chants qui, autrefois, comme un torrent de lave échappé de l’Etna, se précipitaient impétueusement des profondeurs de mon âme, faisant jaillir autour d’eux de brillantes étincelles !

Et les voilà silencieux, semblables à des morts, raidis, et froids et pâles comme le brouillard. Mais quand l’esprit de l’amour vient à planer sur eux, l’ardeur d’autrefois les ranime.

Et dans mon cœur maints pressentiments s’éveillent : un jour l’esprit d’amour répandra sur eux sa rosée ; un jour ce livre tombera dans ta main, douce bien-aimée, en lointain pays.

Et voici, le charme magique est rompu : les lettres pâles te regardent, elles regardent suppliantes dans tes beaux yeux, et chuchotent douloureusement avec le souffle de l’amour.