Beautés de la poésie anglaise/Sur une vue lointaine du collège d’Eton

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SUR UNE VUE LOINTAINE DU COLLÈGE D’ETON.



Clochers lointains ! antiques Tours !
Qui couronnez l’allée aqueuse
Où la Science tient ses cours
De son Henry sous l’ombre heureuse ;
Et vous nobles Tours de Windsor
Qui de plus haut voyez encor
Les bosquets, les vertes prairies,
Le gazon, le ruban d’argent
Que le fleuve en ses rêveries
Doucement traîne en serpentant :

Ah! quels sites délicieux !
Ah ! quel divin, quel frais ombrage !
Où mon enfance dans ses jeux
Flânait, dépensait le bel âge!
Alors j’ignorais le chagrin !
Quand votre brise en mon chemin

Se trouve,… un bonheur éphémère
Soudain s’empare de mes sens,
Pour moi renaît un nouvel ère,
Pour mon cœur un second printemps.

Tamise ! … beau fleuve, tu vis
Plus d’une troupe aventureuse
D’écoliers sur tes bords chéris
Se livrer à la vie oiseuse ;
Dis-nous le nom des jouvenceaux
Qui te parurent les plus beaux
Alors qu’ils caressaient ton onde ?
Dis-nous de ces jeunes oisifs
Lequel eut plus vive faconde
Pour rendre les plaisirs plus vifs ?

Tandis que le sage écolier
Dans un doux loisir se délasse,
Tout prêt à courir le premier
Au labeur quand sonne la classe,
Voici d’espiègles un essaim
Ivres d’air, franchissant soudain
Les limites de leur royaume,
Comme ils regardent derrière eux
Tout en courant ! – c’est qu’un fantôme
Le maître… apparait dans leurs jeux.

Heureux enfants ! à vous l’espoir
Si doux, – surtout en perspective ;
À vous petits chagrins qu’un soir
Voit changer en gaîté naïve ;
À vous le chaud soleil du cœur
À vous l’esprit vif, inventeur,
À vous cette brûlante flamme
Qu’entretient la santé du corps,
À vous la douce paix d’une âme
Vierge encore de tout remords !


Insouciant de son destin,
Chacun d’eux folâtre à merveille,
Sans plus penser au lendemain
Qu’il ne pense encore à la veille ;
Autour d’eux voyez cependant
Comme tournoie en les guettant
Du malheur la noire cohorte !
Ah ! faites-leur voir le danger,
Afin que s’il frappe à leur porte
Ils se gardent de l’héberger.

Poursuivis par d’affreux vautours,
Par leurs passions furibondes,
Tous ils seront dans quelques jours
En proie à leurs luttes immondes ;
Aux uns la Colère et la Peur,
Et la Honte plus qu’un malheur ;
À d’autres l’Envie implacable
Qui grignote le fond du cœur,
Ou la Jalousie effroyable
Qui fait joujou de la douleur.

Ceux-ci mus par l’Ambition
Hissés sur les ailes d’Icare,
Iront chercher l’ovation
Pour retomber dans le Ténare ;
Ceux-là boiront l’amer mépris
Dans le troupeau des incompris ;
Victimes de l’Ingratitude
D’autres souffriront mille morts ;
Riant d’un rire fauve et rude.
D’autres plieront sous le remords.

Regardez ! dans le vol des ans
En bas, est une troupe affreuse,
La mort groupe sur ces divans
Toute sa famille hideuse :

Voyez, voyez la travaillant.
Et de son scalpel tenaillant
Le genre humain sur sa sellette,
Elle en fait son souffre-douleur !
L’Age et la Pauvreté maigrette
Achèvent l’horrible labeur!

Mais enfin à chacun son lot !
Tous sont condamnés par avance
À souffrir… car le dernier mot
De la nature est la souffrance.
Hélas ! pourquoi de leur destin
Apprendraient-ils quelle est la fin,
Puisque le bonheur fuit si vite
Et que trop tôt vient le malheur ?
La folie est le meilleur gîte
Où l’ignorance est le bonheur !