Théorie de la grande guerre/Livre III/Chapitre 14

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Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 83-84).
De la stratégie en général

CHAPITRE XIV.

économie des forces.


Dans la pratique de chacun des arts auxquels se voue l’activité humaine, l’artiste ne saurait, esclave servile de la méthode, s’en tenir à la rigide application des principes. Ce ne sont pas les formules algébriques du cercle ou de l’ellipse qui fournissent au mathématicien le moyen d’en retracer la figure, et les abscisses et les ordonnées ne révéleront jamais au statuaire les vraies lignes de la beauté. Il en est ainsi dans l’art militaire, et s’appuyant en principe sur la méthode introduite qui lui sert de mesure générale, celui qui dirige l’action à la guerre, guidé par la réflexion et l’expérience, trouve fréquemment dans le tact de son jugement et la pénétration de son esprit le moyen de simplifier les règles et, par conséquent, d’en faciliter l’application.

C’est ainsi que le général en chef doit incessamment tendre à l’action commune de toutes ses forces, ou, en d’autres termes, à ce qu’aucune partie des forces dont il dispose ne reste inactive.

C’est, en effet, être un mauvais ménager de ses forces que d’en laisser sur un point plus que les besoins de la situation ne l’exigent, ou d’en avoir une partie occupée dans des marches et des manœuvres, et par conséquent indisponibles au moment où il faut se mesurer avec celles de l’ennemi. On peut même, dans ce sens, en arriver à une dissipation des forces de beaucoup plus pernicieuse que ne le serait leur emploi le moins justifié. Dès qu’il faut agir, il convient de porter la totalité des forces à l’action ; s’il s’en trouve alors plus qu’il n’est nécessaire, elles neutralisent du moins une partie de celles de l’ennemi, tandis que, restées inactives, elles eussent elles-mêmes été tout à fait neutralisées.

Cette manière de procéder se rattache évidemment aux principes que nous avons donnés dans les trois chapitres précédents. Ce n’est, en somme, que la même vérité envisagée d’un point de vue plus général.