Théorie de la grande guerre/Livre VII/Chapitre 7

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Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Tome troisièmep. 33-35).

CHAPITRE VII.

la bataille offensive.


Ce que nous avons dit de la bataille défensive jette déjà une lumière considérable sur la bataille offensive. Nous avions alors essentiellement en vue l’action du défenseur. Il est peu de batailles, cependant, où la défensive conserve ce caractère absolu et, la plupart d’entre elles n’étant à peu près que des rencontres, le caractère défensif y est bien moins accentué. Le caractère offensif, au contraire, persiste dans toutes les conditions et s’affirme d’autant plus, dans une bataille, que le défenseur s’y trouve moins dans son élément. Néanmoins, aussi bien dans les batailles où le caractère défensif est peu prononcé que dans celles même qui ne sont absolument que des rencontres, l’action conserve toujours, chez chacun des adversaires, une partie de son caractère originel.

Dans une bataille, le caractère offensif se manifeste surtout par des mouvements enveloppants et tournants. — C’est l’attaquant qui livre la bataille.

L’action tactique au moyen des lignes enveloppantes présente manifestement de grands avantages, et l’attaque aurait tort d’y renoncer parce que la défense a, de son côté, un moyen à opposer à cette action. Ce moyen, en effet, n’est efficace que lorsque le défenseur se trouve dans les meilleures conditions de résistance. Pour envelopper efficacement l’attaquant dans son propre mouvement d’enveloppement, il lui faut tout d’abord occuper une position bien choisie et bien préparée, mais en outre, et cela a encore plus d’importance, il ne dispose pas toujours de la totalité des avantages de la forme défensive et, dans la majorité des cas, inquiet, gêné et réduit aux expédients, il préfère ne pas attendre l’attaque et marcher à sa rencontre, de sorte qu’au moment où celle-ci se produit il en est réduit à ne prendre que des dispositions hâtives et de circonstance. D’où il suit que les batailles au moyen des lignes enveloppantes ou à front oblique, que l’attaque ne devrait livrer qu’en raison seulement de la disposition avantageuse de ses lignes de communications, sont généralement la conséquence de sa grande supériorité physique et morale — Marengo, Austerlitz, Iéna. — Quand il livre une première bataille, d’ailleurs, l’attaquant peut se montrer plus audacieux que dans les suivantes, car, en raison du peu d’éloignement de la frontière, si sa base n’est pas supérieure à celle de son adversaire elle est du moins en général très étendue. La bataille à front oblique ou attaque de flanc est, du reste, plus efficace encore que la bataille enveloppante, et c’est se faire une idée absolument fausse de croire que, pour pouvoir combattre dans cet ordre, il faille avoir marché dès le principe suivant des lignes convergentes comme à Prague. Cette disposition présente très peu de chances de réussite, nous le montrerons dans le chapitre où nous traiterons de l’attaque d’un théâtre de guerre, et, par suite, il est fort rare qu’on la prenne en vue de la première bataille à livrer.

Si, dans une bataille défensive, le général en chef a tout intérêt à retarder le plus possible la décision afin de gagner du temps parce qu’une bataille défensive encore indécise au moment du coucher du soleil peut généralement être considérée comme gagnée, le général en chef a au contraire tout intérêt à obtenir promptement la victoire dans une bataille offensive. Il ne faut pas perdre de vue, cependant, qu’une trop grande précipitation peut ici conduire au gaspillage des forces, ce qui constitue un grand danger.

L’incertitude dans laquelle on est généralement de la situation de l’adversaire est l’un des caractères particuliers de la bataille offensive, et, dans la plupart des cas, le général en chef y navigue à pleine voile dans l’inconnu — Austerlitz, Wagram, Hohenlinden, Iéna, la Katzbach. — Plus il en est ainsi et plus il convient de préférer les mouvements tournants aux mouvements enveloppants.

Nous avons déjà dit, au chapitre XII du livre du Combat, que c’est dans la poursuite que se récoltent les principaux fruits de la victoire. Or il est dans la nature des choses que la poursuite fasse plus intégralement partie de l’action dans la bataille offensive que dans la bataille défensive.