Traces de buddhisme en Norvége/18

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C. A. Holmboe
Simon Raçon et Co. (p. 63-67).

Si finalement nous consultons l’histoire, nous aurons de nouveaux témoignages sur la naissance de l’odinisme dans le sein du buddhisme.

Le père de l’histoire de la Norvége, Snorro-Sturlason, après avoir indiqué Tanaqvisl (le Tanaïs ou le Don) comme frontière entre l’Europe et lAsie, poursuit en ces termes:

«Le pays a l’est de Tanaqvisl s’appelait Asaland (le pays des Ases) ou Asaheim (la patrie des Ases), et le bourg principal du pays était nommé Asgard (le bourg des Ases). Il y avait dans ce bourg un chef du nom d’Odin, et le bourg était un lieu de grandes offrandes[1]

Et peu après il dit: «Du N.E. vers le S.O., il passe une grande chaîne de montagnes qui sépare le grand Svithiod d’autres royaumes. Du côté méridional des montagnes on n’a pas une longue distance à parcourir pour arriver au pays des Turcs, où Odin avait de grandes possessions[2].» La grande chaîne de montagnes qu’il mentionne est le Caucase, car il avait dit précédemment que Svithiod était situé au nord de la mer Noire. Et par le pays des Turcs il indique évidemment le pays qui porte aujourd’hui le nom de Turkestân, car il dil ensuite qu’Odin, en quittant sa patrie avec sa suite, alla d’abord vers l’ouest pour arriver a Gardarike (la Russie).

Ayant ainsi démontré que Snorro place la patrie des Ases dans le Turkestân, nous allons voir que des écrivains chinois, grecs et latins parlent d’un peuple ou d’une race d’Ases dans les mémes régions. Un auteur chinois rapporte qu’au deuxiéme siècle avant Jésus-Christ il arriva à Lo-Jang, capitale de la Chine, un Chaman[3] du peuple des Ases qui habitaient les bords du fleuve Oxus, et qu’il traduisit les livres saints qu’il apporta, ce qui donna occasion à la conversion de beaucoup de monde au buddhisme[4]. Strabon[5] rapporte que, parmi les peuplades qui, venant d’au delà du Jaxartes, envahirent la Bactriane et l’arrachèrent au pouvoir des successeurs grecs d’Alexandre, une des plus distinguées, c’étaient les Άσισι. Trogus Pompeius fait mention du même événement en ces termes:

«Sarancæ et Asiani Bactra occupavere» et dans un autre endroit il nomme «reges Tocharorum Asiani[6], expression qui conduit M. Lassen à émettre l’opinion, que les Asii ou Asiani n’étaient pas un peuple, mais plutôt une race distinguée, de laquelle les rois des Tochares tiraient leur origine[7]. Cette hypothése acquiert de la vraisemblance si nous supposons que c’est le même nom qui se lit sur les monnaies avec la légende: ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΒΕΣΙΛΕΩΝ ΜΕΓΑΛΟΥ ΑΖΟΥ. Un grand nombre de ces monnaies a été découvert dans les tôpes, et une masse beaucoup plus considérable que d’aucune autre espèce a été trouvée autre part, particulièrement au nord et à l’est de Pechawer. Il est aussi à remarquer que les monnaies d’Azes présentent une bien plus grande variété de types que celles d’aucun autre des souverains dont les monnaies ont été trouvées dans les tôpes, à raison de quoi M. Wilson suppose qu’elles ne doivent pas être attribuées à un roi seul, mais à Azes et à plusieurs de ses successeurs, qui ont régné au premier siècle avant Jésus-Christ et plus tard[8]. L’hypothèse de M. Lassen est aussi soutenue par Jornandes qui dit: «Gothi proceres suos anses i. e. semideos vocavere.» Or le mot ans de la langue gothique est identique avec ás de la langue ancienne de la Norvége[9].

C’est probablement la même dynastie dont les annales chinoises font mention, quand elles rapportent qu’au premier siècle après Jésus-Christ le prince de Kuei-Chuang conquit lout le pays des Amszu’s autour du Kabul, Kandahar et Kophen[10]. Les mêmes annales parlent, dans un autre endroit, d’un peuple ou d’une dynastie d’Amsi en Soghdiane au premier siècle avant Jésus-Christ[11].

J’espère maintenant avoir produit des arguments satisfaisants pour prouver que l’Asaland de Snorro est identique avec le pays des Ases, dont nous venons de parler. Nous devons actuellement démontrer que le buddhisme étail répandu dans ces contrées au moms deux siècles avant Jésus-Christ, et qu’il continuait à y être prpfessé plusieurs siècles après cette époque.

Le premier souverain puissant qui embrassa le buddhisme fut le roi de l’Inde Açoka, qui régnait dans le troisième siècle avant Jésus-Christ, et, en souvenir de cetl événement, il fit ériger des piliers et de grands blocs de pierre avec des inscriptions mentionnant l’adoption de cette religion. Un de ces blocs a été découvert dans le Kabulistân[12]. Ce monarque expédia même des envoyés chez les rois grecs de Syrie et d’Égypte, pour obtenir la permission de faire prêcher le buddhisme dans leurs États.

Les annales chinoises rapportent qu’au deuxième siècle avant notre ère le général chinois Hukiuping, qui porta la guerre contre les Hiungnu’s, rencontra chez le roi du pays d’Hiu-thia, à l’ouest des montagnes d’Yarkend, une statue dorée à laquelle on fit des offrandes[13], et les commentateurs de l’historiographe chinois Pan-ku déclarent que cette statue était celle de Buddha[14]. J’ai déjà ci-dessus cité, d’après les mêmes annales, qu’au deuxième siècle avant Jésus-Christ un religieux buddhique arriva des bords du fleuve Oxus à la Chine, et y convertit beaucoup de monde.

Vers la fin du quatrième siècle, le pèlerin chinois Fa-Hian alla vers l’ouest avec quelques compagnons de son pays, pour chercher les préceptes de la loi, comme s’exprime son historiographe, c’ést-à-dire pour apprendre les préceptes de Buddha dans les pays ou ils avaient été prêchés des le commencement. Dans son voyage il arriva à la ville de Khoten où il trouva le buddhisme professé avec zèle; il y avait là un grand nombre de couvents spacieux et magnifiques, dont quelques-uns contenaient des milliers de religieux; on y possédait des images précieuses de Buddha, qu’on promenait dans des processions nombreuses, auxquelles le roi même prenait part[15]. En quittant Khoten, il poursuivit son voyage vers l’ouest et traversa les contrées où nous avons vu les Ases habiter, et il rencontra partout des coreligionnaires.

Un autre pèlerin buddhique de la Chine, Hiouèn-Thsang, fit, au septième siècle, un voyage semblable, dans le même but que Fa-Hian, c’est-à-dire pour étudier la doctrine de Buddha dans les contrées où il l’avait prêchée lui-même. Il passa par toute la haute Asie jusqu’à Bamian, située dans une vallée parmi les montagnes au nord de Kabulistân, et il y trouva un grand foyer du buddhisme.

On peut se faire une idée du grand renom des buddhistes dans ces contrées en apprenant que les rois de Hlassa en Tibet, au septième siècle, envoyèrent chercher des architectes de la vallée du Kabul pour construire des temples buddhiques[16]. Nous voyons donc, que le buddhisme régnait dans ces contrées avant la période où Odin doit avoir quitté sa patrie pour aller chez les ancêtres des Scandinaves, et les tôpes attestent la profession continuée du buddhisme pendant plusieurs siècles.

La vraie situation d’Asgárd sera sans doute inconnue aussi longtemps qu’on ne saura pas au juste l’époque de l’émigration d’Odin. Il me semble qu’il est probable que le nom d’Asgárd est identique avec Asagarta, dans les inscriptions de Bisoutoün (Bagistana), laquelle, dans l’énymération des provinces qui appartenaient à la monarchie de Darius, est nommée immédiatement avant Parthia. M. Lassen pense qu’on doit chercher Asargarta à l’ouest de Parthia. Si au contraire elle était située à l’est de ce pays, sa situation s’accorderait assez bien avec les contrées où nous avons rencontré les Ases... Asgárd peut être le nom oriental, un peu altéré pour se conformer aux règles de la langue norvégienne. Les mots gard, guer, kart, kert se rencontrent dans plusieurs langues ariennes, avec la même signification que gárd dans la norvégienne, par exemple en persan, Darabguerd, la ville de Darius.

    cune trace d’un tertre qui puisse les avoir couverts, circonstance que nous retrouvons en Norvége, dans l’île nommée Gesfjordöe, mentionnée plus haut. M. Dometius, curé de la paroisse de Nœsne, voisine de Cattiel, vient de me faire savoir qu’un tailleur avait découvert dans cette île un grand nombre de tombeaux, dont quelques-uns ne consistent qu’en des cellules construites en pierres, sans aucune trace de tertre qui puisse les avoir recouverts.

  1. Ynglinga-Saga, chap. II.
  2. Ibid., chap. V.
  3. Chaman, ou mieux Çramana, «ascète qui dompte ses sens,» est un terme qui désigne un religieux buddhique.
  4. Zeitschr. f. d. K. d. Morgenl., III, p. 121-123.
  5. Strabo, 1. XI, 8, 2 (p. 511).
  6. Trog. Pomp., XLI, XLII.
  7. Indisch. Alterthumskunde, II, p. 360.
  8. Ariana ant., p. 320 et sviv. Il faut, du reste, avouer que la lettre ζ du nom Αζις; répondrait plutôt à la lettre j qu’à s de l’indien: mais, dans ces contrées, l’emploi organique des lettres grecques peut bien avoir été négligé.
  9. Quand la voyelle a reçoit laccent aigu (á), dans la langue norvégienne, elle se prononce comme au ou ao, et répond souvent à la syllabe an, dans les langues congénères; par exemple: sanscrit, hansa; allem, gans; norv., gás, oie. Le norv. ás et le goth. ans dérivent sans doute du sanscrit, ançu, rayon, lumière, splendeur, d’où ansi ou asi a dû signifier splendide, épithète assez convenable d’une familie distinguée.
  10. Foe houe ki, n. 9, p. 83.
  11. Ab. Rémusat. Nouv. Mélanges, t. I, p. 175.
  12. Lassen, Ind. Alterth., II, p. 215 et suiv.
  13. Ib., II, p. 54.
  14. Journal des Savants, 1854, mai, p. 280.
  15. Foe koue ki. Histoire de la ville de Khoten..., traduite du chinois par M. Able Rémusat Paris, 1820.
  16. Sanang Seetsen, Geschichte der Ost-Mongolen, von J. Schmidt, Saint Pétersbourg, 1829; Ab chn. II, Tibetische Geschichte, p. 41.