Traité de Paris (1815)

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Traité de paix signé à Paris le 20 novembre 1815 entre la France d’une part, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie de l’autre.
Amyot, éditeur des archives diplomatiques (2p. 664-670).

Traité de paix signé à Paris le 20 novembre 1815 entre la France d’une part , l’Autriche, la Grande-Bretagne , la Prusse et la Russie de l’autre.

Au nom de la Très-Sainte et Indivisible Trinité .

LES Puissances alliées ayant, par les efforts réunis et par le succès de leur armes, préservé la France et l’Europe des bouleversemens dont elles étaient menacées par le dernier attentat de Napoléon Buonaparte, et par le système révolutionnaire reproduit en France pour faire réussir cet attentat ;

Partageant aujourd’hui avec Sa Majesté Très-Chrétienne le desir de consolider par le maintien inviolable de l’autorité royale et la remise en vigueur de la charte constitutionnelle, l’ordre des choses heureusement rétabli en France, ainsi que celui de ramener entre la France et ses voisins ces rapports de confiance et de bienveillance réciproque que les funestes effets de la révolution et du système de conquête avaient troublés pendant si long-temps ;

Persuadées que ce dernier but ne saurait être atteint que par un arrangement propre à leur assurer de justes indemnités pour le passé et des garanties solides pour l’avenir,

Ont pris en considération, de concert avec S. M. le Roi de France, les moyens de réaliser cet arrangement ; et ayant reconnu que l’indemnité due aux Puissances ne pouvait être ni toute territoriale, ni toute pécuniaire, sans porter atteinte à l’un ou à l’autre des intérêts essentiels de la France ; et qu’il serait plus convenable de combiner les deux modes ; de manière à prévenir ces deux inconvéniens, LL. MM. II. et RR. ont adopté cette base pour leurs transactions actuelles ; et se trouvant également d’accord sur celle de la nécessité de conserver pendant un temps déterminé dans les provonces frontières de la France un certain nombre de troupes alliées, elles sont convenues de réunir les différentes dispositions fondées sur ces bases, dans un traité définitif.

Dans ce but, et à cet effet, S. M. le Roi de France et de Navarre, d’une part, S. M. l’Empereur d’Autriche, Roi de Hongrie et de Bohème, pour elle et ses alliés, d’autre part, ont nommé leurs plénipotentiaires pour discuter , arrêter et signer ledit traité définitif, savoir :

(Suivent les noms et qualités des Plénipotenciaires.)

Lesquels, après avoir échangé leurs pleins-pouvoirs trouvés en bonne et due forme, ont signé les articles suivans :


ARTICLE PREMIER.[modifier]

Les frontières de la France seront telles qu’elles étaient en 1790 sauf les modifications de la part d’autre qui se trouvent indiquées dans l’article présent.

I.° Sur les frontières du nord, la ligne de démarcation restera telle que le traité de Paris l’avait fixée, jusque vis-à-vis de Quiévrain ; de là elle suivra les anciennes limites de provinces belgiques, du ci-devant évêché de Liége et du duché de Bouillon, telles qu’elles étaient en 1790, en laissant les territoires enclavés de Philippeville et Marienbourg, avec les places de ce nom, ainsi que tout le duché de Bouillon, hors des frontières de la France ; depuis Villers près d’Orval (sur les confins du département des Ardennes et du grand duché de Luxembourg) jusqu’à Perle, sur la chaussée qui conduit de Thionville à Trèves, la ligne restera telle qu’elle avait été désignée par le traité de Paris. De Perle elle passera par Launsdorf, Wallwich, Schardof, Niederveiling, Pellweiler, tous ces endroits restant avec leurs banlieues à la France, jusqu’à Houvre, et suivra de là les anciennes limites du pays de Sarrebruck, en laissant Sarre-Louis et le cours de la Sarre, avec les endroits situés à la droite de la ligne ci-dessus désignée et leurs banlieues, hors des limites françaises. Des limites du pays de Sarrebruck, la ligne de démarcation sera la même qui sépare actuellement de l’Allemagne des départemens de la Moselle et du Bas-Rhin, jusqu’à Lauter, qui servira ensuite de frontière jusqu’à son embouchure dans le Rhin. Tout le territoire sur la rive gauche de Lauter, y compris la place de Landau, fera partie de l’Allemagne ; cependant la ville de Weissembourg, traversée par cette rivière, restera toute entière à la France, avec un rayon sur la rive gauche n’excédant pas mille toises, et qui sera plus particulièrement déterminé par les commissaires que l’on chargera de la délimitation prochaine.

2.° A partir de l’embouchure de la Lauter, le long des départemens du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, du Doubs et du Jura, jusqu’au canton de Vaud, les frontières resteront comme elles ont été fixées par le traité de Paris. Le thalweg du Rhin formera la démarcation entre la France et les États de l’Allemagne  ; mais la proprité des îles, telle qu’elle sera fixée à la suite d’une nouvelle reconnaissance du cours de ce fleuve, restera immuable, quelques changemens que subisse ce cours par la suite du temps. Des commissaires seront nommés de part et d’autre par les hautes parties contractantes, dans le délai de trois mois, pour procéder à ladite reconnaissance. La moitié du pont entre Strasbourg et Kehk appartiendra à la France, et l’autre moitié au grand duché de Bade.

3.° Pour établir une communication directe entre le canton de Genève et la Suisse, la partie du pays de Gex bornée à l’est par le lac Léman, au midi par le territoire du canton de Genève, au nord par celui du canton de Vaud, à l’ouest par le cours de la Versoix et par une ligne qui renferme les communes de Collex-Bossy et Meyrin, en laissant la commune de Ferney à la France, sera cédée à la confédération helvétique, pour être réunie au canton de Genève. La ligne des douanes françaises sera placée à l’ouest du Jura, de manière que tout le pays de Gex se trouve hors de cette ligne.

4.° Des frontières du canton de Genève jusqu’à la Méditerranée, la ligne de démarcation sera celle qui, en 1790, séparait la France de la Savoie et du comté de Nice. Les rapports que le traité de Paris de 1814 avait rétablis entre la France et la principauté de Monaco, cesseront à perpétuité, et les mêmes rapports existeront entre cette principauté et S. M. le Roi de Sardaigne.

5.° Tous les territoires et districts enclavés dans les limites du territoire français, telles qu’elles ont été déterminées par le présent article, resteront réunis à la France.

6.° Les hautes parties contractantes nommeront, dans le délai de trois mois après la signature du présent traité, des commissaires pour régler tout ce qui a rapport à la délimitation des pays de part et d’autre ; et aussitôt que le travail des commissaires sera terminé, il sera dressé des cartes et placé des poteaux qui constateront les limites respectives.

ART. 2.[modifier]

Les places et les districts qui, selon l’article précédent, ne doivent plus faire partie du territoire français, seront remis à la disposition des Puissances alliées, dans les termes fixés par l’art. 9 de la convention militaire annexée au présent traité, et S. M. le Roi de France renonce à perpétuité, pour elle et ses héritiers et successeurs, aux droits de souveraineté et de proprité qu’elle a exercés jusqu’ici sur lesdites places et districts.

ART. 3.[modifier]

Les fortifications d’Huningue ayant été constamment un objet d’inquiétude pour la ville de Bâle, les hautes parties contractantes, pour donner à la confédération helvétique une nouvelle preuve de leur bienveillance et de leur sollicitude, sont convenues entre elles de faire démolir les fortifications d’Huningue ; et le Gouvernement français s’engage, par le même motif, à ne les rétablir dans aucun temps, et à ne point les remplacer par d’autres fortications à une distance moindre que trois lieues de la ville de Bâle.

La neutralité de la Suisse sera étendue au territoire qui se trouve au nord d’une ligner à tirer depuis Ugine, y compris cette ville, au midi du lac d’Annecy, par Faverge, jusqu’à Lecheraine, et de là au lac du Bourget jusqu’au Rhône, de la même manière qu’elle a été étendue aux provinces de Chablais et de Faucigny par l’article 92 de l’acte final du congrès de Vienne.

ART. 4.

La partie pécuniaire de l’indemnité à fournir par la France aux Puissances alliées, est fixée à la somme de sept cents millions de francs. Le mode, les termes et les garanties du paiement de cette somme seront réglés par une convention particulière, qui aura la même force et valeur que si elle était textuellement insérée au présent traité.

ART. 5.[modifier]

L’état d’inquiétude et de fermentation dont, après tant de secousses violentes, et sur-tout après la dernière catastrophe, la France, malgré les intentions paternelles de son Roi, et les avantages assurés par la charte constitutionnelle à toutes les classes de ses sujets, doit nécessairement se ressentir encore, exigeant, pour la sûreté des États voisins, des mesures de précaution et de garantie temporaires, il a été jugé indispensable de faire occuper pendant un certain temps, par un corps de troupes alliées, des positions militaires le long des frontières de la France, sous la réserve expresse que cette occupation ne portera aucun préjudice à la souveraineté de S. M. Très-Chrétienne, ni à l’état de possession tel qu’il est reconnu et confirmé par le présent traité.

Le nombre de ces troupes ne dépassera pas cent cinquante mille hommes. Le commandant en chef de cette armée sera nommé par les Puissances alliées.

Ce corps d’armée occupera les places de Condé, Valenciennes, Bouchain, Cambrai, le Quesnoy, Maubeuge, Landrecies, Avesnes, Rocroy, Givet avec Charlemont, Mézières, Sedan, Montmédy, Thionville, Longwy, Bitche, et la tête de pont du Fort-Louis.

L’entretien de l’armée destinée à ce service devant être fourni par la France, une convention spéciale réglera tout ce qui peut avoir rapport à cet objet. Cette convention, qui aura la même force et valeur que si elle était textuellement insérée dans le présent traité, réglera de même les relations de l’armée d’occupation avec les autorités civiles et militaires du pays.

Le maximum de la durée de cette occupation militaire est fixé à cinq ans. Elle peut finir avant ce terme, si, au bout de trois ans, les souverains alliés, après avoir, de concert avec S. M. le Roi de France, mûrement examiné la situation et les intérêts réciproques et les progrès que le rétablisssement de l’ordre et de la tranquilité aura faits en France, s’accordent à reconnaître que les motifs qui les portaient à cette mesure, ont cessé d’exister. Mais, quel que soit le résultat de cette délibération, toutes les places et positions occupées par les troupes alliées seront, au terme de cinq ans révolus, évacuées sans autre délai, et remises à S. M. T. C., ou à ses héritiers et successeurs.

ART. 6.[modifier]

Les troupes étrangères, autres que celles qui feront partie de l’armée d’occupation, évacueront le territoire français dans les termes fixés par l’article 9 de la convention militaire annexée au présent traité.

ART. 7.[modifier]

Dans tous les pays qui changeront de maître, tant en vertu du présent traité que des arrangemens qui doivent être faits en conséquence, il sera accordé aux habitans naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu’ils soient, un espace de six ans, à compter de l’échéance des ratifications, pour disposer, s’ils le jugent convenable, de leurs propriétés, et se retirer dans tel pays qu’il leur plaira de choisir.

ART. 8.[modifier]

Toutes les dispositions du traité de Paris du 30 mai 1814, relatives aux pays cédés par ce traité, s’appliqueront également aux différens territoires et districts cédés par le présent traité.

ART. 9.[modifier]

Les hautes parties contractantes s’étant fait représenter les différentes réclamations provenant du fait de la non-exécution des articles 19 et suivans du traité du 30 mai 1814, ainsi que des articles additionnels de ce traité, signés entre la Grande-Bretagne et la France, desirant de rendre plus efficaces les dispositions énoncées dans ces articles, et ayant, à cet effet, déterminé par deux conventions séparées la marche à suivre de part et d’autre pour l’exécution complète des articles susmentionnés, les deux dites conventions, telles qu’elles se trouvent jointes au présent traité, auront la même force et valeur que si elles y étaient textuellement insérées.

ART. 10.[modifier]

Tous les prisonniers faits pendant les hostilités, de même que tous les otages qui peuvent avoir été enlevés ou donnés, seront rendus dans le plus court délai possible. Il en sera de même des prisonniers faits antérieurement au traité du 30 mai 1814, et qui n’auraient point encore été restitués.

ART. 11.[modifier]

Le traité de Paris, du 30 mai 1814, et l’acte final du congrès de Vienne, du 9 juin 1815, sont confirmés et seront maintenus dans toutes celles de leurs dispositions qui n’auraient pas été modifiées par les clauses du présent traité.

ART. 12.[modifier]

Le présent traité, avec les conventions qui y sont jointes, sera ratifié en un seul acte, et les ratifications en seront échangées dans le terme de deux mois, ou plutôt, si faire se peut.

En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs l’ont signé et y ont apposé le cachet de leurs armes.

Fait à Paris, le 20 Novembre, l’an de grâce mil huit cent quinze.

ARTICLE ADDITIONNEL.

Les hautes Puissances contractantes, desirant sincèrement de donner suite aux mesures dont elles se sont occupées au congrès de Vienne, relativement à l’abolition complète et universelle de la traite des nègres d’Afrique, et ayant déjà, chacune dans ses états, défendu sans restriction à leurs colonies et sujets, toute part quelconque à ce trafic, s’engagent à réunir de nouveau leurs efforts pour assurer le succès final des principes qu’elles ont proclamés dans la déclaration du 4 février 1815, et à concerter, sans perte de temps, par leurs ministres aux cours de Londre et de Paris, les mesures les plus efficaces pour obtenir l’abolition entière et définitive d’un commerce aussi odieux et aussi hautement réprouvé par les lois de la religion et de la nature.

Le présent article additionnel aura la même force et valeur s’il était inséré mot à mot au traité de ce jour. Il sera compris dans la ratification dudit traité.

En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l’ont signé, et y on apposé le cachet de leurs armes.

Fait à Paris, le 20 Novembre, l’an de grâce 1815