Tristan Corbière (Le Goffic)

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Les Amours jaunes (1873, préface de 1911)
Albert Messein, éditeur (p. i-xxxii).


TRISTAN CORBIÈRE


Le 1er mars 1875, dans la trentième année de son âge, s’éteignait à Morlaix un pauvre être falot, rongé de phtisie, perclus de rhumatismes et si long et si maigre et si jaune que les marins bretons, ses amis, l’avaient baptisé an Ankou (la Mort).

Il portait à l’état-civil le nom prédestiné de Corbière : une « corbière », c’est, dans la langue maritime, le liseré de côtes sur lequel s’exerce la surveillance des douaniers et qui est hanté par la contrebande et la quête des épaves. Poète, il garda le nom, mais remplaça ses prénoms (Edouard-Joachim) par celui de Tristan, peut-être en souvenir de ce Tristan de Léonois qui fut la première et la plus illustre victime des fatalités de la passion, peut-être pour obéir à la mode romantique des prénoms moyenâgeux, peut-être pour se moquer de lui-même et de sa figure d’enterrement, peut-être pour toutes ces raisons à la fois. Et, par bravade ou par sympathie, il donna le même nom à son chien, le plus crotté des barbets d’Armorique. Ils n’allaient jamais l’un sans l’autre. On n’a pas encore oublié les deux Tristan à Roscoff, où se déroulèrent, de 1866 à 1872, les plus palpitants chapitres de leur carrière accidentée. La famille Corbière possédait dans ce « trou de flibustiers », près de l’église italienne de Notre-Dame de Croaz-Batz, une vieille maison du xvie siècle qu’elle avait aménagée en villa pour ses résidences d’été ; son arrivée mettait régulièrement en fuite les deux fantoches qui, plutôt que de se plier à la régularité d’une existence bourgeoise, préféraient s’accommoder d’un simple hamac chez un pêcheur du voisinage. En automne seulement, au départ de ses hôtes, ils réintégraient la villa familiale. Tristan Corbière prenait possession du salon et y remisait son canot, dont il faisait son lit ; Tristan le chien couchait à l’avant, dans une manne à poissons !

Ces excentricités — et d’autres moins innocentes — valurent rapidement à leur auteur une manière de célébrité locale, d’assez mauvais aloi d’ailleurs. Transportées à Paris, elles n’intéressèrent que quelques artistes amis du pittoresque et, quand Tristan Corbière, dans les derniers mois de 1873, s’avisa de publier chez les frères Glady son premier et unique recueil de vers, les Amours Jaunes, le livre, malgré le tire-l’œil du titre, passa totalement inaperçu. Corbière mourut peu après ; les Glady déposèrent leur bilan et tout parut consommé : le soleil des morts fut seul à se pencher, pendant huit longues années, sur cette ombre douloureuse et grimaçante comme les gargouilles de nos cathédrales.

Il est fort possible, en effet, et j’en croirais volontiers M. Luce et M. Paterne Berrichon, qu’un exemplaire des Amours Jaunes, découvert sur les quais par le dessinateur-poète Parisel, ait été communiqué d’assez bonne heure aux « Vivants », le cénacle poétique fondé en 1875 par Jean Richepin, Raoul Ponchon, et Maurice Bouchor. Mais il faut donc que les membres du cénacle aient gardé jalousement pour eux cette révélation, car il n’en transpira rien dans le public jusqu’en 1883. C’est seulement à la fin de cette année-là que Pol Kalig, pseudonyme du Dr Chenantais, cousin et ami de Corbière, parla des Amours Jaunes à M. Léo Trézenic, lequel dirigeait, avec Charles Morice, une petite revue d’avant-garde nommée Lutèce où Verlaine collaborait. On sait le reste et comment Verlaine, à qui Morice et Trézenic avaient porté l’exemplaire prêté par Pol Kalig, le lut, s’enflamma et rédigea, séance tenante, l’étude fameuse qui ouvre sa série des Poètes maudits[1] :

« Tristan Corbière fut un Breton, un marin et le dédaigneux par excellence, æs triplex… Comme rimeur et comme prosodiste il n’a rien d’impeccable, c’est-à-dire d’assommant… Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien et blague encore mieux. Amer d’ailleurs et salé comme son cher Océan, nullement berceur ainsi qu’il arrive parfois à ce turbulent ami, mais roulant comme lui des rayons de soleil, de lumière et d’étoiles, dans la phosphorescence d’une houle et de vagues enragées !… Il devint Parisien un instant, mais sans le sale esprit mesquin : de la bile et de la fièvre s’exaspérant en génie et jusqu’à quelle gaieté !..... »

Suivaient quelques citations : Rescousse, Epitaphe, etc.

« Du reste, ajoutait Verlaine — qui donnait cependant et avec raison la préférence au Corbière marin et breton sur le Corbière parisien, — il faudrait citer toute cette partie du volume, et tout le volume, ou plutôt il faudrait rééditer cette œuvre unique, les Amours Jaunes, parue en 1873, aujourd’hui introuvable ou presque, où Villon et Piron se complairaient à voir un rival souvent heureux, — et les plus illustres d’entre les vrais poètes contemporains un maître à leur taille, au moins ! »

I

Sept ans devaient s’écouler avant qu’un éditeur se rendît à la sommation du « pauvre Lélian ». La gloire de Corbière, en 1891, avait pourtant commencé d’émerger à la lumière des vivants, mais ce n’était encore qu’une gloire de cénacle. Le public et l’Académie l’ignoraient. Catulle Mendès, l’éternel pasticheur dont Corbière dérangeait les ambitions rétrospectives et qui travaillait à se donner pour un précurseur du symbolisme, lui contestait — ainsi qu’à Rimbaud d’ailleurs — toute influence sur la nouvelle génération poétique et l’appelait un « Pierre Dupont bassement transposé, vilainement parodié ». Mais Charles Morice, Jules Laforgue, Gustave Geffroy, Léon Bloy, Jean Ajalbert, Sutter-Laumann, Olivier de Gourcuff, d’autres que j’oublie, se rangeaient à l’opinion de Verlaine et parlaient de Corbière avec la plus sincère admiration.

Sans doute, ils n’acceptaient pas tout du poète ; ils faisaient certaines réserves sur sa syntaxe vacillante, le dégingandement de sa prosodie, l’outrance de son dandysme baudelairien. « Pas de métier », disait Laforgue. Et le des Esseintes de Huysmans s’exprimait plus librement encore sur ces Amours Jaunes, « où le cocasse se mêlait à une énergie désordonnée, où des vers déconcertants éclataient dans des poèmes d’une parfaite obscurité… L’auteur parlait nègre… affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis-voyageur ; puis, tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aigue, comme une corde de violoncelle qui se brise… »

Jugement assez dur pour Corbière, au premier abord. Prenez garde cependant que, sous sa phraséologie impressionniste, il lui accorde tout l’essentiel, la spontanéité, l’énergie, la beauté du cri ; ses fortes restrictions ne surprennent que par comparaison avec le long dithyrambe de Verlaine, dont il est contemporain, ce qui le fait antérieur de plusieurs années à la réédition de 1891. Et c’est ce jugement un peu trouble, dont on ne peut pas dire qu’il soit complètement injuste, ni qu’il soit complètement équitable, parce qu’il est beaucoup trop général, qui ralliera la plupart des lettres et le public lui-même, admis enfin à pénétrer dans l’œuvre du poète autrement que par des citations habilement choisies. L’un des hommes qui, avec le moins de dispositions indulgentes, ont le mieux et le plus profondément parlé de Corbière depuis qu’il nous a été restitué, M. Rémy de Gourmont, écrira, par exemple, que son « talent » est un composé d’esprit vantard, de blague impudente et d’à-coups de génie. Le génie est-il donc monnaie si courante qu’on ait le droit d’en faire fi, même à l’état d’alliage ? Mais la vérité, je crois, est qu’il importe de distinguer dans l’œuvre de Corbière et que l’incertitude de la critique sur la valeur de cette œuvre vient en grande partie de ce qu’elle a confondu des choses très différentes d’inspiration et d’accent.

II

Le recueil de Corbière comprend sept groupes de pièces qu’on pourrait aisément ramener à deux : dans le premier groupe on rangerait les pièces sentimentales, gouailleuses et généralement parisiennes (À Marcelle, les Amours Jaunes, — qui ont donné leur nom au recueil, — Rondels pour après) ou exotiques (Sérénade des Sérénades et Raccrocs) ; dans le second groupe, les pièces bretonnes et maritimes (Armor et Gens de mer).

Il est très rare que ces divisions empiètent les unes sur les autres. Le Poète contumace, par exemple, qui termine les Amours Jaunes, se passe « sur la côte d’Armor », mais son lyrisme tout intime le classe parmi les pièces du premier groupe. C’est d’ailleurs — avec des trous et les inévitables coq à l’âne — une des plus belles pièces de cette série qui en contient tant de déconcertantes et, pourquoi ne pas dire le mot, de franchement insupportables. Pour les Amours Jaunes, comme pour Sérénade, Raccrocs, etc., le verdict de Huysmans, aggravé par M. de Gourmont, serait parfaitement acceptable en somme, s’il faisait la part plus large aux beautés de premier ordre qui étincellent dans « ce fouillis ». Du petit nègre ? Ma foi oui, ou presque. La phrase s’achoppe à tout instant ou, prodigieusement elliptique, emportée dans un vent de folie, n’est plus qu’une ruée de syllabes quelconques. On s’y perd, et l’auteur n’est peut-être pas logé à meilleures enseignes que son lecteur. Il y a chez lui un besoin visible de l’ahurir et peut-être de s’étourdir lui-même. Un cliquetis perpétuel d’antithèses, les alliances de mots les plus baroques, du charabia romantique et de l’argot de barrière, des blasphèmes et des calembours, des pirouettes et des génuflexions, que ne trouve-t-on pas dans cette première partie du recueil ?

Que n’y trouve-t-on pas en effet ? Ecoutez ceci, qui est la finale d’un sonnet « espagnol » intitulé Heures :

    J’entends comme un bruit de crécelle :
    C’est la male heure qui m’appelle.
Dans le creux des nuits tombe un glas, deux glas,


    J’ai compté plus de quatorze heures.
    L’heure est une larme. — Tu pleures,
Mon cœur ?… Chante encor, va ! Ne compte pas.

C’est du Verlaine tout simplement et du meilleur — et c’est du Verlaine d’avant Verlaine. Quand Corbière écrit : « Il pleut dans mon foyer ; il pleut dans mon cœur », cela ne vaut pas sans doute le délicieux, l’inoubliable andante :

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville…

Et cependant, plus que l’octosyllabe de Rimbaud qui leur sert d’épigraphe, le pauvre vers boiteux des Amours Jaunes ne fait-il pas songer à ses frères ailés des Romances sans paroles ?…[2].

Il ne faut pas s’exagérer sans doute l’influence de Corbière sur Verlaine. Il ne faut pas davantage la contester : par tout un côté de son génie étrange et maladif, Corbière a certainement retenti sur Verlaine en 1883, comme Rimbaud en 1871. Et il a retenti du même coup sur toute l’école décadente et symboliste. Tel lui a pris sa blague gamine ou féroce, — qui pouvait être d’essence baudelairienne, mais qui était bien quelquefois aussi du bel et bon esprit français, comme quand Corbière appelait Hugo « garde-national épique » ou quand il parodiait à la Banville, mais avec plus de gaieté véritable, de libre et naturel humour, les Orientales de l’ancêtre :

N’es-tu pas dona Sabine ?
         Carabine ?
Dis : Veux-tu le paradis
De l’Odéon ? Traversée
         Insensée !
On emporte des radis…

Et vous trouverez chez d’autres contemporains ses césures libertines, ses hiatus, ses élisions, son dédain des règles et, chez les meilleurs, ses langueurs de rythme, ses assonances mystérieuses, ses phrases brusques, frissonnantes et sans liaison immédiatement sensible, même son vocabulaire personnel qui a fourni au symbolisme ce verbe plangorer, emprunté de la vieille souche latine et si beau et si large qu’on peut regretter qu’il n’ait pas survécu… Refuser tout métier à Corbière, comme le fait Laforgue, est une pure plaisanterie, et il aurait fallu convenir d’abord du sens qu’on donne au mot métier. Corbière avait lu les romantiques, Musset surtout et sans doute Baudelaire. On peut croire cependant que, dans sa lointaine province, les parnassiens n’avaient pas pénétré. Mais eût-il été homme à se plier au joug de leur étroite discipline ? Ce qui est vrai, c’est qu’assez fréquemment son vers excède ou ne remplit pas la mesure. Examinez-le d’un peu près : vous verrez que c’est seulement quand il contient une diphtongue. On croirait que, par esprit de contradiction, Corbière pratique la diérèse partout où les autres poètes se l’interdisent (à l’exception de Musset, qui n’était pas un très bon modèle à suivre sur ce point) et, réciproquement, qu’il fait exprès de se l’interdire là où ils se la permettent. C’est ainsi qu’il compte papi-ers, fi-èvre, mili-eu, pi-erre pour trois syllabes, nu-it, ci-el, pi-ed pour deux, et qu’en retour, dans tué, fiancé, diamant, muet, viatique, harmonieux, il compte la diphtongue pour une seule syllabe. Cette libre arithmétique dut fort choquer les Parnassiens, gens méticuleux, qui pesaient les diphtongues au trébuchet : nous en avons vu bien d’autres depuis Corbière, et il serait peut-être excessif de continuer à lui faire grief d’une liberté que tout le monde s’arroge aujourd’hui.

Car c’est à quoi se réduit son prétendu manque de métier[3]. Les quelques élisions qu’on rencontre dans son œuvre (sans voir s’elle était blonde), les suppressions de pronoms (vais m’en aller, fut quelqu’un ou quelque chose), même les accrocs à la règle de l’alternance des rimes ne peuvent décemment lui être imputés pour des négligences et sont parfaitement prémédités. Corbière rompait là, délibérément, avec la prosodie romantique pour en adopter une autre, plus proche de sa nature, plus répondante à ses secrets instincts, et qui était la prosodie même des chansons populaires. Il est tout imprégné de cette poésie primitive, rondes, berceuses et complaintes, qui, à chaque instant, comme une bulle légère, remonte à la surface de son inspiration. Et cela encore, en 1873, était une nouveauté. Et c’en était peut-être une autre, malgré la Bonne Chanson, que l’étrangeté et le trouble de l’émotion sensuelle, traduits en des rythmes d’une si extraordinaire fluidité :

Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !
Il n’est plus de nuits ; il n’est plus de jours.
Dors, en attendant venir toutes celles
Qui disaient : jamais ! qui disaient : toujours !…

Buona vespre ! Dors. Ton bout de cierge,
On l’a posé là, puis on est parti.
Tu n’auras pas peur seul, pauvre petit ?
C’est le chandelier de ton lit d’auberge…

Poésie de clair-obscur, chuchotée plus que chantée, si musicale cependant, pleine de lointaines résonnances, de prolongements mystérieux, expression d’un état d’âme inconnu de la génération parnasienne et qui allait devenir celui de la génération de 1884. Elle ne durait pas ; ce n’était qu’une rose dans les ténèbres, comme dit quelque part un personnage de Mœterlinck. Oui sans doute, et le démon du poète, son besoin morbide d’effarer le bourgeois, peut-être tout simplement sa peur du ridicule, étouffaient presque tout de suite ces adorables préludes de viole. Un vertige l’emportait. Il redevenait la proie des mots. Et il assistait, témoin impuissant, mais lucide, aux convulsions de son misérable génie :

Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête…
Je parle sous moi…

L’effroyable aveu, quand on y songe ! Et n’avons-nous pas prononcé un peu vite tout à l’heure ? N’y a-t-il en effet que dandysme et affectation dans le « cas » de Tristan Corbière ? Vraiment on hésite et l’on a le droit d’hésiter, quand on connaît l’homme, déséquilibré de génie, incapable d’accorder les contradictions de sa nature, mais non de les analyser et celui de nos poètes qui, après Baudelaire, a porté peut-être sur lui-même le coup d’œil le plus aigu.

III

Il était né, le 18 juillet 1845, dans la banlieue de Morlaix, à Coatcongar [4], domaine noble tombé en roture, et dont il ne reste que d’admirables futaies et un beau puits de la Renaissance aux colonnes doriques recoupées. Ses parents appartenaient à la meilleure bourgeoisie morlaisienne. Tour à tour corsaire, journaliste, combattant de juillet, romancier et négociant, Edouard Corbière — Corbière l’ancien, comme l’appelle M. Martineau [5] — avait épousé en 1844, à près de cinquante ans, une jeune fille de dix-huit ans, Marie-Angélique-Aspasie-Puyo. On a vu des mariages plus disproportionnés et dont les fruits n’avaient rien d’amer. C’est à cette disproportion d’âges cependant que Tristan Corbière attribuait sa disgrâce physique et les terribles crises de rhumatisme articulaire qui le déformèrent dès l’âge de seize ans. Il avait été jusque-là un enfant très normal et même presque joli — autant qu’on en peut juger du moins par une photographie de l’époque qui le représente en costume de lycéen : la maladie en fit une pauvre caricature d’homme, l’espèce d’Ankou, de spectre ambulant dont se moquaient les Roscovites et qui, par bravade, put bien se draper dans sa déchéance, mais non la pardonner complètement à ses auteurs réels ou supposés. Tout le caractère et l’œuvre elle-même de Corbière, où tant d’ironie tapageuse est mêlée à tant d’amertume secrète, s’expliquent par une rancune de paria : Aux premières atteintes du mal, sa mère l’avait conduit dans le Midi. Mais la lumière effarouchait ce maigre oiseau des brumes, et la Bretagne, d’ailleurs, n’a-t-elle pas, aux portes mêmes de Morlaix, l’équivalent des stations méridionales les plus tempérées ? Sur les conseils d’un médecin de la famille, Roscoff fut substitué à Cannes, et Tristan n’en bougea plus jusqu’en 1868. Il prenait ses repas chez un restaurateur de la localité, M. Le Gad, qui vit encore et qui lui a gardé le plus indulgent souvenir ; des artistes, Hamon, Michel Bouquet, Besnard, Charles Jacque, Louis Noir, fréquentaient en été la pension Le Gad. Tristan les amusa par son humeur fantasque et un talent de caricaturiste qui, à s’en référer aux quelques spécimens dont nous avons pu prendre connaissance, notamment au portrait d’un capitaine blohalc’h (morbihannais), peint sur panneau et conservé chez M. Le Gad, n’était pas sans analogie avec la manière large de Daumier [6].

C’est à l’instigation d’un de ces artistes, breton comme lui, le peintre pompéïen Jean-Louis Hamon, que Tristan, à la fin de 1868, s’embarqua pour l’Italie, visita Gênes, Rome, Capri, Naples, Palerme et poussa peut-être jusqu’à Jérusalem.[7] Mais il ne semble pas que la séduction des pays du soleil se soit davantage exercée sur lui en 1868 qu’en 1863. On dit qu’à Naples, costumé en mendiant breton, la vielle en sautoir, il demandait l’aumône par les rues. Farce de rapin qui faillit lui coûter cher, cette tentative de concurrence à l’industrie nationale de la mendicité n’ayant que médiocrement séduit le lazzaronisme indigène ! Nous ne la rapportons ici qu’à titre de document et parce qu’elle fait éclater une fois de plus ce goût maladif de la charge qui n’était peut-être, chez Corbière, qu’une forme de sa détresse intime devant la magnificence de l’univers. « Je suis si laid ! » gémira-t-il dans les Amours Jaunes. Les René et les Obermann, dont on a voulu le rapprocher, n’ont souffert que dans les parties nobles de leur être. C’étaient des âmes « en exil » dans des corps parfaitement constitués. Chez Corbière, au contraire, c’est l’être tout entier, corps et âme, qui souffre de son esseulement ; sa détresse morale est le réflexe de sa détresse physique. Elle n’a rien d’intellectuel — ni d’imaginaire. En est-elle moins humaine ? Je n’excuse pas Corbière ; je goûte peu sa parodie sacrilège de l’Italie romantique (Raccrocs). Artiste et poète, il aurait dû sympathiser doublement avec l’Italie sans épithète : il n’en sentit ou n’en voulut sentir, par une infirmité de sa nature, que les ridicules, la pouillerie et l’emphase, qui lui cachèrent le visage immortel de la déesse. Et, plus féru que jamais de solitude, de ciel gris et de grand vent, il retourna s’enfermer dans son « trou de flibustiers ».

IV

Trou de flibusti-ers, vieux nid
À corsaire, — dans la tourmente
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante…

Ton pied marin dans les brisans,
Dors : tu peux fermer ton œil borgne,
Ouvert sur le large et qui lorgne
Les Anglais depuis trois cents ans.

Dors, vieille coque bien ancrée :
Les margats et les cormorans,
Tes grands poètes d’ouragans,
Viendront chanter à la marée…

Quelle fougue et quel coloris ! Et quelle largeur d’expression ! Mais c’est la nouveauté du sentiment qu’il faut surtout remarquer ici : le railleur n’a pas désarmé chez Corbière ; il aura plus d’un retour offensif dans Armor comme dans Gens de mer ; mais la « vertu » bretonne a pourtant commencé d’opérer, et le ton de son ironie n’est plus le même ; en un mot, rien ne ressemble moins aux médiocres facéties de Raccrocs et de Sérénade des Sérénades que « le grand pathétique amer[8] » de la Rapsode foraine, du Bossu Bitor, de la Fin ou de la Pastorale de Conlie. Qu’est-ce à dire, sinon que les ressources de la Viviane armoricaine, ses puissances de séduction, sont proprement infinies et que tel qui restera insensible à sa grâce ou à sa langueur ne résistera pas à sa rudesse ? Ubique veneficium.

Corbière, si bien gardé qu’il se crût contre toute surprise, n’y résista pas plus que les autres. Nul doute en effet qu’il n’ait senti profondément la poésie d’une certaine Bretagne au moins, de celle qui étend ses grands horizons mélancoliques à l’ouest de Roscoff, entre Sibiril et l’Aber-Vrac’h, et qui est la plus déshéritée des Bretagnes. Il lui annexa dans la suite quelques croupes pelées de ménez et la triste méotide de Sainte-Anne-la-Palud, avec son placitre grouillant de stropiats et d’ivrognes. Mais ses préférences le reportaient vers la « corbière » du Léon, plus âpre et mieux accordée à sa détresse intime. Pays plat et pauvre, hérissé de calvaires, sans arbres, sans moissons, pays des naufrageurs et des brûleurs de varech, des landes crispées sous le vent du large, des cirques de sable pâle et ténu comme une poussière d’ossements, des rochers au pacage dans les dunes comme des troupeaux de mammouths… Et tout cela, qui était une Bretagne dure, rugueuse, déshabillée de ses grâces d’églogue, s’incrustait dans ses yeux profonds et sans indulgence, des yeux qui « voyaient trop » — pour nous changer peut-être de ceux qui ne voyaient pas assez. Aussi, l’heure venue, comme il la peindra au vif, cette Bretagne insoupçonnée des Chateaubriand et des Brizeux, comme il la campera sur son roc de misère, dans la grande immensité hostile, avec ses haillons, ses plaies, sa vermine et ses oremus !

C’est le Pardon. Liesse et mystères !
Déjà l’herbe rase a des poux…

Il faut lire toute la pièce (la Rapsode foraine) ou plutôt il faut la laisser se déployer devant soi. C’est le chef-d’œuvre du réalisme lyrique. Dans cette grande fresque barbare, violemment coloriée et d’une fougue d’exécution prodigieuse, tient à l’aise toute la Bretagne des pardons et des calvaires, celle qui chante et celle qui mendie, celle qui titube et celle qui s’agenouille et qui est la même parfois, à des heures différentes de la journée. L’orgie sacrée se déroule pendant quatorze pages, sur cinquante-neuf strophes de quatre vers. Et le miracle est qu’au milieu de cette sauvagerie éclosent par instants les plus délicieuses effusions mystiques, des stances d’une douceur et d’une beauté incomparables, comme ce fragment du Cantique spirituel à Sainte Anne :

Bâton des aveugles ! Béquille
Des vieilles ! Bras des nouveau-nés !
Mère de madame ta fille !
Parente des abandonnés !

Ô toi qui recouvrais la cendre,
Qui filais comme on fait chez nous,
Quand le soir venait à descendre,
Tenant l’Enfant sur tes genoux !

Des croix profondes sont tes rides,
Tes cheveux sont blancs comme fils.
— Préserve des regards arides
Le berceau de nos petits-fils !

Fais venir et conserve en joie
Ceux à naître et ceux qui sont nés ;
Et verse sans que Dieu te voie,
L’eau de tes yeux sur les damnés !


Reprends dans leur chemise blanche
Les petits qui sont en langueur ;
Rappelle à l’éternel Dimanche
Les vieux qui traînent en longueur…

Prends pitié de la fille-mère,
Du petit au bord du chemin :
Si quelqu’un leur jette la pierre,
Que la pierre se change en pain !…

Merveilleuses litanies ! Et que Verlaine avait raison d’évoquer le souvenir de Villon à propos de stances comme celles-là, qui n’ont d’analogue, dans notre littérature, que certaines octaves du Grand Testament ! Corbière ne s’est jamais élevé plus haut, même dans ses pièces maritimes. Et c’est ici qu’on commence d’apercevoir ce qu’avait de trop général la critique d’un Huysmans, déniant à l’auteur toute « capacité de réalisation » et ne lui accordant que des sursauts ou, comme M. de Gourmont dira, des à-coups de génie. Acceptable pour une partie de l’œuvre de Corbière, ce verdict ne l’est plus pour l’ensemble : Corbière s’est « réalisé » au moins une fois dans la Rapsode foraine et, quand il n’eût écrit que ce poème (le plus important des Amours Jaunes, remarquez-le), il mériterait encore de survivre. Mais il en a écrit d’autres qui le valent presque et, dans Armor même, le Vieux Roscoff et cette Pastorale de Conlie « dédiée à Maître Gambetta » et dont restera ineffaçablement marquée l’imbécile méfiance du tribun qui en 1870, par crainte d’un coup de force royaliste, immobilisa dans la boue une armée de 50.000 Bretons ; il a écrit Matelots, Aurora, le Novice en partance, le Douanier, Lettre du Mexique, la Fin surtout, cette réplique cinglante au Victor Hugo d’Oceana Nox, dont il n’est pas sûr, comme le disait Verlaine, qu’elle contient toute la mer, mais qui contient certainement toute l’âme orgueilleuse et nostalgique des marins — Corbière est le premier de nos poètes qui les ait compris, qui les ait fait penser et parler comme ils pensent et comme ils parlent, et c’est de lui que date leur entrée dans la poésie [9] :

  Eh bien, tous ces marins — matelots, capitaines,
  Dans leur grand Océan à jamais engloutis,
  Partis insoucieux pour leurs courses lointaines,
  Sont morts — absolument comme ils étaient partis…

  Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière.
  Eux ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot,
  Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
             Respire à chaque flot…

Ecoutez, écoutez la tourmente qui beugle !…
C’est leur anniversaire. Il revient bien souvent.
Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;
— Eux : le De profundis que leur corne le vent.

… Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !
             Qu’ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges…
— Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !…

L’apostrophe est belle assurément. Je ne jurerais point que toute rhétorique en soit absente et je n’oserais point jurer le contraire non plus. Où commence la rhétorique et où finit-elle ? Et, chez Corbière, le sentiment de la mer était si profond ! Il avait vraiment pour elle des tendresses et presque une jalousie d’amant ; il veillait sur elle comme sur son bien. Passion trop explicable ! N’était-ce pas à la mer qu’il devait ses seules satisfactions d’amour-propre ? Ce pauvre déchet d’humanité, qui traînait sur la terre ferme avec des gaucheries d’échassier dont on a rogné les ailes, la mer en refaisait un homme et l’égal des plus robustes, un matelot « premier brin ». Verlaine parle des « prodiges d’imprudence folle » qu’il accomplissait sur son cotre le Négrier. Il n’y a rien là d’exagéré. Vingt fois il faillit couler dans les terribles chenaux de la côte léonarde ; il attendait exprès, pour s’embarquer, que le cône des basses pressions atmosphériques fût hissé à la drisse du sémaphore ; il eût souhaité peut-être que la sirène répondît à ses provocations et, par quelque belle nuit d’équinoxe, le couchât dans sa robe étoilée…

V

Ce ne fut pas la mer qui le prit. Une femme passa, une « parisienne ». Belle jeune, élégante et titrée, elle devina le secret si bien caché à tous les yeux ; elle aima Corbière : il était trop tard, et cette conjonction romanesque d’une héroïne de Feuillet et d’un triton des eaux bretonnes n’enrichit pas d’un brillant chapitre la littérature sentimentale du xixe siècle.

La faute n’en fut peut-être ni à l’un ni à l’autre, mais à la vie : le bonheur demande un apprentissage que n’avait pas fait Corbière. Un homme qui a connu profondément l’auteur des Amours Jaunes, son cousin Pol Kalig, l’a défini « un tendre comprimé ». Il y a sans doute des compressions trop violentes et trop longues après lesquelles le cœur n’a plus la force de se détendre ; le pli est pris : ce fut toute l’histoire de Corbière. Il a 27 ans au moment où nous voici (1872) ; sa disgrâce personnelle et la solitude ont encore développé et presque poussé au paroxysme les instincts anarchiques qui sommeillaient en lui comme au fond de tous les Celtes ; la révolte est devenue son état normal ; la raillerie et la pose lui ont fait une seconde nature ; il en est arrivé au point de cultiver sa laideur comme une originalité. Quelle forme prendra l’amour chez ce malade ? On le devine assez et qu’incapable d’aimer simplement, il cherchera — et trouvera — toutes les raisons de se déchirer et de déchirer celle qu’il aime ; il lui supposera des calculs d’intérêt, de la compassion, du sadisme, tout, excepté un sentiment sincère, nu et franc ; il saura qu’il est injuste ; il conviendra de son humeur rebourse :

Mon amour à moi n’aime pas qu’on l’aime…

Mais l’orgueil chez lui aura le dernier mot et, le jour venu de baptiser dans un livre cet étrange commerce sentimental, il l’affublera par bravade, par dérision, de l’épithète à double sens qui trompa le public et qui lui fit croire, dit Pol Kalig, que les Amours Jaunes étaient un recueil de vers libertins.

Le poète avait quitté Roscoff sans esprit de retour. Il avait retrouvé à Paris les artistes qui fréquentaient la pension Le Gad ; il n’eut guère le temps ou il dédaigna de se mêler au mouvement littéraire. Cependant, il donna quelques vers à la Vie parisienne de Marcellin, publia son livre et en rêva un autre, qu’il voulait appeler Mirlitons.

Qu’aurait été ce livre ? Une réplique de la première partie des Amours Jaunes ? On peut le craindre, d’après les deux pièces qui nous en sont parvenues. Pour nous, le vrai Corbière n’est pas là, malgré les étranges musiques qui y résonnent par moment, si douces et si déchirantes qu’elles font songer à cet oiseau dont parle Renan et qui se sciait le cœur avec une scie en diamant. Le Corbière que nous retiendrons, c’est surtout le Corbière d’Armor et de Gens de mer, le poète inégal encore, mais puissant et savoureux, sincère jusqu’à la brutalité et soudain d’une infinie tendresse, comme ce canon désaffecté de son Vieux Roscoff dans la gueule duquel s’était logée une candide touffe de jonc marin. Il ne serait pas difficile de montrer que ce Corbière-là n’a pas eu moins d’influence que l’autre sur les directions de la poésie contemporaine et que le Richepin de la Chanson des Gueux et de la Mer, par exemple, lui est aussi redevable que le Verlaine de Jadis et Naguère, d’Amour et de Parallèlement au poète de Raccrocs et des Rondels pour après. S’il est vrai, comme le croyait Jules Tellier, que les choses imparfaites procèdent dans l’absolu des choses parfaites et n’en sont qu’un reflet, il est vrai aussi que l’historien des lettres, habitant du relatif, courrait certains risques à trop vouloir négliger les misérables contingences de la chronologie terrestre. Peut-être que le principal mérite des Amours Jaunes est d’avoir paru en 1873, dix ans avant la révolution symboliste et trois ans avant la Chanson des Gueux. Encore y aurait-il une injustice véritable à ne pas faire la part des « réalisations » dans l’œuvre de Corbière. Il y eut autre chose chez lui que des intentions et, si gâté de puérilités qu’il soit, si insupportable même souvent par sa jactance, ses bouffonneries et son débraillement, la postérité en fin de compte restera indulgente à ce « grand poète d’ouragan », dévoyé sous le ciel parisien, qui tourna un moment sur nos têtes, poussa un cri bref et disparut dans ses brumes.


Charles Le Goffic
  1. (1) Cf. Paul Verlaine, Les Poètes maudits (Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam, Pauvre Lélian) Messein, édit.
  2. (1) Simple rencontre, d’ailleurs, puisqu’à l’époque des Romances sans paroles Verlaine ne connaissait pas Corbière, mais qui montre, une fois de plus, l’affinité d’esprit des deux poètes.
  3. (1) Voir à l’Appendice les variantes de certaines pièces. Preuve que cet impulsif ne rimait pas toujours au hasard.
  4. « Coatcongar, m’écrit l’érudit morlaisien Louis Le Guennec, est une très vieille terre. Un Jean de Coatcongar est cité parmi les nobles de Ploujean à la réformation de 1427 ; son fils Hervé comparaît en 1455 dans la réformation des bornes de la ville de Morlaix. Yvon de Coatcongar, archer à deux chevaux à la montre de 1481, prit part au complot anglo-breton de 1492 dont M. de la Borderie a raconté la curieuse histoire dans les Mémoires de la Société des Bibliophiles bretons. Il fut arrêté et enfermé à la Bastille en même temps que son ami et complice Nicolas Coatanlem, le futur constructeur de la Cordelière. On le relâcha après 4 ou 5 mois d’emprisonnement. Au xvie siècle, la famille de Coatcongar se fondit dans les Le Chevoir de Coatélant, éteints eux-mêmes en la personne de Marie Le Chevoir, dame de Coatélant, Trébriant, Coatcongar etc., que Fontenelle enleva en 1595, au manoir de Mézarnou en Plounéventer (elle y habitait avec sa mère, remariée à Hervé Parcevaux, Sieur de Mézarnou) et dont il fit sa femme. J’ai vu aux Archives départementales de Saint-Brieuc un acte où Fontenelle se qualifie de Sr de Coatcongar, entre autres terres. Après sa mort et celle de sa femme, les héritiers de celle-ci vendirent Coatcongar à un bourgeois morlaisien, Alexandre Toulcoet de Launay. Il appartint ensuite aux Lesquélen et aux Calloët. Après la mort, à Coatcongar, en 1744, de Gabriel Calloët, Sieur de Villeblanche, capitaine des milices de la paroisse de Ploujean, le manoir passa à son neveu, M. de Kergadiou de Trémobian. À l’époque de la Révolution, il était au marquis de la Maisonfort, d’origine bourguignonne et officier de marine. Vendu probablement comme bien national et rebâti vers 1850, Coatcongar fut acquis par les Le Bris qui le possèdent encore. Un Le Bris avait épousé une demoiselle Puyo, sœur de Mme Corbière. C’est chez elle que la mère de Tristan fit ses couches. »
  5. (Cf. René Martineau, Tristan Corbière, essai de biographie et de bibliographie (édit. du Mercure de France).
  6. M. Martineau observe justement que plusieurs des Puyo, de qui descendait Tristan par sa mère, furent des artistes distingués. Edouard Puyo, entre autres, oncle du poète, collabora aux journaux illustrés de Paris ; son frère Edmond est conservateur du musée de Morlaix. Corbière, en prenant la même voie que ses deux oncles, n’obéissait donc pas à un simple caprice, mais à une vocation héréditaire. Et d’ailleurs, chez lui, le poète s’est toujours souvenu du peintre. Ajoutons que le portrait-charge qui « décorait » le frontispice de la première édition des Amours Jaunes, fut exécuté par l’auteur pour les frères Glady.
  7. Bohème de chic porte en effet la mention : «Jérusalem-Octobre ». Reste à savoir si cette mention, comme tant d’autres, n’est pas une simple mystification de l’auteur.
  8. Expression de M. Léon Bloy.
  9. Comme c’est de son père, on l’oublie trop, que date leur entrée dans le roman maritime où triomphait alors Eugène Sue avec la Salamandre, la Vigie de Koatwen et autres « mateloteries » échevelées. Le Négrier (1832), la première et la meilleure des études maritimes d’Edouard Corbière, fut précisément écrit en réaction de cette littérature conventionnelle. Tristan Corbière, — la dédicace des Amours Jaunes en témoigne — goûtait fort l’œuvre paternelle, où il avait appris à connaître les marins et où l’on doit chercher les racines de son réalisme personnel.