Trois Contes (Flaubert)/Notes de Hérodias

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Trois ContesLouis Conard (p. 205-216).


NOTES
de
HÉRODIAS.


« Hérodias a été inspiré par les sculptures d’un des portails latéraux de la cathédrale de Rouen. » (Max. Du Camp, Souvenirs littéraires.) C’est à Paris, après avoir achevé un Cœur simple, que Flaubert songea à développer l’histoire de saint Jean-Baptiste qu’il méditait depuis longtemps. Si je m’y mets, écrivait-il, cela me ferait trois contes, de quoi publier à l’automne un volume assez drôle. « L’histoire d’Hérodias, telle que je la comprends, n’a aucun rapport avec la religion. Ce qui me séduit là dedans, c’est la mine officielle d’Hérode (qui était un vrai préfet) et la figure farouche d’Hérodias, une sorte de Cléopâtre et de Maintenon ; la question des races dominait tout. » (Lettre à Mme  Roger des Genettes, Correspond., t. IV.) Quelques mois plus tard, rentré à Croisset, il rassemble aussitôt la documentation scientifique de ce conte et, le 25 octobre 1876, il écrit à Maupassant : « Dans sept ou huit jours (enfin) je commence mon Hérodias, mes notes sont terminées et maintenant je débrouille mon plan. Le difficile, là dedans, c’est de se passer autant que possible d’explications indispensables. » On verra plus loin, dans la lettre qu’il écrivit à Flaubert, comment Taine interprète cette absence d’explications.




LE PLAN DE HÉRODIAS.


Les notes documentaires de Hérodias se composent de 57 feuillets de grand format, recouverts d’une feuille de papier blanc sur laquelle Flaubert a écrit : Notes. Le premier feuillet est le scénario du conte ; en voici le texte et la disposition :

RÉSUMÉ.
Machaerous.
Antipas sur sa terrasse — sa situation politique. Une voix — il a peur.
Le Samaritain reçoit l’ordre de tenir Jean serré.
Hérodias  son frère est mort — regrette sa fille — caresses antiques.
L’Essénien  se montre.
Jean nuit à Hérodias comme politique. Pourquoi elle le déteste personnellement — reproches à son mari, mais on aperçoit une jeune fille. Elle se calme.
L’Essénien parle pour Jean. Antipas se tait.
Courrier annonçant l’arrivée de Vitellius.


II. Vitellius, avec son fils — compliments.
— Les prêtres de Jérusalem — leurs réclamations, plaintes sur Ponce Pilate — murmures à propos des (illisible).
— Vitellius visite le château — et découvre les munitions.
— La Fosse — Jean.
Les discours rapportés par l’interprète — tableau.
Vitellius met des sentinelles — Jean ne sera pas sauvé.
— Prédiction de l’Essénien.
Peur d’Antipas. Sa femme lui donne une médaille.


III. La salle du Festin — aspect général.
Parfum, le Baaras — Il est question de Jésus.
Matathias le défend, c’est peut-être le Messie.
Dispute sur le Messie — Il Faut des signes avant-coureurs.
Mais Élie est venu.
Ce que c’est qu’Élie.
Élie c’est Jean.
Discussion sur la Résurrection.
Scandale à propos d’une viande immonde.
— Le peuple au pied du château.
Tous ont intérêt à la mort de Jean.
Le festin devient farouche, Antipas et Vitellius se trouvent menacés.
— Hérodias porte la santé de l’Empereur.
Salomé — danse — La requête — La peur du bourreau — On apporte la tête — pleurs d’Antipas, tableau final.

Retour des deux hommes. Conversion subite de l’Essénien.


Puis vient une documentation étendue extraite de l’ouvrage de Aug. Parent, Machaerous (Franck 1868) : Machaerous — Description des forteresses, teinte des montagnes, costumes, etc. D’autres notes sont empruntées à l’Essai sur l’Histoire et la Géographie de la Palestine, d’après les Thalmuds et les autres sources rabbiniques de Derenbourg (Franck 1867) et nous trouvons tout un passage sur les Phéniciens, puis quelques commentaires sur Rome, Tibère, d’après Rome sous la Judée, par Champagny, et sur Auguste (30 ans av. J.-C. — 14 ans après J.-C.). Un feuillet est consacré aux mœurs romaines orientales, puis sur quatre autres feuillets sont transcrites des notes les plus diverses extraites de l’Histoire des Juifs de Flavius Josèphe.


Puis viennent des notes sur :

Les inscriptions arabes (voir Waddington, — Inscriptions).

Les Religions orientales et romaines.

La magie chez les Chaldéens et les origines (voir Lenormant).

Les Doctrines religieuses des Juifs.

Saint Jean-Baptiste, d’après Luc, Mathieu, Marc, Jean.

Saint Jean-Baptiste et Hérode avant le baptême.

Les coutumes religieuses de tous les peuples (Beaunier I).

Les Prophètes.

Les psaumes (traduction Reuss).

Le livre d’Enoch.

Les jeux.

Les Festins (voir Desaubry, t. l, p. 333).

Hérode (Dictionnary of the Bible) (Smith).

Les Machabées.

L’Histoire d’Hérode (d’après Saulcy).

L’administration militaire et religieuse.

Les paysages.

Un autre feuillet ayant pour titre : Personnages contient les notes suivantes :

Hérodias. Juive, mais par ses aïeux et de nature, monarchique. Ses ancêtres avaient été rois et sacrificateurs — et le peuple en voulait aux Asmonéens qui s’étaient imposés comme grands prêtres.

Se moquait d’Antipas, comme la gallemand Mariamne s’était moquée d’Hérode. On avait cru que Mariamne avait donné un philtre à Hérode, — on pouvait croire la même chose d’Hérodias, par rapport à Antipas. Son premier mari Hérode vivait à Rome des bienfaits d’Auguste. C’est là qu’Antipas l’avait vue ; personnage insignifiant, Hérode ne l’avait pas comprise. Antipas lui convenait mieux pour ses plans d’ambition. Sa mère Bérénice (veuve d’Aristobule) et fille de Salomé vivait à Rome et avait pour amie Antonia, mère de Germanicus et de Claude. Herrenius, gouverneur de Damnia, était l’ennemi d’Agrippa.

Io Kim, fils de Zamarès, Juif Babylonien.

Le Bourreau Samaritain — avait participé au sacrilège du temple — os des morts.

Vitellius (suivent des lignes illisibles).


Enfin, nous trouvons deux réponses de M. Clermont-Ganneau et une de M. Baudry à une demande de références de Flaubert. En voici le texte :


Mon cher Monsieur,

Je serais fort en peine de vous dire si Iazer est visible ou non de Machærous, par la simple raison que messieurs les exégètes ne savent pas trop où placer sur le terrain cette ville problématique.

L’opinion la plus en faveur veut reconnaître Iazer dans d’intéressantes ruines nommées Scir ou Sir, droit au nord de Machaerous, entre Philadelphie et le Jourdain. Dans ce cas, je crains que le lieu ne soit masqué par les hauteurs interposées du mont Nebo et du Djebel atarus. Du moment que vous ne tenez pas à vous cantonner pour votre panorama dans la région située à l’ouest de la mer Morte et du Jourdain, ne pourriez-vous prendre, droit au nord, le mont Nebo et la ville du même nom ? Vous pourriez encore vous servir de Hesbon un peu à l’Est.

Je ne me rappelle plus si nous avons tiré parti du Baal Meon, qui n’est séparé de Machaerous que par la profonde entaille de la vallée du Zerqa Maïn.

Tout à vous bien cordialement et toujours à votre disposition.

Clermont-Ganneau.______




______Mon cher Monsieur,

Voici quelques noms dissyllabes qui pourraient peut-être trouver place dans le panorama de Machaerous :

Karmel, localité biblique au sud de Hébron (entièrement distinct du mont Carmel).

Maon, tout près de Karmel.

Halboul, au nord de Hébron.

Il y aurait aussi quelque chose qui irait bien, malheureusement c’est un trissyllabe : Herodium, la haute montagne conique (au sud-est de Bethléem), au sommet de laquelle Hérode le Grand avait été enseveli une vingtaine d’années auparavant dans un splendide mausolée.

Tout à vous, bien cordialement.

Clermont-Ganneau.______


À cette lettre était joint un plan du panorama de Machaerous.




______Mon cher Ami,

J’en perds la tête, de courir après vos noms de constellations et d’étoiles, et cela en un moment où la besogne me déborde et où mes yeux refusent presque le service. Jusqu’ici je n’ai rien pu accrocher pour Persée et pour Mira Cœti. On m’avait promis pour hier et je l’attends encore.

Mais en attendant, comme je connais votre impatience congéniale, je vous envoie ce que j’ai recueilli :

Les noms hébreux et les noms arabes sont les mêmes.

La grande Ourse se nomme en hébreu Agalah : le char, arabe Adjilet ; Algol est le mot arabe lui-même, Al-gol, la goule, le vampire. C’est la traduction de la tête de Méduse que cette étoile est censée figurer, dans la constellation, sur le bouclier de Persée.

Tout à vous.

F. Baudry.______


D’autre part son ami M. Laporte lui écrit : « Voici, mon bon géant, tout ce que je trouve dans Arago : L’étoile Alcor (le Petit Poucet), située près de l’étoile Mizar de la Grande Ourse, était appelée Saidab par les Arabes, c’est-à-dire l’épreuve, parce qu’ils s’en servaient pour éprouver la portée de la vue (Arago, t. l, p. 338). »

Et nous trouvons enfin un dessin des ruines du palais d’Hyrcan (176 av. J.-C.) et celui d’une porte qui paraît être une reconstitution des portes de ce palais.




LES ÉBAUCHES.


« Cette histoire d’Hérodias, à mesure que le moment de l’écrire approche, m’inspire une venette biblique. J’ai peur de retomber dans les effets produits par Salammbô, car mes personnages sont



de la même race et c’est un peu le même milieu. » (Lettre à Mme  Roger des Genettes. Correspond., t. IV.)

L’état des ébauches indique en effet une grande indécision, de nombreux tâtonnements pour arriver à l’expression définitive. C’est ainsi que dans un exposé développé du conte, composé de 16 feuillets de papier blanc, la 1re page du chapitre I est reprise 9 fois et celle du chapitre II 7 fois. L’écriture en est illisible et il faut renoncer à suivre Flaubert à la recherche de sa phrase.

Il existe deux ébauches de Hérodias. Elles comprennent 118 feuillets de papier bleu grand format. Selon son habitude, Flaubert a tracé sa seconde ébauche au verso de la première après avoir barré celle-ci de deux traits en diagonale. La pagination est ici assez imprécise : quelques feuillets sont sans no d’ordre, d’autres sont paginés en lettres, selon les reprises, et la plupart en chiffres.

Le dernier de ces 118 feuillets porte le no 31 ; nous lisons au-dessous de la dernière ligne du conte : Comme elle était très lourde, ils la portaient alternativement, l’indication suivante :


Mercredi soir, 31 janvier 1877.
10 h. 10m._______


Ces deux ébauches donnent l’impression d’un travail prodigieux. Nous avons trouvé, mêlés à ces deux ébauches, les 22 premiers feuillets recopiés de Hérodias, mais néanmoins très surchargés. Il est fort probable que Flaubert, encore peu satisfait, avait entrepris une troisième ébauche de sa nouvelle.

Le manuscrit définitif est une copie, sans corrections, écrite

par Flaubert.


VARIANTES DE HÉRODIAS

d’après le manuscrit original.


Page 137, ligne 13, pierres, se tenant au-dessus…

Page 138, ligne 9, des ravins, étaient…

Page 138, ligne 19, vignes, gazer des champs…

Page 144, ligne 5, Cependant on avait…

Page 146, ligne 4, pressait, suivant le Tétrarque…

Page 149, ligne 23, jour y tombait…

Page 157, ligne 14, cents dans la Sardaigne…

Page 164, ligne 25, teinturier. Il vous pilera comme du grain. il vous…

Page 165, ligne 17, des vieux prophètes.

Page 165, ligne 21, annonçait une ère de justice et de prospérité, un…

Page 166, ligne 9, statues, pour ses théâtres, pour…

Page 173, ligne 15, brillaient dans les tribunes, comme…

Page 179, ligne 14, désespoir, pendant que Vitellius…

Page 188, ligne 15, La colère d’Hérodias…

Page 189, ligne 14, mangeaient du même côté.