Une Heure à la collection Chauchard

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UNE HEURE


A


LA COLLECTION CHAUCHARD.




AVANT D’ENTRER

Il me semble avoir lu, dans une chronique du Moyen âge, quelque chose comme ceci. Du temps où la terre était inconnue, quand le jeune Amerigo Vespucci, encore à l’école, suivait du doigt, sur l’atlas de son oncle, les contours fantastiques de l’Asie ultima et rêvait de nouveaux continens, en voyant flamboyer les noms sacrés dans l’or des vélins au bord des grands espaces de mers bleues, comme des nimbes de saints, dans les ciels de Fra Angelico, les récits des voyageurs, revenus de la mer des Indes, étonnaient le monde par leur fantaisie et par leurs contradictions. On racontait qu’il y avait bien loin, à l’Est, au-delà du pays où naissent les éléphans, au-delà des îles des Satyres, au-delà de la Chersonèse dorée, au-delà de l’île de Taprobane, au-delà, de toutes ces petites îles carrées, désignées sur l’atlas Vespucci sous le nom de Insulæ anthropophagor., une île mystérieuse, l’île de Sindbad, du nom peut-être du premier voyageur qui y avait abordé, et dont on racontait des prodiges contradictoires.

Les premiers explorateurs en disaient des merveilles. Les habitans y étaient beaux comme des anges, chantaient comme des sirènes, faisaient des gestes de statues antiques, avaient des âmes de saints. On n’y entendait jamais une dispute, ni une contestation. La faune y était splendide. Il y avait, là, des licornes, des phénix, des lions rouges, verts, noirs et blancs doux comme des moutons. Les forêts enchantées contenaient la fontaine de Jouvence, et aussi l’arbre de vie, ou « arbre qui pleure, » d’où tombait, goutte à goutte, l’huile qui sert à faire le Saint-Chrême. Les maisons y étaient de cristal, les colonnes d’or, les toits de pierres précieuses. Dans un tel décor, la vie coulait facile. On n’avait aucun besoin de serviteurs. « Nul mangier n’y est appareillé, disaient les voyageurs, fors que en une escuelle, un gril, et un tailloir qui sont pendus à ung pillier. Et quand nous sommes à table, et nous désirons avoir viandes, elles nous sont appareillées par la grâce du Saint-Esprit… » Ces heureux touristes pensaient bien avoir mis la main sur l’ancien Paradis terrestre.

« L’île de Sindbad, s’écriaient les autres, mais on n’y trouve que des monstres ! La terre n’y produit que des ronces, les eaux y sont pestilentielles. Les habitans sont sans bouche ou bien ils ont des têtes de chien. Les uns ont des oreilles qui leur pendent jusqu’aux genoux, les autres n’ont qu’un pied, mais assez large pour leur servir de parasol, d’autres encore n’ont pas de tête et logent leur figure au milieu de leur poitrine ; d’autres enfin ont des bras multiples et souples comme des pieuvres. Leurs nez sont longs et préhensiles comme trompes d’éléphant. Leurs mœurs sont encore pires que leurs faces. Ce sont des cannibales. Quand ils font des prisonniers, ils leur offrent d’abord une nourriture qui leur ôte la raison, puis ils les engraissent comme volailles et, une fois gras, ils les mangent. » Et ces derniers explorateurs faisaient à l’île de Sindbad une réputation détestable.

Enfin le jour vint où des caravelles portugaises, en expédition vers les Grandes Indes, abordèrent, en nombre, à l’île mystérieuse. Les matelots débarquèrent par centaines et virent ce qu’il en était. Il n’en était rien. Les gens qu’ils trouvèrent n’avaient ni faces horribles et repoussantes, ni regards merveilleux et voix de sirène ; on leur voyait deux pieds, deux mains, deux yeux quand on les regardait de face, un œil quand on les regardait de profil, et un nez assez long pour l’usage habituel qu’on en peut faire. Ils ne tuaient ni ne volaient plus qu’il ne leur était nécessaire, faisaient eux-mêmes leur cuisine, féroces quand ils avaient faim, bienveillans quand ils avaient mangé, — bref des gens comme tout le monde.

L’histoire de l’île de Sindbad, voilà tout justement l’histoire de la collection Chauchard. Pendant bien des années, interdite au public, elle eut le prestige du mystère. Toutefois, si fermée qu’elle fût, elle n’en était pas moins un peu ouverte, car au rebours d’une porte, il faut toujours qu’une collection ne soit jamais ni ouverte, — sans quoi, tout le monde la visitant, l’accès en perdrait toute sa valeur, — ni fermée, — sans quoi, personne ne la voyant, nul ne dirait qu’elle en a. Quelques initiés revenaient donc parfois d’une excursion à ce palais enchanté. Ils en propageaient des descriptions fabuleuses. Il y avait, là, les chefs-d’œuvre de la peinture française au XIXe siècle, des toiles qui avaient été payées plus d’un demi-million. La foule obscure, réduite aux galeries du Louvre, ne pouvait prétendre se faire une idée de l’école française. Dans la collection Chauchard seulement on éprouvait les ivresses d’un orgueil national. On les éprouvait deux fois quand on songeait aux enchères victorieuses qui avaient conservé ces trésors à la patrie. L’homme qui avait pu dire si souvent les mots fatidiques, les mots de Nieuwerkerke : « A la France, Messieurs ! » méritait une reconnaissance éternelle.

Celui-ci étant mort, et sa collection passée aux mains de l’Etat, sans devenir tout de suite publique, d’autres explorateurs en revinrent avec des nouvelles toutes différentes. C’était un ramassis d’horreurs ! La plupart des tableaux signés de grands maîtres étaient faux. Ceux qui n’étaient pas faux étaient repeints. Ceux qui n’étaient ni faux, ni repeints, étaient des erreurs de ces maîtres, faits pour la vente aux Canaques et pour l’exportation, à quoi on avait eu grand tort de les soustraire. L’ensemble était à ce point lamentable qu’on n’osait point en faire état pour le Louvre et qu’on reculait, de jour en jour, l’heure de le montrer. En sorte que la grande foule de ceux qui ne sont pas admis dans ces régions interdites qu’on nomme les « Collections privées » demeurait perplexe et un peu ébaubie que des choses si merveilleuses et qui avaient coûté si cher pussent inspirer, à des augures également considérables, des arrêts à la fois si tranchans et si opposés.

Enfin le jour est venu où il a bien fallu les montrer. Le simple curieux d’art, le rêveur, l’homme qui passe dans la rue, a eu la permission d’y pénétrer et d’en juger par lui-même. La foule en a largement profité. Un peuple entier a circulé dans ces étroites salles, mis en marche par les récits fabuleux, les légendes d’or et de martyre qui lui sont contées depuis si longtemps. Et dès le premier coup d’œil, il a pu voir qu’il fallait beaucoup en rabattre de tous ces contes. Les cent quarante toiles collectionnées au Pavillon de Flore sont ce qu’on pouvait attendre du collecteur. Ce sont des tableaux comme les autres. Les Millet sont des Millet, les Decamps sont des Decamps, les Meissonier sont des Meissonier, les Corot sont le plus souvent des Corot et les Ziem ne sont jamais des Turner. Deux maîtres y sont, il est vrai, fort bien représentés : Millet et Meissonier ; deux le sont fort mal : Rousseau et Corot. Le reste est à son ordinaire.

Si cet ordinaire nous déçoit un peu, c’est peut-être que nous commençons à juger sous l’aspect de l’absolu ces peintres dits de 1830, qui sont surtout grands sous l’aspect du relatif. Ce furent des novateurs, des découvreurs, des « inventeurs, » au vieux sens du mot : ce ne furent pas de parfaits réalisateurs. Les découvertes qu’ils firent dans le domaine infini de la nature servent aujourd’hui à tout le monde, sont tombées dans le domaine public. Ce sont des vérités devenues banales dont nous vivons, sans songer à qui nous en sommes redevables. Songeons-y un instant et nous sentirons le mérite de ces vieux maîtres. Une heure passée en leur compagnie nous apprendra ou nous rappellera bien des choses. Par un clair matin, lorsque le soleil baigne le jardin des Tuileries, aperçu d’un côté, la Seine et les ponts, vus de l’autre, nous aurons, avec la nature, des points de comparaison immédiate qui nous rendront la démonstration plus facile. A côté de nous, les petites salles des maîtres hollandais, ancêtres directs des peintres de 1830, nous fourniront des points de comparaison avec l’art. Nous éprouverons, chemin faisant, que le culte rendu par la foule à ces vieux maîtres n’est pas si absurde, car on voit bien que ce sont des découvreurs, et l’on croit que ce furent des méconnus.


LA SALLE DE L’ANGELUS

Méconnus, ils ne le furent pas. Aucun des grands artistes représentés ici n’est mort sans gloire, et quelques-uns en ont eu assez jeunes pour en goûter toute la saveur. Aucun n’a éprouvé la disgrâce survenue à d’autres de survivre à son œuvre et tous sont morts en pleine ascension. Ainsi Millet qu’on a coutume de citer comme le type du « méconnu » et de l’ « incompris » eut, presque tout de suite, des partisans. Dès le Salon de 1847, c’est-à-dire dès sa trente-troisième année, un critique disait : « Un excellent peintre et qui sera bientôt un peintre célèbre, c’est M. Jean-François Millet, déjà connu pour ses vigoureux pastels. » Au Salon de 1848, Théophile Gautier prononçait les mots de « magistral, » de « superbe » et de « goût exquis. » En 1857, après avoir vu les Glaneuses, Maxime Du Camp parlait de « maestria sereine et grandiose… » Je ne vois guère, disait-il, qui, de nos jours, lui sera comparable. » Ceci fut écrit trente-deux ans avant la vente célèbre de l’Angélus. Et en 1861, Thoré-Burger commençait le Salon du Temps par ces mots : « Il y a deux maîtres peintres au Salon de 1861, et il nommait l’un des deux Millet, l’autre étant Courbet. Sans doute, aujourd’hui, attendre jusqu’à trente-trois ans pour être proclamé célèbre paraîtrait à nos jeunes peintres bien long et presque insupportable ; mais tout, de nos jours, va plus vite et se crie plus haut, et tel éloge qui rendait rouges de plaisir et presque de confusion un Rousseau ou un Corot ne paraîtrait plus à nos exposans du Salon d’Automne qu’un raffinement de l’impertinence et une mortification préméditée. Dans ce temps-là, on était rarement proclamé maître avant d’avoir appris quelque chose et les termes de « génial » ou de « définitif » étaient mesurés comme du poison. Il ne faut donc point s’étonner qu’on ne les ait pas prodigués, tout de suite, à ce peintre paysan qui arrivait de Gréville, en faisant claquer ses sabots ; mais si l’on a dans l’oreille le diapason habituel des louanges de ce temps, on connaîtra que Millet en a recueilli d’assez hautes et l’on ne croira plus que lui et ses confrères aient été des « méconnus. »

Ce qu’ils furent longtemps, c’est des « invendus, » — ce qui n’est pas du tout la même chose, et ce qui ne tient pas aux mêmes raisons. M. d’Avenel a très bien établi, ici même, qu’il a y a pas de rapport étroit entre la considération que donne l’exercice d’une profession et le revenu qu’on en tire. Il n’y en a pas davantage et surtout il n’y en avait pas à l’époque où nous remontons, entre les émotions que procure une belle œuvre d’art et le prix qu’on en donnait, l’une tenant aux aspirations des âmes, l’autre aux disponibilités des budgets. Quand les historiens s’indignent des prix de famine offerts, il y a soixante ans, pour les tableaux de Millet et de Rousseau, et en tirent argument contre le goût public à leur époque, ils oublient une chose : c’est qu’on était pauvre aux environs de 1848 et que les artistes ne vivent richement que lorsque la nation est riche. On manquait alors, non pas précisément d’admiration, mais d’argent. On les encourageait de la voix, mais non du geste. Et quand ces mêmes historiens s’émerveillent des prix atteints plus tard par l’Angélus, et en tirent argument en faveur de sa gloire, ils oublient une autre chose : c’est que la France était devenue beaucoup plus riche, quand il fut revendu en 1889 et qu’un peuple d’amateurs ou de collectionneurs était né de l’autre côté de l’Atlantique, à qui des spéculations heureuses laissaient le loisir de nous disputer nos tableaux. Du choc et de la rivalité de ces quelques amateurs est sorti le prix colossal. Mais il ne témoigne rien du tout en faveur du peintre, il témoigne simplement que quelqu’un, quelque part dans le monde, a fait, quelque jour, un coup de bourse heureux sur les grains, les pétroles ou les cuivres. Il ne témoigne même rien du tout en faveur du goût de cet homme heureux. Entre la joie qu’on éprouve à la vue d’un chef-d’œuvre et le prix qu’on en offre, il n’y a pas de commune mesure. Et il serait ridicule de penser du dernier possesseur de l’Angélus, — parce qu’il en a donné huit cent mille francs quand le premier n’en avait pu offrir que deux mille, — qu’il a manifesté quatre cents fois plus de goût et ressenti quatre cents fois plus d’admiration…

Ces deux mille francs, qui n’étaient peut-être bien que mille ou quinze cents francs, eurent du moins le mérite d’arriver à propos. Le peintre comptait beaucoup sur ce tableau commencé à l’automne de 1858, et continué, les mois suivans, dans les pires conditions matérielles. En janvier 1859, c’est la misère. Les fournisseurs de Barbizon sont intraitables. Millet écrit à Sensier : « C’est affreux d’être mis à nu devant ces gens-là, non pas tant parce que l’amour-propre en souffre que parce qu’on ne peut se procurer ce dont on a besoin… Nous avons du bois pour deux ou trois jours encore, et nous ne savons comment nous en procurer, car on ne nous en donnera pas sans argent. Ma femme va accoucher le mois prochain et je n’aurai rien ! » Ayant écrit ces mots, il pose sa plume, prend son pinceau et se met à fabriquer le demi-million que nous avons, là, sous les yeux. Certainement, si les sorcières de la forêt avaient fait paraître à ses yeux, dans une brusque lumière, la scène de la vente Secrétan, il aurait eu le mouvement de Macbeth, un mouvement d’horreur et de protestation. Il aurait dit : « Non, non, je ne suis pas un alchimiste, je suis un peintre ! »

Et c’est justement d’être un peintre que lui contestait le jury de cette année-là. Au Salon de 1859, son tableau La Mort et le Bûcheron fut refusé, mais en même temps, il exposait une Femme faisant paître sa vache qui était commandée par l’Etat. Ainsi on trouve toujours chez ces artistes l’encouragement à côté de l’épreuve ; ce qu’on ne trouve pas ou ce qu’on ne trouve guère, c’est l’argent. Sensier raconte : « Quand je vis ce tableau pour la première fois, il était à peu près terminé. Millet me dit : « Qu’en pensez-vous ? — Mais, lui répondis-je, c’est l’Angélus !… Oui, c’est bien cela. C’est écrit. On entend la cloche… » Il me regarda comme un homme satisfait, et il ajouta : « Ah ! je suis content. Vous avez compris. C’est tout ce que je vous demandais. — Alors, mon cher, il faut tâcher de vendre ce tableau… » Il me l’envoya à Paris. Arthur Stevens l’observa longuement. Il en fut possédé. Il revint dix fois voir l’Angélus. Il l’offrit à des amateurs, à des spéculateurs. Deux mois se passèrent en visites, en pourparlers. Tous ses cliens hésitaient… Enfin, le 26 septembre 1859, Millet écrit : « J’ai dit à M. *** que l’Angélus était vendu deux mille à deux mille cinq cents francs, je ne sais au juste, mais je n’ai pas dit moins de deux mille francs. »

Regardons-le, ce tableau légendaire. Par la curiosité qu’il excite, il mérite de donner son nom à la salle où il est exposé, face au jour. Ce n’est pas le meilleur de la salle : c’est peut-être, au point de vue peintre, le plus mauvais. Rien de plus faux que le ton rosâtre des nuages colorés par le couchant par rapport à l’ensemble. Rien de plus massif et de plus pénible que la facture des personnages et du terrain. On demeure stupéfait que si peu de chose ait enfanté de telles légendes. On se demande pourquoi Arthur Stevens en était « possédé… » Mais ensuite, on oublie l’impression, purement esthétique, qui saisit tout d’abord, pour se laisser aller à l’impression sentimentale. On songe à ce qu’était l’art académique ou romantique en ce soir d’automne de 1858 où Millet, revenant de Chailly-en-Bière et se tournant vers le couchant, imagina son Angélus, et l’on éprouve qu’il y a là une découverte réelle dans le domaine de la conscience et de l’humanité.

Millet a découvert le paysan et l’a fait entrer dans la grande peinture. Hors les bergers des anciennes Nativités, tels que ceux de Fouquet ou d’Hugues de Gand, et les familles célèbres des frères Le Nain, il n’avait figuré jusque-là que comme un travesti d’opéra-comique. Il existait aussi à titre de caricature. Après les grotesques des Hollandais, Courbet dans son Enterrement à Ornans allait mettre l’accent sur le comique du rustre endimanché. Mais la grandeur du paysan, son effort utile, ses gestes lents et graves, ses attitudes réfléchies et patientes, tout cela était ignoré de l’artiste. Aucun ne s’était appliqué à démêler, parmi les inflexions de la machine humaine, celles qui supportent, celles qui endurent et celles qui persévèrent. Millet, le premier, en fut frappé. L’ayant vivement ressenti, il voulut le rendre. N’ayant qu’un outil imparfait dans la main, il peina bien des années avant de se faire comprendre. A voir ses premiers tableaux, on croit ouïr un bègue qui bredouille des paroles fortes et pleines de sens. Mais du moins, la virtuosité ne l’entraîna pas à des formes vides et ostentatoires. Tout chez lui est pensée, volonté, signification : rien n’est agrément, transition, verbiage. La grandeur naît du sujet même et de tout ce qu’il évoque de grave, de nécessaire à la vie humaine, d’éternel. C’est sensible à tout le monde dans l’Angélus. Un homme et une femme arrachaient des pommes de terre dans la plaine nue et grise aux dernières lueurs du jour. Ils ont entendu la voix qui, depuis tant de siècles, dit à toute la chrétienté ce que vous avez pu lire, écrit, sous la prairie émaillée de fleurs peinte par Fra Angelico dans son Annonciation, si vous êtes allé au couvent de Saint-Marc :


… PRÆTEREUNDO CAVE NE SILEATUR AVE…

Ils se sont arrêtés. La femme a joint les mains, l’homme s’est découvert la tête : tous deux s’unissent, en repensant la même pensée, aux générations sans nombre qui, à la même heure, ont dessiné le même geste sur le fond semblable des plaines et dit les mêmes mots. Ils figurent un chaînon dans la chaîne des âmes qui traverse le temps. L’œil cherche partout ce qui les immobilise et il aperçoit à l’horizon un imperceptible clocher. De là, ces deux modestes figurans tirent leur grandeur. Uniquement préoccupés de ce qu’ils font, réduits à peu de chose plus que des silhouettes fortement accentuées, comme soulevés de terre par le son qui vibre et traverse l’espace, ils signifient si clairement une pensée si simple et si universelle, qu’ils sont’ entrés comme des types dans le patrimoine de l’humanité. Et nul désormais n’entendra jamais sonner en plein champ l’Angélus sans penser au tableau de Millet.

Chose singulière, nous le verrons toujours, même lorsque les paysans auront perdu partout l’habitude d’obéir à la voix de la cloche, tandis que Millet, lui, ne l’a vraisemblablement pas vu. Au moins, ne l’a-t-il pas vu tel que le voici, car cette scène est entièrement composée. La femme qui est là, une certaine Adèle Moschner, vivait encore en 1897, bien connue dans le pays de Millet. On l’appelait la « mère l’Angelus. » C’était la petite-fille d’un Allemand, venu dans l’armée d’invasion en 1815, et fixé à Barbizon. Il était tisserand, elle était blanchisseuse. A leur temps perdu, ils posaient tous les deux pour Millet. Au moment de l’Angélus, elle avait dix-huit ans. Elle raconta bien souvent, dans la suite, les séances mémorables : « Je posais aux Roches, dans un champ en bordure de la route de Chailly. M. Millet me faisait joindre les mains. Tenez… comme cela ! » Et la pauvre femme, que le travail et la phtisie avaient vieillie avant l’âge, se soulevait dans son fauteuil pour mieux reproduire le mouvement du tableau. Mais jamais elle ne pouvait se rappeler clairement qui était l’homme. « Je crois bien que c’est le père Mignot, disait-elle ; oui, ça lui ressemble, c’est sa tournure, mais comment voulez-vous que j’en sois sûre ? Nous ne posions jamais ensemble… »

Non loin de cet Angélus fameux qui consacra la gloire de Millet, nous voyons la toile qui la commença : le Vanneur, exposé au Salon de 1848, ce salon révolutionnaire où toutes les œuvres envoyées furent reçues par respect pour le principe de l’égalité et en protestation contre les jurys. Il fut salué par les exclamations enthousiastes de Théophile Gautier. La justesse du geste de ce paysan qui « soulève son van de son genou dépouillé et fait monter dans l’air, au milieu d’une colonne de poussière dorée, le grain de sa corbeille » enchantait le critique aux gilets éclatans. « On éternue à le regarder ! » s’écriait-il, et il riait dans sa barbe à imaginer l’épouvante des « bourgeois à menton glabre » devant cette toile « truellée… » Ce Vanneur fut donc un succès, mais ce ne fut pas la fortune. La Révolution avait libéré les artistes du jury, mais elle ne leur donnait pas d’ouvrage. Elle les avait faits libres et misérables. « Millet et sa femme n’articulaient aucune plainte, dit Sensier. Ils ne demandaient rien. Cependant, on connut leur détresse. L’un de nous alla frapper au Musée, puis à la direction des Beaux-Arts et obtint un « encouragement » de cent francs, qui fut aussitôt porté à l’artiste ; C’était à la tombée du jour. Millet était dans son atelier, assis sur une malle, le dos arrondi, comme quelqu’un qui a froid. Quand on arriva, il dit bonjour et ne se leva pas. Il gelait dans ce triste réduit. On lui remit les cent francs et il ne prononça que ces mots : « Merci ; ils arrivent à temps, nous n’avons pas mangé depuis deux jours, mais l’important, c’est que les enfans n’aient point souffert… » Enfin, en avril, Ledru-Rollin se laissa persuader par Jeanron, le peintre devenu directeur des Beaux-Arts, grâce non à sa peinture, mais à sa politique. Il alla, lui-même, visiter quelques artistes « victimes de la tyrannie des jurys. » Il monta, rue projetée du Delta, chez Millet et lui acheta, en son nom personnelle Vanneur, qu’il paya 500 francs. C’était beaucoup en 1848.

Enfin, à la place d’honneur, voici la Bergère gardant ses moutons, peinte en 18G2, exposée au Salon en 1864, de nouveau envoyée avec huit autres toiles à l’Exposition Universelle de 1867, et demeurée, après cinquante ans, le chef-d’œuvre de Millet. Dès le premier coup d’œil et sans rien savoir des décisions des jurys d’autrefois ni des engouemens des foules qui dorment aujourd’hui dans les cimetières, nous allons, d’instinct, à cette toile, comme à la plus harmonieuse de ses harmonies. Les foules ne se trompent donc pas toujours, ou si elles se trompent, l’erreur, cette fois, aura duré bien longtemps. Dès l’ouverture du Salon de 1864, ce ne fut qu’un cri d’admiration. Castagnary remplit toute une page de descriptions enthousiastes. Le surintendant des Beaux-Arts écrivit à Millet pour lui offrir 1 500 francs de ce tableau : il était déjà vendu 2 000. En 1867, comme il reparaissait à l’Exposition universelle, Thoré-Burger écrivait : « Le tableau le plus admiré et peut-être le plus parfait est toujours la Bergère qui tricote machinalement debout au milieu de son troupeau, par une belle soirée d’automne. Millet a été gratifié d’une première médaille : c’est assez de chance pour un homme qui vit à Barbizon… »

L’atmosphère chaude et dorée qui enveloppe toute cette campagne et qui unit, tout en les situant à leurs justes places, la Bergère au premier plan et, au dernier, les charrettes qu’on charge de foin, dénote chez Millet, dès 1862, un grand souci de « plein air. » Ce souci ne fait que s’accentuer avec les années, et nous voyons, dans son Parc à moutons, clair de lune, exposé en face, et peint dix ans après, en 1872, une recherche encore plus attentive de l’enveloppe atmosphérique. Il est vrai que c’est un effet de nuit ; mais, à cette époque, les effets de nuit étaient peints avec autant de netteté, de dureté, que les effets de jour. Ici, pour la première fois, peut-être, l’âme de la Nuit circule, estompe et halluciné. « Ah ! disait-il un jour à un ami, je voudrais pouvoir faire sentir, à ceux qui regardent ce que je fais, les terreurs et les splendeurs de la nuit ! On doit pouvoir faire entendre les chants, les silences, les bruissemens de l’air. Il faut percevoir l’infini… » cette page nocturne, si on la compare à toutes celles qu’on admirait alors, à, celle de Van der Neer, par exemple, qui se trouve à côté, dans les petites salles hollandaises, est bien une « découverte. »

A côté du Parc à moutons, Meissonier, avec ses Amateurs de peinture, se charge de nous enseigner ce qu’est un tableau privé d’atmosphère. Il en donne le plus parfait exemple. Ses bonshommes ont le geste juste, précis, particulier. Tout est exact au millimètre, repéré de façon à réduire les erreurs à l’infinitésimal. Le peintre n’a oublié qu’une chose : l’air sans lequel les vivans ne peuvent vivre. Tout est là comme sous une cloche pneumatique, dans le vide. Pratiquement, mettre de l’air dans un tableau consiste à transporter sur un objet un peu de la couleur des objets voisins, et l’on voit que Millet, à côté, ne s’en est pas privé, non plus que Corot. Ici, chaque objet garde sa couleur propre, n’en cède rien au voisin, n’en reçoit aucune de son milieu. Dans le détail local, tout est bien observé : exemple, l’ombre projetée par la manchette de l’artiste sur la main du visiteur assis qui tient un chapeau, ombre plus forte sur le bord, pénétrée de reflets au milieu. Mais rien ne relie chaque figure à l’ensemble. Il ne circule aucune atmosphère dans cet atelier.

Sur le même panneau, un tableau célèbre du Salon de 1852, l’Homme choisissant son épée, nous offre à peu près le même exemple. Cette figure fut saluée, à son apparition, d’applaudissemens unanimes. Gustave Planche y voyait l’égale « en souplesse et en largeur des maîtres les plus habiles de l’école hollandaise » Trente ans plus tard, à une exposition rétrospective de mai 1884, Albert Wolff prononçait cet arrêt : « Un chef-d’œuvre absolu et incontestable. » Aujourd’hui, ce chef-d’œuvre risque fort de passer pour une œuvre petite. La facture en est sèche, les ombres dures et « bouchées. » Déjà, en 1852, les Goncourt l’avaient noté : « L’ombre projetée par l’épée sur le doigt annulaire de la main gauche est indiquée par une ligne noir d’ivoire… » disaient-ils en faisant très justement observer qu’une telle ombre tranchante n’existe pas dans la nature. Mais ce qui manque surtout à cette peinture, c’est la puissance. Elle répondait au goût du « fini » et de l’adresse manuelle, toujours vivace dans la foule, mais les amateurs de l’effet demandaient autre chose.

Cet autre chose, c’est Decamps qui le leur apporta. Le petit tableau, qui est dans cette salle, intitulé : Intérieur de cour rustique à Fontainebleau, est une trouvaille. Si sombre qu’il nous paraisse par endroit, c’est une trouvaille de lumière, et si romantiques et si violentes que soient ces antithèses, une trouvaille de vérité. C’est l’effet du Boucher turc, le triomphe de l’Exposition de 1855, revu au mois de mai dernier à la galerie Georges Petit. Un ciel bleu, un mur blanc, un trou noir, et dans ce trou quelque chose qui gîte et qui ressemble à un être humain. Évidemment, cela n’éblouit plus nos yeux comme ceux des contemporains. Cela nous paraît noir et pesant : cela leur parut étincelant et aéré. En son honneur, les Goncourt tirèrent leur plus hyperbolique feu d’artifice : « À Decamps, le paradis torride, fleuri, emperlé, éblouissant, l’Eden incendié ! » disaient-ils en 1855 : « À Decamps l’Orient ! À Decamps la couleur folle ! À Decamps la lumière ivre ! À Decamps seul, — le soleil ! » Nous autres, devant cette chose cuite, lourde, roussie, nous demeurons perplexes comme des gens qui, d’un feu d’artifice éteint, ne voient plus que la carcasse. Mais d’une part le temps a dû patiner cette toile et la pousser au noir ; d’autre part, l’accoutumance aux peintures impressionnistes a singulièrement déplacé notre point de comparaison. À l’époque où parut Decamps, on n’avait jamais vu, dans la peinture française tout au moins, pareils effets de lumière. Jamais mur n’avait été construit, maçonné, crépi, lézardé, ensoleillé sur une toile avec cette vérité objective. Les peintres n’avaient jamais regardé un mur. Par la pénétration de son œil, par la puissance de sa main, par l’intensité de son goût coloriste, Decamps arrivait à découvrir et à rendre, dans des choses jusque-là dédaignées, une poésie insoupçonnée. Au prix de quelles machinations, ou comme on disait, en langage d’atelier, de quelles <t ficelles, » c’est ce que nous voyons aisément dans ce tableau : des oppositions violentes de cave et de plein soleil, des empâtemens énormes juxtaposés pour accrocher la lumière, des frottis secs, encore visibles çà et là : toute une maçonnerie où le chiffon, le grattoir, le bouchon et le couteau à palette viennent en aide à la brosse, auxiliaires irréguliers. « Ce sont des moyens : je voudrais bien arriver au même résultat à moins de frais ; mais j’ai appris tout seul ou peu s’en faut, » disait-il mélancoliquement au peintre Amaury Duval, un jour que celui-ci, étant venu le voir et l’ayant trouvé peignant son Supplice des crochets, s’étonnait de le voir y mettre tant d’empâtemens.

C’était sa préoccupation constante. Cette exécution qui nous paraît pénible le peinait. Cette complication était sa torture. « Un jour, raconte Sensier, Millet, en son atelier, entendit frapper à sa porte. Un monsieur barbu entra et lui dit : « Je suis Decamps, le peintre… voulez-vous me montrer ce que vous N faites ? » Cela se passait à Barbizon. Decamps venait à cheval de Fontainebleau où il était en train de peindre ce tableau que nous avons sous les yeux. Millet fit passer devant lui tout ce qui était digne de Decamps, et celui-ci, redevenu presque silencieux, regardait, comme un homme qui souffre regarde un heureux : « Ah ! c’est bon, c’est peint comme je voudrais peindre ; vous ne savez pas quel mal on a pour se débarrasser d’une mauvaise éducation ! J’aime voir la peinture robuste, saine, jeune… » Decamps était venu presque en cachette chez Millet. Il avait donné en garde son cheval à l’entrée du village, était passé derrière les jardins pour ne rencontrer personne. « Je suis venu comme un braconnier vous surprendre, disait-il ; je ne veux voir aucun artiste ; je viens vous voir, vous, vous seul pour moi, » et il repartit content… Il revint, mais jamais il n’entra dans la maison de Millet ; jamais il ne lui dit de venir le voir à Fontainebleau.

Tel était l’homme, mystérieux en tout, aussi muet sur sa vie journalière que sur ce fameux voyage d’Orient qu’il avait fait dans sa jeunesse, qu’il peignit toujours et dont il ne parla-jamais. « On voyait qu’il souffrait, dit Millet, il souffrait comme un homme qui cherche et s’égare toujours. » Regardez maintenant cette facture tourmentée ; regardez l’Intérieur de cour rustique à Fontainebleau : jamais âme ne s’étala plus clairement sur une toile.


LA SALLE DU 1814

Meissonier aussi est un découvreur. Ce cheval de 1814 est le premier cheval au pas, — je veux dire marchant réellement au pas, — qui ait paru dans la peinture. Jusque-là, lorsqu’un artiste voulait mettre un cheval au pas, il lui faisait lever ensemble et à égale hauteur une jambe de devant et une jambe de derrière, en diagonale, c’est-à-dire qu’il le mettait au trot. De plus, il se gardait de le pencher en avant, en sorte que la bête semblait piétiner sans changer de place. Pour voir la différence, il n’est que de se mettre à la fenêtre et de regarder, sur le petit arc de triomphe du Carrousel, les chevaux de Bosio, rappelant ceux de Venise et de Berlin. On a voulu les mettre au pas et ils ont la cadence du trot. Tournez-vous maintenant vers ceux de Meissonier et vous sentirez la découverte. Le cheval de Napoléon est pris au moment où le pied gauche de devant, entièrement soulevé de terre, vient de couvrir, dans son mouvement, la longueur d’un demi-pas, tandis que la jambe droite de derrière, tendue à son maximum, ne touche plus que légèrement le sol. La bête prend surtout son appui sur la jambe droite de devant et sur la jambe gauche de derrière, ou, en termes techniques, est à « l’appui diagonal droit, » mais elle repose aussi, légèrement, sur le pied droit de derrière, — ce que les gens du métier appellent : « transition tripédale d’appui momentané à droite. » On pressent très bien, tant le mouvement est juste, ce qui va suivre. Le pied gauche va se poser à terre, achevant ainsi le parcours du pas commencé. Le pied droit de derrière aura quitté le sol, et toute la bête, étant appuyée à gauche seulement, à « l’appui latéral gauche, » la jambe droite, se soulevant, commencera le pas suivant.

Le cheval du maréchal Ney est pris dans la même phase du pas, mais un instant plus tard, et n’étant pas parti du même pied, au lieu d’être à l’appui diagonal droit, il est à l’appui diagonal gauche. On voit très bien que le pied droit de devant va toucher le sol, la pince du pied gauche de derrière va le quitter et, alors, le pied gauche de devant, en ce moment, posé bien à plat, quittera terre pour commencer le pas suivant. Tous les autres chevaux sont semblablement figurés, à l’appui diagonal, soit droit, soit gauche, mais chez aucun, les deux jambes soulevées de terre ne le sont à une hauteur égale, — ce qui serait le trot. Ils marchent donc bien au pas. En 1864, lorsqu’ils parurent au Salon, il n’y eut qu’un cri : « Ils tombent ! » Nous dirons, nous : « Ils avancent, et, pour avancer, ils portent légèrement leur poids en avant. » Mais, à cette époque l’œil était si bien fait aux caracolages sur place exécutés par les chevaux des Lebrun ou des Gros, qu’un animal qui se mouvait véritablement en avant, paraissait fantasque et téméraire. C’est seulement huit ans plus tard que M. Muybridge, faisant à Palo Alto, près de Sacramento (Californie), les premières observations chronophotographiques des mouvemens du cheval, aperçut, dans ses clichés, exactement les phases du pas donné par Meissonier aux chevaux de son 1814. Il ne s’agit pas, ici, de vagues analogies comme celles qu’on invoque lorsqu’on veut nous faire croire que les Grecs ou les Assyriens ont mieux discerné que nous les attitudes animales : il s’agit d’identité absolue[1]. 1864 est donc une date dans l’histoire de l’art, comme 1814 dans celle de Napoléon : elle marque la conquête du cheval par les peintres.

Ce tableau ne fut pas unanimement admiré. Thoré-Burger écrivait : « Toutes les difficultés de la peinture étaient réunies dans un pareil sujet, et il n’est pas surprenant que M. Meissonier ne les ait point vaincues. Les têtes, surtout celle du personnage principal, tournent un peu au style que représente Daumier. Les chevaux ne se tiennent pas sur leurs jambes, et le cheval blanc de l’Empereur semble peint avec du lait doux. Ce groupe de cavaliers, qui sont censés à la file, s’emmêle en un seul monceau. Aucune dégradation de lumière, qui mette chaque figure à son plan. Les derniers ne sont pas plus éloignés que les premiers, pourquoi sont-ils plus petits ? A droite de la file impériale, on aperçoit une masse de figurines microscopiques, sans doute un régiment qui cherche aussi à regagner la patrie ; mais la distance qui les sépare du groupe principal n’est point justifiée par la perspective des terrains. »

Ce morceau est curieux à lire, aujourd’hui, parce qu’il contient en peu de mots presque toutes les erreurs d’observation et les partis pris dont était capable, il y a cinquante ans, un critique pourtant novateur, indépendant et, comme on disait, d’avant-garde. Thoré avait été accoutumé, par son ami Rousseau, à regarder les arbres, mais personne ne lui ayant appris à voir les chevaux, il avait négligé de les observer de lui-même. D’autre part, il avait négligé de vérifier ce que deviennent, par un temps de neige et sous un ciel bas, les lois de la perspective aérienne. Aussi bien, semble-t-il avoir peu connu celles mêmes de la perspective linéaire. Il s’étonne qu’on aperçoive aussi près, en perspective aérienne, les fantassins de l’arrière-plan, qui lui paraissent si loin en perspective linéaire, et qu’il qualifie de « figurines microscopiques. » Mais ces fantassins ne sont pas loin. Les premiers sont aussi grands que la tête du cheval de l’Empereur, ce qui est beaucoup, car si, passant en omnibus, au milieu d’une avenue, vous considérez la taille des piétons sur le trottoir par rapport à la tête du voyageur qui vous fait face, vous trouverez qu’elle ne la dépasse pas sensiblement. Et, bien qu’ici nous ne soyons pas aussi près du cheval de Napoléon que nous le serions d’un vis-à-vis en omnibus, nous pouvons hardiment conclure que les fantassins de Meissonier sont fort près de son état-major. Ensuite, et c’est là le point capital, lorsque le ciel est couvert, sans qu’il y ait de brume, et quand la neige répandue sur la terre sert de réflecteur, les ombres sont très légères, la lumière très diffuse, les contrastes de plans très atténués, les distances très rapprochées et l’œil perçoit infiniment plus de détails, même au loin, qu’il ne ferait en plein soleil avec une éblouissante lumière. C’est justement l’effet reproduit dans le 1814, ce que les photographes appellent un effet photogénique : il s’accorde merveilleusement avec les qualités naturelles du peintre. Et, pour une fois, la seule peut-être, où son décor de nature justifie ses virtuosités microscopiques, on serait mal venu à les lui reprocher.

On les lui reprochera, au contraire, fort justement dans le tableau placé en face du 1814 comme pour servir de contre-épreuve : Antibes. Là, le peintre, peignant toujours de la même manière, qui est une manière petite, sèche, sans atmosphère et sans reflet, calomnie la grande nature, éblouissante, chaude et toute en vibrations lumineuses, où il a eu la malencontreuse idée de placer ses deux cavaliers et son paysan. C’est un magnifique coin du monde. Rien n’est beau, — rien n’était beau, devrions-nous peut-être dire, en nous rappelant le temps où ces remparts existaient encore, — comme cette vieille ville romaine lorsqu’en arrivant du cap, et en descendant vers cette petite crique qu’il a peinte, on la voyait dresser dans le ciel ses tours carrées entre le saphir de la mer et les diamans des Alpes couvertes de neige. Toutes les parcelles colorées étaient traversées de rayons, toutes les ombres étaient pénétrées de lueurs. Au lieu de cela, que voyons-nous : un mobilier de bois verni, soigneusement épousseté, des plantes vertes apportées par le régisseur, des écheveaux de laines violettes, vertes et bleues, disposées de façon à figurer la mer, des chevaux d’acajou, des montagnes de faïence et de porcelaine, partout, une couleur criarde et commune : sur les murs d’enceinte, des ombres sales et « bouchées, » et, sur la plage, un promeneur beaucoup trop polit, s’il est à sa place en perspective aérienne, beaucoup trop sec, s’il est à sa place en perspective linéaire. Les caractères « photogéniques » de Meissonier qui le servaient, dans le 1814, comme des qualités, le trahissent ici, comme des défauts.

Les autres toiles réunies dans cette salle font apparaître sa grande qualité maîtresse qui l’a toujours sauvé aux yeux des artistes : le réalisme saisissant de ses poses. C’était une nouveauté en 1864, même après les batailles quasi réalistes d’Horace Vernet, qu’une scène d’épopée peinte avec ce souci de la vérité. Jamais un peintre de l’école académique n’aurait osé boutonner, comme il le fit, le manteau du maréchal Ney. Chez lui, pas de gestes conventionnels, prévus dessinés « de pratique : » tout est particulier, propre, significatif. Regardez sa Confidence exposée au Salon de 1857, revue, en 1884, et toujours admirée : jamais un imaginatif n’aurait dessiné, de pratique, la main gauche du confident, et placé le petit doigt où il est, ni le pied gauche du confiant dans la flexion qu’il a prise. Le talon a quitté le soulier et le soulier reste posé à terre par le bout, sans suivre le mouvement général de la jambe : ce sont des traits d’observation qui, accumulés, finissent par faire vivre réellement les personnages. La minutie de Meissonier, inutile ou même nuisible quand elle s’applique à des choses dont nous n’avons que faire, comme les boutons d’un habit ou les méandres d’une perruque, nous ravit quand elle fait découvrir à l’artiste quelque chose de nouveau dans le jeu de la machine humaine.
LA SALLE DES COROT

Que Corot lui aussi soit un « découvreur, » ce n’est contesté par personne. On s’en aperçoit moins ici qu’ailleurs, parce qu’il n’y est guère à son avantage et, après les toiles rassemblées au mois de mai dernier à la galerie Georges Petit, c’est un assez pauvre régal que la collection Chauchard. Quelques-unes même ressemblent à ces « horreurs doublées d’infamies » qu’on apportait parfois au bonhomme comme étant de lui et qu’il repeignait bénévolement pour les rendre un peu moins indignes de sa signature. Mais, telles qu’elles sont, elles témoignent cependant que, de tous les artistes réunis ici, Corot est bien le plus novateur.

Quand vous sortirez de la collection Chauchard, au lieu d’aller chez Rubens, tournez à droite, dans les petites cellules hollandaises et arrêtez-vous dès la première, intitulée salle Hobbéma, n° XXVI. Vous verrez, là, leurs premiers modèles. Manifestement, Rousseau, Dupré, Daubigny, sont tourmentés par le Moulin à eau d’Hobbéma, Troyon par la Prairie de Paul Potter, Meissonier par la Robe blanche de Terburg, Jacques par le Pâturage de Karel Du Jardin. Poussez plus loin, salle Ruysdaël, salle XXV. Rousseau est contenu en puissance dans le Buisson de Ruysdaël, Meissonier dans la Leçon de musique de Metzu et mieux encore, un peu plus loin, salle Jean Steen, n° XXII, dans la Dentellière de Vermeer : Corot n’est nulle part.

C’est dans la nature seule qu’il faut aller chercher ses sources, dans certains coins de nature, et surtout à certaines heures du jour, et plus encore peut-être dans certains états d’atmosphère où il ramène tout ce qu’il voit. Sa grande découverte fut de peindre les choses au moment où, ne les voyant pas encore, ou bien ne les voyant plus, on les devine. Son grand procédé fut de repeindre ses ciels sur ses arbres, — ce qu’on appela « donner de l’air. » C’est peu de chose en soi, mais c’est la découverte d’un nouveau monde. Vous pouvez parcourir toutes les salles des paysagistes hollandais, ici et ailleurs : vous ne trouverez rien qui s’en rapproche. Ce monde est nouveau, et ce, monde est vrai, C’est une des innombrables modalités dont se compose ce qu’on appelle « la nature. » Pour s’en assurer, il suffit d’aller regarder, dans la petite salle qui fait suite à celle des Meissonier, la toile intitulée le Moulin, placée à l’angle sud-est, du côté du quai. Des arbres, aux fins feuillages, et entre leurs fûts, de l’eau des arches d’un pont, une « fabrique, » de la verdure… L’eau n’est pas belle, elle vit peu, mais quelle finesse de tons ! Le pont et la maison, les feuilles et les troncs jouent leurs parties dans une harmonie sourde et voilée, mais avec quel charme pénétrant ! Vous pensez peut-être qu’une telle féerie de pâles clartés est artificielle… Tournez-vous un peu à droite ; regardez par la fenêtre : voici la même arche de pont (le pont des Tuileries) les mêmes tons de pierre, les mêmes eaux, les mêmes arbres. S’il fait du soleil, et si vous êtes venu dans la matinée, vous apercevrez, entre les ombres lumineuses de la nature et celles de Corot une quasi identité. Ce que Corot a peint, c’est donc bien un aspect réel de la nature, qu’il a non inventé, mais découvert. Seulement, l’ayant découvert, il y ramène tout. Il voit les environs du lac Nemi comme les environs d’Arras, et quand on se promène avec lui aux îles Borromées, on cherche instinctivement, sous les arbres, les guinguettes de Ville-d’Avray. Dans n’importe quel paysage, devant lui, il cherche un « Corot, » et il le trouve coûte que coûte.

Le peintre Frédéric Henriet, qui l’a regardé peindre sur les bords de la Marne à Luzancy, en se tenant derrière son dos, nous le dit d’une façon très claire : « Je ne tardais point à remarquer que le maître ne paraissait pas se préoccuper le moins du monde de monter la coloration au ton du modèle. Mais je me fusse bien gardé de risquer la plus timide observation, connaissant ses théories à cet égard et aussi les habitudes de sa vision. Il lui suffisait en effet que toutes les valeurs de son étude fussent en rapport exact entre elles et dans une juste proportionnalité avec le modèle pour qu’il se déclarât satisfait. Il croyait que la peinture est une transposition. Tout son effort tendait à ce que cette transposition fût rigoureuse et en quelque sorte mathématique. Mais je ne le vis pas sans quelque étonnement commettre certaines infidélités et omissions dans la reproduction du motif. « — Pardon, maître, hasardai-je, mais je ne vois pas, sur votre étude, les arbres qui sont là-bas, à droite ? » Il se retourna vivement et — avec crânerie : « Les arbres ? quand je les fais, on me les coupe !… Je les mets quand je veux… » Puis après un long silence, pensant sans doute que je ne me payais pas de cette boutade, il reprit : « Je n’ai pas toujours dit cela, et vous auriez tort de vous autoriser de mon exemple pour en user aussi cavalièrement avec dame Nature. Pendant trente années, je l’ai copiée avec conscience, avec respect, avec amour, avec une naïveté poussée souvent jusqu’à la gaucherie… C’est parce que j’ai fait ainsi pendant un quart de siècle qu’aujourd’hui j’ose déchirer ma lisière et m’émanciper un peu. »

En effet, dans cette longue galerie donnant sur les Tuileries où l’on a réuni les principaux, — et je ne dis pas les meilleurs, — Corot, on voit aisément la déchirure de la lisière. Ses plus anciennes toiles, comme la Charrette, souvenir de Marcoussis près de Montlhéry, montrent des choses qu’on a coutume de voir. Cette toile a une histoire. Elle était à l’Exposition Universelle de 1855 et obtint, grâce à Delacroix et à Français, une médaille de 1re classe. L’Empereur vint à passer, accompagné de M. de Nieuwerkerke qui la trouvait horrible, reprochant à sa couleur d’être « boueuse » et à sa facture d’être « cotonneuse, » et de M. de Chennevières qui la trouvait ravissante. Il la regarda longuement et l’on ne sait ce qu’elle put lui rappeler ou lui inspirer, mais il l’acheta, malgré son surintendant des Beaux-Arts. « Eh bien ! vous voilà content ! » dit M. de Nieuwerkerke à son collègue. C’est ainsi que dès 1855, en dépit de toutes les légendes dont se fait l’histoire de l’Art, Corot n’était déjà plus un « méconnu. »

Peu de temps après, il commençait à s’émanciper avec « dame Nature. » Nous voyons, ici, le Chevrier jouant de la flûte dans une clairière, — soleil couchant, exposé au Salon de 1857, — et malheureusement aujourd’hui très fendillé par le bitume. Il y a déjà beaucoup moins de fidélité au « motif » que dans la Charrette. « Je ne sais où cet excellent homme, dont la manière est si doucement émue, va prendre ses paysages, disait Castagnary devant cette toile, je ne les ai rencontrés nulle part. » Et dans son Passage du gué, exposé en 1868, sous le titre le Soir, le parti pris de l’ordonnance est encore plus visible. Cette page fit alors une grande impression que nous comprenons mal aujourd’hui. Elle a sans doute poussé au noir, s’est ternie et plombée. Ces vaches ne passeront jamais la rivière où elles sont plongées, car elles sont de bois et auraient grand besoin que leurs voisines, celles de Troyon, leur apprissent à se remuer.

Car il est largement représenté, ici, le Paul Potter national, maître dans un genre peu cultivé avant lui, tout à fait délaissé depuis, et où il fit quelques découvertes. Sa couleur est restée vive, au moins dans ses figures, et n’a rien perdu de son ragoût. Elle aurait plutôt gagné, semble-t-il, car quand il vit pour la première fois cette Vache blanche qui se gratte, exposée au Salon de 1859, Castagnary écrivait : « Je n’admets en aucune façon la vache qui se gratte, si puissamment modelée, pourtant, mais dont les tons de lumière sont totalement embus. « Aujourd’hui, elle fait honneur à son peintre. Le grand souci de Troyon était, en effet, la facture. Pour obtenir les tons frais des Hollandais, il employait les couleurs à l’état natif. Pour maintenir l’harmonie constante entre elles, il menait tout de front : le paysage, les bêtes, les lumières, les ombres, le ciel, piquant une touche ici, puis là, partout. « On peut dire que son tableau se faisait en rond… » dit son élève Van Marcke.

Ce fut aussi le grand souci de Rousseau, le tourment de sa vie, la pierre philosophale indéfiniment convoitée. Plusieurs de ses toiles, réunies ici, en portent la preuve. Travaillées à plusieurs époques différentes, grattées, reprises, repeintes, torturées, elles accusent l’effort pénible et l’ambition déçue. Mais lorsque le but est approché, quel triomphe ! « C’est un grand oseur, disaient les Goncourt en 1852, qui a poussé plus loin qu’aucun l’étude des plus délicates modifications du jour et le rendu des plus difficiles jeux de lumière dans la verdure, par le matin, à midi, le soir, avant la pluie, après la pluie… » Nous avons, ici, des exemples non pas excellens, mais assez significatifs de toutes les phases de son enquête, depuis l’Avenue de la Forêt de l’Isle-Adam, exposée au Salon de 1849, jusqu’à cette Charrette, carrefour de la Reine-Blanche au Bas-Bréau, qui figurait parmi les cent neuf études peintes exposées au cercle des Arts de la rue de Choiseul, en 1867, quelques mois avant la mort du peintre. Un an avant l’exposition de la première toile, Rousseau avait reçu son premier grand encouragement officiel. C’était en 1848 : Ledru-Rollin, accompagné de Jeanron, directeur des Beaux-Arts, montait rue Pigalle où habitait Rousseau et lui faisait, au nom de l’Etat, une commande de 4 000 francs, somme énorme en ce temps-là et qu’on regarda comme une munificence digne de Périclès. Et quand cette dernière petite toile, la Charrette, fut exposée, Rousseau reçut sa dernière consécration officielle : la médaille d’honneur et la croix d’officier.

La gloire venait à ce sylvain reclus à Barbizon, perdu dans son culte de la forêt. On ne peut voir ses chênes puissans, musclés, nombreux, profus, sans se rappeler ce qu’il disait, un jour, à Thoré-Burger, en se promenant dans la forêt de Fontainebleau : « Si j’étais roi, je ne compterais point les grands chênes que les siècles ont légués à mon pays… Qu’un propriétaire égoïste, dans son domaine privé, ne songe pas à ses enfans et plante pour son seul intérêt, c’est un malheur de la constitution actuelle de la propriété, dont on a le droit d’abuser, mais l’Etat, l’Etat plus immortel que les chênes, n’a-t-il pas la mission de conserver les êtres de longue durée au travers des accidens passagers de la vie ? L’Etat est le contemporain de l’avenir, de même qu’il est le contemporain du passé… » Et il cherchait, selon ses moyens, à leur conférer une sorte de survie.


Il y a, ici, un autre adorateur des chênes, Diaz. Dans son culte bizarre, il imagine la forêt comme une cathédrale, ferme sa voûte, et ne laisse passer que des rais de lumière tombant sur les fûts comme, au travers des vitraux, le soleil oblique dore les colonnes et les piliers d’églises. Il tire, de là, des effets singuliers et presque fantastiques, transformant ses arbres en candélabres d’argent, ses fougères en dentelles, ses feuillages en velours. Plus romantique et plus tendre que Rousseau, il cherche de plus violentes antithèses, dans ses Hauteurs du Jean de Paris, par exemple. Quand il est plus simple, comme dans sa Lisière d’un bois (auprès du portrait de M. Chauchard), il est plus émouvant. On sent bien ici, ce qu’a de particulier l’approche d’une grande forêt, la limite entre deux mondes : la plaine humaine et féconde d’un côté, et de l’autre, la forêt mystérieuse, inculte et divine, avec ses épaves, rejetées sur ses bords comme au bord, de la mer : des bûches, du bois, des choses mortes, mais qui peuvent servir, avec quelqu’un, toujours, qui rôde pour les recueillir : ici, une vieille femme chargée de fagots qui suit le chemin. C’est encore, là, une petite découverte dans le monde végétal.

Dans le monde animal, deux artistes représentés ici, Delacroix et Barye, en ont fait de semblables. Delacroix a fait vivre les fauves. Sa Chasse au tigre, peinte en 1854, pour Weill, sous ce titre : « Tigre attaquant le cheval et l’homme, » en est la preuve. Certes, ce ne sont point des animaux sans reproche au point de vue anatomique. Ils auraient beaucoup à apprendre des fauves photographiés au magnésium par M. Dugmore, dans les taillis de l’Ouganda. « Delacroix s’était mis, dit Th. Silvestre, à faire de mémoire plus d’animaux au coin de son feu que devant les fosses et les cages des bêtes. Il tirait des lions et des tigres de son chat… » Ses lions ne sont donc pas vrais, mais comme ils sont vivans !

Ceux de Barye sont à la fois vivans et vrais. Ce fut une révélation, quand, au Salon de 1833, parut ce Lion au serpent que nous voyons sous le n° 151, dans une des vitrines de Barye. Le public habitué aux lions à perruques qui roulent une boule sous la patte, dans les jardins, ou aux lions inoffensifs et pseudo-égyptiens de l’Institut, sentit qu’il y avait, là, une découverte dans l’ordre plastique et un enrichissement de la sensibilité esthétique. Barye décollait le lion héraldique de Saint-Marc, des blasons et des tombeaux, et le jetait, souple et fort, sur des chairs pantelantes. Il lui rognait ses ailes et sa barbe, mais laissait sortir ses griffes. Sous la peau, les muscles roulaient, ses narines se fronçaient, ses dents pointaient à nu. Le public stupéfait s’écriait : « Il mord ! » Gustave Planche enregistra dès 1833, lorsque ce lion fut exposé en plâtre et encore en 1836 lorsqu’il parut en bronze, ce cri général d’étonnement. Et Théophile Gautier, plus tard, en 1866, prétendit qu’à sa vue, les « vieux lions poncifs répandus dans les jardins publics faillirent laisser échapper la boule qui leur sert de contenance. » En langage non imagé, cela veut dire que les sculpteurs académiques furent fort malcontens. On dérangeait toute la faune de l’Institut. Les lions de Barye faisaient scandale. Tant qu’ils furent réduits aux proportions modestes où nous les voyons, ici, on les railla du nom de « serre-papiers. » Et quand on parla de les grandir pour les mettre aux Tuileries, on prononça le mot de « ménagerie. » Ils y sont pourtant, maintenant, et montent la garde, du côté du quai, à la porte de la collection Chauchard. Ils n’étonnent plus, ni ne scandalisent plus personne. Et nous les saluons, en sortant, comme les images sensibles de ces grands « méconnus » que furent parfois les grands « découvreurs. »


ROBERT DE LA SIZERANNE.

  1. Voyez Muybridge, Animals in Motion. — The Walk, notamment page 39, série 4 « Horse Elberon, » p. 37, « Horse Clinton, » p. 35, « Horse Billy, » p. 31, série 3 « Thorough-bred Mare « Annie, » p. 27. et 28, série 2 « Horse Billy. »