Une description du Beuvrect

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Je vous envoye, Monsieur, la description de la montagne de Beuvrect, comme vous l’avez souhaitée. Je l’ay faite le plus exactement qu’il m’a été possible dans sa situation, sa forme, sa figure, suyvant la connaissance que j’en ay pour avoir souvent parcouru cette montagne, et l’avoir examinée depuis quarante-deux ans, que je suis curé de la paroisse de Saint-Léger, dont la montagne fait partie. Le clocher en est éloigné d’une lieue, d’où il y a toujours à monter jusqu’au sommet de la montagne, quoiqu’insensiblement. La plus grande partie de ma paroisse est située dans la province de Bourgogne, et la plus petite partie dans celle du Nivernais, sur la frontière de laquelle la montagne se trouve située, et séparée de la Bourgogne par un chemin. Cette montagne est une des plus hautes de ces quartiers, détachée de toutes les autres voisines par des vallons étroits. Elle est plus longue que ronde, presque également élevée partout ; c’est pourquoi il faut monter beaucoup de tous côtés pour parvenir à son sommet. Il y a deux grands chemins qui y conduisent, l’un vient d’Autun du côté du levant, l’autre du couchant, qui vient de Luzy. Ces deux chemins se voyent encore par une levée et un ancien pavé qui subsistent en plusieurs endroits. Il y en a un troisième qui est plus fréquenté et assez large, quoique non pavé, c’est par celuy-cy que les villageois, qui sont au pied du Bevrect, conduisent leurs troupeaux sur le plus haut de la montagne pour y pâturer, et que les paroisses du voisinage vont à une foire considérable qui s’y tient tous les ans le premier mercredy du mois de may. Il y a dans la partie qui est du côté de Saint-Léger une esplanade assez spacieuse, enceinte d’anciens fossés et d’une partie de murailles, dont les vestiges se voyent en plusieurs endroits. L’enceinte de ses murailles s’étend encore sur le déclin de la montagne, de manière qu’elles paraissent avoir renfermé l’espace d’une grande ville. Les murailles qui sont tombées en partie ont comblées les fossés, et forment une espèce de glacis par la terre qui y est crûe par-dessus ; il y a des endroits où les pierres de ces murailles se trouvent répandues, parce qu’elles ont été remuées par le labourage qu’on y a fait à la pioche pour y semer du grain. Il y a plusieurs fontaines sur cette montagne dont l’eau est très vive : des anciens du pays m’ont assuré y avoir vu des puits, mais qui ont été comblés à cause des bestiaux qui y pâturent. Ils m’ont ajouté y avoir trouvé plusieurs médailles, comme aussi des anneaux d’or et d’argent. Il y a environ trente ans qu’il tomba un vieux hêtre d’une grosseur prodigieuse, qui était au-delà du fossé du côté de Saint-Léger, et sous les ruines duquel il se trouva beaucoup de pierres : cela donna occasion à un paysan du voisinage de creuser en cet endroit pour les ramasser : il y découvrit une urne de terre rouge de la hauteur de deux pieds et demy, toute entière avec un couvercle de la même terre. L’ayant ouverte, il la trouva remplie de cendres, avec une tête humaine, qui tomba en poussière dès qu’il l’eut touchée : il trouva encore dans ces cendres deux grandes médailles d’or, dont l’une était comme celle d’un écu de six livres. Il fut longtemps sans vouloir avouer cette découverte, de crainte d’être recherché par le seigneur du lieu ; enfin il me l’avoua à l’article de la mort : il ajouta qu’un orfèvre de la ville d’Autun luy en avait donné quatorze pistoles (140 fr.). J’ajouteray à l’égard de la montagne de Bevrect, qu’elle est très vaste et qu’elle a au moins dans son circuit deux lieues et demy de tour[1].

  1. Moreau de Mautour, Dissertation, p. 315 à 318.