Une épopée babylonienne/I.7

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I
ANALYSE DU POÈME
LE DÉLUGE ; APOTHÉOSE DE SAMAS-NAPISTIM ; GUÉRISON DE GILGAMÈS ; L’ARBRE DE VIE ; LE PARADIS PERDU ; LE RETOUR.
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C’est pour obtenir sa guérison et échapper à cette dure fatalité de la mort, que Gilgamès avait entrepris un aussi long voyage. Il était venu vers Samas-napistim dans l’espoir de surprendre le secret de vie, car, il le possédait sans doute, lui qui jouissait du privilège d’immortalité... Mais comment arracher au vieillard son secret ?

Une première fois, déjà, comme Gilgamès l’interrogeait, Samas-napistim s’était dérobé à la question par une réponse évasive. Le héros, cependant, sans se déconcerter, revint à la charge. Seulement, cette fois, il usa d’un détour et ménagea avec art sa requête. Il savait la coquetterie que mettent les vieillards à paraître jeunes, et le secret plaisir qu’ils éprouvent à s’entendre dire qu’il ont gardé, malgré les ans, leur verdeur d’autrefois. Gilgamès fit donc compliment à Samas-napistim de sa bonne mine, et s’extasia sur ce qu’il paraissait tout rajeuni, insinuant par là, qu’il voudrait bien connaître, lui aussi, cette eau de Jouvence, où se ravivait sa vigueur. C’était, en même temps qu’un moyen de s’attirer les bonnes grâces du vieillard, une manière adroite de revenir sur sa demande : « A te regarder de près, Samas-napistim, je ne te trouve point vieilli, tu parais aussi jeune que moi. Non, en vérité tu n’es point vieilli, tu es aussi jeune que moi. Resplendissant de santé comme tu es, tu pourrais encore, ma foi, affronter la bataille... Mais dis-moi, comment as-tu mérité de siéger dans l’assemblée des dieux, de prendre place parmi les immortels ? Voyons, confie-moi ce secret... [1] »

Gilgamès avait trouvé le côté faible de Samas-napistim. L’aïeul, doucement flatté par les paroles câlines de son petit-fils, ne sut plus résister : « Oui, Gilgamès, dit-il, je vais te découvrir le mystère et te révéler le décret des dieux [2]. » Alors, avec cette humeur conteuse des vieillards, il prit les choses par le commencement et exposa tout au long son histoire, une terrible aventure, dont il avait été le héros, d’où il n’était revenu sauf que par miracle, et qui lui avait valu l’immortalité.

« Ceci se passait à Surippak, tu sais, cette ville assise, là-bas, au bord de l’Euphrate. Oh ! elle était déjà bien ancienne cette ville, lorsque les dieux qui l’habitaient, les grands dieux, conçurent le dessein de faire le déluge. Or donc, ils se réunirent et tinrent conseil. L’aspect était vraiment imposant de cette assemblée de dieux, que présidait Anu, leur père commun, où siégeaient le guerrier Bel, leur conseiller ordinaire, Ninib et Nergal, fidèles exécuteurs de leurs volontés. Parmi eux se trouvait aussi Ea, le dieu de la sagesse. Ce fut lui qui, en cette circonstance, se fit le héraut des dieux et publia leur décision : « Argile, argile, s’écria-t-il, amas de poussière, amas de poussière ! Argile, écoute ; amas de poussière, entends ! Homme de Surippak, fils de Ubara-Marduk, construis en hâte un vaisseau, quitte là tes biens, écarte tout ce qui t’est étranger, pour ne t’occuper que de toi-même et sauver ta vie. Aie soin, cependant, d’embarquer avec toi les différentes espèces d’êtres animés. Quant au vaisseau, construis-le suivant des proportions réglées, de telle sorte que la longueur en soit égale à la largeur. Dès qu’il sera achevé, tu le mettras à flot. [3] »

« J’avais tout compris d’un mot. A travers ces paroles, je devinai qu’il se tramait, là-haut, parmi les dieux, quelque complot contre les hommes. Je dis lors à Ea, mon seigneur : « Mon dieu et maître, en toi, tu le sais, j’ai mis ma confiance, je ferai ainsi que tu l’ordonnes. Mais ces préparatifs attireront, sans doute, l’attention des habitants de Surippak. Me voyant occupé à une telle besogne, tous, le peuple et les anciens, viendront, en curieux, me demander à quelle fin je destine ce bâtiment. Que dois-je leur répondre ? [4] »

« Le dieu Ea dit à son serviteur : « Tu leur répondras ceci : Le dieu Bel ne m’est point propice, il me traite en ennemi. C’est pourquoi, je ne veux point séjourner plus longtemps dans votre ville, ni poser ma tête sur une terre vouée au dieu Bel. Je vais plutôt descendre vers la mer, établir ma demeure auprès d’Ea, mon seigneur. Donne-leur cependant de tels avertissements : Voici qu’il se prépare contre vous un déluge, qui détruira tout sur la face de la terre, impitoyablement, les hommes, les oiseaux, les bêtes jusques aux poissons. Vous reconnaîtrez que le déluge est proche à ce signe, fixé par Samas lui-même : Dans la nuit qui précédera un tel désastre, Celui qui assemble les nuages fera tomber sur vous une pluie d’orage. Donc, veillez, prenez bien vos précautions, tandis qu’il est encore temps... [5] »

« Le lendemain, dès que le jour parut, je m’empressai d’accomplir les ordres d’Ea, mon seigneur. Tout d’abord, je prévins de ce qui allait arriver, les habitants’ de Surippak. Mais ils m’écoutèrent d’une oreille distraite, et ne tinrent aucun compte de mes salutaires avertissements. [6] Puis, je me mis à l’œuvre. Ayant réuni sous ma main tous les matériaux nécessaires, je travaillai sans relâche, si bien, qu’en moins de cinq jours, je vis se dresser la charpente de mon navire. La hauteur des parois de la coque était de dix gar, les dimensions du toit mesuraient pareillement dix gar. Je prenais garde, en effet, de ne point m’écarter du plan tracé par le dieu Ea, et je me souvenais de sa parole : « Construis le vaisseau suivant des proportions réglées, de telle sorte que la longueur soit égale à la largeur. »

« Une fois que j’eus ainsi disposé la charpente, j’en reliai les parties entre elles. Dans le vaisseau, je ménageai six étages, qui comprenaient chacun sept chambres séparées. Au milieu, je disposai un lit de roseaux épineux, que je fis fouler avec soin. Je passai en revue les avirons et les mis en état. Enfin, j’enduisis les parois, en répandant, à l’extérieur, six sares de bitume et trois sares de naphte, à l’intérieur [7].

« Le vaisseau une fois équipé, pour couronner l’œuvre, j’organisai une fête. Rien n’y manquait. Les hommes-canéphores me livrèrent, pour la circonstance, jusqu’à trois sares d’huile. Or, là-dessus, j’en prélevai un seulement pour servir au sacrifice, et je mis les deux autres à la disposition du pilote. Tous les jours, on égorgeait des bœufs et des moutons. Grande était la joie parmi mes hommes. Ils faisaient couler à longs flots le moût, l’huile et le vin. Ils en usaient comme de l’eau du fleuve. Une vraie fête de nouvel an... Pour moi, ayant achevé mon œuvre et mené à bonne fin une aussi difficile entreprise, je trempai mes mains, en guise de purification, dans l’huile sainte [8].

« La fête terminée, je fis mes derniers préparatifs. Après avoir, pour plus de précaution, garni de fascines, le haut et le bas du vaisseau, je procédai au chargement. Je le remplis de tout ce que je possédais, j’y entassai tout ce que j’avais en fait d’argent et d’or ; j’eus soin aussi, pour me conformer aux ordres d’Ea, mon seigneur, d’embarquer avec moi les différentes espèces d’êtres animés. Je fis monter en outre dans le vaisseau toute ma maisonnée, ma famille et mes gens ; bêtes et hommes je fis tout monter. [9]

« Puis, je me tins prêt à partir, n’attendant plus que le signal fixé par Samas lui-même. Elles retentissaient encore à mes oreilles, les paroles d’Ea, mon seigneur : « Dans la nuit qui précédera le déluge, Celui qui assemble les nuages, fera tomber une pluie d’orage. Alors, entre dans le vaisseau et fermes-en la porte derrière-toi. [10] »

« Le signal annoncé ne tarda pas à paraître. Dans la nuit, en effet. Celui qui assemble les nuages fit tomber une pluie d’orage, d’où je compris que le déluge était proche. C’est pourquoi, dès la pointe du jour, saisi de frayeur, vite, j’entrai dans le vaisseau et en fermai la porte derrière moi. La porte une fois bien verrouillée, je commis aux soins du pilote, Puzur-Bel, le navire avec tout ce qu’il renfermait. [11]

« Or, voici qu’aux premières lueurs de l’aube, je vis de gros nuages noirs émerger peu à peu au-dessus de l’horizon, et s’avancer vers le haut du ciel, majestueusement. On eût dit d’une procession triomphale se déroulant dans les airs... Du sein de la nue, Ramman brandissait le tonnerre. Nabu et Marduk ouvraient la marche. A leur suite, allaient les dieux justiciers courant par monts et par vaux, à grandes enjambées, à la façon des géants : Nergal arrachant, brisant tout ce qui lui faisait obstacle, Ninib soulevant et faisant voler en tourbillon tout ce qui se rencontrait sur son passage. Bientôt les émissaires de Ramman, étant montés au ciel, chassèrent la lumière et répandirent les ténèbres sur la face de la terre. [12]

« Dès le premier jour, l’ouragan sévit avec une extrême violence. Ce fut comme une terrible mêlée, aussitôt suivie d’une débandade effroyable. On eût dit d’une gigantesque bataille, où l’armée des vents ennemis se ruait, d’une ardeur insensée, sur l’humanité en déroute. Dans cette course folle, le frère ne reconnaissait plus son frère. Tous les hommes étaient emportés pêle-mêle par le noir tourbillon. Bientôt, du ciel on ne distingua plus la terre. Alors, les dieux eux-mêmes prirent peur... Craignant d’être atteints par les vagues montantes jusque dans leurs retraites inaccessibles, ils se réfugièrent dans les hauteurs du ciel, demeure d’Ami. Ils se tinrent là tremblants, accroupis, comme des chiens à l’attache dans un chenil. [13]

« A la vue du déluge immense, Istar se mit à geindre comme une femme en couche. Elle s’écria dans sa douleur, la reine des dieux, la bonne déesse : « Voici que l’humanité est retournée en poussière, par ma faute, car c’est moi qui ai médit de mon peuple dans l’assemblée des dieux ; oui, par ma faute, car c’est moi encore qui ai déclaré cette guerre de destruction. Hélas ! hélas ! où sont-ils ceux que j’ai enfantés ? Comme du menu fretin, il remplissent la vaste mer [14]. »

« Les dieux, voire même les Anunnaki, se lamentèrent avec elle sur le sort de la pauvre humanité. Maintenant, ils se repentaient d’avoir fait le déluge. Ils étaient tous là immobiles, versant des larmes et se couvrant les lèvres en signe de deuil. [15]

« Durant six jours et six nuits, le vent ne cessa de soufller, la tempête redoubla de violence... Cependant aux approches du septième jour, le vent se ralentit, la tempête parut s’apaiser. Il touchait à sa fin, ce combat fatal, qu’avait livré aux hommes l’ouragan en furie. Peu à peu la mer se calma.. Maintenant, le vent était tombé, le déluge avait cessé. [16]

Alors, je pus contempler la mer. A sa vue, un cri s’échappa de ma poitrine oppressée... Voici que l’humanité était retournée en poussière, et que, devant moi, s’étendait la plaine liquide semblable à un plateau désert !... Maintenant, j’avais ouvert la lucarne du navire et le jour venait frapper en plein mon visage. Atterré, d’abord, par un aussi affligeant spectacle, je m’affaissai sur un siège et me pris à pleurer. Puis, étant un peu remis de ma première émotion, je parcourus l’horizon du regard... De toutes parts, la mer était ouverte ; seulement, dans le lointain, une terre, formant une sorte d’îlot isolé, émergeait de douze coudées au-dessus des flots. [17]

« C’est là que vint échouer le vaisseau, au pays de Nizir. Comme il s’était engagé dans la montagne, il s’y enlisa. Six jours se passèrent ainsi... Aux approches du septième jour, je lâchai d’abord une colombe : la colombe s’envola puis revint, car elle n’avait pas trouvé de place où se poser. Ensuite, je lâchai une hirondelle : l’hirondelle aussi s’envola puis revint, car elle non plus n’avait pas trouvé de place où se poser. Enfin, je lâchai un corbeau : le corbeau s’envola et, ayant trouvé des eaux stagnantes, il s’en approcha, pataugea dans la boue et ne revint pas. [18]

« Alors, je procédai au débarquement. Je dispersai aux quatre vents du ciel, toutes les espèces d’êtres animés renfermées dans l’arche. Puis, reconnaissant envers les dieux qui m’avaient sauvé la vie, j’offris un sacrifice sur le sommet même de la montagne. J’avais disposé avec ordre et en nombre des vases propitiatoires, au-dessous desquels, je versai en abondance des grains de cannelle, de résine et des siliques. La fumée de mon holocauste monta droit jusqu’au ciel. Ce sacrifice fut pour les dieux un sacrifice d’agréable odeur. Je les vis, en effet, se ramasser en grappe, comme un essaim de mouches, au-dessus de l’autel et les narines dilatées, aspirer délicieusement ce parfum suave... Au moment où s’avança la grande déesse, revêtue de magnifiques ornements, chef-d’œuvre d’Anu, reflet de sa splendeur, — Oh ! non, ces dieux, pas plus que mon collier, je ne saurais les oublier ! Non, ce jour où je fus initié à la sagesse ne sortira jamais de ma mémoire ! — je dis à voix haute : « Oui, que les dieux accourent en foule à mon sacrifice, qu’ils y viennent tous, à l’exception de Bel, celui qui fit inconsidérément le déluge et voua mon peuple à la perdition [19]. »

« Tous les dieux répondirent à mon appel. Parmi eux se trouvait aussi Bel, le guerrier... Dès qu’il aperçut le vaisseau, il entra dans une grande colère, digne des Igigi eux-mêmes : « Quel est celui d’entre les dieux, s’écria-t-il, qui a osé enfreindre mes ordres ? Qui donc s’est mêlé de conserver la vie sur la terre ? Qu’aucun homme ne survive à ce désastre ! [20] »

« Ninib, le premier, prit la parole et dit à Bel, le guerrier : « Qui donc a pu faire la chose, si ce n’est Ea ! Ea ne connaît-il pas tous les artifices ? [21] »

« Ea, se trouvant mis en cause, prit la parole à son tour. Tout d’abord, il adressa de vives objurgations au dieu Bel, sur ce qu’il avait fait le déluge, sans y avoir mûrement réfléchi, puis il nia la vérité du fait allégué par Ninib contre lui : « Toi, s’écria-t-il, le chef des dieux, le puissant guerrier, pourquoi fis-tu le déluge inconsidérément ? Pourquoi envelopper ainsi dans une même ruine les bons et les méchants ? Est-il juste d’imputer la faute à qui ne l’a pas commise ? Que le pécheur expie lui-même son péché ! Que le coupable subisse tout seul le châtiment qu’il mérite ! Même envers le pécheur et le coupable, use d’indulgence et de longanimité ; ne le fais point périr ! Surtout ne fais pas de nouveau déluge ! Plutôt que de faire un nouveau déluge, que les lions et les léopards fassent irruption et diminuent la race nombreuse des hommes, que la famine et Nergal lui-même surviennent et ravagent la contrée !... Quant au décret des grands dieux, ce n’est pas moi qui l’ai révélé. J’envoyai seulement à Atrahasis un songe, par où il devina, de lui-même, ce qui se tramait parmi les dieux contre les hommes [22]. »

« Ea avait parlé avec adresse. Le dieu Bel, frappé par la vérité de ce raisonnement, rentra en lui-même. Un instant, il parut réfléchir, puis, prenant une résolution subite, il me saisit par la main et me fît monter avec ma femme sur le vaisseau. Alors, ayant ordonné à celle-ci de se tenir inclinée à côté de moi, il nous toucha tous deux au front, et, s’étant placé entre nous, il nous bénit, disant : « Auparavant, Samas-napistim était un homme, désormais, Samas-napistim et sa femme seront des dieux comme nous. Et ils demeureront au loin, à la bouche des fleuves. » Sur ce, Bel, le guerrier, nous emmena et lui-même nous établit au loin, à la bouche des fleuves. [23] »

Gilgamès avait écouté avidement, sans mot dire, cette merveilleuse histoire... Le récit du déluge une fois terminé, Samas-napistim continua : « Et maintenant, lequel d’entre les dieux te rendra toi aussi, Gilgamès, resplendissant de santé. Si tu veux obtenir, avec ta guérison, le don d’immortalité, ne t’embarque pas aussitôt, attends seulement... [24] »

« Alors Gilgamès, comme un voyageur harassé de fatigue après une longue course, succomba à un profond sommeil, qui le coucha à terre, à la façon d’un vent violent, durant six jours et sept nuits [25].

« Or, tandis qu’il dormait, Samas-napistim dit à sa femme : « Ce héros, vois-tu, est parti en quête du secret de la vie, et voilà que, au terme de son voyage, le sommeil l’a dompté et couché à terre, à la façon d’un vent violent. » Et sa femme de lui répondre : « Touche-le et fais-lui goûter l’aliment mystérieux, après quoi, il reprendra le chemin par où il est venu, et, dépassant la grande porte, s’en retournera dans son pays. » — « Tu souffres, je le vois bien, reprit Samas-napistim, de la souffrance de l’humanité. Or donc, apprête toi-même l’aliment mystérieux et pose-le sur sa tête pour qu’il l’emporte et s’en rassasie [26]. »

« Au jour où Gilgamès monta sur le vaisseau, elle apprêta, en effet, le mystérieux aliment et le posa sur sa tête. Elle avait apporté à sa préparation un soin extrême... Après l’avoir successivement mélangé, travaillé, détrempé, elle le servit à point sur un vase, au préalable nettoyé, et tout reluisant. Alors, Samas-napistim, d’un geste brusque, toucha le héros et celui-ci goûta de ce mets... Cet aliment mystérieux préparé par la femme de Samas-napistim à l’usage de Gilgamès, fait rêver involontairement de je ne sais quelles opérations magiques accompagnées d’étranges formules d’incantation. On croirait assister aux apprêts d’un repas, par une sorcière, sur une terre fantastique, vaguement éclairée d’un jour lunaire, où viendraient se mêler, parmi les bruits de vaisselle remuée, les signes cabalistiques et les paroles sacramentelles... Au cours du repas, Gilgamès devisait avec Samasnapistim, l’Éloigné. Comme il se réveillait à peine, il croyait continuer un rêve. Il essayait de renouer le fil de ses souvenirs : « Voyons, à mon arrivée, le sommeil m’a surpris... Puis, tu m’as touché, tu m’as frappé. » Sur quoi, Samas-napistim, tout en l’exhortant à prendre encore de la nourriture, lui raconta point par point la préparation du mystérieux aliment et le mit au courant de tout ce qui s’était passé [27].

« Gilgamès, cependant, se préoccupait de son retour. Comment ferait-il pour s’en aller ? Il ne fallait pas encore songer à partir, car son mal, loin de guérir, ne faisait qu’empirer. Pour combien de temps était-il retenu sur ces rivages ? Lui serait-il donné seulement de les quitter un jour ? « Comment sortirai-je d’ici, Samas-napistim ? La maladie s’est emparée de tous mes membres, et la mort, l’horrible mort est là debout devant mon lit à me guetter. Oh ! ce lieu que j’habite est un lieu mortel ! [28] »

« Samas-napistim prit le héros en pitié, et, s’adressant au pilote : « Amel-Ea, dit-il, la traversée a été funeste à Gilgamès. Voici qu’il se traîne languissamment celui que tu as conduit, le corps couvert de pustules, les chairs rongées par la lèpre. Prends-le, Amel-Ea, mène-le au bain. Tout d’abord, qu’il lave lui-même sa plaie, jusqu’à la rendre brillante comme du métal, qu’il se défasse de sa lèpre et livre aux flots cette dépouille. Puis, qu’il ait soin d’entourer sa tête d’un bandeau neuf. Quant au voile qui recouvre sa nudité, qu’il ne le renouvelle point avant d’arriver à Uruk. Là seulement, il lui sera loisible de mettre un voile tout neuf. » Ce dont Amel-Ea s’acquitta avec un soin scrupuleux. Gilgamès d’ailleurs s’y prêta sans se faire prier et accomplit point par point les indications de Samas-napistim [29].

La purification une fois terminée, Gilgamès monta sur le vaisseau à côté d’Amel-Ea, et tous deux, de concert, mirent le bac à flot. Ils étaient prêts à partir, lorsque sa femme dit à Samas-napistim, l’Éloigné : « Voici que Gilgamès, à la suite d’un long voyage, durant sa halte, a été grièvement malade. Voyons, le laisseras-tu s’en retourner ainsi dans son pays sans lui avoir rien donné ? » Gilgamès, entendant cela, vite avait saisi l’aviron et poussé son bac vers la rive... Samas-napistim prit la parole à son tour et dit au héros : « Gilgamès, à la suite d’un long voyage, durant ta halte, tu as été grièvement malade. Allons, avant que tu retournes dans ton pays, quête faut-il donner ? Tiens, Gilgamès, je vais te découvrir le mystère et te révéler le décret des dieux. Cette plante, vois-tu, qui ressemble à l’épine et dont la baie a une forme pareille à la tête de la vipère, elle procure la vie à qui la possède [30]. »

Gilgamès, ne se contenant pas de joie, fit part aussitôt de son secret à son compagnon de voyage : « Cette plante, vois-tu, Amel-Ea, est la plante fameuse qui entretient la vie. Je vais l’emporter soigneusement à Uruk et y faire participer les miens. Elle a nom : Le rajeunissement du vieillard. J’en mangerai moi aussi, afin de revenir aux jours de ma jeunesse. [31]

Là-dessus, Amel-Ea et Gilgamès partirent. Après une première étape de quarante heures, ils firent halte un moment, puis, s’étant remis en route, après une nouvelle étape de vingt heures, ils répandirent une libation. C’était aux abords du puits aux eaux jaillissantes... Gilgamès était dans le puits occupé à verser de l’eau, lorsque tout à coup, surgit un serpent, qui, d’un élan rapide, se jeta sur la plante de vie et remporta précipitamment, non sans proférer, en s’enfuyant, une malédiction. Accablé par ce coup imprévu, Gilgamès s’affaissa sur lui-même, versant d’abondantes larmes et laissant échapper de telles plaintes : « Amel-Ea, les mains me tombent de fatigue, le sang a reflué de mon cœur. Hélas ! que ne me suis-je assuré ce grand bienfait de la vie, au lieu de me laisser supplanter par le serpent ! Voici que, après une étape de quarante heures, au moment où j’ouvrais le vase pour en verser le contenu, il m’a ravi mon bien à l’improviste, et s’est approprié, à mon détriment, cette plante salutaire ! Que du moins la mer ne déchaîne point ses flots irrités contre moi, que je puisse m’en retourner sain et sauf ! [32] »

Tandis qu’il se lamentait ainsi, le bateau avait touché au rivage. Gilgamès et Amel-Ea ayant débarqué repartirent aussitôt après une première étape de quarante heures, ils firent halte un moment, puis, s1 étant remis en route, après une nouvelle étape de vingt heures, ils répandirent encore une libation. Maintenant ils étaient arrivés à Uruk. [33]

A peine rentré dans sa demeure, Gilgamès ordonna à Amel-Ea, le pilote, de monter sur le rempart d’Uruk et d’examiner à loisir le cylindre de fondation, sans doute, afin de le réviser, peut-être aussi, afin d’en ajouter un nouveau, relatant leur lointaine expédition aux terres inconnues. [34]

Voici maintenant notre traduction littérale.


* * *


LE DÉLUGE [35]


 ; APOTHÉOSE DE SAMAS-NAPISTIM ; GUÉRISON DE GILGAMÈS ; L’ARBRE DE VIE ; LE PARADIS PERDU ; LE RETOUR.

 
Gilgamès, s’adressant à Samas-napistim, l’Eloigné, lui dit :
« A te regarder de près, Samas-napistim,
ton aspect n’est point changé, tu es pareil à moi ;
non, tu n’es point changé, tu es en tout pareil à moi.

5 Tu aurais encore assez de vigueur d’âme pour affronter la bataille,
à en juger par ta mine resplendissante.
………… comment sièges-tu dans rassemblée des dieux, et as-tu obtenu l’immortalité ? »
Samas-napistim, s’adressant à Gilgamès, lui dit :
« Je vais, Gilgamès, te découvrir le mystère,
10 et te révéler le décret des dieux.
La ville de Surippak, tu sais, cette ville
assise sur le bord de l’Euphrate,
était déjà ancienne, lorsque les dieux qui l’habitaient,
les grands dieux, conçurent le dessein de faire le
déluge.
15 Là se trouvaient assemblés, leur père, Anu,
leur conseiller, le guerrier Bel,
leur ministre, Ninib,
leur exécuteur, Nergal [36].
le dieu de la sagesse [37], Ea, délibérait aussi avec eux ;

20 ce fut lui qui annonça leur résolution à l’argile :
« Argile, argile ; amas de poussière, amas de poussière !
Argile, écoute ; amas de poussière, entends !
Homme de Surippak, fils de Ubara-Marduk,
fais un bâtiment, construis un vaisseau.
25 Quitte là tes biens, conserve l’existence ;
écarte ce qui t’est étranger, sauve la vie.
Fais monter, dans l’intérieur du vaisseau, toutes les espèces d’êtres animés [38].
Le vaisseau que tu dois construire
aura une surface de dimensions déterminées :
30 sa largeur sera égale à sa longueur.
(Le vaisseau une fois achevé), mets-le à flot. »
Moi, j’avais compris ; je dis lors à Ea, mon seigneur :
«……… seigneur, comme tu l’ordonnes,
me confiant en toi, je ferai.
35 Mais que répondrai-je aux gens de la ville, au peuple et aux anciens ? »
Ea, ayant ouvert la bouche, parla
et me dit à moi, son serviteur :
« Voici ce que tu leur répondras :
Le dieu Bel m’a repoussé, il m’a rejeté ;
40 aussi, je ne veux point séjourner dans votre ville,
je ne veux point poser ma tête sur la terre de Bel.
Je vais descendre vers la mer, et demeurer auprès d’Ea, mon seigneur.
(Le dieu Bel) versera sur vous une pluie abondante,
……… il

détruira les oiseaux, les bêtes, jusqu’aux poissons,
45………………………… la moisson,
Samas a fixé ce signe : Celui qui assemble les nuages,
durant la nuit, fera tomber sur vous une pluie d’orage. »
Aux premières lueurs de l’aube,
……………………… et ………………
50………………………………………
………………………………………
(Il manque ici quelques lignes).
………………………………………
………………………………………
55 l’éclat……………………………… la citadelle,
puissant, dans ……… j’apportai ce qui était nécessaire.
Le cinquième jour, je posai la charpente :
les parois de la coque (?) avaient une hauteur de dix gar,
les dimensions du toit étaient pareillement de dix
gar.
60 Ayant disposé, d’après ce plan, la charpente, j’en
reliai (les parties).
J’élevai six étages,
je divisai……………… en six sections,
je distribuai l’intérieur en sept compartiments.
Au milieu du vaisseau, je fis un lit pressé de roseaux épineux (?)
65 Ayant inspecté les avirons (?), j’ajoutai ce qui y manquait.
Je versai six sares de bitume à l’extérieur,
et tro

is sares de naphte à l’intérieur.
Les hommes-canéphores, ayant livré trois sares d’huile,
j’en réservai un pour le sacrifice,
70 et je fis don des deux autres au pilote.
……………………… j’égorgeai des bœufs,
j’immolai des……………… chaque jour.
Les vases de liqueur, d’huile et de vin,
les ouvriers (les épanchèrent) comme (ils auraient fait) de l’eau du fleuve.
75 (Je célébrai) une fête, comme au jour de l’Akit [39].
Samas ……………… je plongeai ma main dans les vases d’onction (?).
……………… le vaisseau était achevé,
……………………………… difficile.
Dans le corps de vaisseau, en haut et en bas, on plaça des fascines (?).
80 ……………………… aux deux tiers.
Je le remplis de tout ce que je possédais,
j’amassai tout ce que j’avais d’argent,
je recueillis tout ce que j’avais d’or,
je réunis toutes les espèces d’êtres vivants.
85 Je fis monter dans le vaisseau, toute ma famille
et mes serviteurs ;
bêtes des champs, animaux des champs, ouvriers, je fis tout monter.
Hamas avait fixé ce signe :
Celui qui assemble les nuages, durant la nuit, fera tomber une pluie d’orage.
Alors, entre dans le vaisseau et ferme ta porte, »
90 Le signe fixé se manifesta :
Celui qui assemble les nuages, durant la nuit, fit tomber une pluie d’orage.

Dès que le jour commença à poindre,
sa seule vue m’inspira la frayeur,
vite, j’entrai dans le vaisseau et fermai ma porte.
95 La porte une fois bien verrouillée, aux soins de Puzur-Bel, le pilote,
je commis le bâtiment, avec ce qu’il contenait
Aux premières lueurs de l’aube,
du fond du ciel, s’éleva un noir nuage,
au sein duquel tonnait Ramman.
100 Nabu et Marduk ouvraient la marche.
Les dieux justiciers allaient par monts et par vaux :
Nergal [40] arrachant [……] »
Ninib chassant tout devant lui.
Les Anunnaki, portant des flambeaux,
105 éclairaient le pays de leurs feux.
Les émissaires (?) de Ramman montèrent aux cieux.
ils changèrent la lumière en ténèbres,
……… la contrée comme ……… ils couvrirent.
Dès le premier jour, l’ouragan ………………
110 souffla violemment sur (?)……. la montagne.
comme une armée rangée en bataille, fondit sur les hommes ………………………
Le frère ne vit plus son frère,
du ciel, on ne distingua plus les hommes.
Les dieux, eux-mêmes, pris de peur à la vue du déluge,
115 s’enfuirent et gagnèrent les hauteurs du ciel, demeure d’Anu.
Les dieux, comme des chiens à l’attache, étaient accroupis dans leur chenil.

Istar se mit à geindre, comme une femme en couches,
elle dit tout haut, la reine des dieux, la bonne déesse, de telles paroles :
« L’humanité est retournée en poussière,
120 parce que j’ai médit d’elle dans l’assemblée des dieux,
parce que, ayant ainsi médit d’elle dans l’assemblée des dieux,
j’ai ordonné ensuite le combat, pour faire périr mon peuple.
Ceux que j’ai enfantés, hélas ! où sont-ils ?
Comme du fretin j’en ai rempli la mer. »
125 Les dieux, voire même les Annunnaki, pleurèrent avec elle.
Les dieux restèrent en place, versant des larmes,
et couvrant leurs lèvres, ……… l’avenir.
Durant six jours et six nuits,
le vent souffla, le déluge et l’ouragan firent rage.
130 Mais, aux approches du septième jour, l’ouragan et le déluge cessèrent le combat,
qu’ils avaient combattu, pareils à une armée.
La mer se calma, le vent s’apaisa, le déluge s’arrêta.
Ayant contemplé la mer, je ne pus retenir un cri,
car voici que toute l’humanité était retournée en poussière,
135 et que (devant moi s’étendait) la plaine liquide, semblable à un plateau désert !
J’ouvris alors la lucarne et le jour vint frapper mon visage. [41]

Je m’affaissai et m’assis en pleurant,
les larmes coulèrent sur mes joues.
Je parcourus du regard l’horizon : la mer était ouverte,
140 une terre seulement émergeait de douze (coudées).
Le vaisseau échoua enfin au pays de Nizir.
La montagne du pays de Nizir arrêta le navire et l’empêcha de se remettre à flot.
Le premier, le second jour, la montagne de Nizir, etc. ;
le troisième, le quatrième jour, la montagne de Nizir, etc.
145 le cinquième, le sixième jour, la montagne de Nizir, etc.
Aux approches du septième jour,
d’abord, je fis sortir une colombe, je la lâchai : la colombe alla puis revint ;
n’ayant pas trouvé de place où se poser, elle s’en était retournée.
150 Ensuite, je fis sortir une hirondelle, je la lâchai :
l’hirondelle alla puis revint ;
n’ayant pas trouve de place où se poser, elle s’en était retournée.
Enfin, je fis sortir un corbeau, je le lâchai :
le corbeau alla et ayant vu les eaux stagnantes,
155 il s’approcha, pataugea et partit pour ne plus revenir.
Ayant fait sortir aussi (tout le reste), aux quatre vents (du ciel), j’offris un sacrifice,
je fis une libation, sur le sommet delà montagne,
je rangeai sept et sept vases adaguru,
au-dessous desquels, je versai (des grains) de cannelle, de résine et des siliques.
160 Les dieux respirèrent cette odeur,

les dieux respirèrent cette odeur suave,
les dieux, comme des mouches, s’amassèrent au-dessus du sacrificateur.
Lorsque s’avança la grande déesse,
portant les grandes elute, chef-d’œuvre d’Anu, resplendissantes comme lui,
165 — Ces dieux, pas plus que l’ornement de mon
cou, je ne les oublierai !
Ce jour-là où je fus initié à la sagesse, je ne l’oublierai jamais ! — (je dis) :
« Que les dieux accourent à mon sacrifice,
mais que Bel ne vienne pas à mon sacrifice,
car, inconsidérément, il a fait le déluge
170 et voué mon peuple à la destruction. »
Mais lorsque Bel arriva
et qu’il aperçut le vaisseau, il fut irrité Bel
et plein d’un courroux, digne des Igigi eux-mêmes :
« Qui donc, (dit-il), a conservé la vie ?
175 Qu’aucun homme ne survive à ce désastre ! »
Ninib, ayant ouvert la bouche, parla
et dit au guerrier Bel :
« Qui donc, si ce n’est Ea, a pu faire la chose,
Ea, en effet, connaît tous les artifices. »
180 Ea, ayant ouvert la bouche, parla
et dit au guerrier Bel :
« Toi, ô chef des dieux, guerrier,
pourquoi, inconsidérément, as-tu fait le déluge ?
A l’auteur du péché, impute son péché ;
185 à l’auteur de la faute, impute sa faute.
Sois indulgent ; qu’il ne périsse pas ! Sois patient ; qu’il ne périsse pas !
Au lieu de faire le déluge,
que les lions fassent irruption et diminuent la race des hommes ;

au lieu de faire le déluge,
190 que les léopards fassent irruption et diminuent la race des hommes ;
au lieu de faire le déluge,
que la famine survienne et ravage la contrée ;
au lieu de faire le déluge,
que Nergal s’avance et ravage la contrée.
195 Moi je n’ai point révélé le décret des grands dieux,
j’ai envoyé seulement à Atrahasis, un songe, d’où il a deviné lui-même le décret des dieux. »
Alors, se prenant à réfléchir,
le dieu Bel monta dans le vaisseau ;
il me saisit par la main et me fit monter à mon tour ;
200 il fit monter aussi et s’incliner ma femme à mon côté.
Il nous toucha au front, et, se plaçant entre nous, il nous bénit (disant) :
« Auparavant, Samas-napistim était un homme,
désormais, Samas-napistim et sa femme seront des dieux comme nous.
Samas-napistim demeurera au loin à la bouche des fleuves. »
205 Alors, il nous emmena et nous établit au loin, à la bouche des fleuves.
Et maintenant, lequel d’entre les dieux te rendra, toi asssi, resplendissant (de santé) !
Veux-tu obtenir la vie que tu recherches ?
A cette fin, ne monte pas encore (sur le vaisseau). » Durant six jours et sept nuits,
comme sur quelqu’un qui fait halte au milieu de sa course,
210 sur lui fondit le sommeil (?), à la façon d’un vent violent.

Samas-napistim, s’adressant à sa femme, lui dit :
« Regarde le héros qui recherche la vie :
sur lui a fondu le sommeil ( ?), à la façon d’un vent violent. »
Sa femme s’adressant à Samas-napistim, l’Eloigné, lui dit :
215 « Touche-le et donne à manger à ce héros du [42],
puis, qu’il s’en revienne guéri parle chemin qu’il
a déjà parcouru,
qu’il passe par la grande porte et retourne dans son pays. »
Samas-napistim, s’adressant à sa femme, lui dit :
« Tu souffres de la souffrance de l’humanité.
220 Or donc, ayant apprêté la nourriture qui lui est destinée, pose-la sur sa tête. »
Et au jour où il monta sur le vaisseau,
ayant apprêté la nourriture qui lui était destinée, elle la posa sur sa tête.
Et au jour où il monta sur le vaisseau, ce jour-là même,
premièrement, son aliment fut mélangé (?),
225 deuxièmement, il fut travaillé (?), troisièmement, il fut détrempé,
quatrièmement, son vase (?) fut nettoyé (?),
cinquièmement, le vieux résidu ( ?) en fut rejeté,
sixièmement, l’aliment fut à point (?),
septièmement, (Samas-napistim) toucha inopinément le héros, et celui-ci mangea du .
230 Gilgamès, s’adressant à Samas-napistim, l’Eloigné, lui dit :
« Étant allé, sur moi a fondu le sommeil (?),

alors, inopinément, toi, tu m’as touché, tu m’as frappé. »
Samas-napistim, s’adressant à Gilgamès, lui dit :
« … Gilgamès, prends ta part de nourriture,
235……………… certes, je t’ai frappé, toi
premièrement, ton aliment a été mélangé (?),
deuxièmement, il a été travaillé (?), troisièmement, il a été détrempé,
quatrièmement, ton vase (?) a été nettoyé (?),
cinquièmement, le vieux résidu (?) en a été rejeté.
240 sixièmement, l’aliment a été à point (?),
septièmement, moi, je t’ai touché inopinément,
et toi, tu as mangé du . »
Gilgames, s’adressant à Samas-napistim, l’Eloigné, lui dit :
« …… ferai-je, Samas-napistim, comment m’en irai-je ?
245 L’ikkim [43] s’est emparé de mes ……… ;
dans ma chambre à coucher est assise la mort,
et le lieu ……… tu as fixé est un lieu mortel. »
Samas-napistim, s’adressant à Amel-Ea, le pilote, lui dit :
« Amel-Ea, ………… la traversée t’a été funeste (?),
250 car, à son côté ……………… sa force (?) est privée.
Le héros que tu as conduit,
a le corps couvert de pustules (?),
la lèpre (?) a attaqué sa chair vive.
Prends-le, Amel-Ea, amène-le au bain.
255 Là, qu’il lave sa plaie (?) dans l’eau, jusqu’à la rendre brillante comme du métal ;

qu’il jette, en outre, sa lèpre (?), pour que la mer l’emporte ;
que son corps, enfin, resplendisse de santé.
Puis, qu’il entoure sa tête d’un bandeau (?) neuf.
Quant au voile (?), qui sert de vêtement à sa nudité,
260 jusqu’à ce qu’il soit arrivé dans sa ville (natale),
et qu’il ait été remis en son chemin,
qu’il ne dépouille pas le vieux voile (?) ; là, seulement, il remettra un voile neuf. »
Amel-Ea prit donc (le héros) et l’amena au bain.
Là, il lava sa plaie (?) dans l’eau, jusqu’à la rendre
brillante comme du métal ;
265 il jeta, en outre, sa lèpre (?), que la mer emporta ;
son corps, enfin, resplendit de santé.
Puis, il entoura sa tête d’un bandeau (?) neuf,
Quant au voile (?), qui servait de vêtement à sa nudité,
jusqu’à ce qu’il fût arrivé dans sa ville (natale),
270 et qu’il eût été remis en son chemin,
il ne dépouilla pas le vieux voile (?) ; là, seulement, il remit un voile neuf.
Gilgamès et Amel-Ea montèrent sur le vaisseau,
ils mirent le bateau à flot, et eux montèrent.
Sa femme, s’adressant à Samas-napistim, l’Eloigné, lui dit :
275 « Gilgamès est venu, il s’est reposé, il a été frappé.
Que lui donneras-tu, avant qu’il ne retourne dans son pays ?»
Cependant, lui, Gilgamès prit l’aviron (?),
et poussa le bac vers le rivage.
Samas-napistim, s’adressant à Gilgamès, lui dit :
280 « Gilgamès, tu es venu, tu t’es reposé, tu as été frappé.

Que te donnerai-je, avant que tu ne retournes
dans ton pays ?
Je vais, Gilgamès, te découvrir le mystère,
et te révéler le décret des dieux.
Cette plante est comme l’épine avec ………
285 sa baie est pareille à la (tête) de la vipère, et ……
Si ta main s’empare de cette plante …… »
Gilgamès, ayant entendu cela,
ouvrit le vase, ………………………
il lia ensemble de grosses pierres, …………
290 il le traîna vers l’abîme, ………………
lui, prit un animal, il saisit ……………
il brisa de grosses pierres, ……………
troisièmement, il le saisit à bras le corps (?),
Gilgamès, s’adressant à Amel-Ea, le pilote, lui dit …
295 « Amel-Ea, cette plante est la plante renommée,
au cœur de laquelle l’homme trouve la vie.
Je veux l’emporter au milieu d’Uruk-supuri,
je veux en faire manger ……… qu’il coupe la plante.
Elle a nom : Le vieillard est rajeuni.
Moi, j’en mangerai à mon tour, ainsi reviendrai-je aux jours de ma jeunesse. »
300 Ils fournirent d’abord une étape de quarante heures,
puis, au bout de soixante heures de marche, ils firent une libation.
Gilgamès vit le puits aux eaux bouillonnantes (?).
Étant descendu au sein du puits, il répandait de l’eau,
lorsque un serpent sortit et lui ravit la plante ;
305 ………… il s’élança et emporta la plante.
Tandis qu’il s’enfuyait, il jeta une malédiction.
Ce jour-là, Gilgamès s’assit et pleura ;
les larmes coulèrent sur ses joues.
…………

d’Amel-Ea, le pilote :
310 « Pourquoi, Amel-Ea, les mains me tombent-elles de fatigue ?
Pourquoi le sang fuit-il de mon cœur ?
Je ne me suis point fait de bien à moi-même ;
le serpent de la terre s’est fait du bien à lui-même !
Voici que, après une étape de quarante heures,
pour lui tout seul il a emporté la plante,
315 tandis que j’ouvrais le vase et que j’en versais le contenu.
Que du moins la mer ne s’élève pas contre moi ………………
……………… que je puisse m’en retourner ! »
Or, il laissa le bateau sur le rivage.
Ils fournirent d’abord une étape de quarante heures,
puis, au bout de soixante heures de marche, ils firent une libation.
320 Ils étaient enfin arrivés au milieu d’Uruk supuri.
Gilgamès, s’adressant à Amel-Ea, le pilote, lui dit :
« Monte, Amel-Ea, sur le mur d’Uruk, allons ! va.
Examine le cylindre de fondation et prends la brique. La brique n’est pas moulée (?),
et ses fondements ne connaissent pas tes sept noms.
325 Un sare, ta cité, un sare, les jardins, un sare, le bois, étendue (?) du temple d’Istar.
Trois sares aussi l’étendue d’Uruk ………….
Au jour où bûkku dans le temple le namyar je laissai,
Au jour où bûkku dans le temple le namyar je laissai,

330 Onzième tablette : celui qui a vu l’abîme. Histoire (?) de Gilgamès.

Copie certifiée conforme au texte ancien.

Propriété d’Assurbanipal, roi des légions, roi du pays d’Assur.

………………………………………
……… certes ………………………
……… comme la voûte (?)………………
…… je réglerai en haut et en bas ………
5 ………… ferme …………………
……………… au signe que je t’enverrai,
……… entre et tourne la porte du vaisseau,
… au milieu, tes provisions, tes biens, ta fortune,
… ta ………, ta famille, tes serviteurs et les ouvriers,
10 les bêtes des champs, les animaux des champs, tous je les ferai venir,
je les enverrai et ils garderont ta porte. »
Atrahasis, ayant ouvert la bouche, parla
et dit à Ea, son seigneur :
« … certes, je n’ai pas construit de vaisseau,
sur le sol, trace ………………………
………… que je voie le vaisseau ……
………… sur le sol je ferai …………
……… ainsi que tu m’ordonneras ……
……… ……… ……… ……… ……… [44]. »




Notes[modifier]

  1. Tab. XI, l. 1-7.
  2. Tab. XI, l. 8-10.
  3. Tab. XI, l. 11-31.
  4. Tab. XI, l. 32-35.
  5. Tab. XI, I. 36-47.
  6. Ceci, quoique ne se trouvant pas sur le texte, mutilé à cet endroit, se laisse facilement suppléer et est exigé pour la suite naturelle du récit.
  7. Tab. XI, l. 56-67.
  8. Tab. XI, l. 68-78.
  9. Tab. XI, l. 79-86.
  10. Tab. XI, l. 87-89.
  11. Tab. XI, l. 90-96.
  12. Tab. XI, l. 97-108.
  13. Tab, XI, l. 109-116.
  14. Tab.XI, l. 117-124.
  15. Tab. XI, l.125-127.
  16. Tab.XI, l. 128-132.
  17. Tab. XI, l. 133-140.
  18. Tab. XI, l. 141-155.
  19. Tab. XI, l. 156-170.
  20. Tab. XI, l. 171-175.
  21. Tab. XI, l. 176-179.
  22. Tab. XI, l. 180-196
  23. Tab. XI, l. 197-205.
  24. Tab. XI, l. 206-208.
  25. Tab. XI, l. 208-210.
  26. Tab. XI, 211-220.
  27. Tab. XI, l. 221-242.
  28. Tab. XI, l. 243-247.
  29. Tab. XI, l. 248-271.
  30. Tab, XI, l. 272-286. — Les l. 287-293 sont incomplètes sur l’original. Ces lacunes empêchent de savoir exactement le rapport de leur contenu avec ce qui précède et ce qui suit.
  31. Tab XI, l. 294-299.
  32. Tab. XI, l.300-316.
  33. Tab.XI, l.317-320.
  34. Tab. XI, l. 321-323. — Les 1. 324-328 qui terminent la onzième tablette sont très obscures.
  35. La première partie de la onzième tablette,contenant le récit du déluge, l. 8-205 (édit. Haupt) a été l’objet de nombreux travaux, en France, en Angleterre et en Allemagne. Après les premiers essais de déchiffrement, dus à la sagacité de G. Smith (Chaldean Account of the deluge, 1872 ; Transactions of the Society of Biblical Archaeology, 1874 ; Assyrian discoveries ; Chaldean Account of Genesis, 1876. Cf. édit. Delitzsch, 1876 et Sayce, 1880), parurent successivement les traductions de J. Oppert (Fragments de cosmogonie chaldéenne, dans Ledrain : Histoire d’Israël, t. I, 1879), de Fr. Lenormant (Origines de l’histoire, t.1, 1880), de P. Haupt (Derkeilins chriflliche Sintfluthbericht, dans Schrader : Die Keilinschriften und das Alte Testament. 2 Aufl. 1883). Dans ces derniers temps, ce texte a été étudié à nouveau par Jensen (Cosmologie, 1890), Alf. Jeremias (Izdubar-Nimrod, 1891), J. Halévy (Recherches bibliques, 13e fasc. 1892), A. Loisy (Les mythes chaldéens de la création et du déluge, 1892).
  36. An-en-nu-gi « le seigneur du pays (où l’on s’engage) sans retour, le dieu des enfers. »
  37. An-nin-igi-azag « le seigneur des sources pures, le dieu de
    l’Océan et de la sagesse. »
  38. Mot à mot : « la semence de toutes les vies. »
  39. On appelait ainsi, à Babylone, la fête du nouvel an.
  40. Uni-ra-gal « le grand ministre. »
  41. Mot à mot : « le mur de ma face. » De même un peu plus bas l. 138.
  42. Une sorte d’aliment magique.
  43. Une sorte de démon.
  44. Ce morceau, relatif à la construction de l’arche, faisait partie
    d’une recension du déluge différente de celle que nous avons traduite, et, selon toute apparence, plus développée.




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