Vasco de Gama

La bibliothèque libre.

Vasco de Gama.

A Victor Hugo.


Steure, muthiger Segler.
Schiller.


 
« Eh quoi ! raser toujours ce timide rivage ?
» Toujours aux mimes bords lier mon esclavage ?
» Je veux la haute mer aux rapides courants,
» La haute mer avec ses tournoyantes plaines,
» Avec ses aquilons fatiguant leurs haleines
» A remuer les flots errants !

» A l’étroit, ici, je respire,
» Comme un captif dans sa prison ;
» Il faut à mon âme, l’empire,
» L’empire d’un large horizon ;
» Un ciel plus haut où son vol plonge,
» Des grèves plus vastes que longe
» Mon navire aux brillants anneaux ;
» Des vagues où trouvent mes voiles
» Des météores pour étoiles,
» Les feux de l’éclair pour fanaux !


» Au lieu de cette Europe aux rives profanées,
» De ses échos éteints, de ses roses fanées,
» L’Orient ! l’Orient où monte le soleil !
» Qu’un souffle, quel qu’il soit, l’aquilon ou la bris
» Sous mes mâts inclinés, soulève la mer grise. —
» L’Orient !! l’Orient vermeil ! »
 
Déployant ses voiles fleuries,
Il part, le vaisseau de Gama ! —
Voilà les molles Canaries,
Cythères qu’un ange forma ;
Voilà ces îles embaumées,
A l’entour du Cap Vert semées,
Qu’on dirait, dans l’ombre des soirs,
Comme des cygnes, blanches troupes,
Voir nager en mobiles groupes ;
Et la Guinée aux hommes noirs.

Puis Sainte-Hélène au front caché dans une nue,
Où, plus tard, enchaîné sur une roche nue,
Loin d’une épouse veuve et d’un fils orphelin,
Un Soldat, dont les pas firent trembler la terre,
Languit, ayant pour trône un granit solitaire,
Et mourut la mort d’Ugolin.

Plus loin, comme un géant, se dresse
Un rocher sombre sur les flots,
Où jamais un cri d’allégresse
N’accueillit les gais matelots :
Comme un roi superbe, il regarde
I. Océan qui lui sert de garde,
Le ciel noir où la foudre a lui.

Et, dans chaque onde qui se broie,
Quel grand navire ou quelle proie
L’orage roule devant lui.

Sur sa tête, l’éclair brille en livides flammes ;
Les vagues à l’entour, en écumantes lames,
S’acharnent, tournoyant sous le vent qui les bat ;
Les unes à grand bruit sur les autres s’écroulent,
Puis en gouffres béants, se déchirent et roulent
Avec la clameur d’un combat.

Mais le navire marche et passe,
Il marche, et longe tour-à-tour
Madagascar qui, dans l’espace,
Aiguise un pic comme une tour ;
Les vagues d’Oman où Cambaie,
Ainsi qu’un port ouvre sa baie.
Le cap où s’étend Comorin ;
Ceylan où les monts de Candie
Élèvent leur cime agrandie,
Puis l’Orient au ciel serein !

Là Bénarès avec sa pagode où domine
Wishnou, le tout-puissant, qu’adore la Bramine ;
Pégu, riche en brillans, la riante Lahor ;
Golconde où, vers le soir, le dos des dromadaires
Porte au Gange sacré les blanches Bayadères ;
Jaggrenat aux coupoles d’or.

Nellom qui s’allonge en navire,
Et rit dans ses verts boulingrins ;
Albad aux autels de porphyre,

Où se pressent les pèlerins ;
Bahar fière de ses vestales
Qui dansent, au son des crotales,
Avec leurs longs cheveux flottants ; ’
Arrakan aux tours en aiguilles,
Oui pare le sein de ses filles
Des fleurs d’un éternel printemps ;

Madras dont les récits, histoires merveilleuses,
Aux rayons de la lune amusent les veilleuses ;
Calcutta qui rougit sous le cercle enflammé
Du Cancer ; Bellasore où les jeunes sultanes,
Assises en sérail, chantent sous les platanes,
Les sourires du bien aimé.

Chaddaba qui tresse l’acanthe
En couronnes pour ses guerriers ;
Prome aux kiosques bleus ; Calicanthe
Oui dort sur un lit de lauriers ;
Lauriane où fume la myrrhe ;
Patna dont chaque toit se mire
Dans le Gange qui vient d’Agra ;
Et sur le fleuve, dont s’épanche
L’onde à grand bruit, Ougly qui penche
Et regarde au loin Sumatra.

Ses pics, écueils du ciel, où vont, dans leurs voyages,
Vaisseaux aériens, naufrager les nuages ;
Des monts, de loin, debout à l’œil des matelots,
Qui soufflent des volcans de leurs gueules béantes.
Et se dressent, tout fiers de leurs têtes géantes,
Comme des phares sur les flots ;

Ses iles, riantes corbeilles,
Pleines de roses et de lis,
De myrrhe qu’aiment les abeilles,
De lotus chers aux bengalis ;
Et ses collines d’émeraude,
Où la péri descend et rôde
Parmi les fleurs jusqu’au matin ;
Et ses larges mers azurées
Où bercent les jonques pourprées
Leurs banderoles de satin. —

Les voilà, les voilà, ces rives enchantées
Qu’en ses vers immortels Camoëns a chantées !
Camoëns ! Camoëns dont le luth s’embauma
Des parfums que respire, en ses sérails, l’Asie,
Et qu’enfant une muse allaita d’ambroisie
En son berceau ! — Mais, ô Gama !
 
O Gama ! ce fut ton génie
Qui rêva, par delà les mers,
Ce monde, en tes nuits d’insomnie.
En tes jours si longtemps amers !
Pour toucher ce sol de merveilles,
Si souvent nommé dans tes veilles,
Et mettre un siècle à ton niveau.
Tu passas par plus d’un orage ; —
Mais qu’importe même un naufrage
A qui trouve un monde nouveau ?

ENVOI

Poète ! las enfin, avec tes chants de flamme,
De chercher dans l’Europe un écho pour ton âme,

Tu ne t’endormis point dans un lâche sommeil ;
Mais, ainsi que Gama, quittant nos grèves nues,
Tu cherchas, loin de nous, des routes inconnues
Vers les rivages du soleil.
 
Comme lui, vingt fois sous l’orage
Tu sentis ta quille ployer,
Et, vingt fois, sortir du naufrage
Et des flots prêts à la broyer ;
Comme lui, sans courber la tête,
Tu naviguas par la tempête,
Bravant l’éclair d’un œil riant ;
Et, Vasco de la poésie,
Tu conquis le ciel de l’Asie
Et les trésors de l’Orient !

Septembre 1829.