Les Odes (Ronsard)/Verson ces roses pres ce vin

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ODE XLII.

Verson ces roses près ce vin.
Près de ce vin verson ces roses,

Et boyvon l’un à l’autre, afin
Qu’au cœur noz tristesses encloses
Prennent en boyvant quelque iin.

  La belle Rose du Printemps
Aubert, admoneste les hommes
Passer joyeusement le temps,
Et pendant que jeunes nous sommes,
Esbatre la fleur de noz ans.

  Tout ainsi qu’elle défleurit
Fanie en une matinée,
Ainsi nostre âge se flestrit,
Làs ! et en moins d’une journée
Le printemps d’un homme périt.

  Ne veis-tu pas hier Brinon
Parlant, et faisant bonne chère,
Qui làs ! aujourd’huy n’est sinon
Qu’un peu de poudre en une bière.
Qui de luy n’a rien que le nom ?

  Nul ne desrobe son trespas,
Caron serre tout en sa nasse,
Rois et pauvres tombent là bas :
Mais ce-pendant le temps se passe
Rose, et je ne te chante pas.

  La Rose est l’honneur d’un pourpris,
La Rose est des fleurs la plus belle.
Et dessus toutes a le pris :
C’est pour cela que je l’appelle
La violette de Cypris.

  La Rose est le bouquet d’Amour,
La Rose est le jeu des Charités,
La Rose blanchit tout au tour
Au matin de perles petites
Qu’elle emprunte du poinct du jour.

  La Rose est le parfum des Dieux,
La Rose est l’honneur des pucelles.
Qui leur sein beaucoup aiment mieux
Enrichir de Roses nouvelles.
Que d’un or, tant soit précieux.

Est-il rien sans elle de beau ?
La Rose embellit toutes choses.
Venus de Roses a la peau.
Et l’Aurore a les doigts de Roses,
Et le front le Soleil nouveau.
Les Nymphes de Rose ont le sein,
Les coudes, les flancs et les hanches :
Hebé de Roses a la main,
Et les Charités, tant soient blanches,
Ont le front de Roses tout plein.
Que le mien en soit couronné.
Ce m’est un Laurier de victoire :
Sus, appellon le deux-fois-né.
Le bon père, et le faison boire
De ces Roses environné.
Bacchus espris de la beauté
Des Roses aux fueilles vermeilles,
Sans elles n’a jamais esté,
Quand en chemise sous les treilles
Beuvoit au plus chaud de l’Esté.