Voyage dans la mer du sud/02

La bibliothèque libre.

VOYAGE AUX ÎLES DE LA MER DU SUD
EN 1827 ET 1828,
ET
RELATION DE LA DÉCOUVERTE
DU SORT DE LAPÉROUSE ;
PAR LE CAPITAINE PETER DILLON.
((Deuxième article[1].)

Dans le premier chapitre de la relation du capitaine Dillon, qui nous a paru d’un trop haut intérêt pour ne devoir pas être cité en entier, on a appris sur quelles données s’appuyait ce navigateur, pour croire que les côtes de l’île de Mannicolo avaient été le point du naufrage de l’expédition de Lapérouse. Il s’empressa de communiquer ses idées au gouvernement du Bengale, et offrit d’aller vérifier lui-même ses conjectures, reconnaître les lieux, et ramener les individus qui pourraient exister encore des frégates l’Astrolabe et la Boussole. Ces offres furent accueillies avec empressement, et le capitaine reçut, avec le commandement du bâtiment le Research, destiné à l’expédition projetée, les instructions les plus sages et les plus philantropiques. Nous ne le suivrons pas dans sa traversée de Calcutta à la terre de Van Diémen, ne croyant pas devoir analyser les détails d’une longue et insignifiante discussion, entre le capitaine et son chirurgien-major, détails entièrement étrangers au voyage, et qui remplissent la plus grande partie du premier volume.

Après une courte relâche au port Jackson, où il s’était rendu de la terre de Van Diémen, le Research fit voile pour la Nouvelle-Zélande, et, dans le mois d’août, arriva à Tonga, ou Tongatabou, une des îles des Amis. Le capitaine Dillon y apprit que les premiers vaisseaux européens que les insulaires avaient vus étaient ceux de Cook. Quelques années après, deux autres grands vaisseaux vinrent y mouiller. Il y eut entre les équipages et les naturels un mal entendu, à la suite duquel un chef sauvage fut tué. Les insulaires ajoutèrent qu’après le départ de Cook, et avant l’arrivée des bâtimens dont il vient d’être fait mention, deux autres gros vaisseaux étaient arrivés devant l’île, mais n’avaient pas jeté l’ancre, et avaient envoyé à terre des canots pour trafiquer. L’officier qui dirigeait les échanges traça sur le rivage un carré, où il se tenait, ayant à ses côtés deux hommes armés. Il portait des lunettes, et les naturels lui donnèrent le nom de Laouage. Un jeune chef ayant voulu le voler, il saisit un pistolet qu’il avait à sa ceinture, et étendit cet homme mort sur la place. Les naturels s’étant alors enfuis dans les bois, l’officier et ses gens retournèrent à bord des vaisseaux, qui mirent à la voile le jour suivant, et on ne les revit plus.

Il est hors de doute que ces deux bâtimens ne peuvent être autres que les frégates l’Astrolabe et la Boussole, de même que les derniers, dont les sauvages parlèrent au capitaine Dillon, sont ceux de d’Entrecasteaux.

Après avoir touché à deux autres îles, le Research arriva à Mannicolo (Vanikoro) située par 11° 41′ de latitude sud, et par 167° 5′ de longitude est de Greenwich, et c’est ici que commence, pour un lecteur français surtout, un intérêt qui s’accroît à chaque page qu’il parcourt, et à chaque pas que fait le capitaine Dillon sur l’île où il rencontre des traces si précieuses de l’infortuné Lapérouse, et si long-temps cherchées en vain. Il résulte des divers rapports, faits par les habitans de Mannicolo, que c’est en effet sur les rescifs qui environnent leur île qu’a péri l’expédition dont le sort fut enveloppé de mystère pendant tant d’années. Il est plus que probable que, si les frégates aux ordres du général d’Entrecasteaux eussent visité ces parages, elles y auraient recueilli les débris encore récens de l’Astrolabe et de la Boussole, et quelques malheureux échappés à la catastrophe, puisqu’un des marins de l’expédition était mort depuis trois ans seulement, à l’époque de la visite du capitaine Dillon.

Tous les journaux français ont donné le résultat des enquêtes faites sur les lieux par le capitaine anglais, et nous croyons superflu de revenir sur ces détails. Il suffit de rappeler qu’une des deux frégates coula, et que tout son équipage périt. L’autre, ayant échoué sur des rescifs de corail à fleur d’eau, une partie des marins qui la montaient parvinrent à se rendre à terre, et construisirent, auprès d’un village appelé Paiou, un brick, sur lequel ils s’embarquèrent six mois après leur naufrage, et dont on n’a jamais entendu parler. Deux hommes cependant étaient demeurés à Mannicolo ; l’un d’eux s’était enfui de cette île avec un chef qui l’avait pris sous sa protection ; et l’autre, comme on l’a vu, était mort à Paiou.

Une foule de débris appartenant aux deux frégates, et recueillis par le capitaine Dillon, ne laissent aucun doute sur le lieu et sur la réalité de la catastrophe. Parmi ces objets on remarque une cloche portant ces mots : Basin m’a fait, quelques pierriers, et divers instrumens où se trouvent gravées les armes de France, et surtout une planche qui paraît avoir fait partie de l’arrière d’une des deux frégates, et sur laquelle sont des fleurs de lis en relief. Ces indications eussent été plus que suffisantes pour terminer toutes les incertitudes sur le sort de l’illustre navigateur, quand bien même elles n’eussent point été corroborées par les déclarations des habitans[2].

On se fera une idée des soins ingénieux, de l’attention que le capitaine Dillon portait à tout ce qui pouvait éclairer ses recherches, par le fragment suivant des instructions données à un officier chargé d’explorer les environs du village de Paiou, et l’endroit où l’on supposait que les naufragés avaient construit leur brick.

« …… C’est près de Paiou, d’après le rapport des insulaires, que fut construit un petit bâtiment ou brick, il y a trente-cinq ou quarante ans. À votre arrivée sur ce point, vous examinerez soigneusement le lieu où ce bâtiment fut construit, pour voir s’il reste quelques traces des fortifications en pierre ou en bois, que les constructeurs auraient érigées pour se défendre contre les insulaires. Vous rechercherez aussi avec soin les traces de quelque tranchée ou chenal qui auraient été creusé pour lancer ce bâtiment.

» Apportez un soin particulier à examiner les arbres, pierres et rochers voisins du lieu où le bâtiment fut construit, pour voir s’ils ne portent pas quelque inscription qu’on y aurait gravée, ou si l’on n’y aurait pas attaché quelque plaque de cuivre ou d’autre métal. Si vous trouviez une épitaphe . ou inscription indiquant le tombeau d’un des malheureux naufragés, faites ouvrir ce tombeau et emportez les ossemens s’ils s’y trouvent encore.

» On ne saurait supposer que des hommes aussi éclairés que le comte de Lapérouse et ses officiers fussent restés sur cette île, pendant plusieurs mois, sans laisser quelque relation de leurs infortunes, gravée sur les arbres ou sur les rochers, ou enfouie dans la terre, avec des instructions propres à la faire retrouver par les navigateurs qui visiteraient ces parages après eux.

» Vous ne pourrez trouver peut-être la place où le bâtiment fut construit sans l’assistance de quelques vieux insulaires des environs de Paiou. Si vous êtes assez heureux pour découvrir cette place, je suis fermement persuadé que vous trouverez gravé sur les rochers ou sur les arbres quelque témoignage suffisant pour résoudre le problème qui occupe et intéresse depuis quarante ans les amis de l’humanité. »

L’officier suivit avec exactitude ces instructions aussi sages que précises, et se rendit sur le lieu que les habitans lui indiquèrent comme celui qui avait servi de chantier à la construction du brick. Il examina cette place avec tout le soin possible, pour tâcher de trouver des traces de fortifications en pierres ou en bois, mais ne put rien découvrir. Si l’espèce de rempart dont il s’agit fut construit en bois, ce bois, exposé depuis trente-neuf ans à toutes les intempéries des saisons, avait eu le temps de se pourrir et de se détruire complètement. D’un autre côté, il n’existait dans les environs ni pierres ni rochers qui eussent pu servir à élever une sorte de muraille.

Les recherches de l’officier pour trouver des inscriptions furent également infructueuses, attendu que les arbres des environs n’étaient pas assez gros pour qu’on y eût pu rien écrire, et que, comme on l’a vu, il n’y avait point de rochers. Il remarqua néanmoins des souches d’arbres qui avaient été abattus très-anciennement à coups de hache, et qui très-certainement avaient été employés à la construction du bâtiment. Du reste, l’endroit où l’officier fut conduit était le seul terrain déboisé de toute la côte, et on voyait évidemment qu’il l’avait été par la main des hommes. Comme les insulaires n’avaient aucun motif pour le faire, on doit naturellement en conclure qu’il le fut par les naufragés qui y résidèrent et y construisirent leur bâtiment.

Ainsi que nous l’avons dit, tout l’intérêt de la relation se concentre sur Mannicolo, et doit nécessairement décroître au départ de cette île. Cependant le service rendu à la France par le capitaine Dillon est trop important pour qu’on ne le suive pas encore avec plaisir et reconnaissance au-delà du but qu’il s’était proposé et qu’il a si heureusement atteint. Après une seconde relâche à la Nouvelle-Zélande et au port Jackson, il arriva le 7 avril 1828 à Calcutta, où l’attendaient les félicitations et les récompenses méritées par l’heureux succès de son entreprise. Les débris rapportés par lui des bâtimens de Lapérouse, déposés au musée de la société Asiatique, furent l’objet de la curiosité du public et de l’intérêt général des personnes instruites, qui parurent convaincues que tous ces objets avaient effectivement appartenu aux vaisseaux français perdus dans la mer du Sud.

Mais il était un peuple sur la reconnaissance duquel le capitaine Dillon devait particulièrement compter, et c’était dans la patrie de Lapérouse qu’il devait s’attendre surtout à recueillir le fruit de ses travaux. Un espoir si bien fondé l’engagea à se rendre en France, où le ministre de la marine l’accueillit avec la plus haute distinction. Le gouvernement acquitta la dette du pays et les promesses de l’Assemblée nationale, en donnant au capitaine Dillon la décoration de la légion d’honneur, et entre autres marques de sa munificence une pension de quatre mille francs, dont la moitié est reversible sur la famille de ce brave marin.

Lardier.
  1. Voyez notre cahier de janvier, pag. 27.
  2. Voici d’après le capitaine Dillon, la liste de quelques-uns des principaux objets :

    1o Une petite cloche en cuivre d’un diamètre de plus de huit pouces, sans battant, et portant trois fleurs de lis moulées.

    Une grande cloche de vaisseau de douze pouces et demi de diamètre, sans battant, et ayant un morceau détaché de la tête.

    Sur un des côtés de cette cloche on voyait, en figures moulées, la sainte croix, dressée entre l’image de la vierge Marie et celle d’un saint qui portait une croix sur les épaules. Du côté opposé se trouvaient trois images, enfermées dans une sorte de médaillon elliptique, au-dessus duquel était un soleil rayonnant. Ces images semblaient être celle de la Vierge, du Sauveur et de saint Jean. Sur tous ces ornemens, il y avait des lettres que, faute de loupe, je ne pouvais déchiffrer. À droite de la grande croix on lisait ces mots Basin m’a fait.

    2o Un petit canon de bronze du calibre de deux pouces, mais tellement oxidé qu’il était impossible de découvrir ce qui s’y trouvait de moulé ou de gravé ;

    3o Une poissonnière en cuivre, avec le couvercle garni de son anse ; sur un des côtés de ce vaisseau étaient gravées deux fleurs de lis ;

    4o Une casserole de cuivre sans couvercle ni queue, et timbrée de deux fleurs de lis ;

    5o Quatre petits canons en bronze, dont trois du calibre d’un peu plus de deux pouces, et un quatrième de un pouce trois quarts (leurs tourillons portent des nombres que je suppose désigner, d’un côté, le poids du canon, et de l’autre le numéro d’enregistrement) ; savoir : premier canon, no 602, 144 livres ; deuxième dito, no 541, 144 livres ; troisième dito, no 451, 143 livres ; quatrième dito, no 252, 94 livres ;

    6o Un boulet du calibre de dix-huit ;

    7o Deux morceaux de boucle à souliers, etc., etc. (Tom. ii, pag. 122, 123, 176 et 177.)