Wikisource:Extraits/2012/22

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Gottfried Wilhelm Leibniz, Discours touchant la méthode de la certitude et de l’art d’inventer (entre août 1688 et octobre 1690)

Discours touchant
LA MÉTHODE DE LA CERTITUDE ET L’ART
D’INVENTER

pour finir les disputes et pour faire en peu de temps des
grands progrés.

Ce petit discours traite une des plus grandes matieres, où la felicité des hommes est extremement interessée, car on peut dire hardiment que les connoissances solides et utiles sont le plus grand tresor du genre humain et le veritable heritage que nos ancetres nous ont laissé, que nous devons faire profiter et augmenter, non seulement pour le transmettre à nos successeurs en meilleur estat que nous ne l’avons receu, mais bien plus pour en jouir nous mêmes autant qu’il est possible pour la perfection de l’esprit, pour la santé du corps et pour les commodités de la vie.

Il faut avouer, en reconnoissant la bonté divine à nostre egard, qu’autant que l’on peut juger par l’histoire, jamais siecle a esté plus propre à ce grand ouvrage que le nostre, qui semble faire la recolte pour tous les autres. L’imprimerie nous a donné moyen d’avoir aisement les meditations et les observations les plus choisies des plus grands hommes tant de l’antiquité que de nos temps. La boussole nous a ouvert tous les recoins de la surface de la terre. Les lunettes à longue vue nous apprennent jusqu’aux secrets des cieux et donnent à connoistre le systeme merveilleux de l’univers visible. Les microscopes nous font voir dans le moindre atome un monde nouveau de creatures innumerables, qui servent sur tout à connoistre la structure des corps dont nous avons besoin. La Chymie, armée de tous les élémens, travaille avec un succès surprenant à tourner les corps naturels en mille formes, que la nature ne leur auroit jamais données ou bien tard. De sorte qu’il semble maintenant qu’il ne tient qu’à nous de finir avec assurance et par demonstration quantité de disputes, qui embarrassoient nos devanciers, de prevenir et de surmonter plusieurs maux qui nous menacent, et sur tout d’établir dans les ames la pieté et la charité, tant par l’education que par des raisons incontestables et de conserver et rétablir la santé des corps bien plus qu’on ne pouvoit faire autrefois, puisque nous avons asseurement des remedes, qui