Wikisource:Extraits/2012/43

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Chtchedrine, Le Pomèchtchik sauvage dans Trois Contes russes

Traduction Ed. O’Farell 1881


LE POMÈCHTCHIK SAUVAGE


Il y avait une fois un empire. Dans cet empire il y avait un pomèchtchik[1].

Or ce pomèchtchik se sentait heureux de vivre. Il avait tout à souhait : des paysans, du blé, du bétail, des terres, des jardins.

C’était d’ailleurs un être stupide, dont toute la nourriture intellectuelle consistait dans la lecture du Moniteur des intérêts pomèchtchikaux.

Quant à sa constitution naturelle, il avait une complexion lymphatique et la peau blanche.

Un jour il se mit à implorer la bonté divine : « Seigneur, s’écria-t-il, vous m’avez donné tout en abondance, vous m’avez comblé de bienfaits ! Cependant vous avez permis que mon cœur fût attristé par une affliction que je ne suis pas en état de supporter : mon pays est infesté de moujiks.

« Seigneur, délivrez-moi de cette plaie ! »

Dieu, dans son omniscience, n’ignorait pas que ce pomèchtchik était stupide. Aussi

  1. Pomèchtchik signifie littéralement « propriétaire d’un domaine ». Autrefois, jusque vers l’époque de l’émancipation des serfs, on ne comptait que des nobles parmi les pomèchtchiks. Aujourd’hui il existe des bourgeois propriétaires de domaines. Néanmoins « gentilhomme campagnard » est le terme français qui répond peut-être le mieux à l’idée russe. Cependant on ne dit point « Monsieur le gentilhomme campagnard », tandis qu’en russe on dit « Monsieur le pomèchtchik ». On a trouvé plus simple de conserver le mot russe. Les exemples des mots « boyard, lord », etc., empruntés aux langues étrangères peuvent excuser cette liberté du traducteur.