Wikisource:Extraits/2012/48

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Fédor Dostoïevski, Un voleur honnête 1848

Traduction Ely Halpérine-Kaminsky 1888


UN VOLEUR HONNÊTE



Un matin, j’étais déjà prêt à quitter mon cabinet de travail, quand Agrafena, — ma cuisinière, mon économe et ma blanchisseuse, — entra dans ma chambre, et, à mon grand étonnement, engagea avec moi la conversation.

Jusqu’alors elle avait été silencieuse : une baba simple. Sauf pour les deux mots quotidiens à propos du déjeuner et du dîner, elle ne m’avait jamais adressé la parole depuis six ans qu’elle me servait.

— Voilà, monsieur, commença-t-elle, je viens chez vous… vous devriez sous-louer le cabinet de débarras.

— Quel cabinet ?

— Celui qui est près de la cuisine, vous savez bien ?

— Pourquoi faire ?

— Pourquoi ? Mais il y a bien d’autres locataires qui sous-louent ! Vous savez bien !

— Mais qui louerait cela ?

— Qui louerait cela ? Un locataire ! Vous savez bien !

— Mais, ma petite mère, c’est trop étroit : il n’y a pas même la place d’un lit ! Qui voudrait y vivre ?

— Pourquoi y vivre ? Pourvu qu’il y ait où dormir ! Il vivra sur la fenêtre.

— Sur quelle fenêtre ?

— Vous savez bien sur quelle fenêtre ! Avec cela que vous ne le savez pas ! Sur celle qui est dans l’antichambre. Il restera là à coudre ou à faire ce qu’il voudra. Il pourra même s’asseoir sur une chaise. Il a une chaise, une table même, tout.

— Et qui est-ce donc ?

— Un bon garçon, très-dégourdi. Je lui préparerai à manger. Pour la table et le logis je lui prendrai en tout trois roubles par mois…