Wikisource:Extraits/2013/31

La bibliothèque libre.

Gabriel Hanotaux, Le Centenaire de l’École des Chartes dans Revue des Deux Mondes tome 61 (1921)

LE CENTENAIRE DE L’ÉCOLE DES CHARTES



L’École des Chartes, qui va célébrer, le 22 février, dans l’amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, en présence de M. le Président de la République, le centenaire de sa fondation, trouve à ses origines une pensée et une volonté de Napoléon : du château de Finkenstein, en Prusse, le 19 avril 1807, au cours de la campagne d’Iéna, il adressait à Champagny une note répondant à un rapport de son ministre : « Savoir ce que l’on a perdu, distinguer les fragments originaux des suppléments écrits par de bons ou de mauvais commentateurs, cela seul est presque une science ou, du moins, un objet important d’études… S’il y avait une école spéciale d’histoire et que l’on y fit, d’abord, un cours de bibliographie, un jeune homme, au lieu d’employer des mois à s’égarer dans des lectures insuffisantes ou dignes de peu de confiance, serait dirigé vers les meilleurs ouvrages et arriverait plus facilement et plus promptement à une meilleure instruction… »

L’enseignement dont l’Empereur trace les lignes essentielles est précisément celui qui se donne à l’École des Chartes : la bibliographie, l’étude approfondie des textes, la recherche et le commentaire des documents originaux, la diplomatique, tels sont les sujets des leçons professées par ses maîtres. En y ajoutant la connaissance des langues du moyen âge, l’étude des institutions et celle de l’archéologie nationale, on achève le cycle. Et ce sont précisément ces sources de l’Histoire nationale dont Napoléon disait qu’elles sont un « important sujet d’études. »

Après diverses vicissitudes et faux départs, l’École des Chartes fut instituée définitivement par ordonnance royale du 22 février 1821. Le comte Siméon, ministre du roi Louis XVIII, disait, dans le rapport précédant le projet d’ordonnance : « L’homme instruit dans la science de nos chartes et de nos manuscrits est, sans doute, bien inférieur à l’historien ; mais il marche à ses côtés, il lui sert d’intermédiaire avec les temps anciens et il met à sa disposition les matériaux qui ont échappé à la ruine des siècles. Que ces utiles matériaux manquent à l’homme appelé par son génie à écrire l’histoire, une partie de sa vie se consumera dans des études toujours pénibles et souvent stériles… Autrefois la studieuse congrégation de Saint-Maur s’était livrée avec succès à ce genre de science. Aujourd’hui, par l’effet du changement qui s’est produit dans nos lois politiques et dans nos lois civiles, ces mêmes études, que ne soutiennent plus ni la tradition, ni aucun enseignement public, et auxquelles les individus n’ont aucun intérêt à se livrer, s’éteignent complètement[1]… »

En fondant ainsi le « séminaire » où la science des antiquités nationales devait refleurir, la Restauration allait au-devant d’un mouvement de l’opinion publique. Précisément en ces fécondes années 1819-1821, le romantisme éclatait, si j’ose dire, par la publication des Poésies d’André Chénier, des Méditations de Lamartine et des premiers poèmes de Victor Hugo. Dès lors, le

  1. Ces renseignements sont extraits d’une Histoire de l’École des Chartes par M. Maurice Prou, qui va paraître incessamment et dont l’auteur a eu l’extrême obligeance de me communiquer les épreuves.