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Alfred Binet, Le critérium d’une bonne instruction dans Les Idées modernes sur les enfants, II : L’Enfant à l’École 1909


Le critérium d’une bonne instruction

Il ne faut jamais perdre de vue, lorsqu’on parle de l’éducation, de l’instruction et de la formation des esprits, que toute activité humaine est soumise à une loi souveraine : l’adaptation de l’individu à son milieu ; et que l’enseignement qu’on donne aux jeunes ayant pour but d’augmenter la valeur de cette adaptation, ne doit être jugé que par la réponse à cette question capitale : l’adaptation a-t-elle été améliorée ? Voilà notre critérium de pédagogie. Mais ajoutons que pour apprécier sainement avec ce critérium un enseignement quelconque, il est très important de tenir compte à la fois de l’intérêt de l’individu et de l’intérêt de la société à laquelle il appartient. Pour qu’une éducation soit jugée bonne, il faut non seulement qu’elle augmente le rendement d’un individu particulier, mais qu’elle fasse profiter la collectivité de cette augmentation. S’il n’en était pas ainsi, il faudrait considérer comme bons des enseignements pernicieux, ou même criminels, par exemple celui de l’escroquerie, si cet enseignement réussissait à former des élèves d’un tel mérite qu’ils ne seraient jamais pincés par la police, et qu’ils arriveraient tous à la fortune.

On ne peut pas, dans nos milieux sociaux, porter un jugement quelconque de valeur, sans prendre en considération l’intérêt de la société autant que celui de l’individu.

Cette règle une fois posée, il s’ensuit que pour savoir si un programme d’enseignement est bien conçu, si les méthodes d’enseignement sont à conserver, si l’ajustement de tout cela aux aptitudes de l’écolier a eu lieu convenablement, il est nécessaire de recourir à une constatation de fait. Il faudrait suivre les écoliers dans la vie, savoir ce qu’ils y deviennent, apprécier leur destinée, et prendre comme terme de comparaison d’autres individus, qui ont reçu un enseignement tout différent ou nul. En effet, l’école se juge par ses conséquences post-scolaires : elle n’a pas d’autre raison d’être ; elle ne se juge pas, ou elle se juge incomplètement, par ses succès d’examens et de concours ; et il faut avoir perdu les notions d’ensemble pour voir dans les prix, dans les examens de fin d’année le but de l’enseignement. L’erreur est fréquente chez les écoliers. Ils ne savent encore presque rien de la vie ; la vie pour eux, c’est l’école ; ils ne songent qu’à s’adapter au milieu scolaire, qu’ils considèrent comme une fin, et non comme une préparation ; lorsqu’on leur donne une leçon à apprendre, ils s’imaginent que c’est pour la réciter, et que lorsqu’ils l’ont récitée, et ont obtenu la note, ils peuvent l’oublier ; ils s’imaginent qu’on fait ses devoirs pour mériter des récompenses, et que si on est paresseux, la seule conséquence qui en résulte, c’est qu’on a le bonnet d’âne ou des privations de sortie.

Ce n’est que bien plus tard que l’esprit de l’enfant dépasse les murs de l’école, et considère les conséquences utiles, mais plus lointaines, de l’enseignement qu’on lui donne. Cet élargissement d’horizon est