Wikisource:Extraits/2015/49

La bibliothèque libre.

Alfred Bruneau, Musiques d’hier et de demain, 1900






AVANT-PROPOS




En 1893, la première représentation de la Valkyrie à l’Opéra déterminait le triomphe du drame lyrique chez nous et permettait de tracer sur notre sol les larges chemins de l’avenir.

En 1899, quelques semaines après que Tristan et Iseult avaient fait franchir au wagnérisme sa dernière étape en la bonne ville de Paris, l’Académie nationale de musique, cédant aux nécessités des choses, jouait la Prise de Troie, d’Hector Berlioz, accordait trop tard au grand novateur français une place à côté du grand novateur allemand et montrait que de belles routes pouvaient et devaient encore s’ouvrir dans notre pays.

Pendant les six années qui séparent ces deux représentations, également mémorables parce qu’elles marquent chacune un point de départ en même temps qu’un point d’arrivée, des ouvrages inédits ont paru, que l’on a applaudis ou discutés, des ouvrages classiques ont reparu que l’on a généralement accueillis avec une extrême faveur. Des maîtres ont ou presque ou complètement renoncé à la scène. M. Ernest Reyer, par exemple, l’admirable et robuste poète de la Statue, de Sigurd et de Salammbô, s’est noblement retiré en la tour d’ivoire que lui a bâtie l’universel respect et M. Camille Saint-Saëns, s’en tenant à ses partitions anciennes et principalement à son superbe Samson, n’a plus écrit pour le théâtre que deux amusettes, d’ailleurs exquises. Des étrangers nous ont apporté leurs productions, nos jeunes compositeurs sont entrés dans la lutte, et le mouvement a été incessant.

Les faits qui l’ont motivé sont consignés dans ce livre. Il ne s’agit pas ici de longues études sur les hommes et les œuvres, mais d’impressions brèves recueillies au jour le jour et notées librement, fidèlement, passionnément aussi, car l’auteur aime son art. L’évolution wagnérienne a occupé la seconde moitié du XIXe siècle. Elle s’achève avec lui et d’autres batailles s’engageront bientôt. Berlioz fut notre Wagner ; aucun snobisme n’empêchera cela d’être l’absolue vérité. Il innova dans le sens français comme Wagner innova dans le sens allemand ; la Prise de Troie et la Valkyrie l’attestent. Rien de ce que ces deux génies nous ont enseigné ne sera perdu et tout ce que les génies précédents nous ont légué servira aux besognes prochaines. On verra dans ces pages de quelle façon Wagner, Berlioz, les classiques et les contemporains ont préparé, de leur plein gré ou non, l’évolution musicale du XXe siècle.