Wikisource:Extraits/2015/6

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Aulus Persius Flaccus, Satire V dans Satires d'Horace et de Perse Ier siècle ap. J.-C.

Traduction Louis-Vincent Raoul 1829





SATIRE V.

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À CORNUTUS, SON MAÎTRE.

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DE LA VRAIE LIBERTÉ.


Tout chantre, à son début, c’est une de nos lois,
D’abord doit demander cent bouches et cent voix,
Soit que sur le théâtre, en style pathétique,
Il expose à nos yeux une action tragique ;
Soit qu’il peigne en grands vers le Parthe renversé,
Arrachant de son sein le trait qui l’a percé.
― Mais à quoi tend ce but ? et de quelle merveille
Voulez-vous par cent voix étonner notre oreille ?
Laissez à ces auteurs que tourmente Apollon,
Les sublimes brouillards des sommets d’Hélicon ;
Laissez-les du festin d’Atrée et de Thyeste,
Aux yeux du spectateur, faire l’apprêt funeste.
Qu’ils servent tous les jours ce souper à Glycon.
Pour vous, avec plus d’art, ménageant votre ton,
Vous ne vous piquez point, quelqu’ordre qui vous presse,
D’imiter ces soufflets qu’Éole enfle sans cesse.
Vous n’êtes point de ceux dont les rauques accens
Laissent à peine ouïr des mots vides de sens ;
Et jamais on n’a vu, d’un amas d’air gonflée,
Votre bouche enfanter une sentence enflée.
Simple dans votre style, et d’un goût délicat,
Des grands mots avec soin vous évitez l’éclat,
Habile également, soit qu’un tableau sublime
Sous vos mâles couleurs fasse pâlir le crime,
Soit que des traits légers d’un crayon grâcieux,
Vous nous mettiez sans fiel nos défauts sous les yeux ;
Courage : gardez-vous d’envier à Mycènes
Les festins de ses rois et ces horribles scènes
De membres mutilés et de chairs en lambeaux.
Un repas plébéien sied mieux à vos pinceaux.
— Non, non, je ne viens point, esclave de l’usage,
Enfler de riens pompeux une emphatique page ;
Je viens, par Apollon guidé dans mon projet,
Sans détour un instant vous parler en secret ;