Wikisource:Extraits/2016/44

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Félix Nève, Introduction à l’histoire générale des littératures orientales : De l’étude et de la classification des langues de l’Orient dans leur rapport avec l’histoire littéraire 1844


DE L’ÉTUDE ET DE LA CLASSIFICATION
DES LANGUES DE L’ORIENT DANS LEUR RAPPORT
AVEC L’HISTOIRE LITTÉRAIRE[1]




Messieurs,

Je vous ai faits juges des raisons qui m’ont porté à chercher dans la vie des nations et en dehors de l’affinité des langues le principe d’une division synthétique des littératures Orientales ; si je n’ai point classé les littératures d’après les langues qui en ont été les organes, j’ai voulu éviter les difficultés que présentent à l’historien les destinées de tant de langues qui se transforment et s’altèrent dans le cours des siècles, en même temps que leur culture littéraire est soumise à des influences d’une nature opposée ; c’est à dessein que j’ai renoncé à renfermer dans les limites géographiques d’un idiome ancien et longtemps cultivé l’histoire d’un développement littéraire qui a pu s’étendre à un grand nombre de contrées. Chaque littérature a ses frontières naturelles, qui lui sont tracées par l’empire des idées qu’elle représente et qu’elle propage : assujétir son étude aux exigences de sciences particulières, telles que la linguistique et l’ethnographie, ce serait sacrifier en quelque sorte l’intelligence à la matière, les idées à des noms propres de personnes et de lieux.

Cependant, une connaissance précise de la nature et des rapports des langues Orientales est un élément essentiel qui doit entrer dans l’histoire des littératures ; aussi sans empiéter sur un autre domaine, le domaine indépendant de la grammaire et de la linguistique, je trouve la matière d’une introduction utile à ces leçons dans quelques aperçus généraux sur les langues elles-mêmes ; c’est dans cette vue que je vais examiner tour à tour les questions suivantes : ce qu’il faut entendre par langues Orientales, à quels points de vue différens on peut envisager l’étude des langues Orientales ; par quelles méthodes on a recherché dans les temps modernes leur affinité ou leur filiation. C’est seulement, après avoir exposé les procédés de la philologie comparée dans son application aux langues de l’Orient, que je pourrai présenter une classification de ces langues qui repose sur des bases scientifiques ; en mettant ainsi en œuvre les résultats d’une science qui, s’agrandissant tous les jours, a besoin d’être cultivée à part, je me crois obligé à faire mention des sources les plus importantes auxquelles pourraient puiser ceux à qui les études spéciales de linguistique offriraient de plus puissans attraits[2].


Le nom de langues Orientales est susceptible d’interprétations diverses, en raison même du sens étendu que présente le mot Orient ; sa signification a en effet varié dans le langage du monde savant, et il ne sera pas inutile de

  1. Leçons du 5 et du 12 Novembre.
  2. Il ne s’agit pas ici d’une bibliographie complète, comme un traité de linguistique le comporterait, mais seulement des documens les plus nécessaires sur des livres qui peuvent servir à différentes branches d’études, à l’histoire, à la géographie, à l’ethnographie, comme à toutes les branches de la philologie.