Wikisource:Extraits/2016/7

La bibliothèque libre.

Étienne Coquet, De la condition des célibataires en droit français 1905



Monsieur le Bâtonnier,

Messieurs,


Les célibataires sont ici, sans doute, en majorité. Je pense qu’un pareil auditoire m’excusera de le priver cette fois des austères joies de la théorie juridique, si je lui raconte plutôt la façon dont les gens mariés se vengèrent au cours des siècles sur ceux qui refusèrent d’imiter leur exemple et de partager leur bonheur. Et c’est pourquoi je me propose de vous entretenir aujourd’hui, Messieurs, de la condition des célibataires en droit français.


I


Malgré ce titre, il m’est difficile de ne pas résumer d’abord les dispositions du droit antique. Elles exercent encore aujourd’hui une grande influence sur les auteurs de projets et vous pourrez, d’autre part, mieux apprécier la modération relative du droit moderne. Ceux d’entre nous qui vivent dans l’intimité de Gaïus et de Justinien, et viennent de laisser Petit ou Girard ouvert sur leur table de travail, voudront bien me pardonner de ne leur rien apprendre.

L’antiquité traita durement les célibataires. Les raisons de cette sévérité ont, de nos jours, en partie disparu. Le célibataire commettait alors un double crime : — crime politique qui enlevait à la cité des soldats contre la perpétuelle hostilité de ses rivales, et des citoyens contre le flot montant des esclaves et des affranchis ; — crime religieux qui laissait s’éteindre le foyer familial et privait les aïeux de descendants pour célébrer leur culte.

Aussi Platon exige-t-il que l’on se marie entre 30 et 35 ans. « C’est un crime de se refuser à prendre femme. Quiconque négligera ce soin paiera chaque année une amende, afin qu’il ne s’imagine pas que le célibat soit un état commode et avantageux, et il n’aura non plus aucune part aux honneurs que la jeunesse rend à ceux d’un âge avancé[1]. » Et si vous demandez à ce jeune Grec, que nous évoquons en tête du défilé des célibataires, pourquoi cette démarche pénible et cet air embarrassé, il avouera,

  1. Cf. P. Guiraud, Grande Encyclopédie, vo Célibat, droit grec.