Wikisource:Extraits/2017/11

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Aristophane, Les Nuées Ve siècle avant J.-C.

Traduction Eugène Talbot 1897

LES NUÉES




STREPSIADÈS.

Iou ! Iou ! Ô souverain Zeus, quelle chose à n’en pas finir que les nuits ! Le jour ne viendra donc pas ? Et il y a déjà longtemps que j’ai entendu le coq ; et mes esclaves dorment encore. Cela ne serait pas arrivé autrefois. Maudite sois-tu, ô guerre, pour toutes sortes de raisons, mais surtout parce qu’il ne m’est pas permis de châtier mes esclaves ! Et ce bon jeune homme, qui ne se réveille pas de la nuit ! Non, il pète, empaqueté dans ses cinq couvertures. Eh bien, si bon nous semble, ronflons dans notre enveloppe. Mais je ne puis dormir, malheureux, rongé par la dépense, l’écurie et les dettes de ce fils qui est là. Ce bien peigné monte à cheval, conduit un char et ne rêve que chevaux. Et moi, je ne vis pas, quand je vois la lune ramener les vingt jours : car les échéances approchent. — Enfant, allume la lampe, et apporte mon registre, pour que, l’ayant en main, je lise à combien de gens je dois, et que je suppute les intérêts. Voyons, que dois-je ? Douze mines à Pasias. Pourquoi douze mines à Pasias ? Pourquoi ai-je fait cet emprunt ? Parce que j’ai acheté Koppatias. Malheureux que je suis, pourquoi n’ai-je pas eu plutôt l’œil fendu par une pierre !

PHIDIPPIDÈS, rêvant.

Philon, tu triches : fournis ta course toi-même.

STREPSIADÈS.

Voilà, voilà le mal qui me tue ; même en dormant, il rêve chevaux.

PHIDIPPIDÈS, rêvant.

Combien de courses doivent fournir ces chars de guerre ?

STREPSIADÈS.

C’est à moi, ton père, que tu en fais fournir de nombreuses courses ! Voyons quelle dette me vient après Pasias. Trois mines à Amynias pour un char et des roues.

PHIDIPPIDÈS, rêvant.

Emmène le cheval à la maison, après l’avoir roulé.

STREPSIADÈS.

Mais, malheureux, tu as déjà fait rouler mes fonds ! Les uns ont des jugements contre moi, et les autres disent qu’ils vont prendre des sûretés pour leurs intérêts.

PHIDIPPIDÈS, éveillé.

Eh ! mon père, qu’est-ce qui te tourmente et te fait te retourner toute la nuit ?

STREPSIADÈS.

Je suis mordu par un dèmarkhe sous mes couvertures.

PHIDIPPIDÈS.

Laisse-moi, mon bon père, dormir un peu.

STREPSIADÈS.

Dors donc ; mais sache que toutes ces dettes retomberont sur ta tête. Hélas ! Périsse misérablement l’agence matrimoniale qui me fit épouser ta mère ! Moi, je menais aux champs une vie des plus douces, inculte, négligé, et couché au hasard, riche en abeilles, en brebis, en marc d’olives. Alors je me suis marié, moi paysan, à une personne de la ville, à la nièce de Mégaklès, fils de Mégaklès, femme altière, luxueuse, fastueuse comme Kœsyra. Lorsque je l’épousai, je me mis au lit, sentant le vin doux, les figues sèches, la tonte des laines, elle tout parfum, safran, tendres baisers, dépense, gourmandise, Kolias, Génétyllis. Je ne dis pas qu’elle fût oisive ; non, elle tissait. Et moi, lui montrant ce vêtement, je prenais occasion de lui dire : « Femme, tu serres trop les fils. »

UN SERVITEUR.

Nous n’avons plus d’huile dans la lampe.

STREPSIADÈS.

Malheur ! Pourquoi m’avoir allumé une lampe buveuse ? Viens ici, que je te fasse crier !

LE SERVITEUR.

Et pourquoi crierai-je ?