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Wladislas III

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Œuvres de Théophile Gautier — PoésiesLemerrePoésies vol. 2 (p. 177-180).


Wladislas III


 
En quelque sorte que ce soit, il ne
lui fut jamais possible de faire retourner le Roy ;
car il estimoit trop indigne
du lieu qu’il tenoit et du sang dont il
estoit sorty, qu’on l’eust veu desmarcher
un seul pas en arrière.

Tant que vers le soir, son cheval ayant
par les janissaires esté tué sous luy, fut
à la fin mis à mort ce très valeureux et
invincible Prince, digne certes d’une plus
longue vie.

BLAISE DE VIGENERE, Les Chroniques
et Annales de Pologne, 1573.





Une grande journée en Pologne connue,
Ce fut lorsque naquit à Jagellon un fils :
Toute la nation célébra sa venue
        Avec de joyeux cris.

En ce temps-là Witold, achevant de soumettre
Les Russiens du Wolga combattus vaillamment,
Revint, et salua le jeune roi son maître
        D’un tendre embrassement.


Soulevant hautement l’enfant à tête blonde,
Il dit ceci : « Seigneur de la terre et des cieux,
Faites que ce cher prince en tous pays du monde
        Devienne glorieux. »

Ici l’on apporta des cadeaux de baptême.
Witold donna les siens, et puis dans un berceau
Coulé de pur argent il déposa lui-même
        Le petit roi nouveau.

Il l’élevait à bien défendre la patrie ;
Mais la mort, quand l’enfant eut douze ans, l’emporta,
Et Jagellon le vieux s’en allant de la vie,
        Sur son trône il monta.

Des viles passions il évita l’empire,
De Chobry dignement il suivit le chemin ;
Il tint l’État en bride, et le sut bien conduire
        Avec sa forte main.

Ceux de Poméranie, et ceux de Moldavie,
Et ceux de Valachie, en foule accouraient tous
Comme à leur roi, devant son trône, à Varsovie,
        Plier les deux genoux.

Voyant comme c’était un prince grand et brave,
Pour avoir son appui, le peuple des Hongrois
Lui fit porter en pompe, ainsi qu’un humble esclave,
        La couronne des rois.

Son pouvoir s’affermit ; et lorsque dans Byzance
Le trône des Césars chancelle, près de choir,
Rome et le monde entier dans sa seule vaillance
        Mettent tout leur espoir.


Son nom roule et grossit ainsi qu’une avalanche ;
Aux Turcomans domptés il fait mordre le sol,
Devant ses pas vainqueurs avec lui l’aigle blanche
        Porte en tous lieux son vol.

Quand il prit son chemin par le pays des Slaves,
Ceux-ci, voyant pareils leur langage et leur foi,
Sous le joug étranger fatigués d’être esclaves,
        Le saluèrent roi.

Trop heureux si, content de régner avec gloire
Sur les peuples nombreux à son trône soumis,
Il eût su maîtriser ses ardeurs de victoire
        Comme ses ennemis.

Le fidèle conseil souvent lui disait : « Sire,
Assez comme cela ; c’est assez de hauts faits.
Vaincre est beau ; mais la gloire est plus grande, à vrai dire,
        Qu’on gagne dans la paix. »

Mais Rome parlait haut à couvrir ce langage ;
Le monde l’appelait ; et, de tout oublieux,
Il part, et, sous Varna, contre les Turcs engage
        Un combat périlleux.

Les plus terribles coups, épouvante et mort pâle
Allaient dans la mêlée où son glaive avait lui,
Et tous ceux que touchait sa cuirasse royale
        Tombaient fauchés par lui.

Pour finir le combat que sa valeur prolonge,
Les Spahis, à grands cris, contre lui fondent tous,
Et dans son front privé du casque la mort plonge
        Avec leurs mille coups.



Wladislas est tombé. Sous sa pesante armure
La terre pousse un triste et sourd gémissement.
Mort, la menace vit encor sur sa figure
        Crispée horriblement.

Comme le Marcellus d’Auguste et de Livie,
Qui ne fit que briller sur le monde et mourut,
Notre Varnénien, dans l’Avril de sa vie,
        Brilla, puis disparut.



Avril 1834.