Lettre adressée aux habitants de la province de Québec, ci-devant le Canada

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LETTRE
ADRESSÉE
AUX HABITANS
DE LA PROVINCE
DE
QUEBEC,
Ci-devant le CANADA.
De la part du Congrés Général de l’Amérique Septentrionale,
tenu à Philadelphie.
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Imprimé & publié par Ordre du Congrès,
A PHILADELPHIE,
De l’Imprimerie de Fleury Mesplet.

M. DCC. LXXIV.

AUX  HABITANS
DE LA PROVINCE
DE
QUÉBEC.

Nos amis & concitoyens,

Nous, les Délégués des Colonies du Nouveau-Hampſhire, de Maſſachuſetts-Bay, de Rhode-Iſland & des Plantations de Providence, de Connecticut, de la Nouvelle-York, du Nouveau-Jerſey, de la Pennſylvanie, des Comtés de New-Caſtle, Kent &t Suſſex ſur le fleuve de la Ware, du Maryland, de la Virginie & des Carolines ſeptentrionale & méridionale, ayant été députés par les Habitants deſdites Colonies pour les repréſenter dans un Congrès général à Philadelphie, dans la province de Pennſylvanie, & pour conſulter enſemble ſur les meilleurs moyens de nous procurer la délivrance de nos oppreſſions accablantes ; nous étant en conſéquence aſſemblés & ayant conſidéré très-ſérieuſement l’état des affaires publiques de ce continent, nous avons jugé à propos de nous adreſſer à votre Province comme à une de ſes parties qui y eſt des plus intéreſſée.

Lorsqu’après une réſiſtance courageuſe & glorieuſe le ſort des armes vous eut incorporé au nombre des ſujets Anglais, nous nous réjouîmes autant pour vous que pour nous d’un accroiſſement ſi véritablement précieux ; & comme la bravoure & la grandeur d’ame ſont jointes naturellement, nous nous attendions que nos courageux ennemis deviendraient nos amis ſincères, & que l’Être ſuprême répandrait ſur vous les dons de ſa providence divine en aſſurant pour vous & pour votre poſtérité la plus reculée les avantages ſans prix de la libre inſtitution du Gouvernement Anglais, qui eſt le privilége dont tous les ſujets Anglais doivent jouir.

Ces eſpérances furent confirmées par la déclaration du Roi donnée en 1763, engageant la loi publique pour votre jouiſſance complette de ces avantages.

À peine aurions-nous pu alors nous imaginer que quelques Miniſtres futurs abuſeraient avec tant d’audace & de méchanceté de l’autorité royale, que de vous priver de la jouiſſance de ces droits irrévocables auxquels vous aviez un ſi juſte titre.

Mais puiſque nous avons vécu pour voir le tems imprévu, quand des Miniſtres d’une diſpoſition corrompue ont oſé violer les pactes & les engagements les plus ſacrés, & comme vous aviez été élevés ſous une autre forme de gouvernement, on a ſoigneuſement évité que vous fiſſiez la découverte de la valeur inexprimable de cette forme à laquelle vous avez à préſent un droit ſi légitime ; nous croyons qu’il eſt de notre devoir de vous expliquer quelques-unes de ſes parties les plus intéreſſantes, pour les raiſons preſſantes mentionnées ci-après.

« Dans toute ſociété humaine, » dit le célèbre Marquis Beccaria, « Il y a une force qui tend continuellement à conférer à une partie le haut du pouvoir & du bonheur, & à réduire l’autre au dernier degré de foibleſſe & de miſère. L’intention des bonnes loix eſt de s’oppoſer à cette force, & de répandre leur influence également & univerſellement. »

Des chefs incités par cette force pernicieuſe, & des ſujets animés par le juſte déſir de lui oppoſer de bonnes loix, ont occaſionné cette immenſe diverſité d’évènemens dont les hiſtoires de tant de nations ſont remplies. Toutes ces hiſtoires démontrent la vérité de cette ſimple poſition, que d’exiſter au gré d’un ſeul homme, ou de quelques-uns, eſt une ſource de miſère pour tous.

Ce fut ſur ce principe comme ſur un fondement ſolide que les Anglais éleverent ſi fermement l’édifice de leur gouvernement qu’il a réſiſté au tems, à la tyrannie, à la tradition, & aux guerres inteſtines & étrangeres, pendant pluſieurs ſiécles. Et comme un Auteur illuſtre & un de vos compatriotes[1] cité ci-après, obſerve, « Ils donnerent au peuple de leurs Colonies la forme de leur gouvernement propre : & ce gouvernement portant avec lui la proſpérité, on a vu ſe former de grands peuples dans les forêts même qu’ils furent envoyés habiter. »

Dans cette forme le premier & le principal droit, eſt, que le peuple a part dans ſon gouvernement par ſes repréſentants choiſis par lui-même, & eſt par conſéquent gouverné par des loix de ſon approbation, & non par les édits de ceux ſur leſquels il n’a aucun pouvoir. Ceci eſt un rempart qui entoure & défend ſa propriété, qu’il s’eſt acquiſe par ſon travail & une honnête induſtrie ; enſorte qu’il ne peut être privé de la moindre partie que de ſon libre & plein conſentement, lorſque ſuivant ſon jugement il croit qu’il eſt juſte & néceſſaire de la donner pour des uſages publics, & alors il indique préciſément le moyen le plus facile, le plus économe & le plus égal de percevoir cette partie de ſa propriété.

L’influence de ce droit s’étend encore plus loin. Si des Chefs qui ont opprimé le peuple ont beſoin de ſubſides, le peuple peut les leur refuſer juſqu’à ce que leurs griefs ſoient réparés, & ſe procurer paiſiblement, de cette maniere, du ſoulagement ſans avoir recours à préſenter des requêtes ſouvent mépriſées, & ſans troubler la tranquillité publique.

Le ſecond droit eſſentiel conſiſte, à être jugé par une Jurée. On pourvoit par là qu’un Citoyen ne peut perdre la vie, la liberté ou les biens, qu’au préalable Sentence n’ait été rendue contre lui par douze de ſes égaux & compatriotes de mœurs irréprochables, ſous ſerment, pris dans ſon voiſinage, qui par cela même on doit raiſonnablement ſuppoſer devoir être informé de ſon caractère & de celui des témoins, & cela après des enquêtes ſuffiſantes face à face, à huis ouvert, dans la cour de juſtice, devant tous ceux qui voudront ſe trouver préſent, & après un jugement équitable. De plus cette Sentence ne peut lui être préjudiciable, ſans injurier en même temps la réputation & même les intérêts des Jurés qui l’ont prononcée.

Car le cas en queſtion peut-être ſur de certains points qui ont rapport au bien public ; mais s’il en était autrement, leur Sentence devient un exemple qui peut ſervir contre eux-mêmes s’ils venaient à avoir un ſemblable procès.

Un autre droit ſe rapporte ſimplement à la liberté perſonnelle. Si un Citoyen eſt ſaiſi & mis en priſon, quoique par ordre du gouvernement, il peut néanmoins en vertu de ce droit, obtenir immédiatement d’un Juge un ordre que l’on nomme Habeas-Corpus, qu’il eſt obligé ſous ſerment d’accorder, & ſe procurer promptement par ce moyen une enquête & réparation d’une détention illégitime.

Un quatrième droit conſiſte dans la poſſeſſion des terres en vertu de légères rentes foncières, & non par des corvées rigoureuſes & opprimantes qui forcent ſouvent le poſſeſſeur à quitter ſa famille & ſes occupations pour faire ce qui dans tout état bien réglé devroit être l’ouvrage de gens loués exprès pour cet effet.

Le dernier droit dont nous ferons mention regarde la liberté de la preſſe. Son importance outre les progrès de la vérité, de la morale & des arts en général, conſiſte encore à répandre des ſentiments généreux ſur l’adminiſtration du gouvernement, à ſervir aux Citoyens à ſe communiquer promptement & réciproquement leurs idées, & conſéquemment contribue à l’avancement d’une union entr’eux, par laquelle des ſupérieurs tyranniques ſont induits, par des motifs de honte ou de crainte, à ſe comporter plus honorablement & par des voies plus équitables dans l’adminiſtration des affaires.

Ce ſont là ces droits ineſtimables qui forment une partie conſidérable du ſyſtême moderé de notre gouvernement, laquelle en répandant ſa force équitable ſur tous les différens rangs & claſſes de Citoyens, défend le pauvre du riche, le foible du puiſſant, l’induſtrieux de l’avide, le paiſible du violent, les vaſſaux des Seigneurs, & tous de leurs ſupérieurs.

Ce ſont là ces droits ſans leſquels une nation ne peut pas être libre & heureuſe, & c’eſt ſous la protection & l’encouragement que procure leur influence que ces Colonies ont juſqu’à préſent flori & augmenté ſi étonnément. Ce ſont ces mêmes droits qu’un miniſtère abandonné tâche actuellement de nous ravir à main armée, & que nous ſommes tous d’un commun accord réſolus de ne perdre qu’avec la vie. Tels ſont enfin ces droits qui vous appartiennent, & que vous devriez dans ce moment exercer dans toute leur étendue.

Mais que vous offre-t-on à leur place par le dernier Acte du Parlement ? La liberté de conſcience pour votre religion : Non, Dieu vous l’avoit donnée, & les Puiſſances temporelles avec leſquelles vous étiez & êtes à préſent en liaiſon, ont fortement ſtipulé que vous en euſſiez la pleine jouiſſance : ſi les loix divines & humaines pouvaient garantir cette liberté des caprices deſpotiques des méchans, elle l’était déjà auparavant. A-t-on rétabli les loix Françaiſes dans les affaires civiles ? Cela paraît ainſi, mais faites attention à la faveur circonſpecte des Miniſtres qui prétendent devenir vos bienfaiteurs ; les paroles du Statut ſont, « que l’on ſe réglera ſur ces loix juſqu’à ce qu’elles aient été modifiées ou changées par quelques ordonnances du Gouverneur & du Conſeil. »

Est-ce que l’on vous aſſure pour vous & votre poſtérité, la certitude & la douceur de la loix criminelle d’Angleterre avec toutes ſes utilités & avantages, laquelle on loue dans ledit ſtatut, & que l’on reconnaît que vous avez éprouvé très-ſenſiblement ? Non, ces loix ſont auſſi ſujettes aux « changemens » arbitraires du Gouverneur & du Conſeil, & on ſe réſerve en outre très-expreſſement le pouvoir d’ériger « telles Cours de judicature criminelle, civile & eccléſiaſtique que l’on jugera néceſſaires. »

C’est de ces conditions ſi précaires que votre vie & votre religion dépendent ſeulement de la volonté d’un ſeul. La Couronne & les Miniſtres ont le pouvoir autant qu’il a été poſſible au Parlement de le concéder, d’introduire le tribunal de l’Inquiſition même au milieu de vous.

Avez-vous une aſſemblée compoſée d’honnêtes gens de votre propre choix ſur leſquels vous puiſſiez vous repoſer pour former vos loix, veiller à votre bien-être, & ordonner de quelle manière & en quelle proportion vous devez contribuer de vos biens pour les uſages publics ? non, c’eſt du Gouverneur & du Conſeil que doivent émaner vos loix, & ils ne ſont eux-mêmes que les créatures du Miniſtre, qu’il peut déplacer ſelon ſon bon plaiſir. En outre, un autre nouveau Statut formé ſans votre participation vous aſſujettis à toute la rigueur d’un impôt ſur les denrées que l’on nomme Exciſe, impôt déteſté dans tous les états libres. En vous arrachant ainſi de vos biens par la plus odieuſe de toutes les taxes, vous êtes encore expoſés à voir votre repos & celui de vos familles troublé par des collecteurs inſolens, pénétrans à chaque inſtant juſque dans l’intérieur de vos maiſons, qui ſont nommées les Fortereſſes des Citoyens Anglais dans les livres qui traitent de leurs loix.

Dans ce même Statut qui change votre Gouvernement, & qui paraît calculé pour vous flatter, vous n’êtes point autoriſés « à vous cotiſer pour lever & diſpoſer d’aucun impôt ou taxe, à moins que ce ſoit dans des cas de peu de conſéquence, tels que de faire des grands chemins, de bâtir ou de réparer des Edifices publics ou pour quelqu’autres convenances locales dans l’enceinte de vos villes & diſtricts. » Pourquoi cette diſtinction humiliante ? Eſt-ce que les biens que les Canadiens ſe ſont acquis par une honnête induſtrie ne doivent pas être auſſi ſacrés que ceux des Anglais ? L’entendement des Canadiens ſeroit-il ſi borné qu’ils fuſſent hors d’état de participer à d’autres affaires publiques qu’à celle de raſſembler des pierres dans un endroit pour les entaſſer dans un autre ? Peuple infortuné qui eſt non-ſeulement lezé, mais encore outragé. Ce qu’il y a de plus fort, c’eſt que ſuivant les avis que nous avons reçus, un miniſtère arrogant a conçu une idée ſi mépriſante de votre jugement & de vos ſentiments, qu’il a oſé penſer, & s’eſt même perſuadé que par un retour de gratitude pour les injures & outrages qu’il vous a récemment offert, il vous engagerait, vous nos dignes Concitoyens, à prendre les armes pour devenir des inſtruments en ſes mains, pour l’aider à nous ravir cette liberté dont ſa perfidie vous a privée, ce qui vous rendrait ridicules & déteſtables à tout l’univers.

Le réſultat inévitable d’une telle entrepriſe, ſuppoſé qu’elle réuſsît, ſerait l’anéantiſſement total des eſpérances que vous pourriez avoir, que vous ou votre poſtérité fuſſent jamais rétablis dans votre liberté : car à moins que d’être entièrement privé du ſens commun, il n’eſt pas poſſible de s’imaginer qu’après que vous auriez été employés dans un ſervice ſi honteux ils vous traitaſſent avec moins de rigueur que nous qui tenons à eux par les liens du ſang.

Qu’aurait dit votre compatriote l’immortel Monteſquieu, au ſujet du plan de Gouvernement que l’ont vient de former pour vous ? Ecoutez ſes paroles avec cette attention recueillie que requiert l’importance du ſujet. « Dans un état libre, [2] tout homme qui eſt ſenſé avoir une ame libre, doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puiſſance légiſlative ; mais comme cela eſt impoſſible dans les grands états, & eſt ſujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple faſſe, par ſes repréſentans, tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. » — « La liberté politique dans un Citoyen eſt cette tranquillité d’eſprit qui provient de l’opinion que chacun a de ſa ſûreté ; & pour qu’on ait cette liberté, il faut que le Gouvernement ſoit tel qu’un Citoyen ne puiſſe pas craindre un autre Citoyen. Lorſque dans la même perſonne ou dans le même corps de Magiſtrature, la puiſſance légiſlative eſt réunie à la puiſſance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même Monarque ou le même Sénat ne faſſent des loix tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »

« La puiſſance de juger ne doit pas être donnée à un Sénat permanent, mais exercées par des perſonnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année, de la manière preſcrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la néceſſité le requiert. »

« Les Militaires ſont d’une profeſſion qui peut-être utile, mais devient ſouvent dangéreuſe. » « La jouiſſance de la liberté conſiſte en ce qu’il ſoit permis à chacun de déclarer ſa penſée & de découvrir ſes ſentiments. »

Appliquez à votre ſituation préſente ces maximes déciſives, qui ont la ſanction de l’autorité d’un nom que toute l’Europe révere. On pourrait avancer que vous avez un Gouverneur revêtu de la puiſſance exécutrice ou des pouvoirs de l’adminiſtration ; c’eſt en lui & en ſon Conſeil qu’eſt placée la puiſſance légiſlative : vous avez des Juges qui doivent décider dans tous les cas où votre vie, votre liberté ou vos biens ſont en danger, & effectivement, il ſemble qu’il ſe trouve ici une diſtribution & répartition de diverſes puiſſances en des mains différentes qui ſe repriment l’une l’autre, ce qui eſt l’unique méthode que l’eſprit humain ait jamais imaginée pour contribuer à l’accroiſſement de la liberté & de la proſpérité des hommes.

Mais vous ſervant de cette ſagacité ſi naturelle aux Français, & dédaignant d’être déçus par le faux brillant de cet extérieur, examinez la plauſibilité de ce plan, & vous trouverez (pour me ſervir des paroles de la Sainte Ecriture) que ce n’eſt qu’un « ſépulcre blanchi, » pour enſevelir votre liberté & vos biens avec votre vie.

Vos juges & votre (ſoi-diſant) Conſeil légiſlatif dépendent de votre Gouverneur, & lui-même dépend des ſerviteurs de la Couronne, en Angleterre. Le moindre ſigne du Miniſtre fait agir ces puiſſances légiſlative, exécutrice & celle de juger. Vos privilèges & vos immunités n’exiſtent qu’autant que dure ſa faveur, & ſon courroux fait évanouir leur forme chancelante.

La perfidie a été employée avec tant d’artifice dans le Code des loix que l’on vous a récemment offert, que quoique le commencement de chaque paragraphe paraiſſe être plein de bienveillance, il ſe termine cependant d’une manière deſtructive ; & lorſque le tout eſt dépouillé des expreſſions flatteuſes qui le décorent, il ne contient autre choſe, ſinon, que la Couronne & ſes Miniſtres ſeront auſſi abſolus dans toute l’étendue de votre vaſte Province, que le ſont actuellement les deſpotes de l’Aſie & de l’Afrique. Qui protégera vos biens contre des Edits d’impôts & contre les rapines de ſupérieurs durs & néceſſiteux ? Qui défendra vos perſonnes de Lettres de Cachets, de Priſons, de Cachots & de Corvées fatigantes, votre liberté & votre vie contre des Chefs arbitraires & inſenſibles ? Vous ne pouvez, en jettant vos yeux de tous côtés, apercevoir une ſeule circonſtance qui puiſſe vous promettre d’aucune façon, le moindre eſpoir de liberté pour vous & votre poſtérité, ſi vous n’adoptez entièrement le projet d’entrer en union avec nos colonies.

Quel ſerait le conſeil que vous donnerait cet homme ſi véritablement grand, cet Avocat pour la liberté & l’humanité, que nous venons de citer, fut-il encore vivant & ſçût que nous vos voiſins puiſſans & nombreux, inſpirés d’un juſte amour pour nos droits envahis & unis par les liens indiſſolubles de l’affection & de l’intérêt, vous auraient invités au nom de tout ce que vous devez à vous-même & à vos enfans (comme nous le faiſons à préſent) de vous unir à nous dans une cauſe ſi juſte, pour n’en faire qu’une entre nous, & courir la même fortune pour nous délivrer d’une ſubjection humiliante ſous des Gouverneurs, Intendants & tyrans Militaires, & rentrer fermement dans le rang & la condition de libre Citoyen Anglais, qui ont appris de leurs ancêtres à faire trembler ceux qui oſent ſeulement penſer à les rendre malheureux.

Ne ſerait-ce pas par un diſcours ſemblable qu’il s’adreſſerait à vous ? Et dirait, “ ſaiſiſſez l’occaſion que la Providence elle-même vous offre, votre conquête vous a acquis la liberté ſi vous vous comportez comme vous devez, cet événement eſt ſon ouvrage : vous n’êtes qu’un très-petit nombre en comparaiſon de ceux qui vous invitent à bras ouverts de vous joindre à eux ; un inſtant de réflexion doit vous convaincre qu’il convient mieux à vos intérêts & à votre bonheur, de vous procurer l’amitié conſtante des peuples de l’Amérique ſeptentrionale, que de les rendre vos implacables ennemis. Les outrages que ſouffre la ville de Boſton, ont alarmés & unis enſemble toutes les Colonies, depuis la nouvelle Ecoſſe juſqu’à la Georgie, votre Province eſt le ſeul anneau qui manque pour completter la chaîne forte & éclatante de leur union. Votre pays eſt naturellement joint au leur, joignez-vous auſſi dans vos intérêts politiques ; leur propre bien-être permettra jamais qu’ils vous abandonnent ou qu’ils vous trahiſſent : ſoyez perſuadez que le bonheur d’un peuple dépend abſolument de ſa liberté & de ſon courage pour la maintenir. La valeur & l’étendue des avantages que l’on vous offre eſt immenſe ; daigne le Ciel ne pas permettre que vous ne reconnaiſſiez ces avantages pour le plus grand bien que vous pourriez poſſéder, qu’après qu’ils vous auront abandonnés à jamais. »

Nous connoiſſons trop bien la nobleſſe de ſentiment qui diſtingue votre nation, pour ſuppoſer que vous fuſſiez retenus de former des liaiſons d’amitié avec nous par les préjugés que la diverſité de religion pourrait faire naître. Vous ſçavez que la liberté eſt d’une nature ſi excellente qu’elle rend, ceux qui s’attachent à elle, ſupérieurs à toutes ces petites foibleſſes. Vous avez une preuve bien convaincante de cette vérité dans l’exemple des Cantons Suiſſes, leſquels quoique compoſés d’états Catholiques & Proteſtans, ne laiſſent pas cependant de vivre enſemble en paix & en bonne intelligence, ce qui les a mis en état depuis qu’ils ſe ſont vaillamment acquis leur liberté, de braver & de repouſſer tous les tyrans qui ont oſé les envahir.

S’il ſe trouvait quelques uns parmi vous (comme cela eſt aſſez fréquent dans tous les états) qui préféreraient la faveur du Miniſtre & leurs intérêts particuliers au bien-être de leur patrie, leurs inclinations intéreſſées les porteront à s’oppoſer fortement à toutes les meſures tendantes au bien public, dans l’eſpérance que leurs ſupérieurs les récompenſeront amplement pour leurs ſervices honteux & indignes : mais nous ne doutons pas que vous ne ſerez en garde contre de telles gens, & nous eſpérons que vous ne ferez point un ſacrifice de la liberté & du bonheur de tous les Canadiens, pour gratifier l’avarice & l’ambition de quelques particuliers.

Nous ne requérons pas de vous dans cette adreſſe d’en venir à des voies de fait contre le Gouvernement de notre Souverain, nous vous engageons ſeulement à conſulter votre gloire & votre bien-être, & à ne pas ſouffrir que des Miniſtres infâmes vous perſuadent & vous intimident juſqu’au point de devenir les inſtruments de leur cruauté & de leur deſpotiſme. Nous vous engageons auſſi à vous unir à nous par un pacte ſocial, fondé ſur le principe d’une liberté égale, & entretenu par une ſuite de bons offices réciproques, qui puiſſent le rendre perpétuel. A deſſein d’effectuer une union ſi déſirable, nous vous prions de conſidérer s’il ne ſerait pas convenable que vous vous aſſembliez chacun dans vos villes & diſtricts reſpectifs, pour élire des députés de chaque endroit qui formeraient un Congrès Provincial, duquel vous pourriez choiſir des Délégués pour être envoyés, comme les repréſentans de votre Province, au Congrès général de ce continent qui doit ouvrir ſes ſéances à Philadelphie, le 10 de Mai 1775.

Dans le préſent Congrès qui a commencé le 5 du mois paſſé, & a continué juſqu’à ce jour, il a été réſolu unanimement & avec une ſatiſfaction univerſelle, que nous regarderions la violation de vos droits, opérée par l’acte pour changer le Gouvernement de votre Province, comme une violation des nôtres propres, & que nous vous inviterions à entrer dans notre confédération, laquelle n’a d’autres objets en vue que la parfaite aſſurance des droits civils & naturels de tous les membres qui la compoſent, & la préſervation d’une liaiſon heureuſe & permanente avec la Grande-Bretagne, fondée ſur les principes fondamentaux & ſalutaires que nous avons expliqués ci-devant. C’eſt pour parvenir à ces fins que nous avons fait préſenter au Roi, une requête humble & loyale, le ſuppliant de vouloir bien nous délivrer de nos oppreſſions. Nous avons auſſi formé un accord, par lequel nous ſuſpendrons l’importation de toutes ſortes de marchandiſes de la Grande-Bretagne & de l’Irlande, après le premier de Décembre prochain. Comme auſſi nous nous engageons à ne rien tranſporter de chez nous dans ces Royaumes ou aux îles de l’Amérique, après le dixième de Septembre prochain, ſi nous n’avons pas encore obtenu, dans ce tems là, la réparation de nos griefs.

Que le Tout-Puiſſant daigne vous porter d’inclination à approuver nos démarches juſtes & néceſſaires, & à vous joindre à nous, & que lorſque l’on vous offrira quelques injures que vous ſerez réſolus de ne point ſouffrir, à ne pas faire dépendre votre ſort du peu d’influence que pourrait avoir votre ſeule Province, mais des puiſſances réunies de l’Amérique ſeptentrionale ; & qu’il veuille accorder à nos travaux unis, un ſuccès auſſi heureux que notre cauſe eſt juſte, eſt la fervente prière de nous, vos ſincères & affectionnés Amis et Concitoyens.

Par ordre du Congrès,
26 octobre 1774.
Henry Middleton, Préſident.

  1. Le Baron de Monteſquieu, dans l’Eſprit des Loix. Liv. 19. Chap. 27.
  2. De l’Eſprit des Loix. Liv. XI. Ch. VI.