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Croquis satiriques/A la Muse antique

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Croquis satiriques
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 57 (p. 497-498).
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CROQUIS SATIRIQUES



A LA MUSE ANTIQUE[1]



Autrefois indigné de voir régner le mal,
Avec l’ïambe ardent j’évoquai Juvénal,
Et, le poignet armé d’une plume sévère,
Aux noirs excès du temps je déclarai la guerre.
Aujourd’hui, moins rigide et peut-être moins bon,
Je satirise encor, mais sur un autre ton.
Quittant de Némésis la sublime folie,
Je prends modestement le masque de Thalie,
Et soudain me voilà réglant mes faibles pas
Sur ceux du tendre ami du noble Mæcenas,
Et cherchant de mon mieux à retrouver la trace
Que dans les champs latins laissa jadis Horace.
Imiter de nos jours même Horace, à quoi bon ?
De votre propre vin versez-nous, — dira-t-on ?
Imiter ! pourquoi pas ? Que l’on est difficile
À cette heure ! Autrefois l’on était plus habile
Avec moins de fierté. Nos aïeux sans remords
Savaient mettre à profit les richesses des morts,
Et ces naïfs amans de l’antique science
S’estimaient très heureux, si leur intelligence
Réussissait à faire entrer dans leurs écrits,
Vivantes, les beautés de quelques vieux esprits.
Autre temps, autre soin. De nos auteurs la veine
En ce siècle fécond est si fertile et vaine,

Que tirer des anciens le moindre petit mot,
C’est tomber dans le cuistre et s’appeler un sot.
À trop haut prix, je crois, se cotent les modernes.
Ils jugent par trop vif le feu de leurs lanternes,
Sans savoir si pourtant cette neuve clarté
Ira comme l’antique à la postérité.
À mon sens, les anciens faisaient moins de tapage ;
Mais, doués par le ciel d’un esprit juste et sage,
Ils aimaient la nature, et, l’observant sans fin,
En rendaient les contours d’un pinceau net et fin.
De là tous ces beaux vers que la grâce décore,
Nés depuis trois mille ans et qui vivent encore,
Ces écrits pleins de sens, de vigueur et de sel,
Où la vérité mit son cachet immortel.
Aussi qui tient en main l’un de ces beaux génies
A-t-il d’en profiter de terribles envies,
Et se sent-il tenté, par un adroit larcin,
D’enlever une pierre à son brillant écrin,
De découper un pan de sa pourpre divine
Pour faire que la sienne un peu plus s’illumine,
Pensant qu’à cette robe arracher un morceau
N’est point se revêtir d’un stérile lambeau
D’étoffe, mais qu’avec ce fin tissu de laine
C’est ravir une part de la nature humaine,
De ce fond immortel qui ne change jamais,
Quel qu’en soit le pays et quels qu’en soient les traits.
Voilà ce que j’essaie… Ah ! quand la veine s’use,
Que pour nous de baisers moins prodigue est la Muse,
Il faut se départir des grands airs d’inventeur
Et faire volontiers œuvre d’imitateur.
À ce métier d’ailleurs, si j’ai bonne mémoire,
On peut encor parfois grapiller quelque gloire.

  1. H. Auguste Barbier revient à la satire, mais c’est Horace qu’il prend cette fois pour guide, et non Juvénal. Les pièces qu’on va lire sont détachées d’un volume qui paraîtra prochainement, et qui montrera sous un nouvel aspect l’auteur des Iambes et du Pianto.