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Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain/Introduction

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ESQUISSE
D’UN TABLEAU HISTORIQUE
DES PROGRÈS DE L’ESPRIT HUMAIN.




L’Homme naît avec la faculté de recevoir des sensations, d’appercevoir et de distinguer, dans celles qu’il reçoit, les sensations simples dont elles sont composées, de les retenir, de les reconnoître, de les combiner, de conserver ou de rappeler dans sa mémoire ; de comparer entr’elles ces combinaisons, de saisir ce qu’elles ont de commun et ce qui les distingue, d’attacher des signes à tous ces objets, pour les reconnoître mieux, et s’en faciliter de nouvelles combinaisons.

Cette faculté se développe en lui par l’action des choses extérieures, c’est-à-dire, par la présence de certaines sensations composées, dont la constance, soit dans l’identité de leur ensemble, soit dans les lois de leurs changemens, est indépendante de lui. Il l’exerce également par la communication avec des individus semblables à lui ; enfin, par des moyens artificiels, qu’après le premier développement de cette même faculté, les hommes sont parvenus à inventer.

Les sensations sont accompagnées de plaisir et de douleur ; et l’homme a de même la faculté de transformer ces impressions momentanées en sentimens durables, doux ou pénibles ; d’éprouver ces sentimens à la vue ou au souvenir des plaisirs ou des douleurs des autres êtres sensibles. Enfin, de cette faculté unie à celle de former et de combiner des idées, naissent, entre lui et ses semblables, des relations d’intérêt et de devoir, auxquelles la nature même a voulu attacher la portion la plus précieuse de notre bonheur et les plus douloureux de nos maux.

Si l’on se borne à observer, à connoître les faits généraux et les lois constantes que présente le développement de ces facultés, dans ce qu’il a de commun aux divers individus de l’espèce humaine, cette science porte le nom de métaphysique.

Mais si l’on considère ce même développement dans ses résultats, relativement à la masse des individus qui co-existent dans le même temps sur un espace donné, et si on le suit de générations en générations, il présente alors le tableau des progrès de l’esprit humain. Ce progrès est soumis aux mêmes lois générales qui s’observent dans le développement individuel de nos facultés, puisqu’il est le résultat de ce développement, considéré en même-temps dans un grand nombre d’individus réunis en société. Mais le résultat que chaque instant présente dépend de celui qu’offroient les instans précédens, et influe sur celui des temps qui doivent suivre.

Ce tableau est donc historique, puisque, assujetti à de perpétuelles variations, il se forme par l’observation successive des sociétés humaines aux différentes époques qu’elles ont parcourues. Il doit présenter l’ordre des changemens, exposer l’influence qu’exerce chaque instant sur l’instant qui le remplace, et montrer ainsi, dans les modifications qu’a reçues l’espèce humaine, en se renouvelant sans cesse au milieu de l’immensité des siècles, la marche qu’elle a suivie, les pas qu’elle a faits vers la vérité ou le bonheur. Ces observations, sur ce que l’homme a été, sur ce qu’il est aujourd’hui, conduiront ensuite aux moyens d’assurer et d’accélérer les nouveaux progrès que sa nature lui permet d’espérer encore.

Tel est le but de l’ouvrage que j’ai entrepris, et dont le résultat sera de montrer, par le raisonnement et par les faits, qu’il n’a été marqué aucun terme au perfectionnement des facultés humaines ; que la perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie ; que les progrès de cette perfectibilité, désormais indépendante de toute puissance qui voudroit les arrêter, n’ont d’autre terme que la durée du globe où la nature nous a jetés. Sans doute, ces progrès pourront suivre une marche plus ou moins rapide, mais jamais elle ne sera rétrograde ; du moins, tant que la terre occupera la même place dans le systême de l’univers, et que les lois générales de ce systême ne produiront sur ce globe, ni un bouleversement général, ni des changemens qui ne permettroient plus à l’espèce humaine d’y conserver, d’y déployer les mêmes facultés, et d’y trouver les mêmes ressources.

Le premier état de civilisation où l’on ait observé l’espèce humaine, est celui d’une société peu nombreuse d’hommes subsistant de la chasse et de la pêche, ne connoissant que l’art grossier de fabriquer leurs armes et quelques ustensiles de ménage, de construire ou de se creuser des logemens, mais ayant déjà une langue pour se communiquer leurs besoins, et un petit nombre d’idées morales, dont ils déduisent des règles communes de conduite, vivant en familles, se conformant à des usages généraux qui leur tiennent lieu de lois, et ayant même une forme grossière de gouvernement.

On sent que l’incertitude et la difficulté de pourvoir à sa subsistance, l’alternative nécessaire d’une fatigue extrême et d’un repos absolu, ne laissent point à l’homme ce loisir, où, s’abandonnant à ses idées, il peut enrichir son intelligence de combinaisons nouvelles. Les moyens de satisfaire à ses besoins sont même trop dépendans du hasard et des saisons, pour exciter utilement une industrie dont les progrès puissent se transmettre ; et chacun se borne à perfectionner son habileté ou son adresse personnelle.

Ainsi, les progrès de l’espèce humaine durent alors être très-lents ; elle ne pouvoit en faire que de loin en loin, et lorsqu’elle étoit favorisée par des circonstances extraordinaires. Cependant, à la subsistance tirée de la chasse, de la pêche, ou des fruits offerts spontanément par la terre, nous voyons succéder la nourriture fournie par des animaux que l’homme a réduits à l’état de domesticité, qu’il sait conserver et multiplier. À ces moyens se joint ensuite une agriculture grossière ; il ne se contente plus des fruits ou des plantes qu’il rencontre ; il apprend à en former des provisions, à les rassembler autour de lui, à les semer ou les planter, à en favoriser la reproduction par le travail de la culture.

La propriété, qui, dans le premier état, se bornoit à celle des animaux tués par lui, de ses armes, de ses filets, des ustensiles de son ménage, devint d’abord celle de son troupeau, et ensuite, celle de la terre qu’il a défrichée et qu’il cultive. À la mort du chef, cette propriété se transmet naturellement à la famille. Quelques-uns possèdent un superflu susceptible d’être conservé. S’il est absolu, il fait naître de nouveaux besoins ; s’il n’a lieu que pour une seule chose, tandis qu’on éprouve la disette d’une autre, cette nécessité donne l’idée des échanges : dès-lors, les relations morales se compliquent et se multiplient. Une sécurité plus grande, un loisir plus assuré et plus constant, permettent de se livrer à la méditation, ou du moins, à une observation suivie. L’usage s’introduit pour quelques individus, de donner une partie de leur superflu en échange d’un travail qui leur sert à s’en dispenser eux-mêmes. Il existe donc une classe d’hommes dont le temps n’est pas absorbé par un labeur corporel, et dont les désirs s’étendent au-delà de leurs simples besoins. L’industrie s’éveille ; les arts déjà connus s’étendent et se perfectionnent ; les faits que le hasard présente à l’observation de l’homme plus attentif et plus exercé, font éclore des arts nouveaux ; la population s’accroît à mesure que les moyens de vivre deviennent moins périlleux et moins précaires ; l’agriculture, qui peut nourrir un plus grand nombre d’individus sur le même terrain, remplace les autres sources de subsistance : elle favorise cette multiplication, qui, réciproquement, en accélère les progrès ; les idées acquises se communiquent plus promptement et se perpétuent plus sûrement dans une société devenue plus sédentaire, plus rapprochée, plus intime. Déjà l’aurore des sciences commence à paroître ; l’homme se montre séparé des autres espèces d’animaux, et ne semble plus borné comme eux à un perfectionnement purement individuel.

Les relations plus étendues, plus multipliées, plus compliquées, que les hommes forment alors entre eux, leur font éprouver la nécessité d’avoir un moyen de communiquer leurs idées aux personnes absentes, de perpétuer la mémoire d’un fait avec plus de précision que par la tradition orale, de fixer les conditions d’une convention plus sûrement que par le souvenir des témoins, de constater, d’une manière moins sujette à des changemens, ces coutumes respectées, auxquelles les membres d’une même société sont convenus de soumettre leur conduite.

On sentit donc le besoin de l’écriture, et elle fut inventée. Il paroît qu’elle étoit d’abord une véritable peinture, à laquelle succéda une peinture de convention, qui ne conserva que les traits caractéristiques des objets. Ensuite, par une espèce de métaphore analogue à celle qui déjà s’étoit introduite dans le langage, l’image d’un objet physique exprima des idées morales. L’origine de ces signes, comme celle des mots, dut s’oublier à la longue ; et l’écriture devint l’art d’attacher un signe conventionnel à chaque idée, à chaque mot, et par la suite, à chaque modification des idées et des mots.

Alors, on eut une langue écrite et une langue parlée, qu’il falloit également apprendre, entre lesquelles il falloit établir une correspondance réciproque.

Des hommes de génie, des bienfaiteurs éternels de l’humanité, dont le nom, dont la patrie même sont pour jamais ensevelis dans l’oubli, observèrent que tous les mots d’une langue n’étoient que les combinaisons d’une quantité très-limitée d’articulations premières ; que le nombre de celles-ci, quoique très-borné, suffisoit pour former un nombre presque infini de combinaisons diverses. Ils imaginèrent de désigner, par des signes visibles, non les idées ou les mots qui y répondent, mais ces élémens simples dont les mots sont composés.

Dès-lors, l’écriture alphabétique fut connue ; un petit nombre de signes suffit pour tout écrire, comme un petit nombre de sons suffisoit pour tout dire. La langue écrite fut la même que la langue parlée ; on n’eut besoin que de savoir reconnoître et former ces signes peu nombreux, et ce dernier pas assura pour jamais les progrès de l’espèce humaine.

Peut-être seroit-il utile aujourd’hui d’instituer une langue écrite qui, réservée uniquement pour les sciences, n’exprimant que ces combinaisons d’idées simples, qui sont exactement les mêmes dans tous les esprits, n’étant employée que pour des raisonnemens d’une rigueur logique, pour des opérations de l’entendement précises et calculées, fût entendue par les hommes de tous les pays, et se traduisît dans tous leurs idiômes, sans pouvoir s’altérer comme eux, en passant dans l’usage commun.

Alors, par une révolution singulière, ce même genre d’écriture, dont la conversation n’eût servi qu’à prolonger l’ignorance, deviendroit, entre les mains de la philosophie, un instrument utile à la prompte propagation des lumières, au perfectionnement de la méthode des sciences.

C’est entre ce degré de civilisation, et celui où nous voyons encore les peuplades sauvages, que se sont trouvés tous les peuples dont l’histoire s’est conservée jusqu’à nous, et qui, tantôt faisant de nouveaux progrès, tantôt se replongeant dans l’ignorance, tantôt se perpétuant au milieu de ces alternatives, ou s’arrêtant à un certain terme, tantôt disparoissant de la terre sous le fer des conquérans, se confondant avec les vainqueurs, ou subsistant dans l’esclavage, tantôt enfin, recevant des lumières d’un peuple plus éclairé, pour les transmettre à d’autres nations, forment une chaîne non interrompue entre le commencement des temps historiques et le siècle où nous vivons, entre les premières nations qui nous soient connues, et les peuples actuels de l’Europe.

On peut donc appercevoir déjà trois parties bien distinctes dans le tableau que je me suis proposé de tracer.

Dans la première, où les récits des voyageurs nous montrent l’état de l’espèce humaine chez les peuples les moins civilisés, nous sommes réduits à deviner par quels degrés l’homme isolé, ou plutôt borné à l’association nécessaire pour se reproduire, a pu acquérir ces premiers perfectionnemens dont le dernier terme est l’usage d’un langage articulé ; nuance la plus marquée, et même la seule qui, avec quelques idées morales plus étendues, et un foible commencement d’ordre social, le fait alors différer des animaux vivant comme lui en société régulière et durable. Ainsi nous ne pouvons avoir ici d’autre guide que des observations sur le développement de nos facultés.

Ensuite, pour conduire l’homme au point où il exerce des arts, où déjà la lumière des sciences commence à l’éclairer, où le commerce unit les nations, où enfin l’écriture alphabétique est inventée, nous pouvons joindre à ce premier guide l’histoire des diverses sociétés qui ont été observées dans presque tous les degrés intermédiaires ; quoiqu’on ne puisse en suivre aucune dans tout l’espace qui sépare ces deux grandes époques de l’espèce humaine.

Ici le tableau commence à s’appuyer en grande partie sur la suite des faits que l’histoire nous a transmis : mais il est nécessaire de les choisir dans celle de différens peuples, de les rapprocher, de les combiner, pour en tirer l’histoire hypothétique d’un peuple unique, et former le tableau de ses progrès.

Depuis l’époque où l’écriture alphabétique a été connue dans la Grèce, l’histoire se lie à notre siècle, à l’état actuel de l’espèce humaine dans les pays les plus éclairés de l’Europe, par une suite non interrompue de faits et d’observations ; et le tableau de la marche et des progrès de l’esprit humain est devenu véritablement historique. La philosophie n’a plus rien à deviner, n’a plus de combinaisons hypothétiques à former ; il suffit de rassembler, d’ordonner les faits, et de montrer les vérités utiles qui naissent de leur enchaînement et de leur ensemble.

Il ne resteroit enfin qu’un dernier tableau à tracer, celui de nos espérances, des progrès qui sont réservés aux générations futures, et que la constance des lois de la nature semble leur assurer. Il faudroit y montrer par quels degrés ce qui nous paroîtroit aujourd’hui un espoir chimérique doit successivement devenir possible et même facile ; pourquoi, malgré les succès passagers des préjugés, et l’appui qu’ils reçoivent de la corruption des gouvernemens ou des peuples, la vérité seule doit obtenir un triomphe durable ; par quels liens la nature a indissolublement uni les progrès des lumières et ceux de la liberté, de la vertu, du respect pour les droits naturels de l’homme ; comment ces seuls biens réels, si souvent séparés qu’on les a crus même incompatibles, doivent au contraire devenir inséparables, dès l’instant où les lumières auront atteint un certain terme dans un plus grand nombre de nations à la fois ; et qu’elles auront pénétré la masse entière d’un grand peuple, dont la langue seroit universellement répandue, dont les relations commerciales embrasseroient toute l’étendue du globe. Cette réunion s’étant déjà opérée dans la classe entière des hommes éclairés, on ne compteroit plus dès-lors parmi eux que des amis de l’humanité, occupés de concert d’en accélérer le perfectionnement et le bonheur.

Nous exposerons l’origine, nous tracerons l’histoire des erreurs générales, qui ont plus ou moins retardé ou suspendu la marche de la raison, qui souvent même, autant que les événemens politiques, ont fait rétrograder l’homme vers l’ignorance.

Les opérations de l’entendement qui nous conduisent à l’erreur ou qui nous y retiennent, depuis le paralogisme subtil, qui peut surprendre l’homme le plus éclairé, jusqu’aux rêves de la démence, n’appartiennent pas moins que la méthode de raisonner juste ou celle de découvrir la vérité, à la théorie du développement de nos facultés individuelles : et, par la même raison, la manière dont les erreurs générales s’introduisent parmi les peuples, s’y propagent, s’y transmettent, s’y perpétuent, fait partie du tableau historique des progrès de l’esprit humain. Comme les vérités qui le perfectionnent et qui l’éclairent, elles sont la suite nécessaire de son activité, de cette disproportion toujours existante entre ce qu’il connoît, ce qu’il a le désir et ce qu’il croit avoir le besoin de connoître.

On peut même observer que, d’après les lois générales du développement de nos facultés, certains préjugés ont dû naître à chaque époque de nos progrès, mais pour étendre bien au-delà leur séduction ou leur empire ; parce que les hommes conservent encore les erreurs de leur enfance, celles de leur pays et de leur siècle, long-temps après avoir reconnu toutes les vérités nécessaires pour les détruire.

Enfin, dans tous les pays, dans tous les temps, il est des préjugés différens, suivant le degré d’instruction des diverses classes d’hommes, comme suivant leurs professions. Si ceux des philosophes nuisent aux nouveaux progrès de la vérité, ceux des classes moins éclairées retardent la propagation des vérités déjà connues ; ceux de certaines professions accréditées ou puissantes y opposent des obstacles : ce sont trois genres d’ennemis que la raison est obligée de combattre sans cesse, et dont elle ne triomphe souvent qu’après une lutte longue et pénible. L’histoire de ces combats, celle de la naissance, du triomphe et de la chute des préjugés, occupera donc une grande place dans cet ouvrage, et n’en sera la partie ni la moins importante, ni la moins utile.

S’il existe une science de prévoir les progrès de l’espèce humaine, de les diriger, de les accélérer, l’histoire des progrès qu’elle a déjà faits en doit être la base première. La philosophie a dû proscrire sans doute cette superstition, qui croyoit ne pouvoir trouver des règles de conduite que dans l’histoire des siècles passés, et des vérités, que dans l’étude des opinions anciennes. Mais ne doit-elle pas proscrire également le préjugé qui rejeteroit avec orgueil les leçons de l’expérience ? Sans doute, la méditation seule peut, par d’heureuses combinaisons, nous conduire aux vérités générales de la science de l’homme. Mais, si l’observation des individus de l’espèce humaine est utile au métaphysicien, au moraliste, pourquoi celle des sociétés le leur seroit-elle moins ? Pourquoi ne le seroit-elle pas au philosophe politique ? S’il est utile d’observer les diverses sociétés qui existent en même temps, d’en étudier les rapports, pourquoi ne le seroit-il pas de les observer aussi dans la succession des temps ? En supposant même que ces observations puissent être négligées dans la recherche des vérités spéculatives, doivent-elles l’être, lorsqu’il s’agit d’appliquer ces vérités à la pratique et de déduire de la science, l’art qui en doit être le résultat utile ? Nos préjugés, les maux qui en sont la suite, n’ont-ils pas leur source dans les préjugés de nos ancêtres ? Un des moyens les plus sûrs de nous détromper des uns, de prévenir les autres, n’est-il pas de nous en développer l’origine et les effets ?

Sommes-nous au point où nous n’ayons plus à craindre, ni de nouvelles erreurs, ni le retour des anciennes ; où aucune institution corruptrice ne puisse plus être présentée par l’hypocrisie, adoptée par l’ignorance ou par l’enthousiasme ; où aucune combinaison vicieuse ne puisse plus faire le malheur d’une grande nation ? Seroit-il donc inutile de savoir comment les peuples ont été trompés, corrompus, ou plongés dans la misère ?

Tout nous dit que nous touchons à l’époque d’une des grandes révolutions de l’espèce humaine. Qui peut mieux nous éclairer sur ce que nous devons en attendre ; qui peut nous offrir un guide plus sûr pour nous conduire au milieu de ses mouvemens, que le tableau des révolutions qui l’ont précédée et préparée ? L’état actuel des lumières nous garantit qu’elle sera heureuse ; mais n’est-ce pas aussi à condition que nous saurons nous servir de toutes nos forces ? Et pour que le bonheur qu’elle promet soit moins chèrement acheté, pour qu’elle s’étende avec plus de rapidité dans un plus grand espace, pour qu’elle soit plus complète dans ses effets, n’avons-nous pas besoin d’étudier dans l’histoire de l’esprit humain quels obstacles nous restent à craindre, quels moyens nous avons de les surmonter ?

Je diviserai en neuf grandes époques l’espace que je me propose de parcourir ; et j’oserai, dans une dixième, hasarder quelques apperçus sur les destinées futures de l’espèce humaine.

Je me bornerai à présenter ici les principaux traits qui caractérisent chacune d’elles : je ne donnerai que les masses, sans m’arrêter ni aux exceptions, ni aux détails. J’indiquerai les objets, les résultats dont l’ouvrage même offrira les développemens et les preuves.