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Héléna (1822)/La Femme Adultère

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Héléna (1822)
Poëmes. Héléna,Pélicierle Somnambule, la Fille de Jephté, la Femme adultère, le Bal, la Prison, etc. (p. 105-117).


LA
FEMME ADULTÈRE.

Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit ; qu’elle ne toit pas comptée dans les jours de l’année !

Que cette nuit soit dans une affreuse solitude, et que les cantiques de joie ne s’y fessent point entendre !

Que les étoiles de son crépuscule se voilent de ténèbres ! Qu’elle attende la lumière, et qu’il n’en vienne point ! et qu’elle ne voie pas les paupières de l’Aurore !

(Job.)


LA

FEMME ADULTÈRE.

Séparateur


« Mon lit est parfumé d'aloës et de myrrhe,
« L'odorant cinnamome et le nard de Palmyre
« Ont chez moi de l'Égypte embaumé les tapis.
« J'ai placé sur mon front et l'or et le lapis ;
« Venez, mon bien-aimé, m'enivrer de délices
« Jusqu'à l'heure où le jour appelle aux sacrifices :
« Aujourd'hui que l'époux n'est plus dans la cité,
« Au nocturne bonheur soyez donc invité,

Il est allé bien loin. » C’était ainsi, dans l’ombre,
Sur les toits aplanis, et sous l’oranger sombre
Qu’une femme parlait, et son bras abaissé
Montrait la porte étroite à l’amant empressé.
Il a franchi le seuil où le cèdre s’entrouvre
Et qu’un verrou secret rapidement recouvre ;
Puis ces mots ont frappé le cyprès des lambris :
« Voilà ces yeux si purs, dont mes yeux sont épris !
« Votre front est semblable au lis de la vallée,
« De vos lèvres toujours la rose est exhalée ;
« Que votre voix est douce, et douces vos amours !
« Ô quittez ces colliers et ces brillans atours !
« — Non, ma main veut tarir cette humide rosée
« Que l’air sur vos cheveux a long-tems déposée :
« C’est pour moi que ce front s’est glacé sous-la nuit !
« — Mais ce cœur est brûlant et l’amour l’a conduit !
« Me voici devant vous, ô belle entre les belles !
« Qu’importent les dangers ? Que sont les nuits cruelles,
« Quand du palmier d’amour le fruit va se cueillir,
« Quand sous mes doigts tremblas je le sens tressaillir ?
« — Oui… mais d’où vient ce cri, puis ces pas sur la pierre ?
« — C’est un des fils d’Aaron qui sonne la prière.

« Eh ! quoi ! vous pâlissez ! Que le feu du baiser
« Consume nos amours qu’il peut seul apaiser ;
« Qu’il vienne remplacer cette crainte farouche
« Et fermer au refus la pourpre de ta bouche· !… »
On n’entendit plus rien, et les feux abrégés.
Dans les lampes d’airain moururent négligés.



Quand le soleil levant embrasa la campagne
Et les verts oliviers de la sainte montagne,
À cette heure paisible où les chameaux poudreux
Apportent du désert leur tribut aux Hébreux ;
Tandis que de sa tente, ouvrant la blanche toile,
Le passeur, qui de l’aube a vu pâlir l’étoile,
Appelle sa famille au lever solennel,
Et salue, en ses chants, le jour et l’éternel,
Le séducteur, content du succès de son crime,
Fuit l’ennui des plaisirs et sa jeune victime.
Seule, elle reste assise, et son front sans couleur
De l’immortel remords a déjà la pâleur ;

Elle veut retenir cette nuit, sa complice,
Et la première aurore est son premier supplice :
C’est alors qu’elle vit et la faute et le lieu,
S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu ;
Une terne blancheur, comme un voile épaissie,
Entoura tristement sa prunelle obscurcie,
Et semblable à la mort, seulement quelques pleurs
Montraient encor sa vie en montrant ses douleurs.
Telle Sodome a vu cette femme imprudente
Frappée au jour où Dieu versa la pluie ardente,
Et brûlant d’un seul feu deux peuples détestés,
Éteignit leurs palais dans des flots empestés ;
Elle voulut, bravant la céleste défense,
Voir une fois encor les lieux de son enfance,
Ou peut-être, écoutant un cœur ambitieux,
Surprendre d’un regard le grand secret des Cieux ;
Mais son pied tout à coup, à la fuite inhabile,
Se fixe : elle pâlit sous un sel immobile,
Et le juste vieillard, en marchant vers Segor,
N’entendit plus ses pas qu’il écoutait encor.



Tel est le front glacé de la Juive infidèle.
Mais quel est cet enfant qui paraît auprès d’elle ?
Il voit des pleurs, il pleure, et d’un geste incertain
Demande, comme hier ; le baiser du matin.
Sur ses pieds chancelans il s’avance, et timide,
De sa mère ose enfin presser la joue humide :
Qu’un baiser serait doux ! Elle veut l’essayer ;
Mais l’époux, dans le fils, le revient effrayer,
Devant ce lit, ces murs ces voûtes sacrées
Du secret conjugal encore pénétrées,
Où vient de retenir un amour criminel ;
Hélas ! elle rougit de l’amour maternel,
Et tremble de poser ; dans cette chambre austère,
Sur une bouche pure, une lèvre adultère.
Elle voulut parler, mais les sons en sa voix,
Sourds et demi-formés, moururent à la fois,
Et sa parole, éteinte et vaine, fut suivie
D’un soupir qui sembla le dernier de sa vie.
Elle repousse alors son enfant étonnés,
S’arrache avec fureur au lit empoisonné,
Court vers le seuil, l’entr’ouvre, et là tombe abattue,
Telle que de sa base une blanche statue.


Or, l’époux revenait, en se réjouissant
Jusqu’au fond de son cœur. Le fin éblouissant
Recouvrait dès fardeaux, fruits de son opulence ;
Guides nonchalamment par le fer d’une lance,
Fléchissaient, sous ces dons, et l’enagre rayé
Et l’indolent chameau, par son guide effrayé,
En douze serviteurs suivant l’étroite voie,
Courbaient leurs fronts brûles sous la pourpre et la soie ;
Et le maître disait : « Maintenant Sephora
« Cherche dans l’horizon si l’époux reviendra ;
« Elle pleure ; elle dit : Il est bien loin encore !
« Des feux du jour pourtant le désert se colore,
« Et son amour peut-être invente mon trépas !
« Mais elle va courir au-devant de mes pas,
« Et je dirai : Tenez, livrez-vous à la joie !
« Ces présens sont pour vous, et la pourpre et la soie
« Et les moelleux tapis, et l’ambre précieux
« Et l’acier des miroirs que souhaitaient vos yeux.
« Mais quelle est cette femme étendue à la porte ?…
« Dieu de Jacob ! c’est elle ; accourez : elle est morte ! »
Il dit ; les serviteurs if empressent. Sur son cœur
Il l’enlève en ses bras ; sa voix, avec douceur,

L’invite à la lumière, et, par une eau glacée ;
Veut voir de son beau front la pâleur effacée.
Mais son fils, d’une épouse ignorant le danger,
L’appelle, et dans ses pleurs accuse l’étranger.
« L’étranger ! quel est-il ? Parcourons la demeure ;
« Dit lemaître irrité : que cet assassin meure ! »
Des suivantes alors, le cortège appelé
Se tait ; mais le désordre et leur trouble ont parler
Il revient, arrachant ses cheveux en sa robe ;
Sous la cendre du deuil sa honte se dérobe ;
Ses pieds sont nus ; il dit : « Malheur ! malheur vous !
« Venez, femme, à l’autel rassurer votre époux,
« Ou, par le Dieu vivant, qui déjà vous contemple !… »
Elle dit, eu tremblant : « Seigneur, allons au temple. »



On marche. De l’époux les amis empressés
L’entourent tristement, et tous, les yeux baissés,
Se disaient : « Nous verrons si, dans la grande épreuve,
« Sa bouche de l’eau sainte impunément s’abreuve. »

On arrive en silence au pied des hauts degrés
Où s’élève un autel[1]. Couvert d’habits sacrés,
Et croisant ses deux bras sur sa poitrine sainte,
Le prêtre monte seul dans la pieuse enceinte.
La poussière de Forge, holocauste jaloux[2],
Est, d’une main tremblante, offerte par l’époux.
Le pontife la jette à la femme interdite,
Lui découvre la tête ; et tenant l’eau maudite :
« Si l’étranger, jamais n’a su vous approcher,
« Que l’eau, qui de ce vase en vous va s’épancher,
« Devienne d’heureux jours une source féconde ;
« Mais si, l’horreur du peuple et le mépris du monde,
« Par un profane, amour votre cœur s’est souillé,
« Que, flétri par ces eaux, votre front dépouillé,
« Porte de son péché l’abominable signe,
« Et que, juste instrument d’une vengeance insigne,
« Leur poison poursuivant l’adultère larcin,
« En dévore le fruit jusque dans votre sein. »

Il dit, écrit ces mots, les consume, et leur cendre
Paraît, avec la mort, au fond des eaux descendre ;
Puis, il offre la coupe : un bras mal assuré
La reçoit ; on se tait : « Par ce vase épuré,
« Dit l’épouse, mon cœur… » De poursuivre incapable.
« Grâce ! dit-elle enfin ; grâce ! je suis coupable ! »
La foule la saisit. Son époux furieux
S’éloigne avec les siens, en détournent les yeux,
Et du sang de l’amant sa colère altérée,
Laisse au peuple vengeur l’adultère livrée.



Tout Juda, cependant, aux fêtes introduit,
Vers le temple, en courant, se pressait à grand bruit.
Les vieillards, les enfans, les femmes affligées,
Dans les longs repentirs et les larmes plongées,
Et celles que frappait un mal secret et lent,
Et l’aveugle aux longs, cris, et le boîteux tremblant,
Et le lépreux impur, le dégoût de la terre,
Tous, de leurs maux guéris racontant le mystère,

Aux pieds de leur Sauveur l’adoraient prosternés.
Lui, né dans les douleurs, roi des infortunés,
D’une féconde main prodiguait les miracles,
Et de sa voix sortait une source : d’oracles.
De la vie, avec l’homme, il partageait l’ennui,
Venait trouver le pauvre et s’égalait à lui.
Quelques hommes, formés à sa divine école,
Nés simples et grossiers, mais forts de sa parole,
Le suivaient lentement, et son front sérieux
Portait les feux divins en bandeau glorieux.



Par ses cheveux épars une femme entraînée,
Qu’entoure avec clameurs la foule déchaînée,
Parait : ses yeux brûlans au Ciel sont dirigés ;
Ses yeux, car de longs fers ses bras nus sont chargés.
Devant le fils de l’homme on l’amène en tumulte ;
Puis, provoquant l’erreur et méditant l’insulte,
Les Scribes assemblés s’avancent ; et l’un d’eux :
Maître, dit-il, jugez de ce péché hideux :

« Cette femme adultère est coupable et surprise ;
« Que doit faire Israël de la loi de Moïse ? »
Et l’épouse infidèle attendait, et ses yeux
Semblaient chercher encor quel qu’autre dans ces lieux.
Et, la pierre à la main, la foule sanguinaire.
S’appelait, la montrait : « C’est la femme adultère !
« Lapidez-la : déjà le séducteur est mort ! »
Et la femme pleura. — Mais le juge d’abord :
« Qu’un homme d’entre vous, dit-il, jette une pierre
« S’il se croit sans péché, qu’il jette la première. »
Il dit, et s’écartant des mobiles Hébreux,
Apaisés par ces mots, et déjà moins nombreux,
Son doigt mystérieux, sur l’arène légère,
Écrivait une langue, aux hommes étrangère,
En caractères saints dans le Ciel retracés…
Quand il se releva tous étaient dispersés.


  1. L’autel des holocaustes. Le peuple ne pouvait pas entrer dans le temple ; il restait dans une cour où était cet autel. (Mœurs des Isr. Chap. XX.)
  2. ’Voyez les Nombres, Chap. V, V. 15, 16, etc.