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Revue étrangère - L’Allemagne

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REVUE
ÉTRANGÈRE.

i.

L’ALLEMAGNE.


Un voyageur qui traverserait rapidement l’Allemagne, y trouverait partout un peuple paisible et laborieux, des lois tranquillement et facilement obéies, des villes riches ou savantes, des villages presque aussi beaux que ces villes, et dans la moindre chaumière une sorte d’élégance rustique qui épanouirait son cœur. Dans ces villages, il verrait souvent la même église servir à des cultes différens, le même cimetière, et, pour ainsi dire, la même tombe s’ouvrir au papiste et au luthérien ; au reste, point de discordes, point de partis, point de factions, point de plaintes ouvertes, point de murmures, si ce n’est celui de quelque grand fleuve qui porte silencieusement à la mer le produit de l’industrie de cette nation de philosophes. Ce voyageur rentrerait chez lui, infailliblement persuadé qu’il vient de découvrir un peuple de sages, lequel a échappé par miracle aux tourmentes de l’esprit moderne. Comme il n’aurait vu extérieurement aucun signe de changement, il en conclurait que tout est demeuré en sa place, et que ce point seul reste fixe au sein des agitations tumultueuses de l’Europe. Il serait dans une grande erreur.

Une transformation profonde travaille aujourd’hui les peuples allemands. Cette révolution n’est point apparente et bruyante comme celles qui s’opèrent en France, en Angleterre ; mais il est aussi impossible de la nier, et elle va aboutir à des résultats semblables. Le vieux génie de l’Allemagne se décompose ; un esprit nouveau heurte à la porte comme un bélier. On n’a point à raconter des émeutes et des coups d’état sur la place publique, mais déjà des émeutes et des révoltes dans l’empire des idées et de la philosophie. La génération spiritualiste s’efface et disparaît. Un des glorieux lutteurs éprouvés dans les écoles me disait, il n’y pas long-temps : « L’idéalisme se meurt, je suis content de mourir aussi. » Ce mot résume tout le reste. Goëthe et Hegel sont allés rejoindre Lessing, Klopstock, Schiller, Kant, Fichte, Herder, ces héros de la renaissance allemande. L’époque des demi-dieux et des héros est passée. Que va apporter l’époque des hommes ?

La France et l’Allemagne, dans les jugemens qu’elles ont portés l’une sur l’autre, ne peuvent point prendre pour devise : Sans amour ou sans haine. Au contraire, l’engouement ou l’aversion les a tour à tour gouvernées. Quand, lasse du matérialisme du siècle dernier, la France a voulu y échapper, elle s’est jetée en suppliante entre les mains de l’Allemagne. Le besoin de se soustraire à son passé moqueur lui fit embrasser, sans nulle critique, toutes les doctrines tudesques que de rares communications apportèrent jusqu’à elle. À mesure qu’une théorie était abandonnée de l’autre côté du Rhin, elle commençait à ressusciter, puis à fleurir parmi nous ; et, en fait de système, nous n’adoptâmes le plus souvent rien que les morts. En sortant du scepticisme, les esprits, altérés comme dans le désert, s’abreuvèrent aux sources de l’Allemagne sans se demander si une eau pure jaillissait en effet de ces rochers, ou si un trompeur mirage ne nous leurrait pas d’une onde chimérique. Systèmes, hypothèses, croyances, traditions, poésie, tout fut admis pour guérir les cœurs meurtris par la raillerie de Candide et par le matérialisme de la révolution.

Le livre de l’Allemagne fut écrit sous cette influence. On voit que Mme de Staël est partout poursuivie par le fantôme ridé de Voltaire. Elle se précipite loin de cette tyrannie railleuse aux pieds des jeunes autels de la muse allemande. Cet ouvrage est la prière d’une ame exilée qui demande un refuge dans l’univers moral ; c’est l’improvisation éolienne de Corinne au bord du Rhin. Ce n’est pas, on le sait bien, une peinture exacte et méthodique. Pas un objet n’est dépeint tel qu’il est en réalité ; il est vu avec trop d’adoration pour cela. Mais cette adoration même n’est-elle pas un évènement véritable qui a des rapports avec toutes les affections de cette époque ? Quelle reconnaissance ! Quelle bénédiction ! Quel amour pour ces doctrines d’idéalisme, même avant d’en connaître le fond ! Quel cantique d’enthousiasme en se sentant renaître ! L’exaltation de Mme de Staël pour l’idéalisme allemand ressemble à l’exaltation ascétique des saintes pour le Christ sauveur. Sa langue est quelquefois la même que celle de sainte Thérèse, car on y sent comme la révélation d’un continuel prodige. Elle ne s’explique nulle part les poètes et les héros de la philosophie par les causes naturelles de l’histoire, de la tradition, de la langue. Ces poètes et ces philosophes semblent, au contraire, dans son livre, agir, penser, écrire en vertu d’un miracle intérieur qui n’a lieu que pour eux. En un mot, c’est la langue de l’amour substituée aux aphorismes de la critique.

C’est aussi là ce que les Allemands n’ont jamais voulu admettre. Parce qu’ils ne se reconnaissaient pas dans ce livre, ils l’ont trop souvent considéré comme un tableau de pure fantaisie. Ils n’ont su comment jouer le rôle fantastique que cette admiration fougueuse leur imposait, et ils ont été embarrassés par le persiflage mêlé à leur apothéose. Accoutumés à donner peu d’attention aux ouvrages écrits par des femmes, l’arrivée de Mme de Staël au milieu des écoles métaphysiques leur a paru long-temps un scandale ; on s’aperçoit trop par les correspondances posthumes qu’ils n’ont vu très clairement en elle qu’une bonne femme, die gute fraü, dont ils agréent la passion avec une complaisance débonnaire.

Sous la restauration, la France continua d’étudier avec vénération et soumission profonde la philosophie et la poésie allemande. Ce fut la scène de l’étudiant chez le docteur Faust. On imita, traduisit, compila, et de nouveau on compila, traduisit, imita. De temps en temps, l’Allemagne tournait doctement la tête du côté de cette pauvre France qui rentrait à l’école comme une petite fille. Rarement la pédagogue se montrait satisfaite de son élève. Deux ou trois signes au plus d’une satisfaction protectrice laissèrent penser qu’elle ne désapprouvait pas les labeurs de cette innocente, et qu’avec du temps, et force férules, injonctions et admonitions, elle ne désespérait pas d’en faire quelque chose. Ce fut l’histoire des quinze années ; après quoi, la France, en juillet 1830, fut renvoyée à sa quenouille, légitimement atteinte et convaincue d’étourderie révolutionnaire, de frivolité, indocilité et incapacité philosophique.

Les Allemands, révélés par leurs poètes, ont été, dans ces derniers temps, l’objet d’une idolâtrie qui tend à les corrompre. Qu’est devenue l’humilité qu’ils avaient conservée jusqu’au xviiie siècle ? Une susceptibilité ombrageuse et hargneuse tourmente incessamment ces nouveaux rois de l’opinion. Leur prétention, comme celle de tous les héros de romans, soit qu’on les loue, soit qu’on les blâme, est de n’être jamais compris de leurs adorateurs ; et personne ne nie qu’ils ne s’arrangent parfaitement pour cela. S’il se trouvait même à la fin, quelque part, un jugement sur eux vrai et impartial, je doute fort qu’ils s’en montrassent satisfaits, car ce jugement, supposé qu’il fût exact, serait une limite à l’idolâtrie ; et quand on a été Dieu un jour, on tient à son nuage.

Il faut, au reste, que des différences bien profondes séparent la France et l’Allemagne, puisque, malgré les efforts de tant d’hommes remarquables des deux parts, tant de préjugés les séparent encore. Quand les idées que ces deux peuples se forment l’un de l’autre ne sont pas absolument fausses, elles sont toujours en arrière de leur état présent au moins d’un demi-siècle. Un perpétuel anachronisme les sépare. Ils se poursuivent l’un l’autre, comme dans la course d’Atalante, sans s’atteindre jamais.

Par exemple, quel temps ne faudra-t-il pas pour que la France renonce à se représenter l’Allemagne comme un pays de contemplation et d’enthousiasme, un Éden livré aux poètes, et la nation entière comme la Belle au bois dormant ! Cette image était vraie, il y a cinquante ans ; elle a cessé de l’être. Mais cette première impression, qui est due au livre de Mme de Staël, ne s’effacera pas si tôt. Elle alimentera pendant de longues années encore le génie des romanciers, des voyageurs, et même des philosophes.

De même, l’Allemagne (et j’entends par là la foule, non quelques hommes rares et supérieurs) ne comprend encore que la France du xviiie siècle. Jeune ou vieux, riche ou pauvre, un Français, quelle que soit son origine, sa province, sa condition, est nécessairement un Voltairien fluet, agile, mobile, le nez au vent, qui jure de par Helvétius et Marmontel, qui porte à ses souliers la poussière de la régence, et sur son front le sceau de la jeune année de 1770. Vous tous qui franchissez le Rhin, préparez-vous à jouer le rôle de votre trisaïeul ; sinon, on vous l’imposera. Soyez gracieusement impie et religieusement encyclopédiste à la manière du baron d’Holbach, railleur, persifleur, comme vous le pourrez ; c’est là votre caractère donné, et que l’on attend de vous. — « Je suis grave, dites-vous ? Le siècle m’a changé. Je me suis fait avec l’âge profond, savant, croyant, pesant, comme l’Allemand aujourd’hui se fait vif. » — « Non, non, vous est-il répondu. Votre persiflage ne nous en imposera pas ; votre gravité et votre religion sont des graces qui vous manquaient au siècle dernier. Vous jouez avec l’infini et la philosophie, comme votre aïeul avec Ninon de l’Enclos. » À présent quittez ce personnage si vous pouvez.

En vertu de la même observation, une femme française est nécessairement une poupée parée, choyée, gâtée, sans cœur, sans tête, sans ame, du reste un abîme de frivolité, et le centre de tous les déréglemens. Une jeune fille allemande, élevée dans les vrais principes, nourrit en secret le mépris le plus superbe pour une grande dame française, à qui le triple démon de la coquetterie, de la légèreté, et des amusemens de la régence, ne laisse pas une heure de répit pour une passion profonde et naturelle. C’est ainsi que les moines se figuraient toujours les soldats l’épée à la main.

On peut affirmer que ces deux ou trois points, bien et sagement développés, composent tout le fonds d’observation des trois quarts des écrivains qui se font, en Allemagne, les interprètes de la France.

Si, des circonstances générales des mœurs, on passe à cette matière bien autrement subtile des arts, de la poésie et des lettres en général, c’est que la discordance est vraiment effroyable. L’esprit allemand et l’esprit français sont de nature si opposée, que presque toujours l’un exclut l’autre. L’art de les assimiler est si rare, qu’on peut dire qu’il n’existe pas. Chacun se défend avec acharnement des empiètemens de l’autre, comme s’ils se détruisaient mutuellement. De là, quels combats avant de s’accepter ! et, quand on veut les réunir, quelles colères et quels grincemens de dents ! On est venu à bout de faire accepter de la France quelques parties de la science allemande. Mais Dieu sait les ménagemens qu’on a dû observer, les aversions qu’on a dû braver, les luttes qu’on a dû soutenir, et je peux dire la vertu qu’il a fallu y mettre. Si la France n’eût été malade du scepticisme, comptez que jamais, dans son état normal, on ne lui eût fait accepter à elle, fille de Descartes et de Voltaire, l’amer breuvage des sibylles du Nord ; mais dans l’anéantissement qui suit le scepticisme, ce remède héroïque était indispensable.

L’Allemagne, de son côté, a exploré chacune des époques littéraires de l’histoire ; la littérature française est la seule qu’elle n’a jamais bien ni comprise ni admise ; il y a comme une barre qui l’en sépare. Ses jugemens, si profonds sur tout le reste, sont puérils sur ce sujet, l’irritation y étant trop souvent mêlée. Goëthe est peut-être le seul qui resta supérieur à ces antipathies, et encore dans ses lettres à Zelter, on voit qu’il n’osait l’avouer.

On connaît dans le monde un critique doué d’une incroyable universalité d’esprit : il a tout vu, tout jugé, tout analysé, tout compris ; il s’est fait le contemporain des Romains et des Grecs. Que dis-je des Grecs ? il l’est des Chaldéens, des Bactres, des Assyriens ; et s’il y a quelque chose au-delà, il y pénètre. Il écrit des ballades dans la langue du roi Porus, et Pétrarque signerait ses sonnets. Quoi de plus ? il est équitable, fin, modéré, délié ; il rend justice à Caldéron comme à Homère, à Shakspeare comme à Dante ; il sait trouver le bien partout où il est ; en outre, il l’aime sincèrement. Un seul point, dans l’histoire du genre humain le fâche et le déconcerte : il ne saurait s’en consoler ni le regarder en face. Que ne donnerait-il pas pour l’effacer d’un trait de plume ! Cette tache unique, dans un si beau tableau, c’est (devinez-vous ?) le siècle de Louis XIV. Malheureuse époque, qui gâte tout ce qui précède et tout ce qui suit. Sans elle, la poésie, l’éloquence, étaient victorieuses. Ne faites pas mention devant lui de ce temps calamiteux pour les lettres ; c’est le mal entré dans le monde ; c’est le fléau qu’il reproche au Seigneur, lequel s’en repent assez lui-même. Que si, à tout hasard, vous y faites allusion, je vous avertis que cet homme de génie, d’un jugement si sain, si élevé, si calme, va entrer en une colère, dont vous n’aurez vu jusque-là aucun exemple ; pas une opinion qui ne soit immodérée, pas un mot qui ne soit injurieux. – « Molière, dites-vous ? Molière est plat. Bossuet est bourgeois ; Montesquieu déclame ; Corneille rabâche. Quant à Racine, il y a long-temps que sa place est marquée chez l’épicier. En trois mots comme en cent, voilà l’esthétique de la France. » Maintenant est-ce haine, violence, besoin de réaction ou esprit de parti, ou tout simplement difficulté de s’entendre ? ou bien encore tout cela à la fois ? qui pourrait le dire ?

Sur les questions politique, même divergence, et plus grande encore, s’il est possible. Le démagogue allemand resté pur, qui n’a point forfait à ses principes, doit haine et mort à la France. Du moins, cet Annibal l’a juré en classe sur l’autel d’Hamilcar. En conséquence, il prêche sa croisade contre ce pays d’enfer. La vérité est qu’il ne l’a jamais vu, qu’il ne le verra jamais, qu’il n’en connaît ni la langue, ni les mœurs, ni les plus simples usages. Mais il sait que cette langue est un aspic empoisonné, que ce peuple est le réceptacle de tous les vices sans aucune vertu ! Ce sont là ses principes. Le croyez-vous assez peu homme d’honneur pour en changer ? Malheureusement les temps sont durs, la pureté des doctrines s’altère ; il n’est qu’un trop grand nombre de faux frères, qui, ayant passé le Rhin et visité ce peuple, ont trouvé en lui quelques qualités approchantes de l’espèce humaine, et vont pervertissant ainsi les saines maximes. Le branle est donné, rien ne peut l’arrêter. Il ne reste qu’à se couvrir de cendre et à pleurer sur l’abomination entrée dans la Sion tudesque.

Ces utiles préjugés sont entretenus avec soin par la presse politique et littéraire. Les journaux allemands, auxquels ceux de France répondent rarement, s’exaltent dans leur solitude ; ils s’élèvent peu à peu contre tout ce qui appartient à la France, hommes, choses, mœurs, à un ton d’injures, d’obscénités, de rage cynique dont je n’aurais jamais cru capable le chaste idiome de Charlotte et de Marguerite. Les plus populaires poussent le plus loin ce monologue de fureur. Rappelez-vous Arlequin s’excitant, dans un héroïque soliloque, à la bataille contre son ennemi absent. Ce qui m’étonne, après cela, c’est qu’un honnête Souabe, bien et duement endoctriné, ose encore traverser la frontière et s’aventurer parmi nous, nation de Barbes-Bleues et d’Ogres épicuriens, qui sentons la chair fraîche d’une lieue, le tout par esprit de frivolité.

ii.

Le fait qui s’accomplit aujourd’hui en Allemagne est la chute du spiritualisme. Cette Jérusalem céleste croule dans l’abîme ; aucune main ne peut la retenir.

Tant que l’idéalisme et la poésie ont soutenu l’Allemagne, ils ont caché ou fait oublier le vide des institutions. Aujourd’hui il en est autrement ; la vie publique et la vie privée sont dévoilées en même temps. Sous le manteau percé de la philosophie, on commence à remarquer d’étranges plaies. À mesure que l’enthousiasme s’éteint, bien des qualités aimables disparaissent, et, dans l’état, bien des misères sont mises à nu : dans les écoles un fatalisme inerte, au dehors la foi qui tombe, et qui ne se survit que dans les extrémités, à Berlin dans le piétisme protestant, à Munich dans le mysticisme catholique ; une jurisprudence très savante, et une législation décrépite ; dans les champs, la corvée et la dîme ; des garanties nulle part, le privilége partout, l’intolérance religieuse poussée, en certains cas, jusqu’à la déraison[1] ; des tribunaux secrets ; point de presse pour y suppléer ; et au faîte de tout cela, une noblesse infatuée, et qui a besoin d’être châtiée. Aisément la simplicité devient grossièreté, la bonhomie rusticité, la résignation servilité. Quand l’esprit allemand n’est pas dans la nue, il rampe ; il lui reste à apprendre à marcher.

La philosophie allemande se meurt : elle est morte après avoir, comme Saturne et la révolution française, dévoré ses enfans. Que sont devenus tant de systèmes qui se promettaient l’éternité, tant de solutions définitives du problème de l’univers ? Cherchez ces systèmes au même endroit où sont chez nous la convention, l’empire, la restauration, et chacun des pouvoirs politiques qui se sont couronnés de leurs propres mains. Ressusciter Kant, Fichte, Schelling, Hegel, ou ressusciter l’assemblée constituante, ou la terreur, ou Napoléon ou Louis-le-Désiré, des deux parts même folie. Ces théories sont dans la même poussière où sont aujourd’hui les évènemens d’où elles sont sorties. Un seul jour nous en sépare, mais ce jour est un siècle. Paix donc à ces morts glorieux ! Quand même vous posséderiez la trompette du jugement dernier, vous ne pourriez les ranimer.

Ce n’est pas à dire pour cela que ce mouvement de l’intelligence doive rester sans résultat. Le panthéisme est partout au fond de la philosophie allemande comme l’égalité est partout au fond de la révolution française. Si ces deux principes viennent jamais à s’entendre, ils constitueront entre eux le monde nouveau.

On fait, de l’autre côté du Rhin, une grande accusation à la France de la mobilité et de l’inconstance de ses systèmes de gouvernement. Ne pourrait-on pas retourner cette accusation contre ceux de qui elle part, si de pareils griefs ne s’adressaient, avant tout, à l’esprit de l’humanité même ? Que de fois l’Allemagne, dans ce même demi-siècle, n’a-t-elle pas changé de systèmes et d’enthousiasmes ! que n’a-t-elle pas couronné dans ces dernières années ! l’esprit et la matière, le pour et le contre, le moi et le non-moi, la liberté et la fatalité ! Que de sermens solennels jurés à ces rois de la pensée, à Kant, à Fichte, à Schelling ! chacun de ces sermens devait durer toujours. Ils n’ont pu tenir devant l’avènement d’un principe plus jeune et plus nouveau. Hegel vient de mourir, le puissant Hegel ! sa cendre est encore chaude. Où sont ses disciples fidèles, ses croyans, ses apôtres ? Il n’en a plus. Il renaîtrait aujourd’hui, qu’il importunerait ceux qui l’ont embaumé hier : il serait comme Épiménide après un sommeil d’un siècle, tant le mouvement qui emporte et vieillit les morts est, plus que jamais, rapide et inexorable. C’est maintenant qu’il faut chanter à table : « Les morts vont vite. »

De la même manière qu’en France la chute de tant d’administrations opposées a embarrassé la liberté d’une foule de lois, réglemens, décrets, ordonnances contradictoires ; de même, en Allemagne, la chute de la philosophie a embarrassé l’intelligence d’une foule de formules de tous les régimes. Pour conserver quelque naturel au milieu de ces entraves, il faut une rare vivacité d’esprit. Combien de gens se traînent encore sous ce vide fardeau, comme la tortue sous sa carapace ! Combien je connais d’hommes qui, la plume à la main, sont incapables de demander à boire sans convoquer l’objectif et le subjectif ! Il y a une frivolité propre à l’Allemagne ; c’est celle qui marche toujours coiffée du bonnet de la scolastique.

On connaît un pays où un assez grand nombre de formules métaphysiques sont tombées dans le domaine commun, pour qu’en moins d’une heure, d’un travail ordinaire, chacun puisse se flatter de convertir le fait le plus simple, la mouche qui vole, le chien qui jappe, l’enfant qui pleure, en un système d’abstraction vide et béant, dans lequel l’auteur s’évanouit et disparaît lui-même. Il y a des gens, des Français légers, qui préfèrent à ce bel art la roulette de Pascal.

La science allemande séduit d’abord par son caractère de grandeur et d’unité ; mais si, en sortant de cet étonnement, vous l’étudiez davantage, vous trouvez tant de fois la chimère à la place de la réalité, la conjecture à la place de la certitude, que vous tombez dans une extrémité contraire : il vous semble que cet édifice si vanté va s’écrouler comme un rêve. Cette science est pareille à ces arcs-de-triomphe inachevés, dont on remplit les vides, en attendant, avec des toiles peintes, pour y donner à un prince une fête qui dure un jour. Le prince, ici, est l’esprit humain qui se prête gracieusement et modestement à la cérémonie.

Qui eût pensé que tout cet idéalisme dût aboutir aux mêmes résultats religieux que l’école de Voltaire ? C’est pourtant, en grande partie, le mouvement de décomposition qui s’opère aujourd’hui. En effet, dans le temps où la philosophie de l’absolu construisait les empires passés sur le patron qu’elle s’était formé la veille, elle n’était pas si loin qu’il semble de la méthode de Voltaire, qui, lui aussi, expliquait Pharaon et Moïse par Louis XV et par son aumônier. Des deux côtés, c’était, au fond, la même erreur de perspective ; et si Mahomet, encyclopédiste de la société d’Holbach, ne me convertit pas, je ne me laisse guère plus tenter par le Mahomet de la philosophie d’outre-Rhin, lequel poursuit le Concret et la Subjectivité sur son chameau dans le désert, et sous les tentes ambrées de l’Yemen.

Au moment où j’écris ces lignes, un livre, dont toute l’Allemagne est préoccupée, vient de jeter une terrible lueur sur ces questions. C’est la Vie de Jésus, par le docteur Strauss. Ni l’originalité d’un écrivain éloquent, ni l’éclat d’un nom connu ne distinguent cet ouvrage, et pourtant un évènement politique n’eut pas plus sérieusement passionné les esprits. Ce livre est le résultat naturel et nécessaire de la méthode allemande. C’est par là qu’il doit éveiller, au plus haut degré, l’attention des étrangers. La méthode que Wolf et Niebuhr ont appliquée à Homère et à Tite-Live, l’auteur l’applique au christianisme ; et, de la même manière qu’Homère et l’histoire romaine se sont évanouis, comme fumée entre les mains des deux premiers, le Christ disparaît à son tour dans le travail du dernier ; opération critique, disent à bon droit les théologiens. Les récits des quatre évangélistes ne sont plus qu’une suite d’allégories, de fables telles que celles d’Ésope et de La Fontaine, des contes et des chants populaires ; en un mot, un mythe. Cette idée n’est pas entièrement nouvelle ; mais l’autorité que le symbolisme allemand vient de lui donner, l’éclat et le retentissement qui la suivent, tout cela est nouveau. Le Christ, aussi, n’est plus qu’un songe, une épopée démocratique et mystique qui va rejoindre l’épopée grecque et l’épopée romaine. Lisez attentivement ces résultats, vous croirez, avec la différence d’une forme très savante, lire les questions sur les miracles par Voltaire. Ce qu’il y a de certain, c’est que si vous vous soumettez sans critique aux prémisses du symbolisme allemand, vous êtes poussé, de proche en proche, à ces mêmes conséquences. Admettez que l’histoire romaine n’est qu’une suite de paraboles populaires, la même chose peut et doit se dire exactement des premiers temps du christianisme. Les évangélistes deviennent des rhapsodes, l’Évangile un poème en prose, et le catholicisme un rêve du genre humain, faisant sa halte dans le jardin des Oliviers.

Je sais bien qu’en Allemagne la Christologie a mille moyens de déguiser ces résultats. On détruit d’un trait de plume les cieux ouverts et l’assemblée des martyrs. On y substitue une formule d’école, et voilà l’abîme comblé. Si je considère avec effroi cet avenir privé de la foi des ancêtres ; si mon cœur, abreuvé de mélancolie, se détourne avec désespoir de ces cieux qui restent vides, on me répond que tout va bien, que le prédicat du christianisme n’est pas un individu, mais une idée ; que je puis toujours au pis-aller adorer ce prédicat ; que seulement la forme s’est évanouie dans la substantialité ; que rien autre chose n’est changé. De bonne foi, qu’est-ce que tout ce galimathias pour remplacer un Dieu ?

Ô grand, puissant, burlesque Protée, infernal Voltaire, que pensez-vous de cette chute, dans votre tombeau du Panthéon ? Après tant de détours, de menaces, de dédains, voilà enfin la poétique Allemagne, la religieuse Allemagne qui tombe entre vos mains, et les griffes de Satan qui poussent aux pieds de l’ange Abbadona ! N’est-ce pas vous qui ressuscitez sous cette forme nouvelle, et qui, pour mieux tromper le monde, revêtez comme votre tunique la blonde candeur de la science allemande ? Où fuir ? où se cacher ? où se sauver ? Il y avait un rossignol allemand qui chantait ses plus beaux chants dans la forêt Hercynienne. Les peuples étaient accourus et écoutaient sa voix enchantée. Ils sentaient, pendant qu’ils l’entendaient, rentrer dans leurs cœurs la foi qu’ils avaient perdue et la poésie des vieux jours. Un souffle divin les ranimait, et leur ame s’élançait sur les ailes de cet oiseau merveilleux pour parcourir les sphères mélodieuses. Mais voilà qu’un serpent à la gueule impure avait roulé ses anneaux au tronc d’un chêne du voisinage. Le rossignol l’aperçut ; il fit silence, et soit peur, soit amour, soit un charme plus puissant que le sien, il tomba en voletant dans cette gueule béante ; après quoi, le serpent darda sa langue, et prenant la parole, il dit : « Me connaissez-vous ? Je me suis appelé tour à tour, dans l’Éden, Léviathan, Satan, Moloch ; au moyen-âge, Hérésie, Jean Hus, Martin Luther ; chez les Tudesques, Méphistophélès ; chez les Welches, Voltaire. À présent, je me nomme comme vous tous : Scepticisme. » Les peuples l’ayant entendu se retirèrent et pleurèrent pendant trois jours.

L’influence de la révolution de 1830 n’a pas été en Allemagne aussi nulle qu’on le pense. Ce branle donné au monde a hâté le bouleversement des systèmes surannés. Le saint-simonisme lui-même a pénétré au sein du vieil idéalisme, et la réhabilitation de la matière n’a été nulle part prêchée avec plus d’avidité que par les frères et descendans du jeune Werther. L’école qui a pris un moment le nom de Jeune Allemagne n’a guère d’autre dogme que celui-là. Que de livres n’a-t-elle pas enfantés, qui ont eu un retentissement populaire, sans autre mérite évident que de réveiller les sens endormis ! Combien d’aphorismes tirés de Candide et du Huron passent aujourd’hui dans la poésie allemande pour des nouveautés prophétiques et sibyllines ! Combien la matière, évoquée du néant en l’an 1832, n’a-t-elle pas paru, de l’autre côté du Rhin, chose merveilleuse, inouie, inénarrable ! En sortant du long jeûne du spiritualisme, quel étonnement et quel cantique de joie ! L’Allemagne cloîtrée quitte aujourd’hui le couvent comme Catherine de Bora. Cette nonne épouse à cette heure son Luther sous le nom de la matière et de l’épicuréisme.

L’univers est solennellement prévenu qu’après des travaux consciencieux, la jeune Allemagne a découvert l’an dernier l’existence des cinq sens de l’homme, lesquels avaient échappé jusqu’à présent à toutes les investigations. L’homme n’est point ce qu’il avait paru être jusqu’à présent, un esprit pur, invisible, intangible, impalpable ; l’illusion sur ce point est pour jamais détruite. Cet être extraordinaire se trouve, au contraire, posséder deux pieds, deux mains, deux yeux, et même un corps, autant qu’il est permis d’en juger par les procédés de la science nouvelle. Avec ses mains, il saisit ; avec ses pieds, il marche ; avec ses yeux, il voit. Les changemens que cette découverte va apporter dans la civilisation, échappent encore au calcul. En attendant, il est convenable d’adorer ce nouveau dieu, révélé en chair et en os, et d’entonner l’hymne du corps, C’est là le résumé de toute la doctrine.

La poétique est nécessairement changée. Il ne s’agit plus pour l’artiste, selon le précepte d’Horace, de souffrir le froid et le chaud. Tout au contraire. Le poète qui cherche à captiver d’un coup le public tudesque procède par d’autres principes ; les règles sur cela sont établies. Premièrement, il doit nourrir au fond de lui-même le mépris le plus souverain pour tout ce qui a nom idée, pensée, système, enthousiasme, religion, science. Son désabusement sur chacun de ces points doit, autant qu’il est possible, s’élever jusqu’à l’absolu. Secondement, celui qui par hasard sentirait innocemment son cœur battre, dans son sein, est jugé par ce seul fait. Que ce sentimental Souabe retourne sans tarder à ses moutons. L’écrivain du xixe siècle ne va plus avec Werther écouter le vent souffler dans les forêts mélodieuses. Il ne se penche pas non plus sur les abîmes pluvieux avec les anges de Jean-Paul. Sa muse aime le pot-au-feu et porte un parapluie. Cet intrépide révolutionnaire se distingue au premier chef par son mépris pour son excellence Wolfgang de Goëthe, pour M. Frédéric de Schiller, et pour M. le conseiller Louis Tieck. Il lui est enjoint de passer, chaque jour, trois heures de contemplation devant l’une des Vénus de Titien à son choix. Quant aux chastes vierges de Raphaël et aux anges ascétiques du moyen-âge, la vue lui en est sévèrement et absolument interdite, sous peine de retomber dans le vieux péché d’idéalisme. Son éducation ainsi commencée, il peut tailler sa plume. Si à cela il ajoute quelques plaisanteries burlesques contre le Christ et sa mère, lesquelles il aura soin d’emprunter aux facéties de Voltaire, cette dernière nouveauté captive tout, entraîne tout. Il étonne, il frappe, il commande ; en un mot, il est créateur, demi-dieu incarné. Que dis-je demi-dieu ? de par le panthéisme, il est Dieu lui-même ou Jupiter-Scarabée. Quoi de plus ? il est cité dans la Gazette d’Augsbourg, la véridique Gazette d’Augsbourg !

Cette petite guerre contre l’idéalisme s’est faite au nom et sous les auspices de la révolution française. Plus d’une fois, cette aimable croisade a été comparée à la sanglante majesté de la convention. Chacun se choisissait dans l’histoire de 93 un rôle à son gré. J’ai connu le Robespierre de cette gracieuse révolution. Je ne me souviens plus qui en était le Mirabeau ou le Napoléon ; travestissemens innocens, s’il en fut, et qui auraient dû désarmer les puissances de la terre.

Tandis qu’en France et en Angleterre la chute de la vieille société a provoqué une poésie plaintive et désespérée, on s’étonne que cette même ruine s’annonce en Allemagne par la satire, par le ricanement, et par ce qu’on y appelle l’ironie de l’univers. C’est dans le pays le plus naturellement sérieux que la plainte prend le masque comique. Tous les rôles sont changés. Là où les poètes anglais et français pleurent et se lamentent, les jeunes poètes allemands commencent à se divertir et à banqueter. Pourquoi cela ? Je n’en vois d’autre raison décisive que celle-ci : l’Allemagne n’a point encore connu les angoisses qui naissent d’une révolution véritable, ou elle les a oubliées. Il est permis de s’y jouer avec grace de la convention française comme des Nuées d’Aristophane. On y est presque aussi loin de la place Louis XVI que de la prison de l’Aréopage. Échafauds politiques, dictature populaire, guerres civiles, ces choses-là sont fort sérieuses chez nous et en Angleterre, et les poètes allemands ont là-dessus une légèreté à laquelle nous autres Français nous ne pouvons plus atteindre. Les bouleversemens sociaux n’ont encore pour eux que le piquant de l’inconnu. Ils en sont à la gracieuse époque du mondain de la régence, ou des Cavaliers des Stuarts. Si jamais une révolution passe sur leurs têtes, alors nous verrons comment cette bande joyeuse la supportera.

Qui croirait, malgré cela, que les gouvernemens ont traité cette école comme une ligue de sanglans conspirateurs ? Les coups d’état les plus violens ont été un moment réunis contre de mystiques épicuriens qui ne font après tout qu’exprimer les tendances de leur pays. Si l’Idéalisme se met sous la protection des gendarmes, il faudrait faire la même guerre à l’industrie, aux usines, aux fabriques, à l’enthousiasme pour les chemins de fer et pour les bateaux à vapeur, toutes choses qui annoncent de la même manière la chute du vieil esprit et l’occupation ardente de la matière. Mais c’est une ridicule contradiction de persécuter le système dans les poètes et de protéger dans le peuple l’application. Ce cri de l’Allemagne surannée ressemble à la plainte d’Arioste contre l’invention déloyale de l’arquebuse et de la poudre à canon. Les vieilles armes sont rouillées et impropres aux combats qui se préparent. Ni larmes ni regrets ne peuvent leur rendre l’éclat perdu. Sous la hache bourgeoise du xixe siècle tombent également les forêts de l’Amérique et les fantastiques ombrages de l’Allemagne. Au lieu des chants des fées dans les forêts séculaires, le pic des pionniers qui tracent leur chemin rapide à des générations plus rapides, retentit du Danube au Rhin. Elfes immaculés, gnômes, sylphes spiritualistes, impalpables ondines, votre heure est venue ; il en faut prendre son parti. La question des douanes a remplacé pour tous la question de l’impératif catégorique.

La nouvelle littérature, au-delà du Rhin, se donne beaucoup de peine pour contrefaire l’air dégagé, la légèreté et l’élégante débauche de la littérature du xviiie siècle ; j’ajouterai même qu’elle y réussit. Les Romains n’avaient-ils pas dressé de petits éléphans à danser gracieusement sur la corde ! Au milieu de cela, que devient l’imagination ainsi dépaysée ? Tout se rapetisse : un génie lilliputien prend la place des conceptions transcendantales ; au lieu de l’épopée, l’épigramme ; au lieu de l’infini, un atome. De la même manière que, pour échapper au matérialisme, la France s’est mise à l’école de l’Allemagne, celle-ci, pour échapper à l’idéalisme, entre à l’école de la France. Les nationalités ainsi travesties se mêlent et se confondent. Chaque peuple change de masque comme au carnaval de Venise.

Le poète qui a exprimé le dernier dans toute sa pureté le vieux génie de l’Allemagne[2] est Uhland ; mais voilà près de vingt ans que ce poète se tait. Lui-même, il sent que l’ancienne muse se meurt, et qu’il n’est au pouvoir d’aucun homme de la ressusciter.

J’ai vu les saints anges de Klopstock et de Schiller conspués et raillés par un siècle nouveau ; les esprits voilant leur face dans le ciel de l’Allemagne. J’ai vu les chastes images de Thécla, de Clara, de Marguerite, de Geneviève, qu’insultaient de grossières courtisanes, nées du cerveau grossier des poètes de nos jours. Le ricanement de l’orgie a pris la place des larmes saintes des esprits immortels, et des vices prétentieux se sont couronnés eux-mêmes de la couronne des vierges.

Le docteur Faust a quitté sa cellule, il a quitté ses livres et son creuset ; il a rejeté loin de lui la tête de mort qui ajoutait à ses pensées enthousiastes le sérieux du tombeau. Le docteur s’est fait vif ; il court au bal en chapeau brodé ; il est galant, leste, musqué. Seulement avec son manteau de philosophe, il a oublié au logis son ame et son imagination. Quel magicien pourrait les lui rendre ?

iii.

En vain oppose-t-on que les symptômes indiqués plus haut vont cesser, qu’ils ont cessé déjà, que demain ou après-demain tout va rentrer dans l’ordre. C’est là l’illusion de tous les pouvoirs qui périssent. Inutilement aussi de nobles vieillards luttent-ils contre la pente du siècle. Le siècle leur échappe ; une génération ennemie les remplace et les pousse au tombeau en les injuriant. Une fois entré dans le chemin du doute, aucun peuple ne retourne en arrière ; et le génie de la dissolution est le plus inexorable de tous. Aux optimistes de l’ancien régime philosophique, on peut redire aujourd’hui le mot de notre histoire : Sire, ce n’est point une émeute ; c’est une révolution.

La philosophie, du haut des cieux, ne tient, il est vrai, nul compte de ces changemens. Car rien n’égale son mépris pour les observations puisées dans l’étude des mœurs et de la société ; elle ne connaît, elle ne veut connaître que les livres ; hors de là, le monde finit pour elle. Cependant le sol se mine sous ses pas. Gauche et embarrassée lorsqu’elle veut sortir des bancs de l’école, quelle défense opposerait-elle aux coups de l’esprit populaire ? Chaque jour, le grand Goliath de l’abstraction est atteint au front par la pierre des bergers.

Au reste, si l’idéalisme allemand périt, c’est par sa faute. Nous avons assez long-temps loué ses grandes qualités, pour ne point être embarrassés ici de nous expliquer sur ses défauts. Le premier reproche qu’il faut lui adresser, est le manque complet de sympathie, de charité, ou plutôt d’humanité, par où cette orgueilleuse science est bien loin de la science superficielle du xviiie siècle. L’indifférence entre le bien et le mal, entre le juste et l’injuste, entre la liberté et la tyrannie, est une marque de faiblesse autant qu’une marque de force. On peut bien soutenir pendant quelques années ces théorèmes forcés ; mais tôt ou tard la conscience se réveille, et le bon sens du peuple fait justice, en un jour, des raisonnemens du sophiste. De cette indifférence, il est résulté que les questions les plus profondes ont surgi tout à coup sans que cette philosophie pût en fournir la moindre solution[3]. Quelle réponse donnerait-elle aux énigmes sociales qui travaillent aujourd’hui le monde ? Elle ignore même qu’elles aient été posées ; elle a vécu sans entrailles au milieu des convulsions de l’histoire contemporaine. Où est le zèle de prosélytisme qui agitait et menait les encyclopédistes ? La philosophie allemande ne connaît rien de semblable. Elle n’a rien aimé ; elle ne laissera point de regrets. Ensevelie dans ses formules, comme dans le cérémonial et dans l’étiquette des princes médiatisés, elle est étendue sur son lit de parade. Le pressentiment du lendemain lui a manqué jusqu’au bout. Tel possédait par elle l’absolue intelligence, et formulait, dans un calme majestueux, toutes les époques de l’histoire assyrienne et chaldéenne qui est mort de stupéfaction et d’horreur à la vue du Moniteur du 29 juillet 1830.

La science où parut le plus clairement ce zèle d’abstraction indépendant de la réalité, est la jurisprudence ; dans moins d’un demi-siècle, on sera étonné, lorsqu’un voyageur racontera ce qui suit : Sous le pôle boréal, se rencontrait, il y a trente ans, un pays où vingt mille plumes à la fois ne se lassaient, ni jour ni nuit, de commenter le Droit Fécial, Augural, Papyrien, Bysantin, Carlovingien, Gothique, Canon, Féodal, Coutumier ; à côté de ces écrivains, d’une science infaillible, j’ai vu des juges dépendans, des tribunaux princiers, des procédures privilégiées, des jugemens secrets ; de temps en temps un criminel passait traîné à l’échafaud ; le lendemain on apprenait à la fois à table le crime et le châtiment de cet homme. Au reste, point de contrôle de l’opinion sur les jugemens ; témoins, juges, accusateurs, accusés, tout étant enveloppé dans le même mystère. Ne croyez pas que de ces vingt mille plumes, une seule se laissât distraire par une si mince circonstance, et qu’une si étrange législation soulevât nulle part la moindre controverse. Il est vrai que pendant ce temps on avait retrouvé Gaius, commenté les Capitulaires, et ces commentaires étaient autant de chefs-d’œuvre. De plus on savait à merveille l’art d’être juste tel qu’il avait été pratiqué à Salente, un siècle avant Homère.

Les poètes eux-mêmes, ces consolateurs des peuples, ont trop souvent partagé cette incurie. Les correspondances posthumes qui ont été publiées dans ces dernières années, prouvent clairement que ce manque de charité et d’entrailles fut le caractère constant de Goëthe. Son système de neutralité permanente dégénérait avec l’âge en manie. Je ne sache pas qu’aucun homme, non pas même Alexandre, fils d’Ammon, soit descendu au tombeau avec une satisfaction plus intime et plus immuable de sa propre divinité. Dans les lettres de Bettine de Brentano, on voit une jeune fille se consumer d’amour pour Wolfgang Goëthe, et son Excellence le ministre d’état de Weimar exploiter ce long désespoir pour en tirer quelques observations pathologiques, et une demi-douzaine de tercets. Faciamus experimentum in corpore vili, ce fut toujours sa devise. Amour, désespoir, patrie, terre et cieux, tout cela eut justement pour lui la valeur d’un sonnet régulier.

Comme en Allemagne, chaque chose se réduit promptement en système, on n’a pas manqué d’établir en forme de loi cette disposition épicurienne du grand poète. Pendant plusieurs années, il fut défendu, de par la critique, à tous poètes, prosateurs, orateurs et artistes, de garder aucun attachement humain, quelque nom qu’il pût prendre, désir, regret, espérance, héroïsme. Le dévouement à un principe, à une cause, à une croyance, fut surtout interdit au premier chef, sans exception ni empêchement quelconque. Par là, le devoir de l’écrivain se trouva réduit à l’immobilité du fakir. Celui-là fut réputé divin qui, assistant de loin à tous les dangers et s’abstenant de tous, diplomate olympien au milieu de la mêlée du bien et du mal, s’enfermait dans sa nue pour polir un tercet. On aurait pu, avec Orgon, dire de cet idéal de la critique :


Il m’enseigne à n’avoir affection pour rien ;
De toutes amitiés il détache mon ame ;
Et je verrais mourir frère, enfans, mère et femme,
Que je m’en soucierais autant que de cela.


Il faut convenir que ces maximes ne furent pas absolument celles des Eschyle, des Dante, des Camoëns, des Racine, des Molière, des Milton ni des Byron. Elles ne pouvaient naître que dans l’oisiveté des petites cours d’Allemagne et dans le fatalisme des écoles.

Un autre vice de ce fatalisme, c’est qu’à force de se confondre avec la Divinité, il arrive que l’humanité s’infatue jusqu’à la folie. En voici un exemple qui est devenu populaire. Suivant la doctrine de l’absolu, réduite à son expression la plus simple, Dieu sommeillait dans un rêve moitié végétal, moitié animal, depuis des milliards d’années ; il ne donnait d’ailleurs pas le moindre signe de vie. Moïse et le Christ le tirèrent de cet engourdissement éternel. Mais il y retomba bien vite, et cette fois plus profondément que jamais. Les choses durèrent ainsi jusqu’à l’an 1804, avec quelque mélange de rêves insignifians. Au commencement de cette même année, Dieu n’avait pas encore la moindre conscience de ce qu’il était ou pouvait être. Ce ne fut que vers le milieu de l’automne qu’il fit définitivement connaissance avec lui-même dans la personne et la conscience de M. le docteur Hegel. Cet épisode fort important dans la vie de Dieu se passa le 25 octobre, sur le chemin de Bayreuth, à trois heures et demie de l’après-dînée. Depuis ce moment l’Éternel se sentit vivre, et ne garda plus le moindre doute sur sa propre existence. Un peu plus tard, il fut nommé professeur ordinaire et directeur de l’Académie de Berlin. Alors aussi sa carrière fut assurée.

Tant que l’enthousiasme de la philosophie a survécu, ce panthéisme a été au fond très religieux et très fécond. En dépit des railleurs, il agrandit l’horizon de chaque chose. Mais ce même enthousiasme disparu, tout a changé. L’unité de doctrine une fois brisée, il y a des jurisconsultes, des philologues, des métaphysiciens, des théologiens, qui tous, s’abhorrant les uns les autres, marchent fort habilement dans des directions contraires. Il y a des savans et plus de science. La haine se substitue à l’amour, et l’anarchie à la fraternité. Les sectes se soulèvent et deviennent ennemies déclarées l’une de l’autre, l’école de Munich de l’école de Berlin, les supernaturalistes des rationalistes, les rationalistes des piétistes, les piétistes des mystiques, les mystiques des méthodistes, les méthodistes de tout le genre humain. Souvent ces haines systématiques cohabitent ensemble dans le même village et sous le même toit. À la place de l’héroïsme intellectuel se glissent de petites passions bourgeoises. L’abstraction devient métier, et l’infini, marchandise. Sous leurs titres de cour, chambellans, conseillers, conseillers intimes, conseillers très intimes, qui pourrait aujourd’hui reconnaître les philosophes candides du temps de Mme de Staël ? Plutôt vous reconnaîtriez le volontaire de la république dans monseigneur le comte La Tulipe de Paul-Louis Courier. La science a fait comme la liberté ; originale et créatrice sous la bure, routinière et paresseuse sous la livrée. On ne connaît point ailleurs cette féodalité fondée en classe sur le droit divin du rudiment et sur les dîmes et corvées du dictionnaire. D’ailleurs l’horreur de tout changement, et le goût que chacun a pour ses aises, maintiennent dans un grand nombre les préjugés les plus vulgaires. Si une assemblée politique était formée des membres des universités allemandes, on serait étonné des vues avares et personnelles qu’un tel corps laisserait paraître.

Dans l’isolement où vivent, en Allemagne, la plupart des savans quand leur propre enthousiasme ne les occupe plus, des amours-propres insondables se développent sous cette bonhomie blonde et candide. Chez nous, en France, la vanité est un sentiment frivole, et qui peut être distrait par intervalles. De l’autre côté du Rhin, l’absence de tout évènement politique, permet à chacun de se contempler, s’il le veut, sans avoir jamais à tolérer la moindre comparaison avec le monde extérieur. Ainsi isolée, la vanité, si elle s’allume, devient une passion profonde, consciencieuse, religieuse, un culte de soi-même qui porte tous les caractères du fanatisme. Malheur à celui qui méconnaîtrait le dieu retiré sous la figure d’un conseiller intime de Cassel ou de Gotha !

Vous avez, sur le chemin d’Alep, trompé la foi d’un Arabe du désert. Sa vengeance est prête ; il vous poursuit. Mais votre cheval va vite ; le désert est franchi, votre salut est assuré. Vous avez contredit un savant d’outre-Rhin sur les poids et mesures du troisième Pharaon ; vous lui avez montré qu’il s’abuse de la valeur d’un siècle, et que sa citation de Diodore est erronée ; bien plus, la preuve a été publique, le déshonneur patent. N’espérez plus ni paix ni trêve. Pour vous dérober à cette haine implacable, ni votre vaisseau ni votre cheval ne sont assez rapides. La mort même ne vous en défendra pas. Si vous lui échappez vivant, comptez qu’il barbouillera d’encre votre squelette.

Il reste à la science allemande une phase à parcourir, et un progrès à accomplir. Ce progrès consistera à se dépouiller des formules et à quitter la scolastique. Il faut que cette Minerve paresseuse descende de l’Empirée pour lutter avec le siècle, qu’elle éprouve sa force dans les questions où l’époque actuelle est plongée. Si au lieu d’une déesse, elle n’est qu’une faible femme, comme Clorinde, ses premiers coups la trahiront.

La conséquence générale de tout ce qui précède, c’est qu’à mesure que l’Allemagne s’éloignera du pur idéalisme, elle perdra de plus en plus son originalité au milieu de l’Europe. Ce que nous aimions en elle, c’était son esprit cosmopolite et impartial qui possédait le secret de toutes les formes, l’aspiration élevée de son génie, et par-dessus tout, l’ascendant moral de ses croyances. Comment peut-elle aujourd’hui compter nous intéresser long-temps par le scepticisme et par la fatuité irréligieuse ? Que peut-elle apprendre là-dessus à des gens qui possèdent Rabelais et Voltaire ? Quoi qu’ils fassent, je défie ces lauréats du matérialisme d’égaler jamais leurs devanciers ; et l’orgie où se convient les muses tudesques sera trouvée bien frugale après le banquet de Pantagruel et de Candide.

L’influence de l’Allemagne bientôt ne se distinguera plus du mouvement général du siècle. Dans ce chaos d’opinions, d’idées, de poésie, qui s’agite en chaque endroit de l’Europe, comment reconnaître l’élément que chaque peuple y fait entrer ? Le spiritualisme du Nord, le matérialisme du Midi, l’égalité française, l’industrie anglaise, tendent à s’établir et à coexister partout à la fois : qui donnera à ce chaos en ferment la forme et la lumière ?

Entraînés au changement avec une inexorable violence, les hommes n’ont aujourd’hui qu’une crainte, celle de se laisser devancer l’un par l’autre vers l’avenir. Imaginez de ce côté du Rhin le système le plus chimérique ; demain, sur l’autre rive, il sera de beaucoup surpassé par cette peur unique que l’on aura d’être laissé en arrière. Le genre humain marche aujourd’hui à la façon d’une troupe de Bohémiens. Chacun pousse l’autre, afin d’arriver le premier au gîte. De discipline et d’autorité, il n’en est point.

Le monde est, à cette heure, possédé tout entier d’un ardent désir de conquérir par l’industrie la matière et la nature. Maintenant, le spiritualisme pur ayant succombé dans sa patrie en Allemagne, l’entraînement sera complet. Le dernier empêchement est levé. L’équilibre est rompu. Toutes les convoitises vont pencher d’un même côté. Philosophie, poésie, liberté, tout se tait dans l’attente de la soumission de la nature et de l’exploitation du globe. Dans un avenir lointain, quand cette victoire de l’homme sur les forces de la matière sera plus avancée, on sera étonné de lui trouver tant de bornes. L’homme, ce conquérant divin, ne pourra subjuguer tant de choses qu’à la fin un grain de sable, une fièvre quarte, une migraine ne reste le maître du triomphateur. Comme Alexandre, au milieu de sa Babylone sensuelle, il sera saisi d’un dégoût infini, et il ne trouvera pas moins de vide de ce côté qu’il n’en avait trouvé dans les espérances passées. L’éternelle douleur, que l’on dit aujourd’hui endormie, se réveillera sur sa couche éternelle ; car cette matière divinisée toute seule, dont on fait tant de bruit, est une religion de serfs affamés et nouvellement déchaînés, non d’hommes libres et raisonnables.

L’humanité privée de Dieu s’adore aujourd’hui de la meilleure foi du monde. Combien cette infatuation durera-t-elle ? Qui le sait ? qui se soucie de le savoir ? et qui voudrait le dire ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce Dieu nouveau se réveillera un jour, après la fête, sur son autel, pauvre, nu, pleurant, gémissant, et Gros-Jean comme devant.

iv.

Entre la France et l’Allemagne, la seule question qui, après toutes les autres, restera long-temps pendante, est celle des bords du Rhin. Il est naturel que, des deux côtés on y mette la même obstination ; de quelque manière que l’avenir la résolve, les poètes au moins conservent sur elle un droit qu’ils peuvent toujours revendiquer ; c’est ce que l’on a tenté de faire dans les stances suivantes par lesquelles nous terminerons cet aperçu, d’où nous avons cherché à éloigner tout souvenir irritant ou amer.

LES BORDS DU RHIN.

Il est une vallée où les biches vont boire
Au pied des châteaux-forts, où dans son cor d’ivoire
L’Écho fait retentir les jours qui ne sont plus ;
Les Sylphes diligens, dont notre âge se raille,
Les nains ensorcelés sous leur cotte de maille,
S’y suspendent encore aux balcons vermoulus.

Il est une vallée où la rose mystique
Croît encor sans culture, où sur la basilique
Parmi les verts tilleuls s’abaisse l’arc-en-ciel.
Tous les morts rejetés du souvenir des hommes,
Tous les espoirs chassés du désert où nous sommes,
S’abritent, les pieds nus, sous le gothique autel.


Il est un fleuve saint où navigue le cygne,
Où l’amandier en fleurs se marie à la vigne,
Où l’Ondine en son île attire le pêcheur.
L’ambre croît sur la rive ; et dans les cathédrales
Les anges ont ployé leurs ailes colossales,
Ainsi que la cigogne au toit du laboureur.

Quand l’année achevée a fané sa couronne,
Et que le cœur se plaint aux brises de l’automne,
Dans la cuve du Rhin fermente un vin doré.
Nains ! barbouillez de lie en vos coupes de pierre
Vos tudesques blasons ! dans sa niche de lierre,
Chancelle des vieux temps le fantôme enivré.

Les femmes sont les sœurs des fleurs de la vallée.
De l’éternel amour la colombe volée
Boit au bord de leur bouche et s’endort sur leur cœur.
Leur front pâle est baissé ; blonde est leur chevelure ;
Et comme un vieux guerrier que berce leur murmure,
Le fleuve à leurs fuseaux suspend son flot rêveur.

Comme le bruit du vent dans les feuilles d’automne,
Leur parler étranger dont l’oreille s’étonne,
Par degrés vous émeut d’un son plaintif et lent.
Au fond de tous leurs mots qu’un soupir entrecoupe,
Comme une perle au fond d’une sonore coupe,
Amour, amour, amour, retentit en tremblant.

Mais ce fleuve profond où navigue le cygne,
Cette vallée en fleurs que parfume la vigne,
Ces bois, cette prairie et ces bords sont à nous.
Ils sont à nous, amis, par le sang de nos pères,
Par la borne d’airain arrachée aux frontières,
Par le mot du serment de vingt rois à genoux.

Oui, ces monts sont à nous, notre ombre les domine ;
Oui, ces fleurs sont à nous, nous en gardons l’épine ;
Oui, ces champs sont à nous, nos morts y sont couchés.

Peuple, rappelle-toi, debout sur ce rivage,
Ainsi qu’un vendangeur qui revient de l’ouvrage,
Quand tu lavais ton front parmi ces joncs penchés.

Dans la voix de l’Écho ta voix résonne encore ;
Les gnômes féodaux du drapeau tricolore
Vont aiguiser la lance, au bord des vieilles tours.
Pour toi plus d’une coupe, en ton nom promenée,
Quand les verroux sont clos, de houblon couronnée,
Se vide et se remplit des regrets des vieux jours.

Assis sur la montagne où s’amasse l’orage,
Ainsi qu’un bon pasteur qui garde un héritage,
Je suis des yeux ces flots moins vagabonds que moi.
Je respire en passant les roses qui fleurissent,
Je compte sur le cep les raisins qui mûrissent,
Et les petits chevreaux qui grandissent pour toi.

Cependant, à mes pieds, sous l’ombrage qui tremble,
Chevreaux, vignes, moissons et fleurs croissent ensemble.
Vieux murs, fleuves, forêts, tours, gothiques vitraux,
Barques de pélerins, chants des cloches bénies,
Pour les enchaîner tous aux mêmes harmonies,
Il ne faut que le chant des frêles chalumeaux.

Mais, si tu l’oubliais le fleuve de ta gloire,
Peuple au long avenir, à la courte mémoire,
Au lieu des chalumeaux, une trompe d’airain,
La nuit, le jour, semblable à celle de l’archange,
Jusqu’à ta sourde oreille où tout s’efface et change,
Immense, porterait l’immense écho du Rhin.


Edgar Quinet


  1. Voyez le dernier décret du cabinet de Berlin, concernant les juifs.
  2. Ruckert s’est évidemment formé, en partie, sur les modèles orientaux.
  3. Cette question est mise en une pleine lumière par l’ouvrage qu’un écrivain remarquable à tant de titres, M. Barchou de Penhoën, vient de publier sur l’Histoire de la Philosophie allemande. La comparaison habilement ménagée que l’auteur établit entre les systèmes politiques et les systèmes métaphysiques éclaire également les uns et les autres. La métaphysique et la politique deviennent ainsi les personnifications visibles de l’Allemagne et de la France, et ces deux peuples s’expliquent mutuellement par leurs diversités mêmes.