Petite Gazette d’Art

La bibliothèque libre.
(Redirigé depuis Petite Gazette d'Art)
Petite Gazette d’Art
La Revue blancheTome XII (p. 192-194).

Petite Gazette d’Art

Vente Vever. — Cercle de l’Union Artistique. — Exposition Sisley. — Exposition Hermann Paul. — La Salle Caillebotte au Luxembourg.

La collection de tableaux, pastels, dessins, sculptures, vendue à si grand fracas cette quinzaine dans la galerie Petit ne présentait en tant qu’ensemble qu’un très médiocre intérêt. Elle ne témoignait d’aucun goût particulier, d’aucune volonté dans le choix des œuvres : le plus insignifiant éclectisme. Un très beau paysage de Rousseau parmi quantité d’Harpignies, de Daubigny, de Gazin ; d’admirables figures de Corot entre des Meissonier ; Besnard en pendant à Degas et Chaplin à Renoir, que deux Pissarro et tant de Lebourg. Comment accepter qu’un même panneau comporte des études de danseuses de M. Degas et de M. Renouard ?

Quant aux prix obtenus par les différents objets ils n’appartiennent pas à la chronique d’art et concerneraient surtout un paragraphe du Bulletin de toutes les Bourses. Les variations des cours, qui dépendent de modes accidentelles et aussi beaucoup de toutes sortes de spéculations et de manœuvres, devraient du moins apprendre aux critiques trop dogmatiques la circonspection.

On peut noter cependant les observations ingénieusement recueillies par un artiste, M. P. S., et considérer à l’appui les croquis schématiques mais scrupuleux qu’il nous communique.

Toutes choses égales d’ailleurs, comme disent les mathématiciens, les acheteurs se préoccuperaient surtout d’acquérir des silhouettes amusantes ou très nettes, des lignes très apparentes, des compositions agréables, des toiles remplies. C’est pourquoi la toile de M. Lebourg portée au catalogue sous le numéro 71 (schéma a) dont la silhouette est agréable et facile à saisir aurait atteint 2.050 francs, alors que celle qui porte le n° 61 (sch. b) et dont la composition est pénible et anguleuse n’a pas dépassé 650 fr., ou qu’alors qu’une toile très pleine comme le n° 66 (sch. c) serait montée à 1.620 fr. le n° 62 (sch. d) très vide et sans arrangement a été adjugé 530 fr. La différence des prix (3.100 fr. et 720 fr.) obtenus respectivement par les n° 101 (sch. e) et 102 (sch. f) proviendrait de ce qu’une toile de M. Sisley agence des lignes très apparentes, l’autre, très confuses. De même encore les n° 109 et 110 (sch. g-h), de silhouette presque semblable, ont atteint, l'un, où se voit clairement la grosse masse du noyer en opposition avec les lignes du fond et le premier plan, 1.760 fr. et, l’autre, dont le premier plan est confus, seulement 650 fr. 194 LA REVUE BLANCHE


Les tableaux de M. Pissarro n’auraient été si peu disputés que parce qu’ils sont faits un peu au hasard, comme d’une fenêtre, le public n'étant juge ni de leur qualité ni de leur charme.

Les exemples, nous assure-t-on, ont été pris entre des tableaux de même taille et «l’égale valeur chromatique : les Sisley aussi bons les uns que les autres, les Lebourg aussi... mettons quelconques.

Les voitures des brillants visiteurs du Cercle de la rue Boissy-d’Anglas ont gêné toute la quinzaine la circulation sur un coin de la place de la Concorde.

L’ordre se rétablit.

Des toilettes de plus en plus rares et de moins en moins fraîches circulent devant un petit nombre de toiles élégantes et de sculptures chic qu’on a su trier.

M. Sisley fait à la galerie Petit une exposition très importante de paysages.

Cent cinquante tableaux aux murs s’ils ne composent pas toute son œuvre, en donnent du moins une idée complète. Peut-être même y on a-t-il trop et faut-il accuser cette abondance d'une impression de monotonie, d’ennui dont il faut se défendre pour prendre la peine — du moins elle n’est pas perdue — de considérer à part chacun des morceaux. Si on avait groupé les paysages si divers d’après un système, classement historique ou arrangement de panneaux, et qu’on se fût montré plus sévère dans le choix des objets à exposer — quelques-uns pour représenter les manières successives eussent suffi — on eût, loin de diminuer leur plaisir, évité aux visiteurs de la fatigue.

M. Sisley apparaît un paysagiste un peu limité mais charmant. Si on ne peut louer en son art plus qu’une vision jolie, un goût aimable, des qualités d’observateur menu, mais raffiné, un souci ingénieux de composition ; si on ne lui accorde ni l’enchantement d’un Renoir ni la puissance et la maîtrise d’un Monet ni son éclat, ni le charme plus subtil et plus rare d’un Pissarro ; si, plus qu’un autre, il pâlit auprès de Cézanne, on lui doit cette justice qu’il se maintient agréablement parmi les paysagistes ses contemporains.

Il faut reconnaître encore qu’avant l’adoption de théories et de procédés que, pour n’avoir pas inventés, il n’applique pas moins très honorablement, il s’était révélé déjà doué infiniment. Chacun de ses tableaux, qu’il date de 72 ou de 95, vaut d’être examiné et à quelques-uns des plus anciens comme des plus récents il-arrive qu’on peut prendre un plaisir extrême.

Dommage qu’on se soit montré si avare, rue de Sèze, de ces pastels d’animaux où le peintre excelle.