Les Odes (Ronsard)/« J’ai l’esprit tout ennuyé »

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir « J’ai l’esprit tout ennuyé ».

Les Odes, Texte établi par Hugues VaganayGarnier3 (p. 119-120).
ODE XXII.

  J’ay l’esprit tout ennuyé
D’avoir trop estudié
Les Phænomenes d’Arate :
Il est temps que je m’esbate.
Et que j’aille aux champs jouër.
Bons Dieux ! qui voudroit louër
Ceux qui collez sus un livre
N’ont jamais soucy de vivre ?
  Que nous sert d’estudier.
Sinon de nous ennuyer !
Et soin dessus soin accroistre
A nous, qui serons peut estre
Ou ce matin, ou ce soir
Victime de l’Orque noir !
De l’Orque qui ne pardonne
Tant il est fier, à personne !
  Corydon, marche davant,
Sçache où le bon vin se vend :
Fais après à ma bouteille
Des fueilles de quelque treille
Un tapon pour la boucher :
Ne m’achète point de chair,
Car tant soit elle friande,
L’Esté je hay la viande.
  Achete des abricôs,
Des pompons, des artichôs.

Des fraises, et de la crème :
C’est en Esté ce que j’aime,
Quand sur le bord d’un ruisseau
Je la mange au bruit de l’eau,
Estendu sus le rivage,
Ou dans un antre sauvage.
   Ores que je suis dispos,
Je veux boire sans repos.
De peur que la maladie
Un de ces jours ne me die.
Me happant à l’impourveu.
Meurs gallant, c’est assez beu.