« Les Balkaniques », critique

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« Les Balkaniques », critique
Le Midi socialiste, 11 mars 1913 (extrait) (p. 2).


« Les Balkaniques »

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Un volume de Poèmes d’actualité de M. Fernand Hausen
— Les rêves de la paix et les horreurs de la guerre —
Vers la fraternité humaine


M. Fernand Hauser est un des principaux rédacteurs d’un grand journal de Paris, Son nom est connu du grand public à cause de l’originalité, le caractère alerte et la forme soignée de ses articles. Il honore ainsi de son talent le journal auquel il collabore,

Mais son talent multiple, si l’on peut dire, est-il entièrement apprécié comme il serait légitime ? M. Fernand Hauser est l’auteur d’œuvres très consciencieuses, de poèmes, de romans, de pièces de théâtre, Est-ce que sa réputation de journaliste ne porte pas tort à celle qu’il mérite tout à fait d’avoir comme homme de lettres ?

La forte vertu de notre distingué confrère est de ne pas s’en soucier. Il accomplit avec dévouement l’effort enfiévré et le labeur sans relâche que nécessite le journalisme vraiment professionnel contemporain ; il poursuit avec une foi inébranlable son œuvre de poète. Ainsi il est en son droit de juger dans sa propre conscience le réconfort nécessaire. Heureux ceux qui savent si noblement remplir leur vie !

Il y a quelques mois, M. Fernand Hauser publia le « Mystère des Mois », hymne de gloire en l’honneur des saisons, poème d’espérance et de sereine croyance.

Rien ne meurt, comprends-le. Rien ne meurt sur la terre.
Le grain de blé revit dans un épi doré
Et l’épi d’or revit dans le grain qu’on enterre
Et qui sort tout à coup de son tombeau muré !

Que ce soit mars, le plus jeune des mois, avril mois des résurrections, ou juin tout fleuri d’œillets, ou octobre soir de la vie, où janvier mois des frimas, M. Fernand Hauser les célèbres selon la sève qui monte, le soleil qui féconde, les parfums qui enivrent, les crépuscules propices aux chères songeries, selon l’hiver avec ses frissons secouant toute la plaine.

Le poète fait abstraction de ses préférences personnelles, il sait que tous les mois participent à l’ordre universel, qu’ils sont liés à l’harmonie même de la nature. Le poète surgit de son propre cœur, il s’élève aux hauteurs qui peuvent seuls atteindre Les esprits privilégiés. Le voici maintenant face à face avec son Dieu. Il voit tout dans sa splendeur d’ensemble, l’univers est un, chaque saison a donc sa raison d’être et sa beauté. L’éloge de tous les mois se justifie ainsi de par lui-même.

S’agit-il d’une question présente ? De cet Orient que la guerre met en flammes ? Le poète assemble dans son cœur tous ces peuples qui s’entrechoquent, il aime d’un même amour la Turquie aux abois et les Balkans victorieux, il est ainsi en droit de les célébrer tour à tour. Le poète demeure fidèle au génie sacré qui le place au-dessus de tous les autres hommes.

Voilà le lien sublime qui réunit deux livres qui paraissent si éloignés l’un de l’autre, le « Mystère des mois » que M. Fernand Hauser publia récemment et « les Balkaniques » qu’il vient de faire paraître ces jours-ci. Voilà la source d’inspiration où l’auteur puisa pour la composition de ses deux beaux livres.

Jamais œuvre ne fut plus d’actualité que « Les Balkaniques. » En cela, M. Fernand Hauser montre qu’il est vraiment un esprit moderne. Le poète vibre aux émotions qui soulèvent la monde entier. Mais tandis que d’autres épiloguent, il se recueille, son âme s’exalte, sa lyre frémit.

Ce que le poète chante, c’est ce qui se passe, là-bas, en Orient ; mais, ce qu’il nous livre en même temps, c’est sa pensée mélancolique : à la vision des tueries humaines, c’est sa méditation pleine d’espérance au soleil de demain.

Il avait rêvé que l’on ne se battrait plus, que c’en état à jamais fini des temps de guerre. Et voici que la parole est seulement au plus fort. C’est le choc effroyable des races :

Le canon tonne ; et l’ouragan des mitrailleuses
Fait tomber dans leur fleur des jeunesses rieuses
Que La terre prendra sans linceul, sans cercueil ;
Et, demain, des enfants s’habilleront de deuil !

Le poète ne se sent au cœur aucune haine pour aucun des combattants, Nous avons dit que, homme inspiré, il est au-dessus de tous les autres hommes. Si, donc, la Monténégrine conseille et promet à la fois :

Vite ! À cheval ! Par les sentiers de chèvres,
Élance-toi, joyeux, mon bel amant !
Tu cueilleras la rose sur mes lèvres
Si tu reviens vainqueur du Musulman !

Si, de même, la chanson serbe proclame avec le plus farouche enthousiasme :

Contre l’étranger que rien n’assimile
Canons et fusils partirons tout seuls,
Tant pis si nos morts se comptent par mille,
Nos femmes sauront tisser leurs linceuls !

Si, encore, une voix bulgare crie d’un élan emporté :

La Maritza roule des flots de sang !
Marchez guerriers et battez-vous sans crainte !
Effacez à jamais, de notre sol, l’empreinte
Des soldats du Croissant !

Si, enfin, le Grec peut se réjouir jusque dans sa foi :

Et la voici venue enfin, cette revanche !
La croix va remonter sur l’église du Christ !

M. Fernand Hauser n’oublie pas le camp adverse, le Turc. Il faut lire Les lamentations d’Abdul-Hamid, la prière sur le Bosphore, la parole du Cheïk UI Islam, les Trois Villes, qui constituent, autant de poèmes, où palpitent tous les sentiments qui, à l’heure actuelle, montent, comme des larmes de sang, au cœur éprouvé des Musulmans. Les vaincus espèrent malgré tout :

Regarde-moi du haut de tes claires nuées !
Ta gloire, Allah ! ne sera pas diminuée !

Un instant, les combattants déposent Les armes. C’est l’armistice. Mais la guerre reprend, C’est la plus sombre épreuve. Alors, en cette heure solennelle, si tragique, le poète rappelle la parole évangélique :

Aimez-vous les uns les autres ! a dit Jésus ;
Ces paroles, pourquoi ne les entend-on plus ?
Pourquoi ces cris de haine et de guerre ? Nous sommes,
Chrétiens, juifs, protestants, musulmans, tous des hommes.

Les temps prédits s’accompliront, les hommes finiront, tous par vivre en frères. Ainsi M. Fernand Hauser, qui nous prit au seuil de la nuit et de la mort, nous fait traverser tous les champs de bataille et nous conduit aux portes mêmes de la terre promise, tandis que se lève une aube de rédemption, que souffle la brise de la concorde. Ainsi ce livre, qui commente en tristesse et en deuil, s’achève sur des paroles de réconciliation humaine, dans un appel à la lumière, à la vie, à l’amour, à la paix. Un poète seul était en droit d’entreprendre de sublimes choses, et, poète, M. Fernand Hauser l’est de toute son âme émue, de tout son cœur si désintéressé, de tout son esprit cultivé.

Dans la préface qu’il a écrite pour les « Balkaniques », M. Jean Aicard, de l’Académie Française, affirme : « Par le succès qu’il ambitionne, Fernand Hauser est et sera récompensé d’avoir suivi le conseil du cher et grand Sully Prudhomme :

Laisse à travers ton luth souffler le vent des âmes
Et tes vers flotteront comme des oriflammes…

Ceux qui ont lu et ceux qui, chaque jour de plus en plus nombreux, Liront les « Balkaniques », vont s’empresser de souscrire à l’affirmation de l’illustre préfacier.

Jean melia.